EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE IER
DÉFINIR LES PRESTATIONS DE
CONSEIL
Article 1er
Champ
d'application de la proposition de loi
L'article 1er fixe le champ d'application de la proposition de loi issue des travaux de la commission d'enquête du Sénat sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques. Il établit un double critère en définissant, d'une part, les administrations concernées et, d'autre part, les prestations de conseil visées. Il pose par ailleurs le principe que les prestataires de conseil ou consultants ne doivent prendre aucune décision administrative.
À l'initiative de sa rapporteure, la commission a précisé la liste des administrations concernées en remplaçant la notion d'« opérateurs de l'État » peu définie, par celle d'établissements publics d'État. Plus précise juridiquement, cette rédaction permettrait de maintenir la plupart des organismes listés comme opérateurs en 2022.
La commission a également choisi de faire sortir du champ d'application certaines prestations relevant plus de l'exécution ou de la technique, telles la programmation et la maintenance informatiques, les auteurs ayant eux-mêmes exclu les « prestations informatiques » dans leur présentation du texte.
En matière de prestations de conseil juridique ou financier, elle a également étendu l'exception déjà créée en faveur des avocats pour leur activité de défense, des experts-comptables et des commissaires aux comptes à l'ensemble des professionnels du droit - y compris les avocats exerçant une activité de conseil - dès lors que ces professionnels sont déjà soumis à des obligations déontologiques sous le contrôle de leurs ordres respectifs. La commission n'a pas souhaité créer de chevauchement de compétences en faisant apprécier leurs éventuelles situations de conflit d'intérêts par la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique (HATVP) en cas d'intervention au bénéfice des administrations de l'État.
La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.
1. Définir le champ d'application de la proposition de loi issue des travaux de la commission d'enquête
La commission d'enquête du Sénat sur l'influence croissante des cabinets de conseil privés sur les politiques publiques a examiné le « recours aux cabinets de conseil par l'État dans son ensemble, ce qui comprend notamment le conseil en stratégie, la gestion des ressources humaines, l'accompagnement de projets ou encore le conseil en communication », selon les déclarations liminaires de son président5(*).
Les auteurs de la proposition de loi ont donc fixé son périmètre en conséquence, en définissant un double critère, l'un relatif à l'administration bénéficiaire de la prestation de conseil, l'autre relatif à la nature de la prestation réalisée. Seul le prestataire de conseil ou le consultant réalisant une prestation au bénéfice de l'une de ces personnes publiques et dans l'un des secteurs de conseil énumérés aurait à se soumettre aux obligations des articles 2 à 186(*).
L'article 1er de la proposition de loi définit ainsi :
- les administrations bénéficiaires comme étant l'État et ses opérateurs, les autorités administratives et publiques indépendantes (AAI et API) et les établissements publics de santé ;
- les prestations de conseil comme étant celles relevant du conseil en stratégie, en organisation des services et en gestion des ressources humaines, en informatique, en communication, pour la mise en oeuvre des politiques publiques, y compris leur évaluation, et de conseil juridique, financier ou en assurance.
Pour cette dernière catégorie, la proposition de loi prévoit d'exclure du champ d'application l'assistance ou la représentation des parties devant les juridictions et les organismes juridictionnels ou disciplinaires, ainsi que l'expertise-comptable et le commissariat aux comptes.
2. Poser le cadre de l'intervention des cabinets de conseil
L'article 1er poserait également les limites de l'intervention des cabinets de conseil en rappelant le principe selon lequel « les prestataires de conseil et les consultants ne prennent aucune décision administrative ».
Ce rappel peut sembler souhaitable depuis que les travaux de la commission d'enquête ont mis au jour que des missions au coeur de l'État semblaient avoir été « déléguées » à des prestataires privés et que la frontière était parfois bien floue entre consultants et responsables ou agents publics.
De même, compte tenu du risque que les cabinets de conseil puissent orienter la décision vers un scénario qu'ils considèrent comme prioritaire7(*), il est apparu opportun d'inscrire dans la loi que les scénarios doivent s'appuyer sur « des informations factuelles et non orientées ».
3. La position de la commission : ajuster le champ d'application et clarifier la définition des prestataires de conseil et consultants
3.1. Clarifier la notion d'opérateurs
De nombreuses personnes auditionnées ont attiré l'attention de la rapporteure sur le caractère pour le moins fluctuant de la catégorie des opérateurs de l'État. En effet il s'agit d'une notion budgétaire qui recouvre des entités qui sont « majoritairement financées par des subventions de l'État ou des taxes affectées, ou porteurs d'enjeux importants pour l'État »8(*) et qui sont classées en tant qu'opérateurs chaque année, lors de l'établissement du « rapport sur les opérateurs de l'État » annexé au projet de loi de finances9(*) (également appelé « jaune budgétaire »). La liste ainsi établie est susceptible de varier d'une année sur l'autre. La grande majorité de ces opérateurs sont des établissements publics de l'État. Ils représentent environ 90 % des opérateurs listés dans le jaune budgétaire de 2023.
La rapporteure a donc proposé de remplacer la notion budgétaire d'« opérateurs de l'État » par la catégorie juridique des « établissements publics de l'État ». Elle s'est interrogée sur la possibilité de fixer un seuil - par exemple, un seuil fixé par référence aux dépenses de fonctionnement de l'établissement - afin de ne soumettre à la proposition de loi que des établissements ayant une certaine taille critique et qui, de ce fait, apparaissent davantage susceptibles de recourir aux cabinets de conseil de manière significative. En l'absence d'informations lui permettant d'établir la liste précise des établissements publics d'État concernés par tel ou tel seuil, elle a choisi de ne pas formuler de proposition à ce sujet.
La catégorie des établissements publics de l'État semble comprendre les établissements publics de santé placés sous le contrôle de l'État par le code de la santé publique10(*). Toutefois, la rapporteure a souhaité respecter les travaux de la commission d'enquête qui a choisi de mettre spécifiquement en lumière cette catégorie.
La commission a adopté l'amendement COM-3 de la rapporteure.
3.2. Mieux définir certaines catégories de conseil
Certaines personnes auditionnées ont également fait part de leur inquiétude quant au nombre de personnes qui pourraient être soumises aux obligations prévues par la proposition de loi, alors même que leurs tâches ne seraient pas de nature à influencer la décision publique, en particulier en matière informatique. Ainsi, un informaticien qui agirait pour mettre en oeuvre une application sans disposer de marges de manoeuvre pour en concevoir l'architecture ni les fonctionnalités aurait à établir une déclaration d'intérêt avant chaque prestation, ce qui peut sembler disproportionné au regard de l'enjeu de son intervention...
La rapporteure a été soucieuse de prendre en compte cette réalité, sans toutefois remettre en cause l'analyse de la commission d'enquête qui a souligné le poids économique des conseils en informatique et l'importance stratégique que revêtent les questions numériques en matière de politique publique, comme l'a montré le rôle central des outils informatiques de lutte contre l'épidémie de Covid-19. Il doit être rappelé que ces prestations informatiques ne sont pas comprises dans le nouvel accord-cadre de la direction interministérielle de la transformation publique (DITP) dont le cahier des clauses administratives particulières a été modifié pour prendre, en partie, compte des recommandations de la commission d'enquête.
La rapporteure a donc proposé d'exclure de manière expresse - et limitée - la programmation et la maintenance informatiques qui correspondent aux « prestations informatiques » que les auteurs avaient eux-mêmes entendu sortir de leur périmètre11(*). La commission a été favorable à cet ajustement, étant précisé que dès lors qu'une prestation comporterait à la fois une étude de projets applicatifs, puis la mise en oeuvre technique d'une application, elle rentrerait dans le champ de la proposition de loi. À ce stade, seuls les informaticiens intervenant exclusivement pour la programmation informatique seraient exemptés de déclaration d'intérêts prévue à l'article 10. En cas d'intervention en amont, au moment des choix structurants, ils y seraient soumis.
Elle a adopté l'amendement COM-4 en conséquence.
3.3. Prendre en compte la spécificité des professions réglementées du droit
S'agissant de la catégorie du conseil juridique, financier ou en assurance, les auteurs du texte ont souhaité créer une exception en faveur des avocats pour leur mission de défense, des experts-comptables et des commissaires aux comptes.
Il a semblé cohérent à la rapporteure d'étendre cette exception aux autres professions réglementées du droit, tels les avocats au Conseil d'État et à la Cour de cassation, les commissaires de justice et les notaires, qui comme les experts-comptables et les commissaires aux comptes, sont soumis à des obligations déontologiques sanctionnées disciplinairement par des instances ad hoc, dont le cadre a fait l'objet d'un renforcement par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire. Chacune de ces professions réglementées dispose d'un code de déontologie, fixé par décret en Conseil d'État, qui prévoit notamment des règles spécifiques en matière de conflits d'intérêts et dont le respect est sanctionné disciplinairement.
Par ailleurs, soumettre les questions de conflits d'intérêts les concernant au contrôle de la HATVP créerait un conflit de compétences avec les instances disciplinaires de leur profession.
Enfin, il ne lui a pas semblé opportun de séparer l'activité de conseil des avocats de leur activité plaidante, ces deux activités étant également soumises au Règlement intérieur national de la profession d'avocat, en particulier aux règles en matière de conflit d'intérêts, sous le contrôle du conseil de discipline12(*).
À l'initiative de sa rapporteure, la commission a adopté l'amendement COM-5 pour intégrer dans l'exception l'ensemble des professions réglementées autorisées à délivrer des consultations juridiques.
3.4. Clarifier la définition des prestataires de conseil et des consultants
La commission a enfin souhaité faire expressément entrer les sous-traitants dans le champ d'application de la proposition de loi et a clarifié la distinction entre prestataires et consultants, qui seraient des personnes morales pour les premières et des personnes physiques pour les secondes.
La commission a adopté l'amendement COM-6 apportant ces dernières modifications à l'article 1er.
La commission a adopté l'article 1er ainsi modifié.
* 5 Compte rendu de la réunion constitutive du 25 novembre 2021.
* 6 L'article 19 est relatif à l'entrée en vigueur de la proposition de loi.
* 7 Rapport de la commission d'enquête, p. 156.
* 8 « Opérateurs de l'État », annexe au projet de loi de finances pour 2023, p. 12.
* 9 Rapport prévu au 25° de l'article 179 de la loi n° 2019-1479 du 28 décembre 2019 de finances pour 2020.
* 10 Article L. 6141-1 du code de la santé publique.
* 11 Voir l'exposé des motifs de la proposition de loi, p. 5.
* 12 Voir les articles 22 à 25-1 de la loi n° 71-1130 du 31 décembre 1971 portant réforme de certaines professions judiciaires et juridiques, renforcé par la loi n° 2021-1729 du 22 décembre 2021 pour la confiance dans l'institution judiciaire.