B. LES OBSERVATIONS DU RAPPORTEUR SPÉCIAL
1. Une poursuite du plan présidentiel de recrutement de 10 000 policiers et gendarmes
Pour mémoire, le Président de la République s'est engagé à créer 10 000 emplois sur la période 2018/2022 pour renforcer les forces de sécurité intérieure. Dans ce cadre, la police nationale devait bénéficier de 7 500 ETP et la gendarmerie nationale de 2 500 ETP.
Le rapporteur a d'ores et déjà rappelé, à l'occasion de l'examen des projets de loi de finances du quinquennat en cours, que ce plan n'était pas de nature à résoudre les difficultés des deux institutions, davantage marquées par un retard en matière d'investissement et de fonctionnement que de personnel.
Même si son bien-fondé est contestable, l'« esprit » de ce plan a été pleinement respecté, puisqu'entre 2017 et 2022, 8 446 emplois de policiers et 2 083 emplois de gendarmes auront été créés.
Pour 2021, le schéma d'emploi était fixé à + 317 ETP pour le programme « Gendarmerie nationale » et +1 145 ETP pour le programme « Police nationale ».
Schéma d'emploi de la mission « Sécurités »
(en ETP)
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
La réalisation du schéma d'emplois est imputable à 75 % au programme « Police nationale » (1 145 ETP), qui a respecté son schéma d'emplois, et à 25 % au programme « Gendarmerie nationale » (370 ETP), qui a dépassé son schéma d'emplois de 34 ETP. Toutefois, les sorties en gestion se sont révélées sensiblement supérieures à la prévision initiale (+ 1 368 départs pour la gendarmerie nationale et + 1 893 départs pour la police nationale). Pour compenser cette hausse, les deux programmes ont accru leurs recrutements en cours d'année.
2. Une sous-consommation des dépenses de personnel de la police nationale due aux difficultés de recrutement
Les dépenses de personnel des deux programmes augmentent de 1,5 % par rapport à 2020 et atteignent un taux d'exécution de 99,5 %. Contrairement à l'année dernière, cette sous-exécution ne résulte pas directement de la crise sanitaire, qui avait contraint à décaler les incorporations à la suite du premier confinement. Cette sous-exécution s'explique en grande partie par la tension sur le recrutement . La gendarmerie et la police nationales ont fait face à des départs plus nombreux que prévus (respectivement de +1 348 et de +1 893).
Cette situation, qui se produit pour la deuxième année consécutive, constitue un point d'attention important et pourrait mettre en difficulté l'appareil de formation et de recrutement des policiers et des gendarmes.
Schéma d'emploi de la mission « Sécurités »
(en ETP)
Gendarmerie nationale |
Police nationale |
|||
LFI |
Exécution |
LFI |
Exécution |
|
Sorties |
11414 |
12 782 |
7 371 |
9 264 |
Entrées |
11750 |
13 152 |
8 516 |
10 409 |
Schéma d'emplois |
336 |
370 |
1145 |
1145 |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Les deux institutions sont parvenues à faire face à ces départs par des recrutements concentrés en fin d'année et le recrutement de vacataires, ce qui a entrainé cette sous-exécution des dépenses de personnel.
En conséquence, la réalisation du schéma d'emplois du programme « Police nationale » a eu un effet très faible sur les dépenses de personnels de 2021 (2,9 millions d'euros, alors que le ministère de gouvernement prévoyait un impact de 7,81 millions d'euros). Le dépassement du schéma d'emploi de la gendarmerie nationale a même eu un effet coût négatif (- 6,8 millions d'euros), ce qui engendrera un effet rebond en 2022. La police nationale est responsable de cette sous-exécution des dépenses de personnel, à hauteur de - 222,53 millions d'euros.
En revanche, la gendarmerie nationale connaît une sur-exécution des dépenses de personnel de 87,8 millions d'euros par rapport à la loi de finances initiale, qui s'explique par le report de charge lié à la forte mobilisation de la réserve opérationnelle en fin d'année 2020 à hauteur de 21 millions d'euros et par le lancement des opérations de lutte contre l'immigration clandestine et la sécurisation du référendum de Nouvelle-Calédonie (18 millions d'euros).
3. Une poursuite de l'indemnisation du stock d'heures supplémentaires de la police nationale, dans des proportions toujours limitées
La soutenabilité des dépenses de rémunération des deux forces est également obérée par la persistance d'un stock d'heures supplémentaires dans la police nationale . Au 30 juin 2020, le stock d'heures supplémentaires a ainsi été ramené à 19,4 millions 1 ( * ) .
Stock d'heures supplémentaires de la police nationale
(en millions d'heures)
Source : commission des finances du Sénat
Deux nouvelles campagnes d'indemnisation, sur la base du volontariat, ont été réalisées au titre des heures acquises en 2020 et 2021. En 2021, 3,5 millions d'heures ont été indemnisées, pour un montant total de 45,2 millions d'euros (26,5 millions d'euros initialement prévus en loi de finances initiale et 18,7 millions d'euros en gestion grâce à la sous-exécution de la masse salariale).
La dotation de 26,5 millions d'euros inscrite en 2020 et 2021 est reconduite en 2022 pour indemniser un flux annuel de 2 millions d'heures environ, correspondant à un volume identifié comme incompressible pour donner aux chefs de service des marges de manoeuvre opérationnelles.
Si ces campagnes vont dans le bon sens, il convient de rester vigilant quant à la nécessité de ne pas laisser subsister un compte par agent d'heures supplémentaires non indemnisables trop important, au risque de déstabiliser fortement les services. Le stock d'heures supplémentaires demeure un risque pour la police nationale, tant sur le plan financier (leur coût est estimé 651 millions d'euros par la Cour des comptes si elles ne sont pas indemnisées) qu'opérationnel (les heures supplémentaires encore à récupérer représentent l'équivalent de 10 255 ETP). En effet, les fonctionnaires peuvent liquider leurs heures supplémentaires avant leur départ à la retraite. Ces derniers étant juridiquement en congés et non en retraite, ils ne sont pas remplacés durant cette période, ce qui contribue à creuser un véritable « trou » opérationnel, particulièrement prégnant dans certains services 2 ( * ) . Le stock d'heures supplémentaires subsistant en-dessous de la limite de 120 heures par agents apparaît à cet égard toujours particulièrement pénalisant pour l'avenir et constitue à ce titre une véritable « épée de Damoclès » opérationnelle.
4. Un effort important en matière de dépenses de fonctionnement et d'investissement...
En prenant en compte les dépenses effectuées au titre du plan de relance, les dépenses de fonctionnement et d'investissement des deux programmes s'élèvent à 3,3 milliards d'euros, soit une progression de 12 %, ce qui amplifie le renversement de tendance qui s'était effectué en 2020.
Le plan de relance a permis de rattraper une partie de l'important retard en matière d'immobilier dont souffre la police nationale, et a porté sur 14 opérations prévues pour le triennal 2018-2020 ainsi que 4 opérations programmées initialement pour le triennal 2015-2017. Le coût actualisé de ces opérations se montent à 315,9 millions d'euros, ce qui représente 28 % des crédits ouverts en hors titre 2 sur le programme. S'agissant de la gendarmerie nationale, le plan de relance a permis d'assurer le renouvellement de 972 véhicules de maintien de l'ordre et 90 véhicules blindés à roues de la gendarmerie (VBRG).
51 % des dépenses d'investissement de la mission « Sécurités » ont en outre été consacrées aux acquisitions de véhicules (+ 39 % par rapport à 2020). 3 306 véhicules du parc léger et 366 véhicules lourds ont ainsi été commandés en 2021.
5. ... n'empêchant pas de voir réapparaître un risque d'éviction de ces dépenses
S'il permet d'apporter une amélioration salutaire dans certains domaines, comme l'immobilier ou le domaine des véhicules, le plan de relance pourrait ne pas suffire à assurer durablement l'équilibre financier des programmes « Police nationale » et « Gendarmerie nationale ».
Sans prendre en compte le plan de relance, l'ensemble des dépenses de la mission « Sécurités » s'élève à 3,05 milliards d'euros en CP en 2021 contre 2,939 milliards d'euros en 2020, en progression de + 4 %. Cette évolution entraine une stabilité du ratio mesurant la part des dépenses de personnel dans l'ensemble des dépenses des deux programmes, qui s'élève à 87,58 % en 2021.
Part des dépenses de personnel dans l'ensemble
des crédits
de la « Police nationale » et de la
« Gendarmerie nationale »
(en crédits de paiement)
2018 |
2019 |
2020 |
2021 |
||
Police nationale |
Titre 2 |
9 400,80 |
9 743,94 |
9 789,27 |
9932,49 |
Total |
10 595,74 |
10 902,96 |
10 915,89 |
11 049,88 |
|
Titre 2 / Total |
88,72% |
89,37% |
89,68% |
89,89% |
|
Gendarmerie |
Titre 2 |
7 346,69 |
7 633,47 |
7 701,59 |
7 819,81 |
Total |
8 734,98 |
8 977,38 |
9 100,34 |
9 219,67 |
|
Titre 2 / Total |
84,72% |
84,13% |
84,63% |
84,82% |
|
Total |
Titre 2 |
16 747,49 |
17 377,41 |
17 490,86 |
17 752,30 |
Total |
19 330,72 |
19 880,34 |
20 016,23 |
20 269,55 |
|
Titre 2 / Total |
86,64% |
87,41% |
87,38% |
87,58% |
Source : commission des finances du Sénat (d'après les documents budgétaires)
Les précédents plans d'équipement ont par ailleurs été marqués par un effet « stop and go » qui pourrait également caractériser le plan de relance actuel, dont l'extinction est prévue au plan budgétaire.
Afin de faire face à une activité opérationnelle soutenue, dans un contexte sécuritaire tendu, des plans gouvernementaux successifs (PLAT 3 ( * ) 1, PLAT 2, Plan migrants, PSP 4 ( * ) ) ont, depuis 2015, accru l'effort d'équipement, permettant de compenser le sous-investissement constaté au cours des exercices précédents.
Bien que les dépenses d'équipement de la gendarmerie et de la police nationales se soient maintenues à un niveau plus élevé à l'issue de ces plans, leur montant a amorcé une nouvelle baisse à compter de 2017, témoignant du risque que comportent ces « plans » ponctuels qui ne modifient pas structurellement la répartition des dépenses des forces de sécurité intérieure.
Part des dépenses d'équipement de la
police et de la gendarmerie nationales
dans le total de leurs
dépenses
(en %, en CP)
Source : commission des finances du Sénat (d'après le Cour des comptes)
Par ailleurs, les nouveaux moyens des forces de sécurité intérieure et les investissements immobiliers supposeront un accroissement des dépenses de fonctionnement qui devront faire l'objet d'une programmation particulière.
Surtout, la sous-consommation des dépenses de personnel constatée en 2021 pourrait ne pas durer, et les nouvelles mesures indemnitaires prévues par le ministère de l'intérieur pourraient venir limiter la marge de manoeuvre en matière de dépenses de fonctionnement et d'investissement. Le projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieure prévoit ainsi une revalorisation des carrières des policiers (773 millions d'euros sur cinq ans) et des gendarmes (700 millions sur la même période), en vertu de deux protocoles signés en mars 2022 avec les syndicats de policiers et de gendarmes 5 ( * ) .
* 1 Les données postérieures ne sont pas disponibles.
* 2 Comme le service de protection des hautes personnalités (SPHP).
* 3 Plan de lutte antiterroriste.
* 4 Pacte de sécurité publique.
* 5 Projet de loi d'orientation et de programmation du ministère de l'intérieur, n° 5185, déposé le mercredi 16 mars 2022 au Bureau de l'Assemblée nationale.