B. FACE À L'AGGRAVATION DES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX, LA RECHERCHE DE NOUVEAUX INSTRUMENTS JURIDIQUES

1. Les progrès du droit international et national et la judiciarisation de la protection de l'environnement

L'adoption de la Charte de l'environnement n'a malheureusement pas suffi à inverser le cours des choses. Depuis 2005, la dégradation de notre environnement s'est poursuivie , mettant en péril l'exercice du « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et la survie même de l'humanité. Les plus grands périls sont liés, d'une part, à l'accélération du réchauffement climatique , dont le groupe d'experts intergouvernemental pour le climat (GIEC) a établi l'origine principalement anthropique 5 ( * ) , d'autre part, à la réduction de la biodiversité , environ un million d'espèces animales et végétales sur les huit millions présentes sur Terre étant aujourd'hui menacées d'extinction 6 ( * ) . On ne reviendra pas ici sur ces constats largement partagés.

Dans ce contexte, le droit apparaît comme un instrument adapté pour empêcher de nouvelles dégradations et pour contraindre ceux qui le peuvent à agir.

Dans l'ordre international , ce sont principalement les États qui acceptent de se lier par de nouvelles obligations plus rigoureuses et susceptibles d'être sanctionnées judiciairement. En ce qui concerne la lutte contre le dérèglement climatique, la conclusion de l'Accord de Paris, entré en vigueur le 4 novembre 2016, et faisant suite notamment à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992 et au Protocole de Kyoto de 1997, en est la meilleure illustration 7 ( * ) . Au-delà des obligations interétatiques, les droits que certains instruments de droit international font naître directement dans le chef des personnes physiques ou morales peuvent également être mobilisés pour la protection de l'environnement : il en va ainsi, notamment, de plusieurs droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, comme le droit à la vie, le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, ainsi que le droit de propriété 8 ( * ) .

Dans l'ordre interne , outre la consécration de droits subjectifs, une abondante réglementation, faisant appel à des mécanismes de droit administratif, civil ou pénal, vise à prévenir les atteintes que les personnes publiques ou privées peuvent porter à l'environnement et, le cas échéant, à les réparer ou à les réprimer.

Grâce notamment à l'implication d'acteurs non étatiques (collectivités territoriales, associations, particuliers...), ces règles de droit ne restent pas lettre morte mais sont, en cas de besoin, sanctionnées par les juridictions internationales et nationales . Le contentieux environnemental est aujourd'hui abondant, et la jurisprudence en la matière a connu récemment quelques développements spectaculaires 9 ( * ) .

Qu'il soit souhaitable de renforcer les exigences juridiques liées à la protection de l'environnement, cela ne fait aucun doute. Qu'une nouvelle révision de la Constitution soit le moyen le plus adapté est une autre question.

2. Des propositions de révision constitutionnelle

Plusieurs voix se sont élevées, au cours des dernières années, pour modifier notre Constitution dans un sens plus favorable à la protection de l'environnement, sans que l'on sache toujours en quoi les modifications proposées produiraient un tel effet .

Ainsi, lors de l'examen en première lecture, en juillet 2018, du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace , l'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements identiques visant à insérer, au premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution, une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] agit pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre le changement climatique . » Par la suite, dans le cadre d'un autre projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique , déposé en août 2019, le Gouvernement a repris à son compte cette proposition, sous la formulation suivante : « Elle favorise la préservation de l'environnement, la diversité biologique et l'action contre les changements climatiques . » On voit mal ce que l'une ou l'autre de ces deux rédactions aurait ajouté par rapport aux obligations qui incombent d'ores et déjà aux pouvoirs publics français en application de la Charte de l'environnement. Au demeurant, le Sénat n'a pas eu à se prononcer, puisqu'aucun de ces deux textes ne lui a jamais été transmis.

En même temps qu'il déposait ce deuxième projet de révision, le Gouvernement mettait en place la Convention citoyenne pour le climat , réunissant cent-cinquante citoyens tirés au sort pour « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990 10 ( * ) ». Cette initiative avait été annoncée par le Président de la République le 25 avril 2019, au lendemain du Grand débat national, lui-même organisé en réponse à la crise des « gilets jaunes ».

Après huit mois de travaux, la Convention citoyenne pour le climat a adopté le 21 juin 2020 un rapport formulant 149 propositions . Quatre d'entre elles visent à améliorer la « gouvernance » de la transition écologique et nécessiteraient, en tout ou partie, une révision de la Constitution :

- il s'agirait tout d'abord de modifier le préambule de la Constitution pour y ajouter une nouvelle règle de conflit entre principes constitutionnels , donnant priorité à la préservation de l'environnement (« La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l'environnement, patrimoine commun de l'humanité ») ;

- il s'agirait ensuite de modifier l'article 1 er de la Constitution pour y ajouter un alinéa aux termes duquel « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique » ;

- afin de renforcer le contrôle des politiques environnementales, la Convention a notamment suggéré de créer une nouvelle autorité constitutionnelle dénommée Défenseur de l'environnement , sur le modèle du Défenseur des droits ;

- enfin, elle a appelé à réformer le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en y incluant des membres tirés au sort et en renforçant son rôle consultatif.

D'autres recommandations, tendant notamment à élever au rang constitutionnel le principe de non-régression en matière environnementale, ont en revanche été rejetées par la Convention, malgré les appels pressants de certaines associations environnementales et d'une partie de la doctrine 11 ( * ) .

Après avoir écarté trois des quatre propositions formulées par la Convention, le Gouvernement a présenté le 20 janvier 2021 un nouveau projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement , qui reprend presque à l'identique la deuxième recommandation mentionnée ci-dessus . Son article unique prévoit d'insérer, après la troisième phrase du premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution, une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique . »

En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi constitutionnelle sans modification , le 16 mars dernier.


* 5 Voir le cinquième rapport d'évaluation du GIEC (2013-2014), consultable à l'adresse suivante : https://www.ecologie.gouv.fr .

* 6 Voir notamment les travaux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IBPES), consultables à l'adresse suivante : https://www.ipbes.net .

* 7 Les stipulations des conventions internationales relatives à la protection de l'environnement sont, en général, dépourvues d'effet direct en droit français : il en va ainsi, notamment, de la CCNUCC et de l'Accord de Paris, dont le Conseil d'État a néanmoins reconnu que leurs stipulations devaient être « prises en considération dans l'interprétation des dispositions de droit national » et étaient donc, en ce sens, invocables devant le juge interne (Conseil d'État, 19 novembre 2020, n° 427301 - sur cette décision, voir ci-après). Sur cette importante question, voir S. Robert-Cuendet, « L'invocabilité du droit international devant le juge administratif français », dans Les Dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit , sous la dir. de M. Torre-Schaub, Paris, Mare & Martin, 2021.

* 8 On peut consulter la fiche de jurisprudence établie en avril 2021 par les services de la Cour européenne des droits de l'homme, « Environnement et Convention européenne des droits de l'homme », à l'adresse suivante : https://www.echr.coe.int .

* 9 Voir ci-après. Sur cette judiciarisation du droit de l'environnement, voir notamment Les Procès climatiques , sous la dir. de Ch. Cournil et L. Varison, préface de M. Delmas-Marty, Paris, A. Pedone, 2018, ainsi que Les Dynamiques du contentieux climatique , sous la dir. de M. Torre-Schaub, op. cit.

* 10 Voir la lettre de mission du Premier ministre, datée du 2 juillet 2019.

* 11 Voir notamment M. Prieur, « La constitutionnalisation du principe de non régression face à l'enjeu climatique », Énergie - Environnement - Infrastructures n° 12, décembre 2018.

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