Rapport n° 554 (2020-2021) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 5 mai 2021

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N° 554

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 mai 2021

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur le projet de loi constitutionnelle, adopté par l'Assemblée nationale, complétant l' article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l' environnement ,

Par M. François-Noël BUFFET,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : M. François-Noël Buffet , président ; Mmes Catherine Di Folco, Marie-Pierre de La Gontrie, MM. Christophe-André Frassa, Jérôme Durain, Marc-Philippe Daubresse, Philippe Bonnecarrère, Mme Nathalie Goulet, M. Alain Richard, Mmes Cécile Cukierman, Maryse Carrère, MM. Alain Marc, Guy Benarroche , vice-présidents ; M. André Reichardt, Mmes Laurence Harribey, Jacky Deromedi, Agnès Canayer , secrétaires ; Mme Éliane Assassi, MM. Philippe Bas, Arnaud de Belenet, Mmes Catherine Belrhiti, Esther Benbassa, MM. François Bonhomme, Hussein Bourgi, Mme Valérie Boyer, M. Mathieu Darnaud, Mmes Françoise Dumont, Jacqueline Eustache-Brinio, M. Pierre Frogier, Mme Françoise Gatel, M. Loïc Hervé, Mme Muriel Jourda, MM. Patrick Kanner, Éric Kerrouche, Mikaele Kulimoetoke, Jean-Yves Leconte, Henri Leroy, Stéphane Le Rudulier, Mme Brigitte Lherbier, MM. Didier Marie, Hervé Marseille, Mme Marie Mercier, MM. Thani Mohamed Soilihi, Jean-Yves Roux, Jean-Pierre Sueur, Mmes Lana Tetuanui, Claudine Thomas, Dominique Vérien, M. Dany Wattebled .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3787 , 3894 , 3902 et T.A. 577

Sénat :

449 et 549 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

Réunie le 5 mai 2021 sous la présidence de Catherine Di Folco (Les Républicains - Rhône), la commission des lois a examiné le rapport de François-Noël Buffet (Les Républicains - Rhône), président de la commission, sur le projet de loi constitutionnelle n° 449 (2020-2021) complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement , adopté sans modification par l'Assemblée nationale, en première lecture, le 16 mars 2021.

1. PRÈS DE VINGT ANS APRÈS LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT : LE CONTEXTE DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Adossée à la Constitution du 4 octobre 1958 depuis une révision constitutionnelle du 1 er mars 2005, la Charte de l'environnement consacre le droit de chacun à vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé, ainsi que plusieurs devoirs et principes visant à rendre effectif l'exercice de ce droit. Aucun autre pays n'avait alors élevé au rang constitutionnel un ensemble aussi complet et cohérent de principes relatifs à la protection de l'environnement. Depuis l'entrée en vigueur de la Charte, un abondant contentieux a permis de mieux cerner la portée juridique de ses dispositions ; le Conseil constitutionnel a notamment reconnu pleine valeur constitutionnelle à l'ensemble des droits et devoirs qu'elle définit, ainsi qu'à son préambule.

Depuis 2005, la dégradation de notre environnement s'est malheureusement poursuivie, mettant en péril l'exercice des droits fondamentaux et la survie même de l'humanité. Les plus grands périls sont aujourd'hui liés à l'accélération du changement climatique et à la réduction brutale de la biodiversité. Dans ce contexte, le droit apparaît comme un instrument adapté pour empêcher de nouvelles dégradations et obliger ceux qui le peuvent à agir : en témoigne la multiplication des instruments de droit international comme des règlementations internes, sanctionnés par les tribunaux. Le contentieux environnemental est d'ailleurs en plein développement.

Plusieurs voix se sont aussi élevées pour réviser la Constitution française dans un sens qui serait plus favorable à la protection de l'environnement. Le projet de loi constitutionnelle aujourd'hui soumis au Parlement, reprenant presque à l'identique, une proposition formulée en juin 2020 par la Convention citoyenne pour le climat, tend à insérer à l'article 1 er de la Constitution une disposition selon laquelle « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique . »

2. LES EFFETS JURIDIQUES TRÈS INCERTAINS DU TEXTE GOUVERNEMENTAL

La discussion sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure inhabituelle, pour ne pas dire irritante. Alors que l'examen parlementaire d'un texte de loi a normalement pour objet de débattre des objectifs politiques à atteindre et des effets juridiques à produire à cet effet, le débat s'est ici focalisé sur le sens des mots choisis par le Gouvernement et l'interprétation que pourraient en donner les juridictions.

Ce débat est, en outre, passablement embrouillé, le Gouvernement lui-même entretenant la confusion sur la portée juridique du texte qu'il propose, par des déclarations soit manifestement erronées, soit contradictoires, soit obscures.

Quelques déclarations du Gouvernement décryptées

« Le projet de loi constitutionnelle [vise] à instaurer un véritable principe d'action en faveur de l'environnement à la charge des pouvoirs publics. »

C'est vague (qu'est-ce qu'un « véritable » principe ?) et c'est trompeur . Les pouvoirs publics sont d'ores et déjà soumis à des obligations constitutionnelles précises ayant pour objet la protection de l'environnement.

« Un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d'une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte aucune obligation de moyens, et nécessite pour sa mise en oeuvre l'intervention du législateur. »

C'est faux . Les objectifs de valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative, les pouvoirs publics ayant notamment l'obligation de les poursuivre.

« Les conséquences de l'emploi de ces verbes ne sont pas neutres. Et telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des impacts que cela pourra avoir sur l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en matière environnementale. Il s'agit de mettre à leur charge, comme l'a souligné le Conseil d'État, une quasi-obligation de résultat . »

C'est vague . La notion de « quasi-obligation de résultat » n'a aucun contenu défini en droit.

« Rehaussement ne signifie pas hiérarchie. Le Gouvernement n'entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L'objectif est de donner plus de poids à la protection de l'environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. »

C'est soit contradictoire , soit obscur , car cette argumentation confond deux types de hiérarchie matérielle entre des normes (la prépondérance et la priorité). C'est également très incertain, car le texte proposé peut se prêter à plusieurs lectures.

« Il est difficile de faire aboutir une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de la Charte de l'environnement . »

C'est faux . Le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré par l'article 1 er de la Charte de l'environnement, est invocable en QPC. Il en va de même des autres principes de la Charte, en tant qu'ils constituent le corollaire de ce droit (5 des 10 articles ayant déjà été jugés invocables). D'ailleurs, on ne voit pas en quoi les dispositions ajoutées à l'article 1 er de la Constitution seraient invocables à elles seules en QPC.

2.1. LES POUVOIRS PUBLICS ONT DÉJÀ L'OBLIGATION D'AGIR POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le droit constitutionnel en vigueur impose déjà aux pouvoirs publics nationaux et territoriaux des obligations en matière de protection de l'environnement. En particulier, il appartient au législateur de déterminer les garanties fondamentales pour l'exercice du droit de vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé. Les pouvoirs publics ont également l'obligation de contribuer à la réalisation de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement en tant que « patrimoine commun des êtres humains ».

Certes, la justiciabilité de ces obligations est limitée, puisque le Conseil constitutionnel ne dispose pas de pouvoir d'injonction à l'égard du législateur, et que la juridiction administrative refuse, en application de la théorie de la « loi-écran », de contrôler la constitutionnalité d'actes administratifs qui se bornent à tirer les conséquences nécessaires d'une loi. Mais cette limitation est identique pour toutes les obligations constitutionnelles.

2.2. QUELLES CONSÉQUENCES SUR L'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES PUBLIQUES ?

Le Gouvernement laisse entendre que le projet de révision constitutionnelle, en raison notamment du vocabulaire employé (« garantit »), faciliterait l'engagement de la responsabilité des personnes publiques en cas d'atteinte à l'environnement. Il ne définit toutefois pas ce qu'il entend par une « quasi-obligation de résultat ».

En droit civil comme en droit administratif, la notion de garantie englobe divers dispositifs juridiques visant à assurer à une personne, pour le cas où un événement préjudiciable surviendrait, la réparation du préjudice qui en résulterait, en palliant les insuffisances des règles de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun.

En l'occurrence, l'article unique du projet de loi constitutionnelle se prête à trois interprétations principales :

1° Selon une première interprétation, l'État et les autres personnes publiques seraient obligés à réparer tout dommage causé à l'environnement ou à la diversité biologique, quelle qu'en soit la cause (si du moins il n'est pas réparé par l'auteur du dommage lui-même). L'institution d'une telle garantie, au sens propre du terme, serait aberrante, les personnes publiques françaises n'ayant pas les moyens de l'assumer.

2° Selon une deuxième interprétation, l'État et les autres personnes publiques seraient obligés à réparer tout dommage de leur fait ou qu'ils auraient eu les moyens d'empêcher. Cet objectif n'est que partiellement satisfait par le droit en vigueur, puisque les obligations issues de la Charte de l'environnement doivent aujourd'hui être conciliées, dans l'action des pouvoirs publics, avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général.

3° Selon une troisième interprétation, l'État et les autres personnes publiques seraient obligés à réparer tout dommage de leur fait ou qu'ils auraient eu les moyens d'empêcher, sauf dans le cas où leur action ou inaction était justifiée par une exigence constitutionnelle ou un motif d'intérêt général, sans porter une atteinte disproportionnée aux principes constitutionnels relatifs à la protection de l'environnement. Un tel objectif est, cette fois, pleinement satisfait par le droit en vigueur, sous la réserve des limites fixées au contrôle juridictionnel d'éventuelles carences du législateur.

2.3. QUELLES CONSÉQUENCES SUR LA VALIDITÉ DES ACTES DES POUVOIRS PUBLICS ?

L'impact de la révision proposée sur le contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de légalité des actes administratifs est tout aussi incertain, le Gouvernement prétendant à la fois que son texte n'introduit pas de « hiérarchie » entre les principes constitutionnels et qu'il « rehausse » la place de la protection de l'environnement parmi ceux-ci.

On peut considérer que les principes constitutionnels relatifs à l'environnement jouissent d'ores et déjà d'une protection renforcée par rapport à d'autres, comme en témoigne la consécration récente par le Conseil constitutionnel d'un principe de non-régression tempéré en matière environnementale.

Or les termes employés par le projet de loi constitutionnelle laissent entendre, non seulement que la protection de l'environnement se verrait accorder plus de poids qu'elle n'en a aujourd'hui dans la conciliation devant être opérée entre les principes constitutionnels, mais que cette exigence devrait être satisfaite avant toute autre. La protection de l'environnement deviendrait non seulement prépondérante, mais prioritaire.

Serait ainsi mis à mal, en particulier, le principe spécial de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, fixé par l'article 6 de la Charte de l'environnement et qui constitue le corollaire d'une définition englobante du développement durable.

3. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : POUR UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE AUX EFFETS MAÎTRISÉS

Pour la commission des lois, il ne saurait être question d'accepter une révision de la Constitution dont les effets juridiques sont aussi mal maîtrisés. Cela reviendrait, pour le Constituant, à se défausser entièrement sur le juge du soin de déterminer la portée juridique des dispositions insérées dans notre texte fondamental.

Certes, la commission a observé que le verbe « garantir », ainsi que les mots apparentés, sont déjà employés au sein du bloc de constitutionnalité en un sens très affaibli, n'impliquant pas davantage qu'une obligation d'agir. Toutefois, il n'est pas certain que les juridictions attribuent à ce verbe une signification aussi lâche dans les dispositions proposées, car elles rechercheraient l'effet utile de la révision constitutionnelle, que l'on résume par l'adage « Le législateur ne parle pas pour ne rien dire ». Or, ainsi interprétée, la phrase ajoutée à l'article 1 er de la Constitution n'introduirait aucune obligation nouvelle par rapport à celles qui résultent d'ores et déjà, pour les pouvoirs publics, de la Charte de l'environnement

Afin de lever toute incertitude, la commission des lois a adopté un amendement de son rapporteur qui, intégrant les recommandations du Conseil d'État, énonce plus sobrement : « Elle [La France] préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004. »

Sans produire d'effets juridiques nouveaux, cette rédaction aurait le double mérite, sur le plan symbolique, de réaffirmer l'attachement du peuple français à la préservation de l'environnement et d'y inclure expressément la lutte contre le dérèglement climatique, que la Charte de l'environnement ne mentionne pas.

*

* *

La commission a adopté un amendement de son rapporteur, qui sera présenté lors de l'examen du texte en séance publique, prévu les 10 et 11 mai 2021, conformément au deuxième alinéa de l'article 42 de la Constitution.

EXAMEN DE L'ARTICLE UNIQUE

I. PRÈS DE VINGT ANS APRÈS LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT : LE CONTEXTE DU PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Vingt ans après les premières initiatives visant à ériger au rang constitutionnel des principes relevant du droit de l'environnement, seize ans après l'adoption de la Charte de l'environnement, force est de constater que la volonté alors exprimée par le peuple français n'a pas suffi à mettre fin à la dégradation de notre environnement, notamment à l'extinction massive d'espèces animales et végétales et au bouleversement des équilibres climatiques.

Face à ce constat, il est légitime de rechercher de nouvelles ressources juridiques permettant d'agir plus efficacement pour la préservation de l'environnement.

A. LA CHARTE DE L'ENVIRONNEMENT DE 2004 : UN TEXTE PRÉCURSEUR DONT L'EFFICACITÉ JURIDIQUE EST DÉMONTRÉE

Annoncée le 3 mai 2001 par le Président de la République Jacques Chirac, élaborée au terme d'une réflexion approfondie associant les travaux d'une commission d'experts présidée par le professeur Yves Coppens et une large consultation publique, la Charte de l'environnement, adossée à la Constitution, est entrée en vigueur à la suite de l'adoption de la loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 er mars 2005 1 ( * ) .

La Charte de l'environnement est un texte d'une remarquable qualité juridique . Elle ne se contente pas de consacrer un droit subjectif à vivre dans un environnement sain et respectueux de la santé (article 1 er ), elle énonce également un certain nombre de principes visant à rendre effectif l'exercice de ce droit :

- le devoir incombant à toute personne de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement (article 2) ;

- les principes de prévention, de réparation et de précaution (articles 3 à 5) ;

- le principe de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, corollaire d'une définition du développement durable (article 6) ;

- les droits à l'information et à la participation à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement (article 7) ;

- des principes relatifs à la contribution de l' éducation , de la formation , de la recherche et de l' innovation à l'exercice des droits et à la poursuite des objectifs définis par la Charte (articles 8 et 9) ;

- un principe régissant l'action européenne et internationale de la France (article 10).

La France faisait alors figure de précurseur : si d'autres pays avaient déjà consacré au sommet de leur ordre juridique interne le droit à un environnement de qualité, aucun n'avait élevé au rang constitutionnel un ensemble aussi complet et cohérent de principes relatifs à la protection de l'environnement.

La Charte de l'environnement de 2004

Le peuple français,

Considérant :

Que les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité ;

Que l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ;

Que l'environnement est le patrimoine commun des êtres humains ;

Que l'homme exerce une influence croissante sur les conditions de la vie et sur sa propre évolution ;

Que la diversité biologique, l'épanouissement de la personne et le progrès des sociétés humaines sont affectés par certains modes de consommation ou de production et par l'exploitation excessive des ressources naturelles ;

Que la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation ;

Qu'afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins,

Proclame :

Article 1 er . Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Article 2 . Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement.

Article 3 . Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences.

Article 4 . Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement, dans les conditions définies par la loi.

Article 5 . Lorsque la réalisation d'un dommage, bien qu'incertaine en l'état des connaissances scientifiques, pourrait affecter de manière grave et irréversible l'environnement, les autorités publiques veillent, par application du principe de précaution et dans leurs domaines d'attributions, à la mise en oeuvre de procédures d'évaluation des risques et à l'adoption de mesures provisoires et proportionnées afin de parer à la réalisation du dommage.

Article 6 . Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social.

Article 7 . Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement.

Article 8 . L'éducation et la formation à l'environnement doivent contribuer à l'exercice des droits et devoirs définis par la présente Charte.

Article 9 . La recherche et l'innovation doivent apporter leur concours à la préservation et à la mise en valeur de l'environnement.

Article 10 . La présente Charte inspire l'action européenne et internationale de la France.

Depuis l'entrée en vigueur de la Charte de l'environnement, un abondant contentieux a permis de mieux cerner la portée juridique de ses dispositions, c'est-à-dire à la fois leur contenu, leur invocabilité en justice et leur sanction 2 ( * ) .

Le Conseil constitutionnel a reconnu pleine valeur constitutionnelle , dès 2008 3 ( * ) , à « l'ensemble des droits et devoirs définis dans la Charte de l'environnement », ainsi que, depuis 2011 4 ( * ) , à son préambule.

L'ensemble des dispositions de la Charte sont donc invocables dans le cadre du contrôle a priori de la constitutionnalité des lois et des conventions internationales . Les article 1 er (droit à un environnement équilibré et respectueux de la santé) et 7 (droits procéduraux) sont également invocables dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) , en tant qu'ils énoncent des « droits et libertés que la Constitution garantit » ; il en va de même des articles 2, 3 et 4, qui formulent des devoirs constituant autant de corollaires du droit défini à l'article 1 er ; la question de l'invocabilité en QPC de l'article 5 (principe de précaution) n'a, en revanche, pas encore été tranchée.

B. FACE À L'AGGRAVATION DES RISQUES ENVIRONNEMENTAUX, LA RECHERCHE DE NOUVEAUX INSTRUMENTS JURIDIQUES

1. Les progrès du droit international et national et la judiciarisation de la protection de l'environnement

L'adoption de la Charte de l'environnement n'a malheureusement pas suffi à inverser le cours des choses. Depuis 2005, la dégradation de notre environnement s'est poursuivie , mettant en péril l'exercice du « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et la survie même de l'humanité. Les plus grands périls sont liés, d'une part, à l'accélération du réchauffement climatique , dont le groupe d'experts intergouvernemental pour le climat (GIEC) a établi l'origine principalement anthropique 5 ( * ) , d'autre part, à la réduction de la biodiversité , environ un million d'espèces animales et végétales sur les huit millions présentes sur Terre étant aujourd'hui menacées d'extinction 6 ( * ) . On ne reviendra pas ici sur ces constats largement partagés.

Dans ce contexte, le droit apparaît comme un instrument adapté pour empêcher de nouvelles dégradations et pour contraindre ceux qui le peuvent à agir.

Dans l'ordre international , ce sont principalement les États qui acceptent de se lier par de nouvelles obligations plus rigoureuses et susceptibles d'être sanctionnées judiciairement. En ce qui concerne la lutte contre le dérèglement climatique, la conclusion de l'Accord de Paris, entré en vigueur le 4 novembre 2016, et faisant suite notamment à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC) de 1992 et au Protocole de Kyoto de 1997, en est la meilleure illustration 7 ( * ) . Au-delà des obligations interétatiques, les droits que certains instruments de droit international font naître directement dans le chef des personnes physiques ou morales peuvent également être mobilisés pour la protection de l'environnement : il en va ainsi, notamment, de plusieurs droits garantis par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, comme le droit à la vie, le droit au respect de la vie privée et familiale et du domicile, ainsi que le droit de propriété 8 ( * ) .

Dans l'ordre interne , outre la consécration de droits subjectifs, une abondante réglementation, faisant appel à des mécanismes de droit administratif, civil ou pénal, vise à prévenir les atteintes que les personnes publiques ou privées peuvent porter à l'environnement et, le cas échéant, à les réparer ou à les réprimer.

Grâce notamment à l'implication d'acteurs non étatiques (collectivités territoriales, associations, particuliers...), ces règles de droit ne restent pas lettre morte mais sont, en cas de besoin, sanctionnées par les juridictions internationales et nationales . Le contentieux environnemental est aujourd'hui abondant, et la jurisprudence en la matière a connu récemment quelques développements spectaculaires 9 ( * ) .

Qu'il soit souhaitable de renforcer les exigences juridiques liées à la protection de l'environnement, cela ne fait aucun doute. Qu'une nouvelle révision de la Constitution soit le moyen le plus adapté est une autre question.

2. Des propositions de révision constitutionnelle

Plusieurs voix se sont élevées, au cours des dernières années, pour modifier notre Constitution dans un sens plus favorable à la protection de l'environnement, sans que l'on sache toujours en quoi les modifications proposées produiraient un tel effet .

Ainsi, lors de l'examen en première lecture, en juillet 2018, du projet de loi constitutionnelle pour une démocratie plus représentative, responsable et efficace , l'Assemblée nationale a adopté plusieurs amendements identiques visant à insérer, au premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution, une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] agit pour la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et contre le changement climatique . » Par la suite, dans le cadre d'un autre projet de loi constitutionnelle pour un renouveau de la vie démocratique , déposé en août 2019, le Gouvernement a repris à son compte cette proposition, sous la formulation suivante : « Elle favorise la préservation de l'environnement, la diversité biologique et l'action contre les changements climatiques . » On voit mal ce que l'une ou l'autre de ces deux rédactions aurait ajouté par rapport aux obligations qui incombent d'ores et déjà aux pouvoirs publics français en application de la Charte de l'environnement. Au demeurant, le Sénat n'a pas eu à se prononcer, puisqu'aucun de ces deux textes ne lui a jamais été transmis.

En même temps qu'il déposait ce deuxième projet de révision, le Gouvernement mettait en place la Convention citoyenne pour le climat , réunissant cent-cinquante citoyens tirés au sort pour « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990 10 ( * ) ». Cette initiative avait été annoncée par le Président de la République le 25 avril 2019, au lendemain du Grand débat national, lui-même organisé en réponse à la crise des « gilets jaunes ».

Après huit mois de travaux, la Convention citoyenne pour le climat a adopté le 21 juin 2020 un rapport formulant 149 propositions . Quatre d'entre elles visent à améliorer la « gouvernance » de la transition écologique et nécessiteraient, en tout ou partie, une révision de la Constitution :

- il s'agirait tout d'abord de modifier le préambule de la Constitution pour y ajouter une nouvelle règle de conflit entre principes constitutionnels , donnant priorité à la préservation de l'environnement (« La conciliation des droits, libertés et principes qui en résultent ne saurait compromettre la préservation de l'environnement, patrimoine commun de l'humanité ») ;

- il s'agirait ensuite de modifier l'article 1 er de la Constitution pour y ajouter un alinéa aux termes duquel « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique » ;

- afin de renforcer le contrôle des politiques environnementales, la Convention a notamment suggéré de créer une nouvelle autorité constitutionnelle dénommée Défenseur de l'environnement , sur le modèle du Défenseur des droits ;

- enfin, elle a appelé à réformer le Conseil économique, social et environnemental (CESE) en y incluant des membres tirés au sort et en renforçant son rôle consultatif.

D'autres recommandations, tendant notamment à élever au rang constitutionnel le principe de non-régression en matière environnementale, ont en revanche été rejetées par la Convention, malgré les appels pressants de certaines associations environnementales et d'une partie de la doctrine 11 ( * ) .

Après avoir écarté trois des quatre propositions formulées par la Convention, le Gouvernement a présenté le 20 janvier 2021 un nouveau projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement , qui reprend presque à l'identique la deuxième recommandation mentionnée ci-dessus . Son article unique prévoit d'insérer, après la troisième phrase du premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution, une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique . »

En première lecture, l'Assemblée nationale a adopté ce projet de loi constitutionnelle sans modification , le 16 mars dernier.

II. LES EFFETS JURIDIQUES TRÈS INCERTAINS DE LA RÉVISION PROPOSÉE

D'ordinaire, la démarche suivie par une autorité habilitée à produire des règles juridiques (le Constituant aussi bien que le législateur ou le pouvoir réglementaire) consiste, d'abord, à se fixer des objectifs, ensuite, à identifier les effets de droit susceptibles de contribuer à leur réalisation, enfin, à trouver une rédaction propre à produire ces effets de droit .

En l'espèce, le Gouvernement propose au Parlement de suivre la démarche inverse . Soucieux de se montrer fidèle à la promesse de transmettre « sans filtre » les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, en vue de leur approbation par le peuple français ou ses représentants, et alors même qu'il les a considérablement élaguées 12 ( * ) , le Gouvernement soumet au Parlement un projet de révision de la Constitution dont les objectifs restent nébuleux et les effets juridiques extrêmement incertains.

Par voie de conséquence, la discussion sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure inhabituelle, pour ne pas dire irritante . Alors que l'examen parlementaire d'un texte a normalement pour objet principal de débattre des objectifs à atteindre et des effets juridiques à produire à cet effet, la discussion s'est ici focalisée sur le sens des mots choisis par le Gouvernement et l'interprétation que pourraient en donner les juridictions.

Au lieu d'être politique - et de chercher à fixer clairement l'objectif recherché - le débat qui s'est engagé est presque entièrement grammatical ou herméneutique .

Il est, en outre, passablement embrouillé, le Gouvernement lui-même entretenant la confusion sur la portée juridique du texte qu'il propose, par des déclarations soit manifestement erronées, soit contradictoires, soit obscures .

Il convient donc, modestement, de tenter de démêler cet écheveau et d'introduire un peu de clarté dans cette discussion, afin qu'elle puisse préparer une décision raisonnée du Constituant.

A. LES POUVOIRS PUBLICS ONT DÉJÀ L'OBLIGATION D'AGIR POUR LA PROTECTION DE L'ENVIRONNEMENT

Ayant pour sujet grammatical le pronom « Elle », qui renvoie anaphoriquement au sujet des trois phrases précédentes (« La France » en tant que « République indivisible, laïque, démocratique et sociale »), et pour prédicats deux groupes verbaux conjugués à l'indicatif présent valant impératif, la phrase unique du projet de révision constitutionnelle doit être entendue comme imposant une obligation juridique aux pouvoirs publics français, tant nationaux que locaux .

Cette obligation est-elle nouvelle ? Avant d'examiner son contenu putatif, il faut d'emblée écarter l'argument du Gouvernement selon lequel le droit constitutionnel en vigueur n'imposerait aux pouvoirs publics aucune obligation en matière de protection de l'environnement, mais seulement un objectif dénué de valeur normative .

Devant les députés, puis lors de son audition par la commission des lois et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable du Sénat, le 24 mars dernier, Éric Dupont-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice, a affirmé à plusieurs reprises que le projet de loi constitutionnelle introduisait « un véritable principe d'action pour les pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique », ou encore « une véritable obligation d'action positive », ce qui, à l'en croire, constituerait en soi une nouveauté. Disons-le sans ambages : cette affirmation est inexacte.

1. La Charte de l'environnement impose déjà aux pouvoirs publics des obligations en vue de la protection de l'environnement

L'obligation, pour les pouvoirs publics, d'agir pour la protection de l'environnement résulte d'ores et déjà de plusieurs dispositions de la Charte de l'environnement , prises ensemble ou séparément. L'étude de la jurisprudence constitutionnelle et administrative le confirme à l'envi.

Comme tout droit constitutionnellement protégé, le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé , prévu à l' article 1 er de la Charte, implique l'obligation pour les pouvoirs publics d'agir de manière à rendre effectif l'exercice de ce droit. Plus précisément, c'est au législateur qu'il appartient, sous le contrôle du Conseil constitutionnel, de fixer les garanties fondamentales pour l'exercice de ce droit, sauf à méconnaître l'étendue de la compétence qu'il tire de l'article 34 de la Constitution 13 ( * ) , et les lois nouvelles ne sauraient priver ce droit de garanties légales 14 ( * ) . De même, le Conseil d'État a jugé qu'« il appartient aux autorités administratives de veiller au respect du principe énoncé par l'article 1 er de la Charte de l'environnement lorsqu'elles sont appelées à préciser les modalités de mise en oeuvre d'une loi définissant le cadre de la protection de la population contre les risques que l'environnement peut faire courir à la santé 15 ( * ) ».

L' article 2 de la Charte, aux termes duquel « toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement » , s'impose aux pouvoirs publics et aux autorités administratives comme à l'ensemble des personnes physiques et morales, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé par une décision du 8 avril 2011 16 ( * ) .

Le principe de précaution défini à l'article 5 s'impose aux autorités publiques dans leurs domaines d'attribution. Quant aux principes de prévention et de réparation des dommages causés à l'environnement (articles 3 et 4), même s'il appartient au législateur et, dans les conditions définies par la loi, aux autorités administratives d'en déterminer les conditions d'application, c'est « dans le respect des principes ainsi énoncés », comme le rappelle systématiquement le Conseil constitutionnel 17 ( * ) . Il en va de même des principes d'information et de participation , comme vient de le rappeler avec éclat sa décision du 19 mars 2021, censurant les modalités retenues par le législateur pour l'élaboration des chartes d'engagements départementales relatives à l'utilisation des produits phytopharmaceutiques 18 ( * ) .

L'article 6 impose aux pouvoirs publics de promouvoir, par leurs politiques, un développement durable , et il fixe à cet effet un principe de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. En l'absence de jurisprudence à ce jour, la portée juridique des articles 8 à 10 de la Charte est plus incertaine 19 ( * ) .

Certaines dispositions du préambule de la Charte ont, enfin, une portée manifestement impérative ou prohibitive. Notamment, « la préservation de l'environnement doit être recherchée au même titre que les autres intérêts fondamentaux de la Nation », et « afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Or les considérants de ce préambule ont également pleine valeur constitutionnelle et peuvent fonder la censure de dispositions législatives.

2. La valeur normative de l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains

Dans une décision abondamment commentée du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a, pour la première fois, dégagé du préambule de la Charte de l'environnement un objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains » . Il en a conclu que le législateur était fondé à tenir compte des effets que les activités exercées en France peuvent porter à l'environnement à l'étranger et que, compte tenu de cet objectif, il n'avait pas porté une atteinte disproportionnée à la liberté d'entreprendre en faisant obstacle à l'exportation de produits phytopharmaceutiques non approuvés par l'Union européenne, quand bien même la production et la commercialisation de ces produits resteraient autorisés hors de l'Union 20 ( * ) .

Ce n'est pas sans paradoxe que le Gouvernement tire argument de cette décision pour affirmer que le droit constitutionnel n'impose pas aux pouvoirs publics « un véritable principe d'action » en matière de protection de l'environnement .

Lors de son audition devant la commission des lois, le 24 mars dernier, le garde des sceaux a ainsi déclaré : « Vous le savez bien, un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d'une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte aucune obligation de moyens, et nécessite pour sa mise en oeuvre l'intervention du législateur. (...) Le projet de révision constitutionnelle que nous vous soumettons, en érigeant la protection de l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique en véritable principe constitutionnel, entend aller plus loin que les textes et la jurisprudence actuels . »

L'examen de la jurisprudence constitutionnelle ne permet pourtant pas de souscrire à une telle affirmation.

Malgré les hésitations initiales de la doctrine, il est désormais établi avec la plus grande netteté que les objectifs de valeur constitutionnelle ont une pleine valeur normative, c'est-à-dire à la fois une valeur d'obligation, d'interdiction et de permission 21 ( * ) .

Que les objectifs de valeur constitutionnelle aient une portée permissive , c'est ce qui a été reconnu immédiatement, compte tenu du contexte des décisions où cette catégorie est apparue. Dans sa décision du 27 juillet 1982, la première où il ait fait usage de cette notion, le Conseil constitutionnel a jugé qu'« il appartient au législateur de concilier, en l'état actuel des techniques et de leur maîtrise, l'exercice de la liberté de communication (...) avec, d'une part, les contraintes techniques inhérentes aux moyens de la communication audiovisuelle et, d'autre part, les objectifs de valeur constitutionnelle que sont la sauvegarde de l'ordre public, le respect de la liberté d'autrui et la préservation du caractère pluraliste des courants d'expression socioculturels 22 ( * ) ». Plus largement, selon sa jurisprudence, il est loisible au législateur de porter atteinte à d'autres exigences constitutionnelles en vue de réaliser de tels objectifs (à condition que l'atteinte ne soit pas disproportionnée ou manifestement telle).

Les objectifs de valeur constitutionnelle ont également une portée prohibitive , en ce sens que les pouvoirs publics ont l'interdiction de les méconnaître , sous peine de censure. Dans une décision du 28 juillet 1989, le Conseil constitutionnel vérifie ainsi que les dispositions de la loi déférée « ne sont pas contraires à l'objectif de sauvegarde de l'ordre public 23 ( * ) ». Les exemples sont légion.

Enfin, les objectifs de valeur constitutionnelle ont une portée impérative , c'est-à-dire que le législateur a l'obligation de les poursuivre ou, pour reprendre les termes du Conseil constitutionnel, de les « mettre en oeuvre », de les « réaliser » ou de prendre des mesures « tendant à leur réalisation ». S'agissant par exemple de l'objectif de valeur constitutionnelle consistant en la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, le Conseil constitutionnel a jugé qu' « il appartient au législateur de [le] mettre en oeuvre 24 ( * ) ». Quant à l'objectif de protection de la santé publique, il appartient au législateur comme à l'autorité réglementaire « de fixer des règles appropriées tendant à [sa] réalisation 25 ( * ) ».

Certes, la justiciabilité de cette obligation « positive » est limitée, puisque le Conseil constitutionnel - à la différence d'autres juridictions constitutionnelles - ne dispose pas du pouvoir d'adresser des injonctions au législateur en cas de carence 26 ( * ) ; mais cette limitation est identique pour toutes les obligations issues de la Constitution . L'exercice par le Conseil constitutionnel de son contrôle suppose d'abord qu'il soit saisi d'une loi adoptée ou de dispositions législatives en vigueur. Alors seulement, il peut censurer la méconnaissance de l'obligation faite au législateur (comme à l'ensemble des pouvoirs publics) de poursuivre les objectifs de valeur constitutionnelle, suivant deux types de raisonnement :

- soit en considérant que, en raison de l'insuffisance des dispositions adoptées, le législateur a méconnu l'étendue de sa compétence (contrôle de l'incompétence négative) ;

- soit en considérant que les nouvelles dispositions, combinées avec l'abrogation de celles antérieurement en vigueur, privent ces objectifs de garanties légales (contrôle de l'abrogation des lois antérieurement promulguées) 27 ( * ) .

Corrélativement, la jurisprudence ne permet pas d'affirmer que les objectifs de valeur constitutionnelle n'entrent pas dans la catégorie des « principes » ou celle des « exigences » de valeur constitutionnelle .

Objectifs de valeur constitutionnelle et autorités administratives

La question s'est posée de savoir si les objectifs de valeur constitutionnelle ont une portée normative, non seulement à l'égard du législateur, mais également à l'égard des autorités administratives, dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire comme dans l'ensemble de leur action.

Sur ce point, la discussion a été obscurcie par trois facteurs principaux :

- en premier lieu, le juge administratif considère que certains objectifs de valeur constitutionnelle, reconnus par le Conseil constitutionnel, n'ont pas pour corollaire une « liberté fondamentale » invocable en référé, au sens de l'article L. 521-2 du code de justice administrative : ainsi, l'objectif de valeur constitutionnelle consistant en la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent n'implique pas l'existence d'un droit au logement ayant rang de principe constitutionnel et de liberté fondamentale 28 ( * ) ;

- en deuxième lieu, parmi les normes de référence du contrôle de légalité, les principes constitutionnels n'occupent qu'une place subsidiaire ; dès lors que des dispositions législatives déterminent les conditions d'application de ces principes à l'espèce, c'est sur celles-ci que le juge administratif se fonde 29 ( * ) ;

- en troisième lieu, le juge administratif ne reprend pas systématiquement la terminologie du Conseil constitutionnel : tout en contrôlant le respect par l'autorité administrative d'objectifs consacrés comme ayant une valeur constitutionnelle, il n'a pas toujours besoin de les qualifier ainsi pour les rendre opposables à celle-ci, mais il les désigne parfois plus simplement comme des « objectifs », des composantes de « l'intérêt public », ou encore des « obligations (...) nécessaires à la sauvegarde de règles et de principes de valeur constitutionnelle 30 ( * ) ».

Pourtant, la jurisprudence du Conseil d'État ne laisse aucun doute sur le fait que, dans les conditions définies le cas échéant par la loi, les objectifs de valeur constitutionnelle s'imposent aux autorités administratives. Dans une décision d'assemblée du 8 avril 2009, il a ainsi jugé que le Conseil supérieur de l'audiovisuel, auquel le législateur « a confié (...) la mission d'assurer la garantie, dans les médias audiovisuels, de l'objectif de valeur constitutionnelle de pluralisme des courants de pensée et d'opinion, notamment politiques », est tenu « d'exercer pleinement sa mission, en veillant au respect de cet objectif par les services de radio et de télévision selon des modalités qu'il lui incombe, en l'état de la législation, de déterminer 31 ( * ) ».

Le Conseil constitutionnel lui-même est tout à fait explicite, considérant par exemple, à propos de l'objectif de valeur constitutionnelle consistant en la possibilité pour toute personne de disposer d'un logement décent, « qu'il incombe tant au législateur qu'au Gouvernement de déterminer, conformément à leurs compétences respectives, les modalités de mise en oeuvre de cet objectif 32 ( * ) ».

B. QUELLES CONSÉQUENCES SUR L'ENGAGEMENT DE LA RESPONSABILITÉ DES PERSONNES PUBLIQUES ?

Le projet présenté par le Gouvernement n'aurait donc pas pour effet, contrairement à ce que celui-ci prétend, de créer de toutes pièces une obligation constitutionnelle, pour les pouvoirs publics, d'agir pour la protection de l'environnement. Il importe néanmoins d'examiner si l'obligation qui leur est assignée par la rédaction proposée ne va pas au-delà, par son contenu ou par les sanctions dont elle serait susceptible, de celles qui leur incombent d'ores et déjà .

Le vocabulaire employé et l'interprétation formulée par le Gouvernement laissent entendre, en particulier, que ce texte faciliterait l'engagement de la responsabilité des personnes publiques . Lors de son audition du mercredi 24 mars dernier devant la commission des lois, le garde des sceaux a ainsi déclaré, à propos des verbes utilisés (« garantir » et « lutter ») : « Les conséquences de l'emploi de ces verbes ne sont pas neutres. Et telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des impacts que cela pourra avoir sur l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en matière environnementale. Il s'agit de mettre à leur charge, comme l'a souligné le Conseil d'État, une quasi-obligation de résultat . »

En droit civil comme en droit administratif, on peut dire - en un sens large - que la méconnaissance d'une obligation par son débiteur engage la responsabilité de celui-ci lorsque les personnes intéressées (en particulier, le ou les créanciers) sont en droit de saisir la justice pour obtenir, soit le prononcé de mesures tendant à ce que l'obligation soit honorée (exécution forcée 33 ( * ) ou injonction, assortie le cas échéant d'une astreinte), soit la réparation des préjudices causés par ce manquement (en nature ou par le paiement de dommages-intérêts) 34 ( * ) .

1. Obligations constitutionnelles et responsabilité administrative
a) Les conditions d'engagement de la responsabilité des personnes publiques en cas de méconnaissance de leurs obligations constitutionnelles

Rappelons d'abord que la principale sanction des obligations constitutionnelles est d'une autre espèce. Les obligations et autres principes constitutionnels sont avant tout des règles de validité des actes des pouvoirs publics, dont le juge sanctionne la méconnaissance, soit en empêchant que ces actes n'entrent en vigueur, soit en imposant leur sortie de vigueur (déclaration d'inconstitutionnalité des lois avant ou après promulgation, annulation des actes administratifs). Le Conseil constitutionnel, seul habilité à constater la méconnaissance de la Constitution par le législateur, ne dispose d'ailleurs à son égard d'aucun pouvoir d'injonction, pas plus que du pouvoir de condamner l'État à des dommages-intérêts ou à toute autre forme de réparation.

En revanche :

- le juge administratif dispose, à l'égard des autorités administratives, d'un pouvoir d'injonction qui lui permet de les contraindre à respecter leurs obligations constitutionnelles . La théorie de la « loi-écran » y fait néanmoins obstacle, dès lors que des dispositions législatives déterminent les conditions d'application à l'espèce du principe constitutionnel dont la méconnaissance est invoquée ;

- comme toute illicéité, la violation par une personne publique d'une de ses obligations constitutionnelles est constitutive d'une faute qui, lorsqu'elle cause un dommage, oblige son auteur à le réparer . Jusque tout récemment, la juridiction administrative ne faisait application de ce principe que lorsque la violation était le fait de l'administration. Cependant, par trois décisions du 24 décembre 2019, l'assemblée du contentieux du Conseil d'État a reconnu de manière inédite que la responsabilité de l'État pouvait être engagée pour obtenir la réparation des préjudices causés par l'application d'une loi déclarée contraire à la Constitution par le Conseil constitutionnel 35 ( * ) . L'application de ce nouveau régime de responsabilité de l'État du fait des lois inconstitutionnelles suppose donc que le juge constitutionnel se soit préalablement prononcé 36 ( * ) .

b) Le cas du contentieux climatique

Dans le domaine qui nous intéresse, deux décisions de justice récentes méritent d'être mentionnées.

Dans l'affaire dite de Grande-Synthe , la commune ainsi dénommée et son maire demandaient au Conseil d'État, d'une part, d'annuler le refus par le Président de la République, le Premier ministre et le ministre de la transition écologique et solidaire de prendre (notamment) « toutes mesures utiles permettant d'infléchir la courbe des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national », d'autre part, d'enjoindre au Premier ministre et au ministre de prendre de telles mesures dans un délai de six mois. Par sa décision du 19 novembre 2020 , le Conseil d'État a considéré qu'il résultait effectivement de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), de l'accord de Paris, de plusieurs décisions, directives et règlements des autorités de l'Union européenne prises dans le cadre des deux « Paquets Énergie Climat » et des dispositions du code de l'environnement prises pour leur application, diverses obligations pour les autorités administratives de l'État, notamment celle de fixer par voie réglementaire une trajectoire permettant d'atteindre l'objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre produites sur le territoire national de 40 % entre 1990 et 2030, et celle de prendre les mesures utiles au respect de cette trajectoire. Un supplément d'instruction a été ordonné pour vérifier si le refus opposé à la commune de Grande-Synthe était compatible avec ces obligations. Il convient de noter que ni les requérants, ni le Conseil d'État ne se sont fondés sur les obligations constitutionnelles des pouvoirs publics , en particulier celles qui résultent de la Charte de l'environnement.

Dans « l'affaire du siècle » , en revanche, les associations requérantes demandaient au tribunal administratif de Paris de reconnaître le préjudice écologique causé par la méconnaissance par l'État, d'une part, d'une « obligation générale de lutter contre le changement climatique », trouvant son fondement, notamment, dans les articles 1 er à 3 et 5 de la Charte de l'environnement, d'autre part, d'obligations spécifiques issues des conventions internationales, du droit de l'Union européenne et du droit interne. La ministre de la transition écologique et solidaire soutenait que la méconnaissance de la Charte de l'environnement était « inopérante en l'absence de question prioritaire de constitutionnalité » et que cette Charte « ne cré[ait] pas d'obligation de lutte contre le changement climatique ».

Par un jugement rendu le 3 février 2021, le tribunal a constaté que l'État s'est engagé à mener « une politique publique de réduction des gaz à effet de serre émis depuis le territoire national » et « à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d'objectifs dans ce domaine ». Selon les motifs de cette décision, cette obligation résulte, d'abord, des conventions internationales, ensuite, du droit européen, enfin, du droit national, à savoir l'article 3 de la Charte de l'environnement (principe de prévention) et plusieurs dispositions législatives du code de l'énergie qui en « précisent » les conditions d'application en ce qui concerne les émissions de gaz à effet de serre. Le tribunal a donc refusé de se fonder directement sur les dispositions de valeur constitutionnelle de la Charte, comme l'y invitaient les requérants, pour déclarer la responsabilité de l'État engagée . Néanmoins, le tribunal a reconnu la carence fautive de l'État à respecter ses obligations et l'existence d'un préjudice écologique causé par celle-ci , lequel, en application de l'article 1249 du code civil, doit être réparé par priorité en nature et, à défaut seulement, par une condamnation à des dommages-intérêts. Considérant que l'état de l'instruction ne lui permettait pas de déterminer avec précisions les mesures devant être ordonnées à l'État à cette fin, le tribunal a ordonné un supplément d'instruction.

2. Obligations de moyens, de résultat et de garantie

Selon le Gouvernement, le projet de loi constitutionnelle imposerait aux pouvoirs publics une « quasi-obligation de résultat » en matière environnementale.

Élaborée par la doctrine civiliste pour distinguer deux types d'obligations contractuelles 37 ( * ) , la distinction entre obligations de moyens et de résultat a été étendue au droit de la responsabilité extracontractuelle (en matière civile ou administrative), pour le cas notamment où la faute reprochée au défendeur tient à la méconnaissance d'une obligation légale ou réglementaire. Elle a été rapidement adoptée par la Cour de cassation, puis par le Conseil d'État.

Cette distinction, dont la pertinence a été souvent mise en doute, repose sur des critères tenant à la fois au contenu de l'obligation (et, partant, aux motifs d'exonération de la responsabilité du débiteur en cas d'inexécution) et au régime de la preuve . On peut la décrire à grands traits de la manière suivante.

Le débiteur d'une obligation de moyens est tenu d'accomplir toutes les diligences raisonnablement attendues (celles d'un « bon père de famille », pour reprendre l'ancienne terminologie du code civil) en vue d'exécuter la prestation à laquelle il s'est engagé ; en cas d'inexécution, il appartient au créancier d'établir le contraire. Le niveau de diligence normal dépend des circonstances : ainsi, l'obligation de moyens est moindre si elle résulte d'un contrat à titre gratuit (par exemple, l'obligation de restitution du dépositaire à titre gratuit 38 ( * ) ) que d'un contrat à titre onéreux. De même, l'obligation de moyens d'un non-professionnel est appréciée moins rigoureusement que celle d'un professionnel 39 ( * ) .

À l'inverse, le débiteur d'une obligation de résultat ne peut dégager sa responsabilité qu'à condition d'avoir été empêché d'exécuter celle-ci par force majeure 40 ( * ) , et c'est à lui qu'il incombe de le prouver.

Des catégories intermédiaires ont été définies par la doctrine et la jurisprudence : ainsi, une obligation de moyens est dite « renforcée » lorsque c'est au débiteur qu'il revient de prouver qu'il a accompli toutes les diligences raisonnablement attendues 41 ( * ) ; une obligation de résultat est dite « atténuée » lorsque le débiteur peut s'exonérer en démontrant qu'il a été empêché de l'exécuter par une cause extérieure n'ayant pas les caractères de la force majeure 42 ( * ) .

L'obligation de résultat est, au contraire, renforcée lorsque même la force majeure est inopérante, ce qui la transforme en garantie (sur cette notion, voir ci-dessous). Comme le souligne le professeur Hélène Boucard 43 ( * ) , l'obligation de garantie a fait son entrée dans le régime général des obligations lors de la réforme du droit des obligations de 2016, puisque l'article 1351 du code civil dispose désormais : « L'impossibilité d'exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu'elle procède d'un cas de force majeure et qu'elle est définitive, à moins qu'il n'ait convenu de s'en charger ou qu'il ait été préalablement mis en demeure. »

Obligations de moyens, de résultat et de garantie
(La réalité de l'obligation et celle de son inexécution étant établies,
conformément aux règles de preuve applicables)

Motifs d'exonération de responsabilité

Régime probatoire

Obligation de moyens

Avoir accompli
les diligences normales

La charge de la preuve
pèse sur le créancier

Obligation de moyens renforcée

Avoir accompli
les diligences normales

La charge de la preuve
pèse sur le débiteur

Obligation de résultat atténuée

Cause étrangère
ne présentant pas
le caractère de force majeure

La charge de la preuve
pèse sur le débiteur

Obligation de résultat

Force majeure

La charge de la preuve
pèse sur le débiteur

Obligation de garantie

Néant

Sans objet

Source : commission des lois du Sénat

Pour déterminer si une obligation est de moyens ou de résultat, dans le cas où cela ne ressort pas clairement des termes du contrat, de la loi ou du règlement, le juge a recours à plusieurs indices , dont le principal est le caractère aléatoire ou non du résultat recherché . En d'autres termes, plus le débiteur a la « maîtrise » de ce résultat, plus le juge a tendance à considérer qu'il est soumis à une obligation de résultat (il en va ainsi de l'obligation de délivrance d'un bien, d'une information ou d'un conseil). À l'inverse, plus des circonstances extérieures à la volonté du débiteur sont susceptibles d'influer sur le résultat, plus le juge est enclin à retenir la qualification d'obligation de moyens (par exemple, l'obligation incombant au médecin de prodiguer ses soins à son patient n'emporte pas l'obligation de le guérir).

3. La notion de garantie et le droit de la responsabilité

Pas plus que dans la langue courante, le nom « garantie » et le verbe « garantir » ne revêtent en droit une signification univoque - pas même en droit de la responsabilité civile ou administrative où ces deux mots ont leurs acceptions les mieux définies.

Étymologie des mots garantir et garantie
et acceptions dans la langue courante

Garantir et garantie sont issus, par l'intermédiaire du nom garant , d'un ancien verbe garir , issu du francique warjan qui signifie « désigner quelque chose comme vrai ». Il se rattache à une racine indo-européenne wer- que l'on retrouve dans le latin verus et ses dérivés, ainsi que dans l'allemand wahr . Le nom garant désigne d'abord (au XI e siècle) « une personne qui certifie la vérité de quelque chose », d'où vient (au XII e siècle) le sens de « personne qui répond de la dette d'autrui » 44 ( * ) .

Aujourd'hui, selon le Dictionnaire de l'Académie française 45 ( * ) , le verbe garantir signifie :

1. « Se porter garant, répondre d'une chose, du maintien d'un droit, de l'exécution d'une obligation, etc . » ;

spécialement, « Se porter garant de l'authenticité, de la qualité d'un produit, s'engager à assurer le bon fonctionnement d'un appareil, la régularité d'un service, etc . » ;

et, par extension, « Se porter garant de l'existence, de la réalité de quelque chose » (« Il nous a garanti l'authenticité de la nouvelle », « Je vous garantis qu'il s'en tiendra là ») ;

2. « Défendre quelqu'un contre une demande, l'indemniser d'un dommage éventuel » (« Garantir quelqu'un de toutes poursuites ») ;

3. « Protéger, préserver, mettre à l'abri de » (« La Constitution garantit le citoyen contre toute atteinte à ses droits fondamentaux », « Ce manteau vous garantira du froid »).

Il existe, semble-t-il, un noyau sémantique commun à l'ensemble de ces acceptions, à savoir l'idée de prémunir contre un aléa , dans le double sens de « rendre certain ce qui est incertain » et de « rendre nécessaire ce qui est contingent ». La recherche de garanties est le propre d'une époque qui doute et s'inquiète de son avenir...

En droit général des contrats , comme cela vient d'être indiqué, on appelle « clause de garantie » celle par laquelle le débiteur s'engage à indemniser le créancier en cas d'inexécution due à la force majeure .

En droit des contrats spéciaux , la loi nomme « garanties » certaines « obligation[s] accessoire[s] qui nai[ssent] de certains contrats à la charge d'une partie , et qui renforce[nt] la position de l'autre lorsqu'en cours d'exécution celle-ci n'obtient pas les satisfactions qu'elle était en droit d'attendre 46 ( * ) ». Le terme semble particulièrement approprié pour désigner, à propos de contrats relatifs à une chose, des obligations qui, incombant à l'une des parties, dérogent au principe selon lequel l'autre partie assume les risques de la chose . Il en va ainsi des garanties après-vente (garantie d'éviction, garantie des vices cachés, garantie de conformité due par le vendeur professionnel au consommateur), obligations qui continuent d'incomber au vendeur après le transfert de propriété, alors que celui-ci emporte en principe transfert des risques à l'acquéreur 47 ( * ) . De même, les garanties légales des constructeurs (garantie de parfait achèvement, garantie de bon fonctionnement, garantie décennale) prémunissent le maître de l'ouvrage contre des risques qui ne se matérialiseront qu'après la réception. Dans tous les cas, l'action en garantie permet d'obtenir la réparation du préjudice subi (restitutions, dommages-intérêts ou réparation en nature, selon le cas).

Par ailleurs, les sûretés visant à prémunir un créancier contre le risque d'inexécution de sa créance sont souvent désignées comme des garanties, à savoir, d'une part, les sûretés personnelles (qui, malgré leur diversité - cautionnement, lettre d'intention, garantie autonome... - ont en commun d'être une obligation venant en supplément d'une autre et ouvrant au créancier un recours contre un autre débiteur, sans que celui-ci doive contribuer définitivement à la dette) et les sûretés réelles (accessoires d'une créance conférant au créancier le droit au paiement préférentiel sur la valeur d'un bien affecté à cet effet : gage, nantissement, hypothèque, etc .) 48 ( * ) .

En matière extracontractuelle , on rattache parfois à la notion de « garantie » divers régimes de responsabilité qui ont en commun de mettre à la charge d'une personne l'indemnisation de dommages qu'elle n'a pas causés par sa faute - ce que la doctrine contemporaine justifie le plus souvent par une « théorie du risque » 49 ( * ) : les régimes de responsabilité du fait d'autrui ou du fait des choses , le régime d'indemnisation des victimes d'accidents de la circulation , ou encore (en droit administratif) la responsabilité sans faute de l'administration du fait des risques créés par son activité.

Au-delà, le terme « garantie » peut désigner des dispositifs assurantiels visant à prémunir contre les risques de dommage. La loi désigne ainsi comme des « garanties » les prestations prévues par un contrat d'assurance ; il existe aussi des « fonds de garantie », financés par le biais de prélèvements obligatoires, pour indemniser les victimes d'accidents ou d'actes délictueux commis par des auteurs inconnus, insolvables, non assurés, ou encore assurés auprès d'une société d'assurances défaillante.

Ainsi, la notion de « garantie » englobe divers dispositifs juridiques visant à assurer à une personne, pour le cas où un événement préjudiciable surviendrait, la réparation du préjudice qui en résulterait, en palliant les insuffisances des règles de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun.

4. Une « garantie » aux contours flous inscrite à l'article 1er de la Constitution

Quelle serait donc l'incidence, sur la responsabilité des personnes publiques, de l'ajout proposé par le Gouvernement selon lequel « [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique » ?

À titre liminaire, il faut observer que le texte semble imposer des obligations de type ou de degré différent en ce qui concerne la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, d'une part, la lutte contre le dérèglement climatique, d'autre part . Dans le premier cas, il est fait appel à la notion de « garantie » ; dans l'autre, l'on s'en tient à la valeur impérative de l'indicatif, qui dénote une obligation sans plus de précision. C'est d'autant plus étonnant que la lutte contre le dérèglement climatique fait, à l'évidence, partie de la préservation de l'environnement, comme cela a déjà été jugé 50 ( * ) .

Dans son avis du 14 janvier 2021, le Conseil d'État a attiré l'attention du Gouvernement sur la portée juridique de ces choix lexicaux : « En prévoyant que la France " garantit " la préservation de la biodiversité et de l'environnement, le projet imposerait aux pouvoirs publics une quasi-obligation de résultat dont les conséquences risquent d'être plus lourdes et imprévisibles que celles issues du devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement résultant de l'article 2 de la Charte de l'environnement. » Par cette mise en garde, le Conseil d'État n'a pas entendu fixer l'interprétation des dispositions proposées, mais, au contraire, souligner le caractère très incertain de leurs effets juridiques . La notion de « quasi-obligation de résultat » n'a d'ailleurs aucun contenu défini en droit. Il est, par conséquent, assez surprenant d'entendre le Gouvernement s'en prévaloir pour vanter les effets de sa réforme...

Compte tenu des significations habituelles de la notion de garantie, la rédaction proposée se prête, en ce qui concerne ses effets sur la responsabilité des personnes publiques, à trois interprétations principales , qui comportent elles-mêmes des variantes.

a) Une véritable garantie ?

Si l'on prend le verbe « garantir » dans son sens le plus fort, alors le texte proposé semble signifier que l'État et les autres personnes publiques s'engagent :

- à ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement ou à la diversité biologique et à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu'aucune atteinte ne leur soit portée ;

- à réparer tout dommage causé à l'environnement ou à la diversité biologique, quelle qu'en soit la cause (si du moins il n'est pas réparé par l'auteur du dommage lui-même).

Autrement dit, le texte impliquerait l'institution d' un nouveau régime de responsabilité des personnes publiques entièrement détaché de toute faute et même de toute action ou omission de leur part . Les pouvoirs publics seraient ainsi obligés de réparer, en nature ou par des dommages-intérêts, tout dommage causé à l'environnement ou à la biodiversité, même s'il était le fait de personnes non placées sous leur autorité (par exemple des États étrangers), voire de choses sur lesquelles ils n'ont aucune prise (par exemple un astéroide). L'institution d'une telle « garantie » serait non seulement inacceptable, mais plus encore aberrante , les personnes publiques françaises n'ayant tout simplement pas les moyens de l'assumer.

b) Une obligation sans réserve ?

Selon une deuxième interprétation, reposant sur un sens atténué du verbe « garantir », les personnes publiques de droit français s'engageraient :

- à ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement et à la biodiversité et à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu'aucune atteinte ne leur soit portée ;

- à réparer tout dommage causé par un manquement à cette obligation (autrement dit, tout dommage de leur fait ou qu'elles auraient pu empêcher).

Cela s'apparenterait davantage à une obligation de moyens qu'à une obligation de résultat . Il resterait à déterminer qui supporterait la charge de la preuve, autrement dit s'il s'agirait d'une obligation de moyens « simple » ou « renforcée » ; mais la réponse à cette question est d'une moindre portée en contentieux constitutionnel ou administratif, où la procédure est inquisitoire, qu'en contentieux civil.

Si tel est l'objectif, il est en partie satisfait par le droit constitutionnel en vigueur . En effet, non seulement les personnes publiques ont d'ores et déjà, comme toute autre personne, le devoir de « prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », et, dans les conditions prévues par la loi, de prévenir les atteintes qu'elles sont susceptibles de porter à l'environnement ou d'en limiter les conséquences, ainsi que de contribuer à leur réparation ; mais en outre, en ce qui ce qui concerne l'État, ses autorités (notamment le législateur) sont soumises, notamment, à l'obligation d'assortir de garanties suffisantes le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de « protection de l'environnement, patrimoine commun des êtres humains ». Sous les conditions qui ont été rappelées, la méconnaissance par les personnes publiques de ces diverses obligations constitutionnelles engage leur responsabilité devant la juridiction administrative.

Néanmoins, il subsisterait une différence importante avec le droit en vigueur. En effet, malgré la précision et la rigueur des obligations issues de la Charte de l'environnement, celles-ci doivent toujours être conciliées, dans l'action des pouvoirs publics, avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général . La loi, en particulier, peut porter atteinte à l'environnement sans méconnaître la Constitution, si elle opère une juste conciliation entre ces différentes exigences ; la responsabilité de l'État ne saurait alors être engagée du fait du préjudice causé.

c) Une obligation devant être conciliée avec les autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général ?

Selon une troisième interprétation, les personnes publiques s'engageraient :

- à ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement ou à la diversité biologique et à faire tout ce qui est en leur pouvoir pour qu'aucune atteinte ne leur soit portée, sous réserve des autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général ;

- à réparer tout dommage causé par un manquement à cette obligation.

Un tel objectif est, cette fois, pleinement satisfait par le droit en vigueur , abstraction faite de la question de la charge de la preuve, et sous la réserve des limites fixées au contrôle juridictionnel d'éventuelles carences du législateur.

Si l'on écarte l'interprétation maximaliste de la notion de « garantie », l'incidence du projet de révision constitutionnelle sur la responsabilité des personnes publiques dépend donc, pour l'essentiel, de la question de savoir si la rédaction proposée écarte ou non, au bénéfice de la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, le principe de conciliation entre les règles et principes de valeur constitutionnelle . La même incertitude se retrouve en ce qui concerne les effets de cette rédaction sur la validité des actes des pouvoirs publics, c'est-à-dire sur le contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de légalité des actes administratifs.

C. QUELLES CONSÉQUENCES SUR LA VALIDITÉ DES ACTES DES POUVOIRS PUBLICS ?

1. Le principe de conciliation entre les exigences constitutionnelles et d'intérêt général

Les exigences constitutionnelles liées à la protection de l'environnement, telles qu'elles résultent aujourd'hui de la Charte de l'environnement, sont susceptibles d'entrer en conflit avec d'autres principes et règles de valeur constitutionnelle ou avec d'autres exigences d'intérêt général, par exemple le droit de propriété ou la liberté d'entreprendre (en cas d'interdiction de commercialisation de produits dangereux pour l'environnement), ou encore le droit à un logement décent. Un conflit de normes peut être défini par le fait que, dans des circonstances données, elles ne peuvent s'appliquer simultanément.

La principale règle pour résoudre de tels conflits, au sein d'un même ordre juridique, résulte de la théorie de la hiérarchie des normes , fondée sur la qualité de leur auteur : la Constitution l'emporte sur la loi, qui l'emporte sur le règlement. Une telle règle de conflit ne peut pas trouver à s'appliquer entre normes « de même niveau », par exemple entre des normes également consacrées par la Constitution. En cas de conflit entre normes de même niveau , comme l'expliquait le doyen Vedel, « celui-ci ne peut être résolu que par l'interprétation (...). Ou bien l'interprète qualifié - le juge - découvrira que le respect de l'une et de l'autre normes est simultanément possible, ce qui revient à dire que le conflit n'était qu'apparent. Ou bien le conflit est réel, et celui qui doit faire application de l'une et l'autre règles est amené à les "concilier", c'est-à-dire à les appliquer partiellement l'une et l'autre 51 ( * ) . »

C'est à une telle « mise en balance » des exigences constitutionnelles que s'attache chaque jour le législateur, sous le contrôle du juge. Par ailleurs, le Conseil constitutionnel admet que le législateur puisse porter atteinte à des règles ou principes de valeur constitutionnelle pour des motifs d'intérêt général, même si ceux-ci ne se rattachent pas à une exigence spécialement consacrée par la Constitution .

Les variations d'intensité du contrôle de proportionnalité

Lorsque la loi déférée porte atteinte à un principe de valeur constitutionnelle, le Conseil constitutionnel procède à un contrôle dit de proportionnalité pour vérifier que cette atteinte est justifiée par l'objectif poursuivi. Le principe de proportionnalité recouvre en fait trois exigences :

- une exigence d' adéquation : la disposition contestée doit être susceptible de contribuer à la réalisation de l'objectif poursuivi ;

- une exigence de nécessité : il ne doit pas être possible d'atteindre l'objectif poursuivi par d'autres voies, moins attentatoires au principe en question ;

- une exigence de proportionnalité au sens strict : l'objectif poursuivi doit être suffisamment important pour justifier l'atteinte considérée.

Le contrôle de constitutionnalité opéré par le Conseil constitutionnel connaît, cependant, des variations d'intensité.

En premier lieu, contrairement à d'autres juridictions constitutionnelles - notamment la Cour constitutionnelle fédérale allemande - le Conseil constitutionnel ne vérifie pas, en règle générale, la nécessité de la disposition contestée . Il considère en effet, selon une formule maintes fois reprise, qu'il « ne dispose pas d'un pouvoir général d'appréciation et de décision de même nature que celui du Parlement ; qu'il ne lui appartient donc pas de rechercher si l'objectif que s'est assigné le législateur pouvait être atteint par d'autres voies dès lors que les modalités retenues par la loi déférée ne sont pas manifestement inappropriées à la finalité poursuivie ». On voit poindre, néanmoins, le critère de nécessité dans certaines décisions où sont en cause des droits et libertés particulièrement protégés, comme la liberté d'expression et de communication 52 ( * ) .

S'agissant, en second lieu, des deux autres critères, le Conseil constitutionnel s'en est longtemps tenu à un contrôle restreint de l'erreur manifeste d'appréciation : dans le cas où une disposition législative portait atteinte à une norme constitutionnelle, il ne la censurait que si elle était manifestement inadaptée à l'objectif poursuivi, ou s'il y avait une disproportion manifeste entre la gravité de l'atteinte, d'un côté, l'importance de l'objectif et la contribution de la disposition contestée à la réalisation de cet objectif, de l'autre.

À cet égard, l'intensité du contrôle du Conseil constitutionnel s'est renforcée . Désormais, même s'il est difficile de systématiser une jurisprudence évolutive, l'on observe généralement que :

- le Conseil constitutionnel s'en tient au contrôle de l'erreur manifeste lorsque sont mis en balance plusieurs exigences de valeur constitutionnelle ;

- il censure, en revanche, toute erreur d'appréciation (contrôle entier) s'il est porté atteinte à une exigence constitutionnelle pour un simple motif d'intérêt général 53 ( * ) .

S'agissant plus particulièrement du droit constitutionnel de l'environnement, l'article 6 de la Charte de l'environnement comprend un principe spécial de conciliation, qui est le corollaire d'une définition ternaire du développement durable comprenant des objectifs environnementaux, économiques et sociaux Les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable. À cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ») 54 ( * ) .

2. « Effet cliquet », « effet artichaut » et principe de non-régression

En matière de droits fondamentaux, le Conseil constitutionnel, comme certaines juridictions étrangères, a dégagé des principes touchant à l'évolution dans le temps des dispositions législatives qui visent à assurer leur effectivité , lesquels principes compensent en partie l'incompétence du juge pour adresser des injonctions au législateur en cas de carence.

Au cours des années 1980 et jusqu'au début des années 1990, une partie de la doctrine a cru déceler, dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel, l'émergence d'une théorie de « l'effet cliquet » en matière de droits fondamentaux. Quelques décisions, en effet, ont été rendues sur le fondement d'un considérant selon lequel, « s'agissant d'un droit fondamental, la loi ne peut en réglementer les conditions qu'en vue de le rendre plus effectif ou de le concilier avec d'autres règles ou principes de valeur constitutionnelle 55 ( * ) ». Sans prohiber tout retour en arrière (sans donc constituer un véritable « cliquet anti-retour »), le principe ainsi dégagé était rigoureux, puisqu'il n'autorisait le législateur à porter aucune atteinte, même minime, à un droit fondamental pour un motif d'intérêt général ne se rattachant pas spécifiquement à une règle ou un principe de valeur constitutionnelle 56 ( * ) .

Ce considérant a, depuis, été abandonné et la théorie de « l'effet cliquet » fermement rejetée par les commentateurs les mieux autorisés 57 ( * ) . Selon une jurisprudence aujourd'hui bien établie, le Conseil constitutionnel considère désormais « qu' il est à tout moment loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions ; que, ce faisant, il ne saurait toutefois priver de garanties légales des exigences constitutionnelles 58 ( * ) ». C'est ce que l'on a appelé, à la suite du doyen Favoreu 59 ( * ) , « l'effet artichaut » : le législateur peut abroger certaines des règles qui protègent ou favorisent l'exercice de droits fondamentaux, mais pas au point que ces droits n'aient plus d'effectivité 60 ( * ) .

À cet égard, le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, prévu à l'article 1 er de la Charte de l'environnement, semble toutefois jouir d'une protection renforcée .

En effet, dans une décision du 10 décembre 2020 61 ( * ) où il avait à se prononcer sur une loi habilitant les ministres de l'agriculture et de l'environnement, jusqu'au 1 er juillet 2023, à autoriser l'emploi (en principe interdit) de semences de betteraves sucrières traitées avec des produits contenant des substances actives de la famille des néonicotinoïdes, le Conseil constitutionnel, considérant classiquement qu'« il est loisible au législateur, statuant dans le domaine de sa compétence, de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions », a soumis l'exercice cette faculté à trois conditions cumulatives, au lieu d'une :

- conformément à la théorie de « l'effet artichaut », le législateur « ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1 er de la Charte de l'environnement » ;

- en outre, « les limitations portées par le législateur à l'exercice de ce droit ne sauraient être que liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par un motif d'intérêt général et proportionnées à l'objectif poursuivi » : le Conseil constitutionnel rétablit ici une condition liée à l'objectif poursuivi, énoncée en termes plus larges, cependant, que dans l'ancienne jurisprudence dite de « l'effet cliquet », puisqu'elle prend en compte les motifs d'intérêt général ;

- enfin, et c'est entièrement nouveau, le législateur « doit prendre en compte, notamment, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement mentionné à l'article 2 de la Charte de l'environnement » .

En l'espèce, le Conseil constitutionnel a jugé que, compte tenu de l'objectif d'intérêt général poursuivi, de l'objet limité de la dérogation prévue, de son caractère transitoire et des règles procédurales dont elle était assortie, la loi était conforme à la Constitution.

Néanmoins, il est intéressant de constater que, pour la première fois, le juge constitutionnel s'est fondé sur le devoir de « prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement » incombant à l'État comme à toute personne, pour fixer des conditions à l'évolution dans le temps de la législation. D'éminents auteurs y ont vu la reconnaissance tacite d'un principe constitutionnel de non-régression en matière environnementale, conçu de façon souple 62 ( * ) .

3. La protection de l'environnement au sommet de la hiérarchie des principes constitutionnels ?

Quelle incidence le projet de révision aurait-il sur les règles de conciliation entre la protection de l'environnement et les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général, et sur les principes qui gouvernent l'évolution dans le temps des normes applicables en la matière ?

Les déclarations du Gouvernement n'aident pas, ici non plus, à y voir clair. Devant la commission des lois de l'Assemblée nationale, le garde des sceaux, tout en déclarant que l'un des objectifs essentiels de ce texte était de « rehausser la place de la préservation de l'environnement dans notre Constitution », a tenu à préciser : « " rehaussement " ne signifie pas " hiérarchie ". Le Gouvernement n'entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. L'objectif est de donner plus de poids à la protection de l'environnement dans sa conciliation avec les autres principes de valeur constitutionnelle. » La contradiction n'est pas loin...

a) La question de la hiérarchie entre normes constitutionnelles

Pour tenter de dissiper cet épais brouillard, il est utile de distinguer deux formes de hiérarchie matérielle entre des normes (par opposition à une hiérarchie formelle fondée, par exemple, sur la qualité de leur auteur) :

- la priorité d'une norme sur l'autre, au sens où la seconde ne peut recevoir un commencement d'application qu'à condition que la première soit intégralement satisfaite 63 ( * ) ;

- la prépondérance d'une norme sur l'autre, au sens où il est donné plus de « poids » à la première qu'à la seconde dans leur conciliation (en cas d'atteinte comportant le même degré de gravité à l'une comme à l'autre, il est donné préférence à la première sur la seconde).

Il n'existe effectivement aucun ordre de priorité entre les droits, libertés et autres principes de fond posés par la Constitution. En revanche, il serait hasardeux de considérer qu'aucun de ces principes n'a plus de poids que les autres . La doctrine s'est souvent essayée à dégager une liste de droits, libertés ou autres principes dits « de premier rang », bénéficiant d'une protection renforcée de la part du juge constitutionnel, ce qui pourrait se manifester, notamment :

- par le fait que le juge soulève plus souvent (voire systématiquement) d'office le moyen tiré de la violation de tels principes ;

- par l'intensité du contrôle de proportionnalité opéré en cas d'atteinte à ces derniers ;

- par l'application aux dispositions visant à rendre ces principes effectifs d'un principe de non-régression, sous une forme ou sous une autre ;

- ou par d'autres exigences particulières du juge, par exemple une application uniforme sur tout le territoire national, une réticence plus grande à admettre un régime d'autorisation ou de déclaration préalable, etc .

Comme le soulignent les professeurs Dominique Rousseau, Pierre-Yves Gahdoun et Julien Bonnet, les auteurs qui se sont essayés à dégager de la jurisprudence une telle hiérarchie entre principes constitutionnels ont abouti à des classements différents, ce qui témoigne de la difficulté de l'exercice 64 ( * ) . Néanmoins, sans prétendre systématiser, force est de constater que certains principes font l'objet d'une sollicitude particulière de la part du juge constitutionnel , en particulier :

- des principes dont le respect est considéré comme une condition de la démocratie, de la souveraineté nationale ou de l'exercice des autres droits et libertés , à savoir la liberté d'expression et de communication ainsi que l'exigence de pluralisme, ce qui se traduit notamment par un renforcement du contrôle de proportionnalité ;

- les exigences liées à la protection de l'environnement, en vertu de l'obligation spéciale faite au législateur par la Charte de l'environnement de contribuer à son « amélioration » , laquelle a conduit le Conseil constitutionnel à consacrer une forme de principe de non-régression en la matière.

Il est possible que ces deux fils jurisprudentiels se rejoignent à l'avenir : il n'y aurait en effet rien d'aberrant, sur un plan théorique, à ce que la préservation de l'environnement soit considérée, elle aussi, comme une condition d'exercice des droits et libertés.

b) Priorité à l'environnement ?

Dans quelle mesure le projet du Gouvernement est-il susceptible, à cet égard, de modifier l'état du droit ?

Si l'on en croit les déclarations des membres du Gouvernement, des rapporteurs à l'Assemblée nationale, de représentants de la Convention citoyenne ou d'autres personnalités entendues par la commission des lois ou son rapporteur, il s'agirait seulement de « donner plus de poids » à la protection de l'environnement , donc de lui attribuer une prépondérance au sens défini ci-dessus (ou d'accroître cette prépondérance), par rapport aux autres normes constitutionnelles. Cela résulterait :

- de l'emplacement des nouvelles dispositions dans le texte constitutionnel, selon l'exposé des motifs du projet de loi constitutionnelle (« Son inscription [celle d'un principe général de préservation de l'environnement] à l'article 1 er de la Constitution lui donne une force particulière ») ;

- de l'emploi de « verbes d'action forts » 65 ( * ) , à savoir les verbes « garantir » et « lutter » ;

- de l'adoption éventuelle de cette révision constitutionnelle par référendum 66 ( * ) .

Ce dernier argument est sans doute le plus recevable, car si le Conseil constitutionnel n'a jamais expressément établi aucune différence de valeur entre les dispositions de la Constitution directement adoptées par le peuple français ou par ses représentants, une appréciation réaliste de sa jurisprudence montre qu'il est sensible au « degré d'attachement de l'opinion dominante » à telle ou telle norme constitutionnelle, comme le relevait Bruno Genevois 67 ( * ) . En revanche, vouloir fonder des effets de droit sur la position textuelle des dispositions proposées ou sur une connotation plus ou moins énergique des verbes employés paraît pour le moins aventureux...

En réalité, l'usage du verbe « garantir » (à la différence du verbe « lutter ») pourrait conduire à imposer aux pouvoirs publics, non pas seulement une obligation constitutionnelle « plus forte » que celle qui résulterait d'un simple verbe d'action (« agir pour la préservation », « favoriser la préservation », voire « préserver ») à l'indicatif présent, mais une obligation devant être honorée avant toute autre . Si vraiment, comme l'a déclaré le garde des sceaux, ce verbe implique que « tout doit être fait pour que » l'environnement soit préservé, alors aucune disposition législative ou aucun acte administratif ne pourrait jamais contrevenir au principe de protection de l'environnement au nom d'autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général. Autrement dit, par le recours à la notion de garantie, la préservation de l'environnement et de la diversité biologique deviendrait prioritaire (au sens défini ci-dessus) par rapport à toute autre norme.

Lors de son audition par la commission des lois, le professeur Bertrand Mathieu s'est interrogé, en particulier, sur l'articulation des nouvelles dispositions introduites à l'article 1 er de la Constitution avec l'article 6 de la Charte de l'environnement qui, pour sa part, établit sans équivoque un principe de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social. Selon lui, dans le texte proposé, « la conciliation des objectifs environnementaux, sociaux et économiques n'est pas mentionnée, ce qui pourrait éventuellement conduire le juge constitutionnel à glisser d'une conciliation à une hiérarchisation 68 ( * ) » .

III. LA POSITION DE LA COMMISSION DES LOIS : POUR UNE RÉVISION CONSTITUTIONNELLE AUX EFFETS MAÎTRISÉS

Pour la commission des lois, il ne saurait être question d'accepter une révision de la Constitution dont les effets juridiques sont aussi mal maîtrisés . Cela reviendrait, pour le Constituant, à se défausser entièrement sur le juge du soin de déterminer la portée juridique des dispositions insérées dans notre texte fondamental.

Certes, la commission a observé que le verbe « garantir », sur lequel se sont concentrés les débats, ainsi que les mots de la même famille lexicale sont déjà employés au sein du bloc de constitutionnalité en un sens très affaibli, n'impliquant pas davantage qu'une obligation d'agir . L'obligation ainsi désignée :

- doit toujours être conciliée avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général ;

- ne se voit pas accorder, du seul fait de l'emploi de ce verbe, un plus grands poids dans la conciliation opérée par le législateur et le Conseil constitutionnel ;

- n'emporte pas l'engagement de la responsabilité de l'État ou des autres personnes publiques dans tous les cas où l'objet de la « garantie » n'est pas pleinement effectif, ni même dans tous les cas où ces mêmes personnes publiques n'ont pas fait tout ce qui était en leur pouvoir pour le rendre effectif.

Les dix-sept occurrences du nom « garant » et de ses dérivés
dans le bloc de constitutionnalité

Le nom « garant » et ses dérivés apparaissent à dix-sept reprises dans le bloc de constitutionnalité : deux fois dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, quatre fois dans le Préambule de 1946 et onze fois dans le corps même de la Constitution.

Plus précisément :

- l'expression « garantie des droits » désigne l'application de règles juridiques, en tant qu'elle rend effectif l'exercice de ces droits. Comme l'énonce l'article 12 de la Déclaration, « La garantie des droits de l'homme et du citoyen nécessite une force publique » ;

- au pluriel, les « garanties des droits et libertés » (ou, selon des variantes, les « garanties des libertés publiques », ou encore les « garanties fondamentales [...] pour l'exercice des libertés publiques ») sont les règles juridiques qui, lorsqu'elles sont appliquées, rendent effectif l'exercice des droits ;

- les « droits constitutionnellement garantis » sont les droits énoncés par la Constitution, que les pouvoirs publics ont l'obligation d'assortir de « garanties » au sens précédent ;

- on rencontre également, dans le Préambule de 1946, plusieurs occurrences du verbe « garantir » avec, pour complément d'objet, un ou plusieurs droits particuliers [La Nation] garantit à tous [...] la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs », « La Nation garantit l'égal accès de l'enfant et de l'adulte à l'instruction, à la formation professionnelle et à la culture », « La France [...] garantit à tous l'égal accès aux fonctions publiques ») ou encore un droit à l'égalité des droits (« La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ») ;

- enfin, l'objet de la garantie est parfois, non pas un droit subjectif, mais une situation de fait constituant un objectif de valeur constitutionnelle La loi garantit les expressions pluralistes des opinions et la participation équitable des partis et groupements politiques à la vie démocratique de la Nation » , « [Le Président de la République] est le garant de l'indépendance nationale, de l'intégrité du territoire et du respect des traités », et il est également « garant de de l'indépendance de l'autorité judiciaire »).

Le sens de la notion de garantie dans les textes du bloc de constitutionnalité , tels qu'interprétés par le Conseil constitutionnel, varie selon que le résultat recherché (l'objet de la garantie) est susceptible de degrés ou non .

Dans leur très grande majorité, les droits et libertés, tels qu'énoncés par nos textes constitutionnels, peuvent être exercés à des degrés divers . Les pouvoirs publics n'ont pas l'obligation de les rendre pleinement effectifs : ils peuvent y apporter des limitations justifiées ; et lorsque l'exercice de ces droits ne dépend pas seulement de leur action normative, mais aussi de leurs prestations, voire de circonstances extérieures (c'est le cas de ce qu'on appelle les « droits-créances » comme le droit à la santé, à la culture, etc .), ils ont seulement l'obligation d'agir en vue de ce résultat, en tenant compte des autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général. Il en va de même des objectifs dont la Constitution dispose qu'ils doivent être « garantis » 69 ( * ) .

Peut-on être certain que les juridictions attribueraient une signification aussi lâche au verbe « garantir » dans les dispositions que le Gouvernement propose d'insérer à l'article 1 er de la Constitution ? Non, car le juge rechercherait l'effet utile de la révision constitutionnelle , conformément à l'adage selon lequel « Le législateur ne parle pas pour ne rien dire ». Or, ainsi interprétées, ces dispositions n'introduiraient aucun principe nouveau par rapport à ceux qui résultent d'ores et déjà de la Charte de l'environnement .

Afin de lever toute incertitude , la commission a adopté un amendement de son rapporteur visant à remplacer les dispositions envisagées par une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004. » Ainsi :

- conformément à l'avis du Conseil d'État, toute référence à la notion de « garantie » serait supprimée, celle-ci ayant ici une signification beaucoup trop vague ;

- comme le suggérait également le Conseil d'État, le verbe « lutter » serait remplacé par le verbe « agir », car mieux vaut s'abstenir d'effets rhétoriques dénués de toute portée juridique ;

- enfin, le renvoi exprès à la Charte de l'environnement vise à éviter tout problème d'articulation entre celle-ci et l'ajout proposé à l'article 1 er de la Constitution. L'obligation générale énoncée à l'article 1 er équivaudrait à la somme des obligations spécifiques résultant d'ores et déjà de la Charte pour les pouvoirs publics.

Sans produire d'effets juridiques nouveaux, cette disposition aurait le double mérite, sur le plan symbolique, de réaffirmer l'attachement du peuple français à la préservation de l'environnement et d'y inclure expressément la lutte contre le dérèglement climatique, que la Charte de l'environnement ne mentionne pas .

EXAMEN EN COMMISSION

__________

MERCREDI 5 MAI 2021

M. François-Noël Buffet , rapporteur . - La discussion sur ce projet de loi constitutionnelle a pris une tournure quelque peu inhabituelle.

D'ordinaire, notre démarche de législateur consiste d'abord à nous fixer des objectifs ; ensuite, à déterminer les effets juridiques propres à atteindre ces objectifs ; et, enfin seulement, à trouver la rédaction la plus appropriée pour produire ces effets juridiques.

En l'espèce, le Gouvernement nous propose de suivre la démarche inverse. Ayant fortement élagué les propositions de la Convention citoyenne pour le climat qui relevaient de la loi ordinaire ou du règlement, il veut ici se montrer fidèle à la promesse de les transmettre « sans filtre » en vue de leur adoption. C'est pourquoi il nous soumet un projet de révision constitutionnelle dont la rédaction est presque identique à l'une des recommandations de la Convention. Après la troisième phrase du premier alinéa de l'article 1 er de la Constitution, serait insérée une phrase ainsi rédigée : « Elle [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique. »

Les effets juridiques de cette rédaction sont très incertains, comme l'ont abondamment confirmé nos auditions.

Par voie de conséquence, la discussion s'est focalisée sur le sens des mots choisis par le Gouvernement et l'interprétation que pourraient en donner les juridictions. Au lieu d'être politique, notre débat est sémantique...

Ce débat est, en outre, passablement embrouillé, le Gouvernement lui-même entretenant la confusion sur la portée juridique du texte qu'il propose par des déclarations soit manifestement erronées, soit contradictoires, soit obscures.

Nous sommes tous attachés à la protection de l'environnement, mais nous ne pouvons pas voter un texte à l'aveugle.

Contrairement à ce que prétend le Gouvernement, le projet de révision ne créerait pas de toutes pièces une obligation d'agir pour la protection de l'environnement incombant aux pouvoirs publics. Le droit constitutionnel en vigueur leur assigne déjà de fortes obligations en la matière. Ainsi, le législateur a l'obligation d'assortir de garanties suffisantes le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré à l'article 1 er de la Charte de l'environnement. Par ailleurs, les personnes publiques ont, comme toute autre personne, le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement, prévu à l'article 2 de la Charte. Enfin, les pouvoirs publics ont l'obligation de mettre en oeuvre l'objectif de valeur constitutionnelle de protection de l'environnement en tant que patrimoine commun des êtres humains, dégagé par le Conseil constitutionnel du préambule de la Charte.

À ce propos, je me dois d'indiquer que le Gouvernement a tort d'affirmer qu'un objectif de valeur constitutionnelle n'emporte aucune obligation.

Comme cela a été fermement établi par la doctrine, à la lumière de la jurisprudence constitutionnelle et administrative, les objectifs de valeur constitutionnelle ont pleine valeur normative : ils ont à la fois une fonction d'obligation, d'interdiction et de permission. Les pouvoirs publics ont notamment l'obligation de « mettre en oeuvre », de « réaliser » ou de « contribuer à la réalisation » de ces objectifs, selon les termes du Conseil constitutionnel.

Il me semble également important d'insister sur le fait que la portée juridique d'une obligation dépend non seulement de son contenu, mais aussi de sa justiciabilité.

La Constitution, je l'ai dit, assigne déjà de fortes obligations aux pouvoirs publics en matière de protection de l'environnement. Toutefois, le législateur n'est pas placé à cet égard dans la même position que les autorités administratives nationales ou locales.

Le contrôle juridictionnel du respect, par le législateur, de ses obligations constitutionnelles est limité. Le Conseil constitutionnel n'exerce son contrôle que lorsqu'il est saisi d'une loi, et la seule sanction qu'il est habilité à prononcer - la déclaration d'inconstitutionnalité - consiste à empêcher une loi d'entrer en vigueur ou à imposer sa sortie de vigueur. En revanche, il ne dispose d'aucun pouvoir d'injonction qui lui permettrait de sanctionner une carence du législateur, et il n'est pas non plus habilité à condamner l'État à réparer les dommages causés par son action ou son inaction.

Ce constat doit néanmoins être relativisé. En effet, d'une part, le Conseil constitutionnel parvient à sanctionner indirectement les carences du législateur en contrôlant que celui-ci a épuisé sa compétence et qu'en modifiant l'état du droit il n'a pas privé de garanties légales des exigences constitutionnelles. D'autre part, l'application d'une loi déclarée inconstitutionnelle par le Conseil engage désormais la responsabilité de l'État devant la juridiction administrative.

Par ailleurs, le juge administratif est pleinement en mesure d'assurer le respect des principes constitutionnels par les autorités administratives.

Ces mises au point étant faites, il nous reste à examiner si, oui ou non, l'obligation assignée aux pouvoirs publics par les nouvelles dispositions proposées va au-delà des obligations qui leur incombent d'ores et déjà.

Le Gouvernement prétend d'abord que son texte faciliterait l'engagement de la responsabilité des personnes publiques, notamment l'État et les collectivités territoriales, en mettant à leur charge une « quasi-obligation de résultat ». Cela résulterait en particulier de l'usage du verbe « garantir ».

Le Gouvernement s'abrite ici derrière l'avis du Conseil d'État. Mais si le Conseil d'État a lui-même employé cette expression, ce n'est pas pour fixer l'interprétation des dispositions proposées, mais, au contraire, pour en souligner le caractère incertain. La notion de « quasi-obligation de résultat » n'a jamais été définie en droit.

En droit civil comme en droit administratif, le mot « garantie » est employé pour désigner des dispositifs juridiques très divers, mais qui visent tous à prémunir contre un risque : ces dispositifs visent à assurer à une ou plusieurs personnes, pour le cas où un événement préjudiciable surviendrait, la réparation du préjudice qui en résulterait, en palliant les insuffisances des règles de responsabilité contractuelle ou extracontractuelle de droit commun.

Par exemple, en droit des contrats, « l'obligation de garantie » va au-delà de « l'obligation de résultat », puisque le débiteur ne peut même pas s'exonérer en cas de force majeure.

Du point de vue de la responsabilité des personnes publiques, les dispositions proposées par le Gouvernement se prêtent ainsi à trois interprétations principales.

Selon une première interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage causé à l'environnement ou à la diversité biologique, quelle qu'en soit la cause. L'institution d'une telle garantie, au sens propre du terme, serait aberrante, les personnes publiques françaises n'ayant tout simplement pas les moyens de l'assumer.

Selon une deuxième interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage de leur fait ou qu'ils auraient pu empêcher. Cet objectif n'est que partiellement satisfait par le droit en vigueur, puisque les obligations issues de la Charte de l'environnement doivent aujourd'hui être conciliées - j'insiste sur cette notion de conciliation - dans l'action des pouvoirs publics avec les autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général.

Selon une troisième interprétation, l'État et les autres personnes publiques s'obligeraient à réparer tout dommage causé par un manquement à l'obligation de ne rien faire qui porte atteinte à l'environnement et de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour empêcher qu'il lui soit porté atteinte, sous réserve des autres exigences constitutionnelles et d'intérêt général. Un tel objectif est, cette fois, pleinement satisfait par le droit en vigueur, sous la seule réserve des limites fixées au contrôle juridictionnel d'éventuelles carences du législateur.

La même incertitude peut être observée en ce qui concerne les effets de la rédaction proposée sur la validité des actes des pouvoirs publics, c'est-à-dire sur le contrôle de constitutionnalité des lois et le contrôle de légalité des actes administratifs.

Les principes constitutionnels relatifs à la protection de l'environnement sont susceptibles d'entrer en conflit avec d'autres exigences constitutionnelles ou d'intérêt général, auquel cas il appartient au législateur et, dans leur domaine de compétence, aux autorités administratives de les concilier, sous le contrôle du juge. L'article 6 de la Charte de l'environnement pose, en outre, un principe spécial de conciliation entre la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, conformément à une définition englobante du développement durable.

Quelle serait, à cet égard, l'incidence du projet de loi constitutionnelle ?

Le Gouvernement déclare que l'un des objectifs du texte est de « rehausser la place de la préservation de l'environnement dans notre Constitution », mais il précise par ailleurs que « rehaussement ne signifie pas hiérarchie ». « Le Gouvernement n'entend pas introduire une échelle de valeurs entre les principes constitutionnels qui, demain comme hier, seront tous de valeur égale. » Il ne nous aide pas à y voir clair...

En réalité, il convient de distinguer deux formes de hiérarchie matérielle entre des normes : la priorité d'une norme sur l'autre, au sens où la seconde ne peut recevoir un commencement d'application qu'à condition que la première soit intégralement satisfaite ; la prépondérance d'une norme sur l'autre, au sens où il est donné plus de poids à la première qu'à la seconde dans leur conciliation.

En l'état du droit, il n'existe effectivement aucun ordre de priorité entre les principes de fond posés par la Constitution. En revanche, il serait aventureux d'affirmer qu'aucun de ces principes n'a plus de poids que les autres. La doctrine s'est souvent essayée à dégager une liste de droits, libertés ou autres principes de premier rang, bénéficiant d'une protection renforcée du juge constitutionnel. L'intensité du contrôle de proportionnalité opéré par le Conseil constitutionnel varie, par exemple, selon le principe auquel il est porté atteinte.

Si l'on en croit les déclarations entendues, le projet de révision aurait seulement pour objectif de « donner plus de poids » au principe de préservation de l'environnement par rapport aux autres normes constitutionnelles. Cela résulterait de son inscription à l'article 1 er de la Constitution, de l'emploi de « verbes d'action forts » et de l'adoption éventuelle de cette révision constitutionnelle par référendum. Ces différentes considérations sont tout à fait hasardeuses.

En revanche, l'usage du verbe « garantir » peut laisser à penser que les pouvoirs publics se verraient imposer non pas seulement une obligation constitutionnelle plus forte, mais une obligation prioritaire. Lors de son audition, le professeur Bertrand Mathieu s'est plus particulièrement interrogé sur l'articulation des nouvelles dispositions avec l'article 6 de la Charte de l'environnement. Selon lui, le fait que la « conciliation des objectifs environnementaux, sociaux et économiques » ne soit pas mentionnée pourrait éventuellement « conduire le juge constitutionnel à glisser d'une conciliation à une hiérarchisation ».

Nous ne pouvons pas accepter de voter un texte dont les effets juridiques sont aussi incertains. Cela reviendrait, pour le Parlement agissant en tant que Constituant, à se défausser entièrement sur le juge du soin de déterminer la portée des nouvelles dispositions.

C'est pourquoi je propose de retenir la rédaction suggérée par le Conseil d'État, qui supprime toute référence à la notion de garantie, dont le sens est ici beaucoup trop flou, et qui remplace le verbe « lutter » par le verbe « agir ». Cela ne change rien au fond, mais c'est plus sobre d'un point de vue rhétorique. La préservation des équilibres climatiques mérite mieux que des effets de manche.

Il faudrait également préciser que le principe ainsi énoncé à l'article 1 er de la Constitution s'applique dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement, afin d'éviter tout problème d'articulation entre les deux textes.

Mon amendement vise donc à rédiger ainsi l'article unique : « Elle préserve l'environnement ainsi que la diversité biologique et agit contre le dérèglement climatique, dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement de 2004 . »

M. Guillaume Chevrollier , rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable a adopté le même amendement hier. L'introduction dans la Constitution des références à la diversité biologique et au dérèglement climatique a une valeur symbolique et politique forte. Mais nous partageons l'analyse de votre rapporteur quant aux risques juridiques. La Charte de l'environnement, fondée sur la conciliation et non la hiérarchisation, est équilibrée.

M. Philippe Bas . - Je souscris totalement aux analyses, aux conclusions et à la proposition du rapporteur, qui n'a rien laissé dans l'ombre.

Que reste-t-il de ce projet de révision constitutionnelle une fois que l'on en a retiré le venin ? On peut se le demander... Néanmoins, cet amendement est un témoignage de bonne volonté. Il répond aussi à une exigence politique : marquer la préoccupation que doit exprimer le Sénat pour la protection de la planète. Et puisque le marqueur politique ultime, aujourd'hui, consiste à ajouter une nouvelle disposition aux principes fondamentaux de la Constitution, pourquoi pas.

Toutefois, je retiendrai de cet épisode une nouvelle manifestation du cynisme en politique. Tout s'est effectué au mépris du fonctionnement normal des institutions démocratiques. L'affirmation selon laquelle les membres de la prétendue Convention citoyenne, sorte de « comité de salut public 3.0 », auraient été tirés au sort est mensongère. Ils ont été sélectionnés conformément aux méthodes en vigueur dans les organismes de sondages : des catégories plus ou moins représentatives de la population ont été déterminées, et c'est seulement au sein de chacune d'elles que le hasard est intervenu. D'ailleurs, la plupart des personnes sollicitées se sont récusées. Du point de vue de la représentativité, cette instance relève d'une véritable imposture. L'autoproclamation de légitimité de ses membres est un scandale démocratique.

Le Président de la République, à l'origine de ce processus toxique pour le fonctionnement de la démocratie, avait dit que les propositions de la Convention seraient reprises sans filtre. C'est en effet le cas. Pour un chef d'État, reprendre sans filtre les propositions d'une instance illégitime et les introduire dans le texte constitutionnel est une véritable abdication. Ne pas défendre les principes fondamentaux du fonctionnement des institutions républicaines illustre une totale abolition de l'esprit critique.

Notre réunion d'aujourd'hui marque le retour au fonctionnement normal des institutions. En prévoyant que notre texte fondamental ne pourrait pas être révisé sans un vote préalable des deux assemblées, le Constituant de 1958 a fait preuve de discernement. En outre, le Sénat est une assemblée libre, indépendante, non alignée. Notre responsabilité est essentielle. Nous devons brandir haut et fort notre drapeau, celui de la défense des principes de la République.

Quelle politique écologique voulons-nous ? Une écologie dogmatique, de la décroissance, qui fait prévaloir la préservation de l'environnement sur toute autre considération, dont le développement économique et le progrès social ? Ou une politique de développement durable, défini à l'article 6 de la Charte de l'environnement comme la conciliation entre la protection de l'environnement, le développement économique et le progrès social ? Si nous voulons rompre avec cette recherche d'équilibre, prenons le texte du Gouvernement et acceptons le saut dans l'inconnu consistant à remettre les clés du pouvoir législatif en matière d'environnement au Conseil constitutionnel. C'est l'écologie radicale, l'écologie de la décroissance, qui triomphera.

Au-delà du débat juridique, alors que la question du réchauffement climatique est devenue prégnante, c'est à ce niveau-là qu'il faut situer l'enjeu.

Mme Agnès Canayer . - La jurisprudence du Conseil constitutionnel est constante depuis 1971. Les principes constitutionnels ne sont pas hiérarchisés mais doivent être conciliés.

La Constitution de 1958 repose sur un équilibre subtil : le texte est rigide dans sa révision, mais souple dans son interprétation. Il a su intégrer un certain nombre de réformes structurelles : décentralisation, construction européenne, etc. Cet équilibre subtil ne doit pas être remis en cause, même si - nous en sommes tous convaincus ici - la protection de l'environnement est un enjeu fondamental. Je me félicite de la solution retenue par le rapporteur.

On a laissé entendre que la Charte de l'environnement ne pouvait pas servir de base à des questions prioritaires de constitutionnalité (QPC). Est-ce bien le cas ?

M. Philippe Bonnecarrère . - La protection de l'environnement fait déjà partie du bloc de constitutionnalité. Nombre de constitutionnalistes s'interrogent sur l'apport que pourrait représenter la révision proposée. Elle ne serait opérationnelle qu'en cas de changement de hiérarchie des normes juridiques, mettant en cause le principe de conciliation visé à l'article 6 de la Charte de l'environnement. Ce serait extrêmement périlleux.

La rédaction proposée par le rapporteur, qui s'inscrit dans une logique de conciliation même si le mot n'est pas employé, présente plusieurs avantages.

D'abord, la société occidentale s'est construite selon une logique de progrès scientifique, social et économique. La croissance doit être durable. N'instituons pas une hiérarchie des règles juridiques qui pourrait nous conduire à un modèle de décroissance.

Ensuite, la proposition du rapporteur permet d'en rester aux droits de la personne humaine. La conception occidentale donne une définition strictement individuelle à nos droits, là où d'autres pensent que la notion de droit doit être interprétée de manière collective : il existerait des droits « subjectifs » et des droits « objectifs ». La conception française est à l'évidence une conception de droits subjectifs. Si des droits objectifs, ceux de l'environnement, devenaient supérieurs aux droits subjectifs, notamment les droits de l'homme, ce serait une modification complète de notre conception, voire un danger pour la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

M. Éric Kerrouche . - J'ai trouvé l'intervention de Philippe Bas consternante. Si certaines questions sur la représentativité de la Convention citoyenne sont légitimes, considérer que les citoyens, une fois correctement informés, ne seraient pas suffisamment intelligents pour élaborer collectivement des orientations me semble relever d'une conception pour le moins curieuse de la démocratie.

En revanche, je rejoins certaines des remarques de forme. La tactique politique du Gouvernement nous éloigne beaucoup du fond. Lors de nos auditions, je songeais à la formule de Jean Giraudoux selon laquelle le droit est « la plus puissante des écoles de l'imagination ».

Nous nous sommes focalisés sur un débat de pharisiens, en nous interrogeant sur les termes, et non sur le fond. Monsieur le rapporteur, vous avez omis de mentionner Dominique Rousseau qui, lors de son audition, avait insisté sur l'autonomie des significations entre les différents versants du droit. La portée du verbe « garantir » n'est pas la même en droit constitutionnel, en droit civil ou en droit pénal.

D'autres personnes auditionnées ont souligné l'intérêt qu'il y aurait à voter cette révision essentiellement symbolique pour placer la France parmi les pays du Nord qui affichent une nouvelle volonté en matière de lutte contre le dérèglement climatique.

En fait, ce n'est pas nous qui sommes directement concernés par ce texte. La question est simple : voulons-nous ou non laisser les Français s'exprimer ? Les priver de cette parole putative est un choix politique.

Vous avez indiqué vouloir corriger des difficultés qui viendraient du texte du Gouvernement. Mais comme vous avez repris les termes « préserver » et « agir », nous allons retomber dans les mêmes débats sémantiques.

La Charte de l'environnement est-elle suffisante ? Regardons autour de nous, écoutons les personnes que nous avons auditionnées et observons la disparition de la biodiversité. Manifestement, au-delà des protections qui existent, les textes ne sont pas assez forts. Perdre de vue la finalité serait une erreur.

Notre groupe regrette que la notion de « biens communs » ne soit pas prise en compte dans le cadre du projet de révision constitutionnelle. Cette notion correspond à une vision universaliste du développement en France et dans le monde.

Mme Éliane Assassi . - J'ai également été un peu choquée par les propos de Philippe Bas. La Convention citoyenne, quoi que l'on en pense, a tout de même produit des idées pertinentes. Ce que l'on peut regretter, c'est l'utilisation politicienne qui en a été faite par le Président de la République, suscitant d'ailleurs la colère de nombreux membres.

Selon le Gouvernement, la modification de l'article 1 er de la Constitution instaure un principe d'action positif. En réalité, ce texte n'apportera rien à l'existant. Aucune obligation de résultat ne pèsera sur les pouvoirs publics. Il s'agit donc d'une mention inutile, la Charte de l'environnement ayant déjà - cela a été rappelé - une valeur constitutionnelle. Je pourrais également évoquer la jurisprudence du Conseil constitutionnel ou les engagements internationaux de la France, sur lesquels se fonde, par exemple, le recours administratif contre l'État pour carence fautive dans ce que l'on a appelé « l'affaire du siècle ».

L'opposition entre les verbes « garantir » et « favoriser » est un faux débat. D'autres évolutions constitutionnelles ou législatives auraient pu avoir un effet réel et direct pour la protection de l'environnement et la lutte contre le changement climatique. La Charte de l'environnement pourrait être complétée par les principes de « solidarité écologique », d'« utilisation durable des ressources » et, surtout, de « non-régression ».

L'amendement du rapporteur ne me convient donc pas plus que le texte original. Face à l'urgence climatique et à la défense du climat, nous sommes loin du compte.

M. Jean-Pierre Sueur . - Si je partage les réticences du rapporteur quant au projet de révision constitutionnelle, je ne peux que constater que le texte qu'il nous propose est une aporie. Il y est indiqué qu'il faut préserver l'environnement, conformément à la Charte de l'environnement. Or celle-ci a déjà valeur constitutionnelle. Quel est l'intérêt d'inscrire dans la Constitution qu'une disposition à valeur constitutionnelle s'applique ? Je suis sceptique sur cette rédaction.

M. Thani Mohamed Soilihi . - Nous sommes, je le crois, tous d'accord sur un point : notre planète est en danger, et il faut la préserver. Si les dispositions actuelles étaient suffisantes, cela se saurait. Il faut donc aller plus loin et tenter une action forte. C'est l'objectif du présent projet de révision constitutionnelle.

Ce texte reprend une proposition de la Convention citoyenne pour le climat approuvée par une large majorité de ses membres. Le Président de la République s'était engagé à donner suite aux travaux de celle-ci, qui ont constitué la première étape. Nous sommes en train de travailler sur la deuxième. La troisième serait, le cas échéant, le référendum. Beaucoup de nos concitoyens manifestent pour avoir la parole. Il est important de la leur donner. Le processus n'est peut-être pas parfait, mais c'est une manière supplémentaire d'engager les citoyens dans une démarche démocratique.

La préservation de l'environnement deviendrait un principe constitutionnel, et non plus seulement un objectif à valeur constitutionnelle. Un principe d'action positif des pouvoirs publics en faveur de l'environnement serait instauré, et le dérèglement climatique explicitement mentionné dans la Constitution.

Si l'emploi du verbe « garantir » ne fait pas consensus, le Gouvernement a retenu une position médiane. Comme cela a été rappelé durant nos auditions, le terme figure déjà à l'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, en vertu duquel la Nation « garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs ».

Le projet de révision constitutionnelle est à nos yeux équilibré. Nous n'irons pas dans le sens suggéré par le rapporteur, malgré le brio de son analyse.

M. Guy Benarroche . - Mon sentiment est mitigé. Tout le monde prétend avoir conscience que la planète est en danger et qu'il faut la sauver, ce qui est une nouveauté. Mais quels moyens mettons-nous en oeuvre pour sauver la planète ? Nous refusons d'admettre qu'il y a des priorités et de prendre les mesures nécessaires.

Nous devrions laisser les citoyens débattre et se prononcer par référendum. Or nous allons les en empêcher, au nom d'arguments sémantiques.

Philippe Bas a raison de parler de cynisme politique. Mais le cynisme est partagé : le Président de la République a voulu faire un instrument politique de ce texte, et d'autres font de même aujourd'hui.

Il y aurait plusieurs écologies. Pour ma part, je n'en connais qu'une : celle qui permet à la fois le développement économique, le progrès social et la sauvegarde de la planète. Certains invoquent l'épouvantail de la décroissance sans préciser de quelle croissance il s'agit. Nous sommes tous pour la décroissance des émissions de gaz à effet de serre ou de l'utilisation d'énergies fossiles.

En fait, il y a une sorte de peur du changement.

Nous ne voterons pas l'amendement du rapporteur. La modification de l'article 1 er de la Constitution est une nécessité à la fois juridique et symbolique.

Lors de son audition, Bertrand Mathieu a indiqué que l'emploi du verbe « garantir » ne changeait pas la nature des protections constitutionnelles. Éric Kerrouche a rappelé les propos de Dominique Rousseau sur l'utilisation de ce verbe en droit. Et, comme l'a souligné Thani Mohamed Soilihi, le terme figure déjà dans le Préambule de 1946. Faisons confiance au juge pour arbitrer entre plusieurs principes constitutionnels.

Malgré le cynisme, malgré l'épouvantail de la décroissance, malgré la peur du changement, il est nécessaire de proposer aux citoyens français de passer à une étape supérieure. Ajouter dans la Constitution une garantie de préserver la planète et de lutter contre le dérèglement climatique y contribuera.

Mme Cécile Cukierman . - Il est indispensable de respecter l'exercice démocratique, dont l'acte de référendum. Il ne faut pas instrumentaliser les citoyens sous prétexte de leur demander leur avis. On ne peut pas se satisfaire que le Gouvernement retienne aujourd'hui certaines propositions de la Convention, organise un référendum sur l'une d'elles et balaye les autres d'un revers de main.

Il existe une urgence climatique, environnementale, comme il existe une urgence en matière d'égalité sociale. Il ne suffit pas d'écrire une chose dans la Constitution pour qu'elle devienne réalité.

L'ajout d'une phrase à l'article 1 er de la Constitution répond à une aspiration un peu populiste. Elle permet de contenter certains, et ceux qui dirigeront demain le pays pourraient s'en satisfaire pour ne pas agir plus contre le dérèglement climatique. Or il existe déjà des moyens d'agir, dont la Charte de l'environnement.

L'article 11 du Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 dispose que la Nation garantit aussi les « loisirs ». Peut-on se gargariser de garantir constitutionnellement les loisirs quand nombre de familles ont du mal à nourrir leurs enfants dès le 10 du mois ?

La manoeuvre du Président de la République et du Gouvernement, qui consiste à utiliser le référendum à des fins peu respectueuses du pacte démocratique, ne changera rien en matière d'environnement et de climat si la volonté politique n'est pas au rendez-vous.

M. Patrick Kanner . - Nous pourrions parler longuement de la différence entre droits réels et droits formels, selon la formule de Karl Marx...

Il faut ici distinguer le texte et le contexte.

Le texte, c'est un projet de révision constitutionnelle voté par l'Assemblée nationale avec beaucoup d'abstentions dans tous les groupes, signe que les interrogations de fond et de forme étaient nombreuses. Ce texte est imparfait, mais nous ne sommes pas certains que la rédaction proposée par le rapporteur soit meilleure. Nous ne participerons donc pas au vote de ce matin. Le 10 décembre dernier, notre groupe défendait une proposition de révision constitutionnelle relative à la préservation des biens communs. Seuls quatre-vingt-douze sénatrices et sénateurs, tous de la gauche de l'hémicycle, ont voté ce texte. Cela montre aussi les limites de l'engagement des uns et des autres.

Le contexte est celui d'un piège tendu par le Président de la République, qui a annoncé vouloir interroger les Français sur cette révision constitutionnelle, suggérant que, s'il n'y avait pas de référendum, ce serait à cause de l'obstruction du Sénat. Je trouve regrettable de faire de la tactique électorale sur de tels sujets.

Nous devons nous interroger sur le vote que nous émettrons en séance. Un enjeu aussi grave mérite bien mieux qu'une certaine forme de tambouille politique.

M. François-Noël Buffet , rapporteur . - Nous sommes saisis d'un texte dont nous n'avons pas pris l'initiative. Nous avons le devoir de nous positionner.

Les auditions que nous avons menées ont mis en lumière les divergences d'opinion quant à la rédaction proposée. Elles ont surtout montré à quel point l'interprétation à donner du verbe « garantir » est douteuse. La décision que nous devons prendre dans ce contexte est d'autant plus importante qu'il s'agit de modifier la Constitution. Je me refuse, pour ma part, à constitutionnaliser le doute, en cherchant à concilier le symbole et le droit ! Il faut se départir de la mode consistant à utiliser la Constitution comme un outil de communication.

Le verbe « garantir », je l'ai dit, est porteur d'insécurité juridique. Il risque notamment d'introduire une forme de hiérarchisation entre différents principes constitutionnels. Nous devons trouver une rédaction permettant de réaffirmer notre volonté de préserver l'environnement, objectif auquel nous souscrivons sous réserve du respect du principe de conciliation figurant à l'article 6 de la Charte de l'environnement.

Madame Canayer, l'article 1 er de la Charte de l'environnement, qui consacre le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, est invocable en QPC. Il en va de même de plusieurs autres dispositions de la Charte, qui constituent le corollaire de ce droit.

J'ai essayé de faire en sorte de ne pas nous engager dans une aventure juridique contraire à l'objectif d'équilibre entre préservation de l'environnement, développement économique et progrès social. L'introduction d'une référence au climat dans la Constitution est une véritable avancée.

Examen de l'article unique

Mme Catherine Di Folco , présidente . - Je rappelle que, dans le cadre de l'examen d'un projet de loi constitutionnelle, la commission saisie au fond n'établit pas le texte. C'est donc le texte du Gouvernement qui sera examiné en séance, même si nous adoptons l'amendement.

M. Jean-Pierre Sueur . - Le groupe socialiste, écologiste et républicain ne prendra pas part au vote.

L'amendement LOIS.1 est adopté .

COMPTE RENDU DES AUDITIONS
DE LA COMMISSION

Audition de M. Bertrand Mathieu,
professeur à l'école de droit de la Sorbonne-Université Paris 1

(Mercredi 24 mars 2021)

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Nous accueillons aujourd'hui en visioconférence M. Bertrand Mathieu, professeur à l'École de droit de la Sorbonne à l'Université Paris-I, directeur du Centre de recherche de droit constitutionnel et président émérite de l'Association française de droit constitutionnel.

Notre audition porte sur le projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement, qui a été adopté par l'Assemblée nationale et sera examiné en séance publique par le Sénat dans le courant du mois de mai. Je salue la présence, outre les membres de la commission des lois, de Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable sur ce texte.

M. Bertrand Mathieu, professeur à l'École de droit de la Sorbonne-Université Paris 1 . - Monsieur le président, c'est un honneur pour moi d'être entendu par votre commission afin de transmettre des éléments d'appréciation sur ce texte. Pour ce faire, je reprendrai le canevas des questions qui m'ont été adressées.

La première portait sur le droit en vigueur, tel qu'il résulte de la jurisprudence constitutionnelle.

Le Conseil constitutionnel a reconnu pleine valeur constitutionnelle à la Charte de l'environnement, même si les droits et principes qu'elle reconnaît ne créent pas d'« effet cliquet » : il est toujours loisible au législateur de modifier, dans le cadre de sa compétence, des textes antérieurs ou de les abroger, à la condition de ne pas priver de garanties les exigences constitutionnelles. Les dispositions de la Charte de l'environnement constituant pour l'essentiel des objectifs de valeur constitutionnelle, elles peuvent justifier la limitation d'autres droits ; il appartient au juge constitutionnel ou administratif de vérifier que les autorités normatives poursuivent effectivement ces objectifs.

Le respect de l'obligation de promouvoir un développement durable s'apprécie au regard de la conciliation opérée entre les objectifs environnementaux, économiques et sociaux. L'environnement est un patrimoine commun qui confère au législateur la faculté, voire le devoir, de promouvoir la protection de celui-ci sur l'ensemble de la planète - c'est une innovation dans la jurisprudence constitutionnelle. Certaines dispositions de la Charte peuvent être invoquées à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité (QPC), notamment l'article 1 er Chacun a le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé »), l'article 2 (« Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement »), l'article 3 (« Toute personne doit, dans les conditions définies par la loi, prévenir les atteintes qu'elle est susceptible de porter à l'environnement ou, à défaut, en limiter les conséquences », l'article 4 (« Toute personne doit contribuer à la réparation des dommages qu'elle cause à l'environnement [...] ») ou encore l'article 7 (« Toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d'accéder aux informations relatives à l'environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement »).

Le Conseil constitutionnel et le Conseil d'État ont très largement développé les potentialités de la Charte. Ce n'est pas un document seulement programmatique ou symbolique ; comme toute norme constitutionnelle, elle produit des effets.

La question se pose de savoir ce qu'apportera l'inscription de la préservation de l'environnement, de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique à l'article 1 er de la Constitution.

Le problème peut être appréhendé de deux manières. On peut considérer que cette inscription est essentiellement symbolique et destinée à montrer le poids accordé aux questions environnementales au sens large du terme. Cependant, ce point de vue ne peut être retenu, car il faudra nécessairement articuler cette disposition avec les autres normes constitutionnelles relatives à l'environnement. Cette cohérence est essentielle, et j'y reviendrai.

J'en viens à la portée du terme « garantit ». On retrouve cette expression à plusieurs reprises dans la Constitution : aux articles 12 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, au troisième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 qui garantit à la femme des droits égaux à ceux de l'homme, ou encore aux onzième et treizième alinéas de ce même préambule. Ce terme emporte des effets assez variables selon le principe auquel il se rattache. Il peut renvoyer à un droit ou à un simple objectif comme le droit à la santé. Donc, théoriquement, le choix du terme « garantit » ne change pas la nature de la protection constitutionnelle, avec deux bémols : en premier lieu, l'inscription du principe de préservation de l'environnement à l'article 1 er de la Constitution le place au même niveau que les droits subjectifs que sont l'égalité devant la loi et le droit au respect des croyances ; en second lieu, la conciliation des objectifs environnementaux, sociaux et économiques n'est pas mentionnée, ce qui pourrait éventuellement conduire le juge constitutionnel à glisser d'une conciliation à une hiérarchisation. C'est dire l'importance des travaux préparatoires pour guider l'interprétation du juge.

Le risque est que cette nouvelle disposition introduise un certain désordre dans notre système normatif, au regard tant de sa conciliation avec d'autres dispositions constitutionnelles que de l'emploi du terme « garantit », qui peut renvoyer aussi bien à un objectif constitutionnel qu'à un droit subjectif. Son ajout à l'article 1 er serait en outre redondant avec la référence à la Charte dans le préambule de la Constitution.

Le verbe « garantit », au sens propre, est inapproprié : comment la France pourrait-elle à elle seule garantir la préservation de l'environnement et de la diversité biologique ? Tout au plus peut-elle s'engager à oeuvrer en ce sens. À cet égard, la référence dans le rapport fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale à une « quasi-obligation de résultat » paraît excessivement contraignante, imprécise et irréaliste. Il faut plutôt entendre ce terme comme faisant peser sur les pouvoirs publics une obligation d'agir dans un sens déterminé et avec des moyens considérés comme efficaces. Ce terme est donc particulièrement ambigu. Il reviendrait in fine au juge constitutionnel d'en déterminer la portée. Certes, le constituant emploie souvent des formules très larges ; mais il se défausserait ici complètement sur le juge.

La fin de la phrase se contente d'énoncer que la France « lutte contre le dérèglement climatique » : on imagine mal que la France puisse « garantir » l'absence de dérèglement climatique, alors que, dans une conception extensive, elle peut protéger sur le territoire l'environnement et la biodiversité. Toutefois, malgré la différence des termes employés, les obligations qu'ils sous-tendent ne sont pas fondamentalement différentes.

Faire une distinction entre la « préservation de l'environnement », celle de la « diversité biologique » et la « lutte contre le dérèglement climatique » a-t-il un sens ? La référence au climat est nouvelle, alors que la Charte mentionne déjà la diversité biologique. Il ne me revient pas d'établir la différence entre la biodiversité et la diversité biologique, mais il n'est jamais très sain qu'un texte constitutionnel emploie deux termes différents.

Surtout, il me semble que la référence à la diversité biologique et au dérèglement climatique recèle une évolution conceptuelle, car ceux-ci ne relèvent pas directement des droits de l'homme. Cette ambiguïté était déjà apparue lors de l'élaboration de la Charte de l'environnement : s'agissait-il de protéger l'environnement de l'homme, sa santé, ses droits, ou s'agissait-il d'une autre protection, indépendante de celles droits de l'homme ? La Charte vise clairement la protection de l'environnement de l'homme dans son propre intérêt. Une évolution s'est produite avec l'ouverture du champ de la protection à une conception plus vaste, qui peut conduire à relativiser les droits de l'homme et à exiger leur conciliation avec la protection de la biodiversité - cela s'imposera pour l'habitat humain et la préservation de la faune et de la flore.

L'effet premier de ce texte, en ce qui concerne le contrôle de constitutionnalité des lois et de légalité des actes administratifs, est de confier au juge la détermination de la portée des mots « garantit » et « lutte ». Or on sait que le juge constitutionnel fait produire effet à toutes les dispositions contenues dans les textes normatifs. En réalité, ce texte opère un transfert de compétence au juge. Ce renforcement, souvent critiqué, du pouvoir normatif du juge est parfois l'oeuvre du législateur lui-même, et c'est en quelque sorte le cas ici. Ce pouvoir du juge sera d'ailleurs renforcé par la nécessaire recherche de compatibilité entre le nouvel article 1 er de la Constitution et l'article 6 de la Charte, qui impose une prise en considération égale de la protection de l'environnement, du développement économique et du progrès social. Ici encore, le texte manque de cohérence, de clarté et constitue une source d'insécurité juridique.

Ce nouveau principe pourra-t-il être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité ? A priori non, car il ne s'agit pas d'un droit ou d'une liberté dont un requérant pourrait se prévaloir, mais des associations s'y essaieront sans doute. La réponse est encore entre les mains du juge ; si elle était affirmative, toute la législation antérieure pourrait voir sa constitutionnalité réexaminée en raison du changement de circonstances.

Autre question très importante : l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics devant les juridictions françaises. L'utilisation du terme « garantit » implique pour le moins, à défaut d'une obligation de résultat, une obligation d'agir. Les pouvoirs publics pourraient voir leur responsabilité engagée pour ne pas avoir employé les moyens nécessaires à cette fin. Cette responsabilité aurait une portée plus large que celle qui résulterait du non-respect du principe de précaution. L'obligation de garantie dont serait assortie l'action des pouvoirs publics pourrait incontestablement faciliter l'engagement de leur responsabilité devant le juge administratif pour des actes administratifs, mais aussi législatifs, compte tenu de la jurisprudence récente du Conseil d'État sur l'engagement de la responsabilité sans faute de l'État du fait de lois inconstitutionnelles. Même sans aucune atteinte à la santé ou à l'environnement d'une personne, il suffirait d'une absence de lutte assortie de moyens efficaces contre la dégradation de l'environnement, de la biodiversité ou du climat. Le champ de la responsabilité est donc potentiellement extrêmement large. Par ailleurs, si l'on retenait une « quasi-obligation de résultat », on assisterait à un renversement de la charge de la preuve au détriment des pouvoirs publics.

Je ne m'étendrai pas sur l'incidence de cette révision sur les obligations et l'engagement de la responsabilité de la France dans l'ordre international, notant seulement que le Conseil constitutionnel a compétence pour examiner la constitutionnalité des conventions internationales que la France entend ratifier.

Certaines dispositions de la Charte de l'environnement demandent-elles à être précisées ? En vertu de simples considérations de légistique, il aurait peut-être été préférable de modifier la Charte de l'environnement, alors que les droits et les devoirs qu'elle reconnaît sont déjà au même niveau que les droits de l'homme et le principe de souveraineté, selon le triptyque sur lequel repose notre système constitutionnel. Il aurait été tout à fait possible d'y introduire le terme « garantit » et d'élargir le champ de la protection à la biodiversité et au climat, à la seule condition d'une volonté politique du constituant, qui aurait aussi dû veiller à la cohérence interne du texte.

Une autre solution en vue d'assurer la cohérence de l'ensemble des textes et de rester dans l'épure du projet de loi constitutionnelle aurait été de procéder par renvoi, en rédigeant ainsi l'article unique : la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique dans les conditions prévues par la Charte de l'environnement ». Cela, quitte à amender la Charte si nécessaire.

Le principe de précaution, quant à lui, doit être conçu comme un principe d'action et non pas d'abstention. Il impose aux pouvoirs publics une obligation d'information et celle d'agir en prenant en compte les études conduites et en apportant une réponse proportionnée face à un risque potentiel - ce qui diffère de la prévention d'un risque avéré. La jurisprudence du Conseil constitutionnel et celle du Conseil d'État sont pour l'essentiel convergentes, celui-ci se bornant en particulier à vérifier si les mesures prises ne sont pas manifestement insuffisantes. C'est d'ailleurs le sens de l'article 5 de la Charte de l'environnement.

L'effet pervers du principe de précaution est lié non pas au contrôle de l'activité normative des pouvoirs publics, mais à la mise en jeu de la responsabilité de l'administration, voire de la responsabilité pénale des décideurs. La dérive est prévisible, qui consiste à considérer que la réalisation du dommage suffit à caractériser a posteriori une violation du principe de précaution. Ce principe peut donc inciter à l'abstention, en un temps où l'on assiste à un développement exponentiel de la responsabilité pénale des décideurs publics - je me contenterai de mentionner les informations judiciaires ouvertes au sujet de la conduite de la politique sanitaire du Gouvernement. Une réflexion autour de l'articulation entre le principe de précaution et l'engagement de la responsabilité des décideurs serait souhaitable et pourrait conduire à l'élaboration d'un texte législatif.

Vous m'interrogiez enfin sur une éventuelle consécration du principe de non-régression en matière environnementale. Ce principe figure déjà, sous une forme édulcorée, dans le code de l'environnement. Dans sa décision n° 2020-809 DC, le Conseil constitutionnel a refusé de reconnaître une valeur constitutionnelle à ce principe. Non seulement cette décision est parfaitement justifiée, mais il me paraîtrait très dangereux d'introduire une telle disposition dans la Constitution. Ce que l'on a appelé à tort le « cliquet anti-retour » est inapplicable en matière de droits fondamentaux. En effet, le plus souvent, les droits doivent être conciliés ; mais le renforcement de la protection d'un principe affaiblit la protection de l'autre. Il appartient au législateur d'établir un équilibre et au juge d'apprécier si celui-ci n'est pas manifestement déséquilibré. Établir un principe de non-régression conduirait, d'une part, à faire prévaloir la protection de l'environnement sur toute autre considération, sur tout autre droit ou toute autre liberté, et, d'autre part, à la paralysie des pouvoirs publics qui, en cas d'urgence, peuvent être amenés à prendre des mesures portant atteinte temporairement à l'environnement. Le pouvoir du juge serait encore une fois considérablement renforcé, car il devrait apprécier la situation au cas par cas.

Mes réponses peuvent vous paraître quelque peu caricaturales, mais je me devais, dans le délai qui m'était imparti, de pointer tous les problèmes importants.

M. Arnaud de Belenet . - Vous avez évoqué la décision rendue par le Conseil constitutionnel à la fin de l'année dernière, dans laquelle le juge dit explicitement ne pas reconnaître le principe de non-régression. Il m'a semblé que le Conseil constitutionnel fixait également, dans cette même décision, les conditions dans lesquelles ce principe ne s'appliquait pas. Il y a un paradoxe entre, d'un côté, affirmer ne pas reconnaître un principe et, de l'autre, fixer les conditions dans lesquelles il ne s'applique pas. Peut-on y voir une évolution et un nouveau « verdissement » du juge constitutionnel ?

M. Alain Marc . - Nous sommes la chambre des territoires. Je suis, par exemple, président de la commission des routes du conseil départemental de l'Aveyron. Lorsque nous souhaitons créer une voie supplémentaire, nous devons tenir compte de contraintes déjà très strictes, notamment celles fixées par la direction régionale de l'environnement, de l'aménagement et du logement (Dreal).

La manière dont sera rédigé ce projet de loi constitutionnelle aura un impact sur les décisions des collectivités. Et l'hypothèse d'une mise en cause pénale des décideurs pourrait paralyser l'action publique. Il nous faudra être vigilants sur ce point dans un moment où, après la période de la covid, il sera nécessaire de relancer l'activité et d'entreprendre des projets.

M. Stéphane Le Rudulier . - En 2002, la commission Coppens avait envisagé trois manières d'intégrer la protection de l'environnement dans la Constitution et rejeté l'idée d'une déclaration de principe dont le contenu serait précisé par une loi organique. Elle a estimé qu'une charte annexée à la Constitution était la forme idoine. Pouvez-vous nous le confirmer ?

M. Alain Richard . - Dans le projet de loi Climat et résilience, une disposition concernant l'artificialisation des sols va considérablement freiner certaines politiques publiques et notamment contraindre les communes dans l'élaboration de leurs plans locaux d'urbanisme. Cette disposition consiste à diviser par deux le rythme d'artificialisation constaté sur une période antérieure. La disposition ne fait que limiter la consommation de sol naturel, sans l'interdire. Avec ce projet de révision constitutionnelle, ne risque-t-on pas, au titre de la garantie de la biodiversité, de devoir réduire ce chiffre directement à zéro ?

M. Guillaume Chevrollier , rapporteur pour avis . - Dans les différents projets de révision constitutionnelle, un glissement sémantique s'est opéré. On a d'abord pu lire « agir pour », puis « favoriser » et maintenant « garantir » la préservation de l'environnement. Pouvez-vous analyser ce glissement ?

Autre question : à quelle époque fait-on précisément référence lorsque nous parlons de revenir à un état naturel - le mot de « renaturation » est aujourd'hui employé ? En effet, une telle expression peut être source de beaucoup d'interprétations et de contentieux.

M. Bertrand Mathieu . - Concernant le principe de non-régression, la jurisprudence du Conseil constitutionnel est très classique : on ne peut pas considérer qu'un droit ne peut jamais être remis en cause. En revanche, l'évolution législative ne doit pas priver de garanties légales les principes qui figurent dans la charte de l'environnement. Il ne s'agit pas d'un principe de non-régression, mais d'un principe qui empêche le retrait de toute protection. Descendre en dessous d'un certain seuil conduirait à priver de garanties légales des exigences constitutionnelles.

La question fondamentale, à mes yeux, est la suivante : souhaite-t-on rompre avec la formule de l'article 6 de la Charte de l'environnement, selon laquelle le développement durable comprend la protection de l'environnement, le développement économique et le progrès social ? Si l'on reste dans l'épure de cet article 6, la jurisprudence sera classique, il s'agira de vérifier que le législateur et l'autorité administrative auront bien équilibré ces trois éléments. Si l'on raisonne autrement et que l'on considère, comme le ministre de la justice, que l'on est tenu à une obligation de résultat, la situation sera tout à fait différente.

J'ignore quelle réponse sera apportée. En revanche, je suis certain du nombre considérable de contentieux que les nouvelles dispositions constitutionnelles entraîneraient. Sur cette base, en effet, la création d'un rond-point ou l'artificialisation des sols pourront faire l'objet d'un contentieux. Ce manque de cohérence entre, d'une part, la formule qui serait ajoutée à la Constitution et, d'autre part, celle de l'article 6 de la Charte de l'environnement est, si je puis dire, un nid à contentieux.

Prenons l'exemple de l'artificialisation des sols. La question de la biodiversité doit-elle l'emporter sur le développement de l'habitat ? Le souci est-il de créer un équilibre entre les deux ou de faire prévaloir l'un sur l'autre ? Cette question, si elle n'est pas traitée, sera renvoyée au juge administratif et posera des problèmes.

La place de la protection de l'environnement est éminente dans la Constitution : outre la Charte de l'environnement elle-même, le préambule énonce que le peuple français proclame solennellement son attachement aux droits et devoirs définis dans la Charte. L'article 1 er prolonge le préambule, et la récurrence de la référence à l'environnement n'est pas indispensable.

Mon analyse sur le glissement sémantique souligné par M. le rapporteur pour avis est la suivante : dans « agir pour », on entend l'obligation d'action ; avec « favoriser », se pose le problème de l'équilibre, mais une obligation ne prévaut pas nécessairement sur les autres ; quant au terme « garantir », tout dépend si l'on y entend une obligation de résultat... Encore une fois, instituer une obligation de garantie me semble non seulement dangereux, mais irréaliste. Je ne vois pas comment seuls le législateur ou le gouvernement français pourraient à eux seuls préserver la biodiversité. En employant la formule « participer à la garantie de », le résultat aurait été aussi satisfaisant sur le plan des principes et plus réaliste.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Nous arrivons au terme de cette audition. Merci pour la clarté de vos propos.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de M. Dominique Rousseau,
professeur émérite de droit public
à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne

(Mercredi 24 mars 2021)

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Nous accueillons Dominique Rousseau, professeur émérite de droit public à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, directeur de l'Institut des sciences juridique et philosophique de la Sorbonne (ISJPS), président du conseil scientifique de l'Association française de droit constitutionnel (AFDC), membre de l'Institut universitaire de France (IUF) depuis 1998, membre du comité scientifique de la Revue du droit public , rédacteur à la revue interdisciplinaire Le Temps des savoirs . La commission des lois, monsieur le professeur, souhaite vous entendre sur le projet de loi constitutionnelle en cours d'examen.

M. Dominique Rousseau, professeur émérite de droit public à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne . - Je vous remercie de m'avoir convié à cette audition. C'est toujours un honneur pour un universitaire de partager ses réflexions avec les élus de la Nation.

Pour ne pas faire durer le suspense, d'un point de vue juridique, cette révision constitutionnelle est inutile. Quelle que soit la formulation choisie, l'inscription à l'article 1 er de la Constitution de la protection de l'environnement, du respect de la biodiversité et de la lutte contre le réchauffement climatique est juridiquement inutile. Ces principes, en effet, ont déjà une valeur constitutionnelle, supérieure à la loi, qui oblige le législateur, le Gouvernement et les autorités publiques à les respecter. Ces principes sont inscrits dans la Charte de l'environnement, qui elle-même se trouve adossée à la Constitution, de la même manière que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et que le préambule de 1946. Les principes inscrits dans la Charte ont donc la même valeur que les articles de la Constitution.

Faut-il y ajouter expressément la lutte contre le réchauffement climatique ? Cette charte a été pensée et rédigée après la fameuse déclaration du président Chirac : « Notre maison brûle et nous regardons ailleurs. » Elle a donc été précisément élaborée dans le but de lutter contre le réchauffement climatique.

Tout est déjà là sur le plan juridique. La révision de 2008, engagée par le président Sarkozy, ajoute à l'article 34 de la Constitution un alinéa en vertu duquel il appartient au législateur de déterminer les principes fondamentaux de la préservation de l'environnement, dans le cadre constitutionnel défini par la Charte de l'environnement. Il ne servirait à rien d'inscrire ces principes dans le corps même de la Constitution, les juges se fondant déjà sur la Charte pour apprécier le contenu des politiques publiques ou des lois adoptées par le législateur. Trois décisions rendues récemment par le Conseil constitutionnel le prouvent : celles du 31 janvier 2020, du 10 décembre 2020 et du 19 mars 2021.

La décision du 31 janvier 2020 fait suite à un vote du Parlement interdisant la production, l'importation et la commercialisation de produits phytopharmaceutiques. Les entreprises concernées ayant introduit un recours devant le Conseil constitutionnel au motif que cette loi portait atteinte à la liberté d'entreprendre, celui-ci a répondu que la loi, en effet, portait atteinte à la liberté d'entreprendre, mais que cette atteinte se justifiait par un objectif de de valeur constitutionnelle inscrit dans la Charte de l'environnement, à savoir la protection de l'environnement et la préservation de la biodiversité.

Ce travail d'arbitrage entre différents droits inscrits dans la Constitution est celui du juge. Son rôle est de vérifier que la conciliation est bien raisonnable, proportionnée, adéquate.

La décision du 10 décembre 2020 portait sur le point de savoir si l'autorisation dérogatoire de pesticides était contraire au principe de la protection de l'environnement. Le Conseil constitutionnel a indiqué que l'usage de pesticides portait atteinte à la biodiversité et qu'il y avait bien un risque pour les insectes et la qualité de l'eau. Mais, au regard des garanties figurant dans la loi, il a jugé cette atteinte limitée et non contraire à la Constitution. Sans ces garanties, le Conseil constitutionnel aurait peut-être censuré la disposition. Cela montre que le législateur a intégré en amont l'exigence constitutionnelle.

La décision du 19 mars 2021 est très intéressante. Elle concerne des chartes élaborées au niveau départemental afin de fixer une limite à l'épandage de pesticides ; approuvées par le préfet, celles-ci constituent des décisions publiques. Le Conseil constitutionnel a donc considéré que ces chartes devaient être élaborées non par les seuls représentants des habitants de la zone concernée, mais, conformément à la Charte de l'environnement, par toute personne désirant participer à leur élaboration.

La Charte de l'environnement constitue déjà un cadre, au niveau national comme départemental, pour la détermination de toutes les politiques publiques .

Le texte même de la Constitution et la jurisprudence me conduisent à considérer que la modification envisagée de l'article 1 er ne changerait rien à l'état du droit. Cela ne gênerait pas davantage le législateur et ne donnerait pas au Conseil constitutionnel un instrument supplémentaire pour contrôler les pouvoirs publics.

Le Conseil constitutionnel ne contrôle pas les lois au regard des conventions internationales, mais la justice civile et administrative le fait, on l'a encore vu récemment avec « l'affaire du siècle », où le juge administratif a condamné l'État au motif qu'il n'avait pas pris les mesures propres à ce que la France respecte la trajectoire de l'accord de Paris. Les conventions internationales sont donc déjà utilisées, à leur place dans la hiérarchie des normes, ici pour juger l'inaction publique de l'État.

Vous m'avez aussi interrogé sur le vocabulaire, c'est-à-dire sur la différence de portée d'une obligation selon qu'on écrit que l'État « favorise », « garantit », « agit », ou encore « lutte » pour la préservation de l'environnement et de la biodiversité. Je suis réservé sur l'importance normative que l'on prête à chacun de ces verbes. Le dictionnaire en fait des synonymes, chacun faisant écho et renvoyant à l'autre ; en droit, favoriser, c'est protéger, de même que garantir, sans qu'on puisse en déduire une différence d'impact normatif.

Ce débat avait déjà eu lieu lors de la révision constitutionnelle du 8 juillet 1999, relative à l'égalité entre les femmes et les hommes ; un accord avait été trouvé pour employer le verbe « favoriser », avec cet ajout à l'article 1 er de la Constitution : « La loi favorise l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives . » Cependant, le préambule de la Constitution de 1946 dispose déjà que « La loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme ». Le rapprochement des deux textes montre que le Conseil constitutionnel n'établit pas de différence normative entre les verbes « favoriser » et « garantir » : il ne considère pas que le premier soit moins contraignant que le second.

Avec la Charte de l'environnement, on pourrait penser que la contrainte est encore plus forte puisque le texte pose l'objectif « l'amélioration » de l'environnement : améliorer, cela peut sembler encore plus contraignant qu'agir ou que garantir, mais dans ses décisions, le Conseil constitutionnel considère cette notion comme synonyme de celle de protection. C'est pourquoi je crois qu'il ne faut pas accorder une valeur juridique plus contraignante à l'un ou à l'autre de ces termes - sans ignorer que ce n'est pas la même chose sur le plan politique.

Vous m'avez interrogé sur le principe de non-régression, que certains appellent « effet cliquet », selon lequel le législateur ne pourrait pas revenir en arrière sur l'état du droit.

Dans sa décision du 10 décembre 2020, saisi de ce motif, le Conseil constitutionnel rappelle que, « s'il est loisible au législateur [...] de modifier des textes antérieurs ou d'abroger ceux-ci en leur substituant, le cas échéant, d'autres dispositions, il [...] ne saurait priver de garanties légales le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé consacré par l'article 1 er de la Charte de l'environnement ». Plusieurs politiques publiques sont possibles, au législateur de choisir, mais sans que la voie choisie ne prive le droit énoncé de garanties légales, en l'occurrence le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Le terme « non-régression » ne figure pas dans la Charte, mais la chose y est - et s'il est loisible au législateur de modifier les politiques publiques, c'est dans le respect des garanties apportées au principe énoncé par la Charte.

Je crois donc que, juridiquement, cette révision constitutionnelle est inutile. La proposition n'en vient du reste pas de la Convention pour le climat, mais du Président de la République, qui l'avait inscrite dans son projet de révision constitutionnelle en 2018. J'avais dit à l'époque que je trouvais cette révision inutile, je n'ai pas changé d'avis.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Si je vous comprends bien, les termes n'ont pas en droit constitutionnel le même sens qu'en droit civil, où « garantir » implique une obligation de résultat, et non pas seulement une obligation de moyens ?

M. Dominique Rousseau. - Effectivement, on parle d'autonomie des significations par discipline juridique, le Conseil constitutionnel prend d'ailleurs souvent le soin de préciser qu'il emploie des termes « au sens de » telle disposition constitutionnelle - et la responsabilité n'a pas le même sens en droit constitutionnel, la distinction entre obligations de moyens et de résultat n'y a pas cours.

Dans sa décision du 31 janvier 2020, le Conseil constitutionnel a-t-il « favorisé » ou « garanti » la préservation de l'environnement par rapport à la liberté d'entreprendre ? En réalité, le Conseil constitutionnel considère qu'aucun droit n'est absolu, mais que chacun doit être concilié avec les autres droits de même niveau dans la hiérarchie des normes, ce qui emporte qu'il ne peut y avoir d'obligation de résultat pour un droit considéré isolément. Le doyen Vedel prenait cet exemple du droit que le préambule de 1946 reconnaît à chacun d'avoir un emploi - « Chacun a le devoir de travailler et le droit d'obtenir un emploi » - qui fonde l'obligation pour le législateur de garantir le droit du travail, mais pas une obligation à ce que chacun ait effectivement un emploi.

M. Guillaume Chevrollier , rapporteur pour avis . - Quand bien même la révision constitutionnelle serait inutile sur le plan juridique, comme vous le dites, elle aurait cependant des conséquences négatives sur le cours des choses en juridiciarisant plus encore les relations sociales et en entravant l'activité.

La Charte de l'environnement date de 2004, mais les décisions que vous citez n'ont pas deux ans : est-ce à dire que, pendant plus de quinze ans, cette Charte n'a pas été une source de droit pour le Conseil constitutionnel ? L'idée de réviser la Constitution pour y introduire la protection de l'environnement, elle, a pris corps en 2018 : est-ce parce que le recours à la Charte était trop limité ?

M. Philippe Bas . - J'ai beaucoup apprécié cette intervention, votre propos est toujours stimulant, mais je crois que le débat doit se poursuivre sur la question de la portée juridique de cette révision constitutionnelle. Car si elle devait aboutir, le Conseil constitutionnel en chercherait l'effet utile, en postulant que le peuple français ne se s'est pas dérangé pour rien.

Or, s'il est vrai qu'aucun droit n'est absolu, mais qu'il y a des droits à concilier - c'est ce que fait le législateur, sous le contrôle du Conseil constitutionnel - il me semble que, dans sa rédaction actuelle, le texte du projet de loi constitutionnelle est composé de deux parties qui peuvent avoir des effets bien différents sur notre droit.

Une partie me semble ne poser aucun problème pour la conciliation des droits : lorsqu'on écrit que la France « lutte contre le dérèglement climatique », on n'oblige à aucun résultat - et si nous luttons comme le faisait la chèvre de M. Seguin, qui s'en trouve dévorée à la fin par le loup, nous aurons fait notre devoir contre le dérèglement climatique tout en échouant et sans que le Conseil constitutionnel puisse y trouver rien à redire. Reste que nous inscririons utilement dans la Constitution un objectif de valeur constitutionnelle qui ne figure pas expressément dans la Charte de l'environnement - cela peut avoir son importance si un dirigeant climatosceptique à la manière de Jair Bolsonaro venait à diriger notre pays.

En revanche, lorsqu'on écrit que la France « garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique », la conciliation des droits est placée dans un cadre bien différent. Je ne suis pas convaincu par votre recours à l'exemple de l'égalité des droits entre les hommes et les femmes, car s'il a fallu alors inscrire dans la Constitution ce principe d'égal accès aux mandats et aux responsabilités, c'est pour donner une base constitutionnelle qui justifie des mesures favorables aux femmes, lesquelles viennent corriger une situation de fait, elle-même due à l'état de la société - car le principe d'égalité inscrit dans le préambule de la Constitution interdisait jusque-là de telles mesures. Je crois qu'il y a une différence entre « favoriser » et « garantir ».

Quand, à son article 2, la Charte de l'environnement dispose que « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement » - ce qui inclut le législateur, comme le Conseil constitutionnel l'a jugé - elle n'oblige pas à grand-chose, car on peut prendre part sans obligation de réussir. Lorsqu'à l'article 6, il est écrit que « les politiques publiques doivent promouvoir un développement durable » et qu'« à cet effet, elles concilient la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social », le texte s'inscrit dans la même logique intellectuelle que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, qui ne proclame aucun droit sans poser aussitôt les limites de ce droit, à savoir d'autres droit ou l'ordre public. Cet article 6 reste donc dans un monde connu. En revanche, si la France s'engageait à « garantir » la préservation de l'environnement et de la biodiversité, on ne pourrait plus guère en tolérer la moindre atteinte à ces derniers, on en ferait un impératif absolu, qui primerait nécessairement les autres droits. J'aimerais être démenti, mais c'est bien ce que cette partie de la révision constitutionnelle me paraît sous-tendre.

M. Dominique Rousseau. - La question est de savoir si les verbes utilisés, entre « garantir » et « favoriser » par exemple, ont une intensité normative différente : je ne le crois pas, parce qu'en réalité, ce qui compte, c'est la conciliation entre les droits. La Charte de l'environnement utilise des verbes apparemment plus contraignants encore que « garantir » ou « favoriser », par exemple le devoir de prendre part à « l'amélioration » de l'environnement, mais cela n'a rien changé au fait que le Conseil constitutionnel contrôle la conciliation opérée entre les divers droits.

Le Conseil constitutionnel a conféré une valeur constitutionnelle à la Charte de l'environnement dès 2006. On débattait jusque-là pour savoir si elle n'était qu'un guide pour l'action publique, sans valeur contraignante. Le Conseil a répondu qu'elle avait valeur de norme contraignante, qui oblige les pouvoirs publics. Le nombre de décisions tient à celui des saisines ; ce n'est qu'à partir de 2010 qu'est venue la question préalable de constitutionnalité, qui a conduit à un recours plus fréquent à la Charte.

Les verbes utilisés dans la Charte ont une intensité plus forte que « garantir » et « favoriser », mais cela n'a pas empêché le Conseil constitutionnel, dans sa décision du 10 décembre 2020, d'accepter qu'on réintroduise les pesticides, car le législateur assortissait cette faculté de garanties : le juge a concilié plusieurs droits. Sa décision aurait-elle été différente si la Charte avait disposé que les politiques publiques « garantissaient » un développement durable ? Je ne le crois pas et je pense également que le Conseil aurait pu s'appuyer sur les verbes « promouvoir » et « améliorer » pour censurer cette réintroduction des pesticides même dérogatoire, puisqu'elle ne saurait « améliorer » la préservation de l'environnement et de la biodiversité.

Je comprends le débat politique sur les verbes, mais je pense qu'ils n'ont pas en eux-mêmes une force qui les fasse échapper au contexte dans lequel le juge les interprète. Aujourd'hui, ce qui importe au Conseil constitutionnel, c'est que les politiques publiques protègent la biodiversité et l'environnement en conciliant cette protection avec les autres droits. Je ne pense donc pas que, sur le plan juridique, il y ait une différence importante entre les verbes « favoriser » et « garantir ».

Des verbes différents sont d'ailleurs utilisés dans la Déclaration des droits de l'homme de 1789, mais le Conseil constitutionnel les met sur le même plan, comme autant de droits à concilier les uns avec les autres. Voyez par exemple la conciliation entre le droit de grève et la continuité des services publics. Le droit de grève est-il garanti, ou bien promu ? Il est reconnu par la Constitution, et le Conseil constitutionnel le protège en le conciliant avec les autres droits. Certains de mes collègues considèrent que l'article 1 er de la Constitution ne regroupe que des « neutrons législatifs », selon la formule de Pierre Mazeaud ; je considère pour ma part que tous les droits énoncés dans la Constitution ont une portée normative, qui s'imposent de ce fait et doivent être conciliés.

Je n'accorde donc pas l'importance juridique que vous accordez à la différence entre les verbes que vous citez. Cette révision me paraît inutile ; ne modifions pas la Constitution pour faire plaisir. Pense-t-on que le Conseil constitutionnel recherchera l'effet utile et qu'il en sera plus attentif au climat, à l'environnement, à la biodiversité ? Il l'est déjà, il vient de nous le rappeler en jugeant que les chartes d'engagement devaient être rédigées non pas seulement avec les représentants des habitants, mais avec toute personne qui le demanderait - je ne suis pas certain qu'en rédigeant l'article 7 de la Charte de l'environnement le Constituant ait eu à l'esprit d'instituer une nouvelle forme de démocratie directe...

Enfin, peut-être le Conseil constitutionnel fait-il un recours plus marqué à la Charte de l'environnement pour montrer que la révision constitutionnelle n'est pas nécessaire ; c'est une hypothèse qui porte sur ses intentions, je préfère me régler sur ses décisions et je ne vois pas ce que cette révision apporterait au droit positif. Mais je suis persuadé ne pas avoir convaincu le président Philippe Bas...

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - L'objectif premier était d'éclairer les travaux de la commission. Nous vous remercions de votre participation.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Jessica Makowiak,
professeur des universités, université de Limoges,
directrice du Centre de recherches interdisciplinaires en droit
de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme (CRIDEAU)

(Mercredi 24 mars 2021)

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Dans le cadre de l'examen du projet de révision constitutionnelle, nous recevons à présent Mme Jessica Makowiak, professeur à l'université de Limoges, directrice du Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme (Crideau) et responsable du master « droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme ».

Mme Jessica Makowiak, professeur à l'Université de Limoges . - Merci de votre invitation. La parole que je vous livre n'est pas celle du centre de recherche auquel j'appartiens, mais un point de vue personnel qui n'est pas partagé par certains de mes collègues universitaires. Merci de m'avoir envoyé un questionnaire détaillé : je vais y répondre point par point.

Est-il opportun de réviser la Constitution pour y insérer de nouvelles dispositions relatives à la préservation de l'environnement et de la biodiversité ainsi qu'à la lutte contre le changement climatique ? Cette question difficile n'appelle pas une réponse binaire. Je vais être très franche : si vous m'aviez posé la question à propos du premier projet, en 2018, je vous aurais répondu clairement que j'y étais défavorable. Sur le principe même d'une révision, mon point de vue n'a guère évolué, même si le projet actuel est meilleur sur la forme et sur le fond. Il apporte notamment quelque chose sur le plan symbolique. Juridiquement, c'est plus compliqué...

J'ai naturellement consulté l'avis du Conseil d'État rendu à son endroit. Il me semble nécessaire de se montrer très prudent sur l'interprétation des termes, car tout dépend de la manière dont le requérant et le juge se saisiraient de cette modification éventuelle de l'article premier. Cela interdit de faire une réponse trop tranchée. De plus, il faut se demander comment le juge constitutionnel articulerait cette nouvelle rédaction avec la Charte de l'environnement. Beaucoup d'incertitudes demeurent...

M. Philippe Bas . - Très juste !

Mme Jessica Makowiak . - Vous me demandez s'il me semble nécessaire de renforcer les exigences constitutionnelles liées à la protection de l'environnement. Oui, c'est nécessaire : cela ne fait aucun doute dans mon esprit. En 2019, au terme d'une recherche sur le bilan de la question prioritaire de constitutionnalité en matière d'environnement, nous avions appelé le Conseil constitutionnel à faire preuve de plus d'audace dans l'interprétation de la Charte de l'environnement, considérant que le problème n'était pas dans le texte, mais dans ce que le juge constitutionnel en faisait. Nous pensions qu'il aurait pu aller plus loin en combinant, bien plus qu'il ne le faisait alors, les références à la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, à la Charte et au préambule de la Constitution de 1946. Nous l'invitions aussi à s'appuyer sur le préambule de la Charte, qui fait référence à la conservation de la diversité biologique.

Depuis la remise de notre rapport - et il s'agit là d'une opinion personnelle -, sa jurisprudence a évolué dans un sens plutôt favorable à la protection de l'environnement. Dans une décision prise juste après la remise de notre rapport, il a ainsi jugé que la protection de l'environnement constituait un nouvel objectif de valeur constitutionnelle. Plus récemment, toujours en 2020, il a jugé, en se fondant sur l'article 2 de la Charte, que le législateur ne saurait « priver de garanties légales » le droit à l'environnement consacré à l'article premier.

Je suis donc un peu embarrassée pour trouver des arguments en faveur du projet de révision... En tant que juriste, j'essaie toujours de trouver des arguments pour et contre.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Vous n'êtes pas obligée d'en trouver : vous n'êtes pas l'avocat du projet du Gouvernement...

Mme Jessica Makowiak . - Ses apports sont limités. Depuis que la commission Coppens a réfléchi à la Charte de l'environnement, la crise climatique s'est accentuée, les contentieux climatiques se sont multipliés, les enjeux liés à diversité biologique ont pris plus de place.

Cette révision aurait donc au moins un effet symbolique : celui de réitérer l'exigence de protection de l'environnement à l'article premier, à côté des autres valeurs fondamentales de la République. Je dis bien réitérer, puisque cette exigence déjà présente ailleurs : si le changement climatique ne figure pas nommément dans la Charte, la biodiversité et la protection de l'environnement y sont. Il est vrai qu'en mentionnant le dérèglement climatique, la France serait une sorte de modèle, car très peu de Constitutions dans le monde y font référence.

Une modification de l'article 1 er est préférable à celle de l'article 34, auquel il n'est pas nécessaire de toucher pour donner au législateur la compétence d'agir pour la protection de l'environnement : il l'a déjà, et l'exerce.

Vous me demandez ensuite si « garantir » peut avoir un sens différent de l'utilisation du présent de l'indicatif dans la proposition : « L a France lutte contre le dérèglement climatique ». Tout le monde n'est pas d'accord dans la communauté des juristes universitaires.

Pour moi, « garantir » n'institue pas une obligation de résultat
- comme le redoute le Conseil d'État, même si ce dernier est bien conscient que cela ne va pas jusque-là, puisqu'il parle de « quasi-obligation de résultat ».

J'ai recherché l'effet que le terme « garantir » pouvait avoir dans le préambule de 1946. Les deux incidences illustrent bien qu'il n'entraîne pas d'obligation de résultat : « la loi garantit à la femme, dans tous les domaines, des droits égaux à ceux de l'homme », « [la Nation] garantit à tous, notamment à l'enfant, à la mère et aux vieux travailleurs, la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs . »

Ce verbe a certes un sens juridiquement plus fort que « favoriser »
- qui ne veut rien dire. « Agir » a, quant à lui, un sens beaucoup plus fort. « Garantir » implique de tout mettre en oeuvre, et donc une obligation de moyens, sans que le résultat soit forcément atteint. Ce qui est très important, c'est l'objet de la garantie. Or il est en l'espèce suffisamment vague, large, pour ne pas entraîner une obligation de résultat.

L'article 2 de la Charte de l'environnement comporte une formulation tout aussi forte - comme l'interprétation qu'en a faite le juge constitutionnel : « Toute personne a le devoir de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement . » Il n'y a aucune différence de portée juridique entre l'indicatif présent « lutte contre le changement climatique » et « garantit ».

J'ai des réserves en revanche sur l'objet de la lutte : lutter contre le dérèglement climatique, c'est lutter contre une conséquence, alors qu'il faudrait lutter contre ses causes, soit les émissions de gaz à effet de serre.

Vous me demandez s'il y aurait un sens à distinguer la préservation de l'environnement de celle de la diversité biologique et de la lutte contre le dérèglement climatique. Pour moi, théoriquement, l'environnement inclut tout. Juridiquement, la biodiversité est déjà citée dans le préambule de la Charte. Il n'y a donc pas d'intérêt autre que symbolique à la citer. La définition législative de l'environnement à l'article L. 110-1 du code de l'environnement, qui donne une définition de ses composantes, cite expressément la « diversité biologique ».

La lutte contre le dérèglement climatique, elle, n'est pas citée dans la Charte. On pourrait donc voir son inscription dans l'article 1 er comme un apport. Mais si la protection de l'environnement comprend le « droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé » et le devoir pour « toute personne de prendre part à la préservation et à l'amélioration de l'environnement », cela inclut la lutte contre le changement climatique. Dans les composantes de l'environnement citées par le code de l'environnement, figure la « qualité de l'air ».

Si l'on interprète pleinement la charte, il est évident que la qualité de l'air et le climat font partie de l'environnement.

Vous me posez une question plus difficile : quels seraient les effets de cette révision constitutionnelle sur le contrôle de constitutionnalité des lois ? D'autres universitaires sont peut-être plus affirmatifs que moi : je pense, pour ma part, qu'il est difficile de se prononcer. Le juge a une grande marge d'interprétation. Le Conseil constitutionnel l'a montré en n'interprétant pas la Charte comme la doctrine s'y attendait.

Cette modification pourrait entraîner certains effets à l'occasion de questions prioritaires de constitutionnalité, mais tout dépend de la façon dont le Conseil constitutionnel articulerait la Charte avec cet éventuel nouvel article premier. À l'occasion d'un contrôle a priori , c'est peu probable : aujourd'hui, très peu de lois sont ainsi censurées sur le seul fondement de la Charte. Je ne vois donc pas de raison que cela bouleverse la jurisprudence.

Il en va de même concernant le contrôle de constitutionnalité des conventions internationales, car il faudrait imaginer que la France signe un accord contraire à ses propres engagements internationaux - hypothèse peu crédible.

Vous m'interrogez sur la responsabilité des pouvoirs publics. En la matière, il n'y a rien à craindre de ce texte, qui me semble beaucoup moins exigeant que le droit européen, tel qu'interprété par le juge administratif
- les directives européennes fixant, elles, des obligations de résultat en matière de protection de l'environnement. Il est rare, au demeurant, que la responsabilité de l'État soit retenue sur le fondement de principes constitutionnels.

Vous me demandez si certaines dispositions de la charte gagneraient à être précisées quant à leur contenu et leur justiciabilité. J'imagine que vous me demandez cela d'un point de vue textuel, et ne visez pas une précision par le juge...

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - En effet.

Mme Jessica Makowiak . - Il me semble totalement inopportun de modifier la Charte de l'environnement. On n'a jamais modifié le préambule de 1946, par exemple.

Cela ne me semble pas utile non plus : ses articles sont clairs, beaucoup plus précis que bien des dispositions du préambule de 1946, telles que le droit au repos ou aux loisirs... Quant à leur justiciabilité, c'est au Conseil constitutionnel de la préciser. C'est ce qu'il a fait, depuis son adoption, au travers des questions prioritaires de constitutionnalité. Les articles 1 à 4 sont invocables, comme l'article 7. Seule question non réglée, celle du principe de précaution édicté à l'article 5. Concernant son préambule, tout le monde doutait de son invocabilité, mais le Conseil constitutionnel n'a pas hésité à s'appuyer sur ses considérants dans sa décision du 31 janvier 2020.

Le principe de précaution me semble être le principe le plus précisément défini dans la Charte : le plus longuement - mais cela n'est pas forcément gage de précision - mais aussi le plus clairement. Le Constituant a défini à qui incombait cette responsabilité, à savoir les autorités publiques dans leurs domaines d'attribution, ce qui permet concrètement au juge de faire respecter la répartition des compétences entre ce qui relève de l'État et du pouvoir de police administrative générale du maire. Les conditions de mise en oeuvre du principe sont aussi clairement définies : un « risque de dommage grave et irréversible » - soit deux conditions cumulatives. Les mesures à mettre en oeuvre aussi : l'autorité doit prendre des mesures « provisoires et proportionnées ».

Autre point, peut-être le plus difficile : faut-il consacrer au niveau constitutionnel un principe de non-régression ? Cela dépend de l'analyse que l'on fait de la dernière décision du Conseil constitutionnel de fin 2020 à laquelle j'ai fait allusion.

Le Conseil d'État affirme dans son avis - un peu rapidement, à mon sens - que le Conseil constitutionnel refuse, dans cette décision, de consacrer un principe de non-régression. Certes, il ne consacre pas ce principe, mais cette décision constitue pourtant une avancée dans le domaine de la non-régression, en ouvrant des potentialités. Le juge rappelle en effet la liberté du législateur de modifier ou d'abroger des textes antérieurs - liberté à laquelle il est très attaché - tout en affirmant qu'il ne saurait « priver de garanties légales des exigences de caractère constitutionnel », parmi lesquelles figure le droit de l'homme à vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé.

Ce qui est nouveau, c'est l'application de cette jurisprudence au domaine de l'environnement. Le Conseil constitutionnel affirme qu'on peut toujours modifier un régime juridique, même constitutionnellement protégé, selon la théorie de « l'effet artichaut » : on peut enlever des éléments de ce régime, mais non en toucher le coeur. Il effectue un contrôle assez classique de la proportionnalité de la mesure, en vérifiant que la décision est justifiée par un objectif d'intérêt général et proportionnée à celui-ci. Ce qui est nouveau, c'est la référence à l'article 2 de la Charte, qui dessine une application implicite du principe de non-régression, puisque l'article 2 implique une obligation que l'état de la protection de l'environnement ne subisse pas d'amoindrissement.

De mon point de vue, c'est au regard de cet article 2 que le juge peut déjà implicitement censurer d'éventuelles régressions. Il ne me semble donc pas nécessaire de consacrer aujourd'hui un principe de non-régression au niveau constitutionnel.

Il y a d'autres raisons à cela : ce principe ne me semble pas suffisamment mûr ni suffisamment compris. Le juge l'applique déjà au pouvoir réglementaire, puisqu'il est inscrit dans la loi. Le Gouvernement est hostile à une telle consécration. Je ne pense pas que ce principe ait atteint la maturité nécessaire pour être intégré au sommet de la hiérarchie des normes. Mais certains universitaires vous diront le contraire.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Je crois que vos propos ont été si clairs que nous n'avons pas de questions. Vous n'êtes donc pas favorable au principe de la réforme ; si toutefois, il fallait continuer l'analyse, la question de son utilité se maintiendrait...

Mme Jessica Makowiak . - Tout à fait, même si je ne pense pas pour autant que les exigences actuelles en faveur de l'environnement suffisent.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Je vous remercie.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition, en commun avec la commission
de l'aménagement du territoire et du développement durable,
de M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice

(Mercredi 24 mars 2021)

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Nous sommes heureux de vous accueillir, monsieur le ministre, pour vous entendre sur le projet de loi complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement. Nos deux commissions sont réunies pour la circonstance, et je salue la présence du rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, Guillaume Chevrollier. Cette audition fait l'objet d'une captation vidéo et est retransmise en direct sur le site internet du Sénat. Nous répartirons les questions à l'unité près entre la commission des lois et celle de l'aménagement du territoire et du développement durable !

M. Jean-François Longeot , président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Monsieur le garde des sceaux, monsieur le président de la commission des lois, mes chers collègues, en préambule, je tiens à remercier le président François-Noël Buffet pour cette audition commune à nos deux commissions : merci de nous faire partager l'expertise reconnue de votre commission en matière constitutionnelle. Il s'agit en effet de la première révision constitutionnelle dont la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable ait à connaître.

Nos collègues députés ont adopté le 16 mars dernier, sans modification, le projet de loi constitutionnelle que le garde des sceaux a patiemment défendu dans l'hémicycle et dans les médias. Force est de vous reconnaître une grande force persuasive, monsieur le garde des sceaux, talent que vous avez certainement forgé pendant vos années de plaidoirie.

Les révisions constitutionnelles sont des temps forts de l'activité parlementaire, le législateur n'ayant que rarement l'occasion de revêtir les habits du constituant. Quand il le fait, surtout au Sénat, c'est avec rigueur, sérieux et sens critique : les dispositions constitutionnelles irriguent non seulement tout notre droit et son interprétation par les juges, mais disent également quelque chose des valeurs communes partagées par l'ensemble des citoyens, celles qui fondent notre contrat social. Il importe donc que chacun perçoive ce que tout changement constitutionnel implique et comment l'ordre juridique en serait modifié. La Constitution est un tout cohérent, chaque disposition s'appréciant à l'aune des autres principes constitutionnels.

Le projet de révision qui nous occupe aujourd'hui porte sur l'insertion, à l'article 1 er de notre Constitution, d'une nouvelle phrase qui dispose que « [La France] garantit la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et lutte contre le dérèglement climatique ».

Monsieur le garde des sceaux, nous avons à décortiquer avec vous cette phrase, cette unique phrase. Mais chaque mot de celle-ci compte, d'autant plus qu'elle a vocation à figurer au sommet de notre hiérarchie des normes, à la place symbolique de l'article 1 er , celui où les plus éminents principes de notre pays sont affirmés. Cet article agit comme un miroir, qui renvoie l'image de la République à l'ensemble des citoyens. Pour paraphraser Montesquieu, sa modification ne doit être faite que d'une main tremblante, à l'issue d'un raisonnement qui, lui, ne tremble pas.

Comme pour une analyse littérale, il nous faut peser au trébuchet les implications de chaque mot de cette phrase et en particulier la force de chacun des deux verbes qu'elle contient. Car ils recèlent des risques contentieux et ouvrent l'accès au prétoire constitutionnel à de nouveaux types de requérants. Il importe que la représentation nationale puisse débattre de l'articulation d'un nouvel étage de droits environnementaux avec les autres principes constitutionnels consacrés par notre texte fondamental.

Monsieur le garde des sceaux, nous vous laissons la parole pour présenter au public exigeant que sont les sénateurs la réforme constitutionnelle que vous portez au nom du Président de la République.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Monsieur le président de la commission des lois, monsieur le président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, à l'heure où nous assistons à la sixième extinction de masse des espèces vivantes - due, pour la première fois, à l'action humaine - le Gouvernement entend être à la hauteur des enjeux auxquels les générations actuelles et futures seront confrontées. C'est la raison pour laquelle il souhaite inscrire à l'article 1 er de notre loi fondamentale la préservation de l'environnement et de la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique.

C'est une réforme ambitieuse, qui consiste à rehausser la place de l'environnement dans notre Constitution, à le placer au coeur de toutes nos politiques publiques. Compte tenu de l'urgence climatique, de l'urgence environnementale, le Gouvernement entend fixer aux pouvoirs publics des obligations plus fortes que celles qui existent actuellement.

Comme vous le savez, la protection de l'environnement est un principe inscrit dans la Charte de l'environnement résultant de la loi constitutionnelle du 1 er mars 2005. Cette Charte, mentionnée dans le préambule de notre Constitution, fait pleinement partie du bloc de constitutionnalité, et la jurisprudence du Conseil constitutionnel lui a progressivement fait produire le maximum de ses effets juridiques. Il a ainsi jugé, dans sa décision du 31 janvier 2020, que la protection de l'environnement ne constituait plus un simple objectif d'intérêt général, mais un objectif de valeur constitutionnelle, de nature à justifier les limitations apportées par la loi à d'autres exigences constitutionnelles, et notamment à la liberté d'entreprendre.

Toutefois, et vous le savez bien, un objectif à valeur constitutionnelle, à la différence d'une règle constitutionnelle ayant un caractère impératif, ne comporte aucune obligation de moyens, et nécessite pour sa mise en oeuvre l'intervention du législateur. Un objectif à valeur constitutionnelle ne peut pas davantage être invoqué à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité. Le projet de révision constitutionnelle que nous vous soumettons, en érigeant la protection de l'environnement et la lutte contre le dérèglement climatique en véritable principe constitutionnel, entend aller plus loin que les textes et la jurisprudence actuels.

L'inscription de ces principes à l'article 1 er de notre Constitution, proposée par les membres de la Convention citoyenne pour le climat lors d'un exercice inédit de démocratie participative, présente une valeur symbolique forte. Que les choses soient claires, il ne s'agit pas aujourd'hui d'opposer démocratie représentative et démocratie participative. Je l'ai déjà dit dans le cadre d'autres débats. Renforcer la démocratie participative ne revient pas à affaiblir la démocratie. Au contraire, plus nos concitoyens sont associés au débat public, plus la légitimité de ceux qu'ils élisent est renforcée.

Certains enjeux doivent pouvoir nous réunir et le climat en fait partie . En effet, la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, la lutte contre le dérèglement climatique doivent désormais être au coeur de nos politiques publiques. Je souligne à cet égard que la Charte de l'environnement est muette sur ce dernier point.

Le Gouvernement n'entend toutefois pas introduire d'échelle de valeur entre les principes constitutionnels. Demain comme hier, tous les principes constitutionnels seront de valeur égale. C'est d'ailleurs pour ce motif que le Président de la République a décidé de ne pas donner une suite favorable à la proposition de modification du préambule de la Constitution qui avait été présentée par la Convention citoyenne pour le climat. L'objectif est en réalité de donner plus de poids à la protection de l'environnement, en la conciliant avec les autres principes à valeur constitutionnelle que nous connaissons.

Il ne s'agit pas davantage de créer un principe constitutionnel de non-régression des lois en matière environnementale. Un tel principe existe dans la loi, mais il n'a pas sa place dans la Constitution. Le Gouvernement veut en effet laisser au législateur le pouvoir de préserver efficacement d'autres principes constitutionnels, à l'instar de la protection de la santé. Dans le contexte de crise sanitaire que nous connaissons aujourd'hui, cela peut être particulièrement important.

Toutefois, le Gouvernement entend fixer un véritable principe d'action pour les pouvoirs publics, nationaux comme locaux, en faveur de l'environnement et de la lutte contre le dérèglement climatique. C'est dans cette optique, et en conscience que l'article unique du projet qui vous est soumis prévoit d'inscrire à l'article 1 er de la Constitution que les pouvoirs publics doivent garantir la préservation de l'environnement et la diversité biologique et lutter contre le dérèglement climatique.

Les conséquences de l'emploi de ces verbes ne sont pas neutres. Et telle est bien la volonté du Gouvernement, parfaitement conscient des impacts que cela pourra avoir sur l'engagement de la responsabilité des pouvoirs publics en matière environnementale. Il s'agit de mettre à leur charge, comme l'a souligné le Conseil d'État, une quasi-obligation de résultat.

J'insiste sur ce point, car je sais qu'il a fait débat lors de vos précédentes auditions. Et je rappelle que ce sont les mots employés par le Conseil d'État. Aujourd'hui, la préservation de l'environnement doit déjà conditionner l'action des pouvoirs publics, et la responsabilité de l'État peut être engagée à ce titre. Pour m'en tenir à deux exemples récents, citons l'arrêt du 10 juillet 2020, par lequel le Conseil d'État a ordonné au Gouvernement de prendre des mesures pour réduire la pollution de l'air, sous astreinte de 10 millions d'euros par semestre de retard, ou le jugement rendu par le tribunal administratif de Paris le 3 février 2021 à propos de l'« affaire du siècle » : le tribunal a reconnu l'existence d'un préjudice écologique lié au changement climatique, et jugé que la carence partielle de l'État français à respecter les objectifs qu'il s'est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité.

Ce projet de loi constitutionnelle consacre encore davantage la responsabilité des pouvoirs publics en promouvant la protection de l'environnement au statut de garantie constitutionnelle. Comme vous le savez, le texte du projet de loi constitutionnelle a été débattu à l'Assemblée nationale pendant près de vingt heures. Il a été adopté en l'état la semaine dernière. Il vous appartient de débattre sur ce texte qui, s'il est adopté par les deux Chambres dans les mêmes termes, sera ensuite soumis aux Français par la voie du référendum, conformément à l'engagement du Président de la République.

C'est pourquoi je suis heureux et honoré de débattre aujourd'hui de ces questions avec vous.

M. Guillaume Chevrollier , rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - En tant que représentant de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, je puis vous dire que nous sommes très mobilisés pour la préservation de l'environnement et la reconquête de la biodiversité.

Nous disposons depuis 2005 d'une Charte de l'environnement, qui a déjà pleine valeur constitutionnelle. Quel est l'intérêt de la révision constitutionnelle au regard des dispositions qui existent et qui sont déjà constitutionnalisées ? On comprend que cette réforme relève d'un symbole fort, avec l'inscription d'un nouveau principe à l'article 1 er de notre texte fondamental. Qu'attendez-vous de cette constitutionnalisation ? Quels effets juridiques supplémentaires produira---elle ? L'affirmation de tels principes d'action à deux endroits de notre Constitution a-t-elle pour but de contrer la carence des pouvoirs publics et du législateur ? Qui mesurera l'efficacité des actions menées en faveur de la diversité biologique et pour lutter contre le dérèglement climatique ? Cette réforme donnera-t-elle un pouvoir d'appréciation accru au juge ?

Les mots ont leur importance, surtout dans une phrase unique. Quelle est la prescriptivité juridique du verbe « garantir » ? N'allons-nous pas ouvrir le champ à un nouveau type de contentieux environnementaux, qui limiteraient l'appréciation du législateur quand il a la charge, difficile, de concilier des objectifs parfois contradictoires ? Pensez-vous vraiment que la France seule puisse offrir des « garanties » sur des sujets aussi vastes que les questions climatiques ?

L'avis du Conseil d'État parle d'une quasi-obligation de résultat. N'est-ce pas susceptible d'entraver la liberté d'action de nos entreprises sur le territoire national ? Cette disposition n'instaure-t-elle pas une hiérarchie implicite des principes à valeur constitutionnelle ?

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - L'introduction, à l'article 1 er , du verbe « garantir », doit être interprétée - en tous les cas, un sens doit lui être donné. En droit des contrats, en matière civile, nous connaissons la distinction entre obligation de moyens et obligation de résultat. La première contraint à tout mettre en oeuvre pour atteindre le but que l'on s'est donné ; la seconde, à obtenir réellement le résultat visé, sauf force majeure. La garantie, c'est y aboutir à coup sûr. Or vous avez déclaré que la rédaction, telle qu'elle était proposée par le Gouvernement, instaurait une quasi-obligation de résultat. Nous avons besoin d'être éclairés sur le sens qui est donné par le Gouvernement au verbe « garantir »... Une obligation de moyens, c'est une chose ; une obligation de résultat, c'en est une autre. Et ce ne peut pas être les deux ! S'il y a une obligation absolue, le législateur pourra être sanctionné par le Conseil constitutionnel au moindre écart. En réalité, c'est au Conseil constitutionnel qu'il reviendrait d'en décider... Bref, nous avons besoin d'y voir clair.

M. Philippe Bonnecarrère . - Quels sont les nouveaux champs de responsabilité qui seront ouverts par l'article 1 er ainsi réécrit ? Pouvez-vous nous donner des exemples, monsieur le ministre ? L'intérêt de la réforme serait d'aller au-delà de la jurisprudence du Conseil d'État, à laquelle vous avez fait référence. Avez-vous évalué le coût pour les pouvoirs publics, et notamment pour les collectivités territoriales, de ces nouveaux champs de responsabilité ?

Par ailleurs, avez-vous réalisé un recensement des dispositions législatives qui, avec ce nouvel article 1 er , seraient susceptibles d'être déclarés inconstitutionnelles ? Pouvez-vous nous donner des exemples ?

Mme Nadège Havet . - Je souhaite d'abord saluer les travaux remarquables réalisés par la Convention citoyenne pour le climat. Depuis 2005, une Charte de l'environnement existe, qui a été intégrée par la jurisprudence du Conseil constitutionnel dès 2008. Celui-ci a indiqué que l'ensemble des droits et devoirs définis par la Charte de l'environnement ont valeur constitutionnelle et s'imposent aux pouvoirs publics et aux autorités administratives dans leurs domaines de compétences respectives. Quel serait l'apport d'une inscription de l'environnement dans la Constitution ?

Mme Brigitte Lherbier . - Compléter la Constitution pour y intégrer des principes de préservation de l'environnement et pour lutter contre le dérèglement climatique est une très bonne idée, en soi, en phase avec notre temps et les enjeux à venir. On ne peut qu'y souscrire. Je me demande néanmoins si cette modification de la Constitution aura une portée normative. Si c'est le cas, je crains d'éventuelles conséquences pour les entreprises françaises, déjà soumises à une rude concurrence internationale. Seront-elles soumises à de nouvelles obligations qui ne s'appliqueraient pas aux pays voisins qui sont nos concurrents économiques ? Nous sommes dans une période difficile, il faut prendre garde de ne pas les handicaper. Le cas échéant, y aura-t-il des possibilités d'aménager à plus ou moins long terme leurs obligations ?

M. Ronan Dantec . - Au début, j'étais perplexe, car un certain nombre de constitutionnalistes disaient que tout cela ne servait à rien. Au vu des réactions que suscite cette phrase aujourd'hui, j'ai l'impression, au contraire, qu'il est plus qu'urgent de l'inscrire dans la Constitution ! On voit qu'une partie de la représentation politique, et peut-être de la société française, ne veut pas engager le pays dans la reconquête des grands enjeux environnementaux, alors qu'on sait très bien que si on ne le fait pas, c'est l'avenir des générations futures, voire de nos enfants, qui est menacé. Pour une fois que le Gouvernement reprend une proposition de la Convention citoyenne pour le climat, je crois que vous avez fait oeuvre utile ! À partir du moment où le débat montre qu'il est nécessaire d'écrire ainsi les choses dans la Constitution, vu les inquiétudes qui s'expriment, le Gouvernement tiendra-t-il ferme sur ce libellé, ou une version édulcorée est-elle encore une possibilité ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Pourquoi ne pas se contenter du droit actuel ? L'inscription de la préservation de l'environnement à l'article 1 er de la Constitution aurait une valeur symbolique très forte. Elle a été voulue par les membres de la Convention citoyenne. Il s'agit de renforcer le poids constitutionnel de la protection de l'environnement. J'ai distingué tout à l'heure la règle constitutionnelle, avec son caractère impératif, et l'objectif à valeur constitutionnelle, qui n'a pas la même force. Il s'agit d'instaurer un véritable principe d'action des pouvoirs publics. C'est l'engagement du Président de la République et du Gouvernement.

Il y a bien sûr la sempiternelle question du sens de chaque mot. L'article 1 er comporte dix-huit mots. Nous y avons passé plus de dix-huit heures. Une heure par mot ? Non, nous avons passé dix-huit heures sur deux verbes : « garantir » et « lutter ». Qu'est-ce qu'une quasi-obligation de résultat ? Ce mot a été choisi par le Conseil d'État lui-même. À mon avis, c'est plus qu'une obligation de moyens et moins qu'une obligation de résultat, mais cela s'approche de l'obligation de résultat : tout doit être fait pour que... Le Gouvernement, bien sûr, a pris connaissance de l'avis du Conseil d'État. Et il a souhaité aller plus loin que la norme constitutionnelle actuelle, en introduisant une véritable obligation d'action positive à charge des pouvoirs publics, qualifiée de quasi-obligation de résultat par le Conseil d'État.

Ce risque, nous souhaitons le prendre. La maison brûle, avait dit le Président Chirac, il y a bien longtemps. Des choses ont été faites, incomplètement en ce qui concerne la Charte, notamment sur le dérèglement climatique. Nous souhaitons aller plus loin, parce que la maison brûle encore davantage, et que l'incendie en a dévoré déjà une partie ! Il y a à la fois une volonté politique et une nécessité d'aller plus loin.

Je ne peux pas vous dire ce qui sera sanctionné comme étant inconstitutionnel, n'étant pas médium. Mais je sais que le législateur fera attention, comme il le fait habituellement, de ne pas voter une loi dont on pourrait a priori penser qu'elle serait inconstitutionnelle. Quant aux collectivités territoriales, l'article 34 de notre Constitution confie à la loi la fixation des principes fondamentaux de la préservation de l'environnement. La garantie posée par le projet de loi pèse donc d'abord sur l'État. Bien sûr, si une collectivité territoriale viole les obligations fixées, elle pourrait engager sa responsabilité. Il existe déjà des contentieux, d'ailleurs, et la judiciarisation est en cours.

Notre volonté, c'est d'aller plus loin. L'environnement est désormais une préoccupation à laquelle personne ne peut se soustraire. Il suffit de regarder les conditions météorologiques pour se rendre compte de la dégradation du climat, davantage encore que lorsque la Charte a été adoptée - même si l'on pouvait déjà la pressentir. Certains ont été visionnaires. Aujourd'hui, il faut aller plus loin. La rédaction peut-elle évoluer ? Oui, si le Sénat estime qu'une autre rédaction est préférable : je ne peux pas imposer les deux mots auxquels je tiens. C'est vous qui votez la loi ! La rédaction que nous proposons a été adoptée par l'Assemblée nationale ; elle est issue de la Convention citoyenne pour le climat ; et elle correspond exactement au renforcement souhaité par le Gouvernement.

M. Dany Wattebled . - En tant qu'élus de la nation, nous avons tous à coeur la prévention de l'environnement. L'intention du Gouvernement d'inscrire la défense de l'environnement dans l'article 1 er de la Constitution est louable, mais réformer la Constitution n'est pas un acte anodin. Alors que la protection de l'environnement est déjà consacrée par le préambule de la Constitution qui fait référence à la Charte de l'environnement adoptée en 2005, ce nouveau changement interroge à plusieurs titres, comme l'a souligné le Conseil d'État.

Quels effets juridiques le Gouvernement attend-il de cette révision constitutionnelle ? Pouvez-vous nous garantir que le principe de préservation de l'environnement ne prendra pas le dessus sur la défense des libertés publiques ou d'autres droits, comme le droit au logement ou à la propriété ? Ce changement constitutionnel ne va-t-il pas aboutir à de nouveaux contentieux, qui bloqueront tout projet futur ? Dans la crainte, plus personne ne bougera...

Mme Angèle Préville . - On ne peut se soustraire à l'impératif d'agir, vu la situation actuelle. Et la dimension symbolique est forte : c'est un signal important qui est envoyé à toute la société. Pourquoi parlez-vous de diversité biologique et non de biodiversité ? Garantir la diversité biologique alors qu'on assiste à la sixième extinction signifie-t-il que toute mesure législative à venir devra ne pas contribuer à la perte de biodiversité ? En ce qui concerne la lutte contre le dérèglement climatique, est-ce à dire que toute mesure qui ne serait pas conforme à la stratégie nationale bas-carbone sera proscrite ? Quelle articulation avec la liberté d'entreprendre ? Vous avez parlé d'obligation d'action. Quelle différence avec une obligation de moyens ?

M. Philippe Bas . - J'entends bien, à travers toutes les questions posées, qu'il y a parmi nous beaucoup d'interrogations sur la conciliation entre les principes. Vos réponses ne m'ont pas complètement rassuré sur ce point. Cette quasi-obligation de résultat signifie qu'on fera prévaloir la préservation de l'environnement, de la biodiversité, sur le progrès économique et social. Or j'ai lu dans l'article 6 de la Charte de l'environnement que la définition même du développement durable, c'est la conciliation entre ces principes. Par conséquent, peut-on laisser co-exister l'article 6 de la Charte de l'environnement avec l'ajout que proposez à l'article 1 er de la Constitution ? Une règle fondamentale du droit constitutionnel est de concilier les principes ; encore faut-il que leur rédaction elle-même n'écarte pas cette conciliation.

Le Sénat a le choix entre trois solutions. La première serait d'adopter conforme le texte issu de l'Assemblée nationale. Le Président de la République a déjà annoncé que, dans ce cas, il y aura un référendum. Le Sénat pourrait aussi rejeter sans autre forme de procès le texte. En ce cas, la révision constitutionnelle s'arrêterait-elle là ? Une troisième voie, qui correspond assez bien à l'esprit constructif des sénateurs, serait d'amender votre texte. Est-il à prendre ou à laisser ? Si nous l'amendons, le texte du Sénat sera-t-il inscrit à l'ordre du jour de l'Assemblée nationale pour poursuive le processus de révision constitutionnelle ? Sur ce point, nous n'avons pas encore entendu la parole publique ni du Président de la République ni du Gouvernement. Nous saurions à quoi nous en tenir sur l'utilité de notre travail.

Mme Nicole Bonnefoy . - Le groupe socialiste a déposé une proposition de loi constitutionnelle le 5 mai 2020 visant à introduire la notion de bien commun à l'article 1 er de la Constitution. Lors du débat en séance en décembre dernier, la ministre de la transition écologique a rejeté notre proposition. Force est de constater que le texte que vous nous présenterez au mois de mai s'est inspiré de nos travaux - et c'est tant mieux. L'intention du Gouvernement, d'après l'exposé des motifs, est bien de favoriser la protection de l'environnement, la diversité biologique et la lutte contre le dérèglement climatique. Nous partageons donc les mêmes objectifs. Mais nous n'y affectons pas les mêmes moyens : la proposition de modification de la Constitution que nous avions proposée était plus ambitieuse, puisqu'elle intégrait les biens communs mondiaux, y compris informationnels. Nous considérons en effet que les enjeux de protection de nos biens communs environnementaux sont capitaux. Il faut donc aller plus loin. Pourtant, votre Gouvernement et la majorité à l'Assemblée nationale ont rejeté systématiquement les amendements tendant à renforcer le texte. Allez-vous accepter les améliorations que le Sénat pourrait apporter à ce texte à la suite des travaux que nous avons déjà engagés sur le sujet ?

Dans ce contexte de crise sanitaire, alors que se pose la question du report des élections régionales et départementales prévues en juin, comment peut-on envisager la tenue d'un référendum dans le cadre prévu par la Constitution ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Le verbe « garantir » figure déjà à plusieurs reprises dans le préambule de 1946, notamment en ce qui concerne la santé. Et ce principe se concilie avec les autres. Il ne s'agit pas de hiérarchiser les normes. Il ne s'agit pas de ne plus entreprendre. Nous savons que l'activité humaine, par définition, peut polluer. Vous le savez bien, monsieur Bas, puisque vous déclariez, lors des débats sur la Charte...

M. Philippe Bas . - J'ai été élu sénateur en 2011 !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Je vais vous citer des propos que vous avez tenus en 2014. Vous allez vous reconnaître. Vous disiez : « Certains sceptiques y ont vu une forme de désarmement unilatéral dans la compétition économique. Pourtant, nul ne conteste aujourd'hui, notamment au travers des effets de plus en plus tangibles du réchauffement climatique, que l'humanité doit inventer de nouveaux modes de développement pour assurer son avenir. »

Nous estimons que le temps est arrivé et que la portée de la Charte n'est pas suffisante, notamment sur la question du dérèglement climatique. C'est ce qui justifie la proposition que nous soumettons au Parlement.

Vous estimiez aussi à l'époque, monsieur le sénateur Bas - et je ne peux que vous rejoindre - qu'il était bien logique que la France fasse partie des nations pionnières. Ce que nous vous proposons d'inscrire à l'article 1 er de la Constitution fera de la France un pays pionnier. Peu de pays, pour ne pas dire aucun, ont eu cette audace.

Monsieur le sénateur Wattebled, je le redis, il nous faut concilier les principes sans créer de hiérarchie.

Par ailleurs, le code de l'environnement considère que les termes « biodiversité » et « diversité biologique » sont synonymes. Il n'y a donc pas de difficulté de ce point de vue.

Monsieur le sénateur Bas, vous m'avez interrogé sur l'articulation entre l'article 6 de la Charte de l'environnement et le projet de révision constitutionnelle. Il n'y a ni concurrence ni contradiction entre les deux textes, mais complémentarité. Le projet de loi constitutionnelle ne vise en aucun cas à concurrencer ou à remplacer la Charte, mais à instaurer un véritable principe d'action en faveur de l'environnement à la charge des pouvoirs publics.

Vous m'avez posé une autre question, monsieur le sénateur Bas, beaucoup plus politique... Lors des débats à l'Assemblée nationale, le député Julien Aubert n'a eu de cesse de me dire que nous faisions tout cela pour rien, puisque le Sénat n'allait pas voter le texte dans la rédaction sur laquelle j'étais, disait-il, arc-bouté. Il l'avait lu dans une interview du président Larcher au Journal du dimanche ... Je lui ai répondu qu'il avait une étrange vision de la navette parlementaire. M. Aubert dit maintenant que le Sénat votera le texte, mais que le Gouvernement serait battu au moment du référendum. Je lui dis : rendez-vous dans les urnes !

Il est logique que je ne souhaite pas qu'on modifie le texte et je pense, monsieur le sénateur Bas, que c'est la même chose pour vous vis-à-vis de la proposition de loi constitutionnelle que vous avez déposée avec le sénateur Retailleau. Vous êtes attaché aux mots sur lesquels vous vous êtes décidé. En l'espèce, cela va plus loin, puisque les termes viennent de la Convention citoyenne pour le climat et du Président de la République.

Le Conseil d'État nous renforce d'ailleurs dans l'idée qu'il faut aller loin et qu'il faut instaurer une quasi-obligation de résultat. Si le législateur souhaite amender le texte, il le fera bien évidemment, mais il me semble que les verbes « garantir » et « lutter » sont meilleurs.

M. Philippe Bas . - Par conséquent, monsieur le garde des sceaux, si nous amendons le texte, vous arrêtez tout ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Ce n'est pas ce que j'ai dit, monsieur le sénateur. Par ailleurs, il ne vous aura pas échappé que je ne suis pas Président de la République. Comme le disent les procureurs, à chaque jour suffit sa peine !

M. Alain Richard . - Monsieur le garde des sceaux, vous avez répété à plusieurs reprises l'expression « aller plus loin ». C'est donc que l'équilibre actuel des normes constitutionnelles ne paraîtrait pas satisfaisant au Président de la République et au Gouvernement.

Faut-il vraiment invoquer l'avis du Conseil d'État dans ce débat ? Celui-ci joue un rôle de conseil qui est nécessairement très retenu en matière constitutionnelle. Lorsqu'il utilise l'expression « quasi-obligation de résultat », je ne suis pas sûr qu'il en fasse une préconisation. Ma lecture est qu'il en fait plutôt un avertissement. Je ne voudrais pas qu'on se pare de l'expression figurant dans cet avis comme d'un argument positif.

Ce qui me préoccupe, c'est le fait que vous disiez que l'article 1 er va « plus loin », ce qui signifie qu'il aura la prééminence, alors que vous parlez parallèlement de conciliation entre les normes de fond de l'article 1 er et celles de la Charte. Je reprends par conséquent la question de Philippe Bas : est-ce que l'équilibre de l'article 6 de la Charte, soigneusement délibéré à l'époque, reste le même ? Je déduis de nos débats que cet équilibre est changé. Sinon, pourquoi insérer le terme « garantir » ?

Le contrôle constitutionnel sur le contenu des lois va donc changer et ce sera dans un sens potentiellement déstabilisateur pour la conduite des politiques publiques. Je vais prendre deux exemples et je souhaiterais un commentaire de votre part sur ces deux exemples.

Tout d'abord, nous avons adopté, laborieusement, une dérogation temporaire et très partielle - elle concerne 3 % des terres cultivables - à une loi qui portait sur la biodiversité. Je me reproche d'ailleurs d'avoir voté ce dernier texte, parce qu'il ne prévoyait pas la possibilité de dérogations, alors qu'il était déjà flagrant à l'époque que nous en aurions besoin. Le Conseil constitutionnel a déclaré conforme à la Constitution cette dérogation. Si le verbe « garantir », qui porte justement sur la biodiversité, était introduit, pensez-vous que la décision du Conseil constitutionnel serait la même ? Il me semble que l'expression « plus loin » que vous avez utilisée pourrait plutôt conduire à considérer que cette dérogation serait contraire à la Constitution.

Ensuite, les articles 47, 48 et 49 du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, adoptés par la commission spéciale de l'Assemblée nationale, fixent des objectifs impératifs sur la réduction des surfaces artificialisables qui se traduisent dans l'ensemble de notre droit, jusqu'aux plans locaux d'urbanisme. Si une commune urbaine saturée est obligée d'artificialiser des terres, par exemple pour la mise en oeuvre du droit au logement ou pour construire un hôpital, et qu'une question prioritaire de constitutionnalité est déposée, est-ce que le Conseil constitutionnel ne pourrait pas décider que ces articles du projet de loi en discussion seraient contraires à la Constitution ? L'insertion du verbe « garantir » ne donne-t-elle pas prééminence au principe de préservation de l'environnement sur les autres principes constitutionnels, ce qui conduirait le juge à considérer qu'il faudrait arrêter, et pas seulement réduire, l'artificialisation des sols ?

J'aimerais finalement connaître votre appréciation des conséquences effectives de la rédaction du projet de loi constitutionnelle, en particulier de l'utilisation du verbe « garantir ».

M. Jean-François Longeot , président de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Monsieur le garde des sceaux, je me permets de vous rappeler la question de Nicole Bonnefoy sur les biens communs et le référendum.

M. Didier Mandelli . - Ce projet de loi constitutionnelle traduit une commande du Président de la République qui reprenait lui-même la proposition - je ne parlerais pas d'injonction... - de la Convention citoyenne pour le climat.

Après les remarques d'Alain Richard, je veux de mon côté mettre en lumière le décalage qui existe entre votre volonté farouche de modifier la Constitution dans le sens que vous avez indiqué et le contenu factuel du projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets. On ne peut pas dire que ce projet de loi satisfasse beaucoup d'acteurs : tant le Haut Conseil pour le climat que les ONG et les membres de la Convention citoyenne eux-mêmes estiment que ce texte ne permettra d'atteindre, le cas échéant, que 40 % des besoins nécessaires à l'atteinte des objectifs fixés à l'occasion de la COP21. Et je ne parle pas du Conseil d'État qui a émis un avis très réservé.

Par conséquent, quelles sont les incidences de la modification de la Constitution que vous proposez sur ce projet de loi ?

Mme Françoise Gatel . - Nul ne conteste ici l'exigence de préserver les richesses dont nous avons hérité et que nous devons transmettre. Il n'y a pas d'un côté des bienveillants et de l'autre des malveillants - vous l'avez dit.

Nul ne conteste non plus l'intérêt de la participation citoyenne. J'imagine que les membres de la Convention citoyenne ont été informés que la Charte de l'environnement était adossée à la Constitution au même titre que la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen.

Or l'intégration de la Charte au sein du bloc de constitutionnalité n'a pas été sans conséquence. Récemment encore, trois décisions ont été prises sur ce fondement, notamment l'interdiction de la fabrication, de la vente et de l'importation de certains produits pharmaceutiques - le Conseil constitutionnel a estimé justifiée l'atteinte ainsi portée à la liberté d'entreprendre au nom de la protection de l'environnement - et, plus récemment, l'autorisation de l'utilisation provisoire de produits phytosanitaires. La Charte a donc montré son utilité, notamment pour l'articulation de différents principes.

Vous avez parlé de symbole, monsieur le garde des sceaux. Estimez-vous nécessaire que le respect de l'environnement devienne un principe constitutionnel supérieur à d'autres principes dans notre hiérarchie des normes ?

Vous avez aussi indiqué vouloir « aller un peu plus loin ». Or parfois, la créature dépasse son créateur, si vous me permettez cette expression. Ne va-t-on pas geler, ce faisant, l'action des collectivités ? Je vais prendre plusieurs exemples, en me mettant à la place des élus locaux. Une commune élabore son plan local d'urbanisme et décide de geler 20 % de son territoire ; une association se constitue et estime que ce taux, trop bas selon elle, ne respecte pas la Constitution. Que se passera-t-il dans ce cas avec un article 1 er modifié selon vos souhaits ? Autre exemple : si un jour l'État ou une région estime nécessaire de construire une nouvelle ligne ferroviaire pour favoriser le désenclavement, la rédaction que vous soutenez le permettrait-elle ? Enfin, quid des parcs éoliens, qui sont souvent contestés de nos jours ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Il est vrai, monsieur le sénateur Richard, que l'expression « quasi-obligation de résultat » constitue un avertissement de la part du Conseil d'État et le Gouvernement assume ce choix, en souhaitant renforcer la protection de l'environnement. Ce projet de loi constitutionnelle changera en effet les équilibres, parce qu'on distingue généralement les objectifs à valeur constitutionnelle et les règles constitutionnelles proprement dites qui ont un caractère impératif. Aucun principe à valeur constitutionnel ne sera privilégié l'un par rapport à l'autre ; ce sera un équilibre.

Il ne s'agit donc pas d'une concurrence entre les principes, madame Gatel. Les pouvoirs publics choisiront en toute connaissance de cause. Cette modification ne signifie pas la fin de l'entreprise qui pollue ou de la voiture ! On ne peut pas dire que la protection de l'environnement écrasera toutes les autres libertés ayant valeur constitutionnelle.

Je vais prendre un exemple simple : si une nouvelle pandémie - je ne la souhaite pas bien sûr - exige demain la fabrication de produits chimiques extrêmement polluants, pensez-vous vraiment que la santé passera après la protection de l'environnement ? Il s'agit donc bien d'un équilibre, mais aucunement d'une hiérarchie entre les principes et valeurs.

Il est normal que les sénateurs posent des questions en partant d'exemples liés aux collectivités territoriales. Pour autant, je ne reviens pas sur mon explication précédente relative aux responsabilités respectives du Parlement et des collectivités territoriales. L'intérêt public continuera évidemment d'être pris en compte.

Ne faisons pas dire à ce texte que le principe constitutionnel que nous entendons insérer à l'article 1 er vient écraser tous les autres ! Ce n'est pas du tout le sens de la réforme que je vous propose. Je le redis, ce texte ne vient pas contredire la Charte, il vient la compléter.

Monsieur Mandelli, on ne peut pas en même temps critiquer le projet de loi climat et résilience, au motif qu'il serait insuffisant, et contester la volonté de rehausser l'obligation de protection de l'environnement au niveau constitutionnel.

M. Didier Mandelli . - Ce n'est pas du tout ce que j'ai dit !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Durant les débats en séance publique je rappellerai évidemment ce que le Gouvernement a fait pour la protection de l'environnement.

En ce qui concerne la notion de bien commun, le Gouvernement estime que cette expression n'est pas suffisamment précise pour figurer dans la Constitution. Or nous avons besoin de consensus sur la portée des termes utilisés. À l'Assemblée nationale, nous avons beaucoup parlé de non-régression et de biens communs.

M. Alain Richard . - Précisons bien où nous en sommes. Monsieur le garde des sceaux, vous nous avez dit tout à l'heure qu'il s'agissait de substituer à un objectif de valeur constitutionnelle une règle de valeur constitutionnelle. En outre, vous avez utilisé l'expression « aller plus loin ». Il me semble qu'il résulte de ces éléments une hiérarchie entre cette règle et les autres principes de valeur constitutionnelle. L'équilibre, non quantifié, qui figure dans l'article 6 de la Charte est donc bien modifié pour faire prévaloir l'exigence de garantir la préservation de l'environnement et de la diversité biologique.

Il me semble qu'il existe un glissement entre le début de votre propos et la suite. Je crains que ce ne soit le noeud du problème !

M. Philippe Bas . - Monsieur le garde des sceaux, je vous prends au mot : aller plus loin, oui, mais où ?

Vous avez dit tout à l'heure pour nous rassurer - peut-être nous tendiez-vous une perche ? - qu'il fallait garantir « au mieux » la préservation de l'environnement et de la diversité biologique, en conciliant cette garantie avec d'autres principes. Si un amendement était déposé en ce sens, seriez-vous d'accord ?

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - L'alinéa 11 du Préambule de la Constitution de 1946 « garantit à tous la protection de la santé ». Peut-être faudrait-il aussi modifier cet alinéa, si vous pensez que le mot « garantir » va trop loin ? La loi ne doit pas être bavarde ; nul besoin d'ajouter dans cette phrase « au mieux »... Comment garantir « en pire », monsieur le sénateur ? Je n'imagine pas qu'un amendement comme celui-là soit déposé.

De très nombreux amendements ont été déposés à l'Assemblée nationale, que ce soit sur les crevettes, les éleveurs, les langues régionales ou encore le voile - j'en passe et des meilleurs. J'ai essayé de circonscrire le débat qui devenait d'une certaine manière assez cocasse et je suis sûr que de telles choses n'auront pas lieu au Sénat. Mais quand je voulais circonscrire le débat, on me répondait que ces sujets, variés, n'intéressaient pas le Gouvernement... C'était une très curieuse façon de faire. Certes, cela permettait aux députés de développer les sujets qui leur tenaient à coeur, pour ne pas dire parfois leurs marottes.

Monsieur le sénateur Richard, je me suis sans doute mal fait comprendre. Aujourd'hui, la préservation de l'environnement est un objectif d'intérêt général qui ne constitue pas une règle au sens constitutionnel.

M. Alain Richard . - Ce n'est pas exact !

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Si, monsieur le sénateur !

M. Alain Richard . - Le Conseil constitutionnel a jugé qu'il s'agissait d'un objectif à valeur constitutionnelle.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - J'entends bien, mais comme vous le savez, il est difficile de faire aboutir une question prioritaire de constitutionnalité sur le fondement de la Charte de l'environnement.

Je le redis, nous voulons aller plus loin. Pour autant, nous ne souhaitons pas créer de hiérarchie avec les autres règles à valeur constitutionnelle. Si demain il est nécessaire de construire un bâtiment, qui entraînerait pour je ne sais quelle raison une pollution importante, devrions-nous nous interdire de le faire au motif de protéger l'environnement ? Notre rédaction laisse beaucoup de libertés, puisqu'il n'y a pas de hiérarchie entre les valeurs. Nous proposons finalement d'intégrer des valeurs nouvelles - la protection de l'environnement et de la biodiversité et la lutte contre le dérèglement climatique.

Il est grand temps que cela figure dans notre Constitution. La France, pionnière en la matière, selon les voeux de M. le sénateur Bas en 2014, doit le rester.

M. Philippe Bas . - Je considérais que la France avait été pionnière en 2005...

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Mais nous avons maintenant du retard. Comme le disait à cette époque le Président Chirac, la maison brûle ; elle brûle encore davantage aujourd'hui. C'est une réalité.

M. Alain Richard . - Puisque vous évoquez le Préambule de la Constitution de 1946, je veux souligner qu'un changement substantiel a eu lieu depuis, c'est le développement du contrôle de constitutionnalité - il existait en principe avant 1958, mais il n'était pas effectif, et même les rédacteurs de la Constitution de la V e République n'avaient pas forcément en tête ce qu'il est devenu...

Utiliser le verbe « garantir » dans le cadre constitutionnel actuel, notamment au vu des modalités d'exercice du contrôle de constitutionnalité, a un sens beaucoup plus autoritaire qu'en 1946. Je rappelle aussi que la Constitution de 1946 prévoyait de nombreux autres droits à caractère économique et social, ainsi que des nationalisations obligatoires, lorsqu'une entreprise avait un caractère de monopole...

J'ai donc beaucoup de mal à entendre que cette modification ne changerait rien à l'équilibre entre les principes constitutionnels.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Je vois qu'il nous faudra poursuivre nos travaux pour résoudre cette question qui n'est absolument pas tranchée... La conciliation entre les principes économiques, sociaux et environnementaux, inscrite à l'article 6 de la Charte de l'environnement, est clairement mise à mal par la nouvelle rédaction de l'article 1 er proposée par le Gouvernement. On ne peut pas dire en même temps qu'il n'y a pas de hiérarchie et qu'il y a un changement des équilibres.

J'ajoute que le droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé, consacré à l'article 1 er de la Charte, peut tout à fait être invoqué dans le cadre d'une question prioritaire de constitutionnalité.

En tout cas, il est évident que notre débat reste ouvert, il sera intense. Pour autant, comme l'a rappelé Jean-François Longeot, citant Montesquieu, on ne doit modifier la Constitution que d'une main tremblante.

M. Éric Dupond-Moretti, garde des sceaux, ministre de la justice . - Seuls quatre articles de la Charte peuvent être invoqués en question prioritaire de constitutionnalité.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Mes chers collègues, je vous rappelle que le projet de loi constitutionnelle est inscrit à l'ordre du jour du Sénat les 10et 11 mai prochains. La commission des lois examinera son rapport le 5 mai et la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable son avis le 4 mai.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat

Audition de représentants de l'association des citoyens
de la Convention citoyenne pour le climat « Les 150 »

(Mercredi 7 avril 2021)

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Nous entendons ce matin trois représentants de l'association Les 150, qui réunit les anciens membres de la Convention citoyenne pour le climat : Mme Mélanie Blanchetot et MM. Victor Costa et Grégoire Fraty. Notre audition est retransmise en direct sur le site internet du Sénat.

La création de la Convention citoyenne pour le climat résulte d'une initiative du Président de la République, annoncée le 25 avril 2019, au lendemain du Grand débat national. C'est la première fois qu'était expérimentée, en France et à l'échelle nationale, cette forme de démocratie dite participative qui repose sur la réunion d'assemblées de citoyens tirés au sort, de manière à assurer leur représentativité statistique.

La Convention a été investie d'un rôle consultatif, sur un sujet précis : « définir les mesures structurantes pour parvenir, dans un esprit de justice sociale, à réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 40 % d'ici 2030 par rapport à 1990 », selon les termes de la lettre de mission du Premier ministre.

L'organisation de la Convention a été confiée au Conseil économique, social et environnemental (CESE). Un comité de gouvernance
- constitué de personnalités qualifiées dans les domaines du climat, de la démocratie participative et des questions économiques et sociales, ainsi que de représentants du ministère de la transition écologique - a été mis en place pour accompagner la Convention.

Après huit mois de travaux, la Convention a adopté le 21 juin 2020 un rapport qui formule 149 propositions.

Il s'agit d'une première, qui répond à la volonté exprimée par de nombreux concitoyens de participer de manière plus directe et continue à l'élaboration des décisions qui les concernent. C'est tout particulièrement le cas dans un domaine aussi complexe et transversal que la protection de l'environnement. La Charte de l'environnement, adoptée à l'initiative du président Jacques Chirac, avait d'ailleurs consacré le droit de toute personne « de participer à l'élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l'environnement ».

Toutefois, le sujet qui nous occupe aujourd'hui concerne la traduction, dans notre ordre juridique, des propositions faites par la Convention citoyenne pour améliorer la gouvernance de la transition écologique.

À cet égard, la Convention a formulé quatre principales recommandations qui nécessiteraient une révision de la Constitution.

Elle a d'abord proposé de modifier le préambule de la Constitution pour y ajouter une nouvelle règle de conflit entre principes constitutionnels : « La conciliation des droits, libertés et principes (...) ne saurait compromettre la préservation de l'environnement, patrimoine commun de l'humanité. »

La Convention a également recommandé de modifier l'article 1 er de la Constitution pour y ajouter un alinéa aux termes duquel : « La République garantit la préservation de la biodiversité, de l'environnement et lutte contre le dérèglement climatique . »

Pour renforcer le contrôle des politiques environnementales, la Convention propose de créer un Défenseur de l'environnement sur le modèle du Défenseur des droits.

Enfin, elle appelle à réformer le CESE en y incluant des membres tirés au sort et en renforçant ses compétences consultatives.

M. Victor Costa, membre de l'association des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat . - Je suis autoentrepreneur dans la désinfection et la dératisation, en Bourgogne, près de Saint-Fargeau.

Nous souhaitons mettre en évidence le rôle des ressources et des équilibres naturels qui, comme l'énonce le préambule de la Charte de l'environnement, « ont conditionné l'émergence de l'humanité ». On y lit aussi que « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel », et qu'« afin d'assurer un développement durable, les choix destinés à répondre aux besoins du présent ne doivent pas compromettre la capacité des générations futures et des autres peuples à satisfaire leurs propres besoins ». Qu'adviendrait-il si les ressources venaient à manquer et si les équilibres étaient rompus ? Les ressources sont-elles finies ou infinies ?

Il semble raisonnable de penser qu'il ne peut y avoir de ressources infinies dans un monde fini et il faut donc obliger l'État à agir et lui rappeler son obligation de résultat : c'est pourquoi nous avons choisi de formuler notre proposition avec le verbe d'action « garantir ».

Nous voulons inclure la notion de climat - absente de la Charte de l'environnement - dans la Constitution, réaffirmer la protection de la biodiversité, rendre la jurisprudence plus explicite pour le législateur, et réaffirmer voire renforcer la Charte de l'environnement par une double inscription dans la Constitution.

Notre proposition est soutenue par des organisations non gouvernementales, des constitutionnalistes et des parlementaires. Elle est acceptable par la société. Sa force réside dans sa concision.

Le projet gouvernemental se rapproche de notre proposition, mais l'emploi du verbe « agir », qui n'a pas de sens juridique, n'est pas satisfaisant : le verbe « garantir », qui renvoie à une obligation de résultat, est plus fort.

La République française doit protéger l'environnement et la biodiversité, dans le respect des générations futures.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Permettez-moi de vous préciser que le projet du Gouvernement reprend bien le terme « garantir ».

M. Grégoire Fraty, membre de l'association des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat . - En effet.

Pour ma part, je suis un citoyen normand de la Convention citoyenne pour le climat.

Notre proposition, certes élaborée à partir de différentes propositions de la fondation Nicolas-Hulot, du Gouvernement et de constitutionnalistes, est une construction nouvelle. C'est un symbole positif : le citoyen s'intéresse aussi à la Constitution.

Les termes utilisés - « garantir », « lutte » - sont forts ; nous les avons pesés et soupesés, après de nombreuses auditions : experts, élus, scientifiques, constitutionnalistes, etc.

Nous avons écarté des propositions trop ambitieuses - inscription de la notion de « limites planétaires » ou du principe de non-régression - afin d'aboutir à un consensus au sein de la Convention. Nous espérons que cet équilibre fera ensuite consensus au niveau parlementaire, puis à l'étape référendaire.

La notion de climat est malheureusement absente de la Charte de l'environnement et ce texte constitue un bloc difficilement maniable par les juridictions : nous avions donc besoin d'un outil juridique supplémentaire.

L'aspect symbolique de notre proposition ne doit pas être un contre-argument : l'écologie doit animer chaque Français, au même titre que le drapeau bleu-blanc-rouge ou la Marseillaise.

Mme Mélanie Blanchetot, membre de l'association des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat . - Merci de nous recevoir. Je suis cadre dans l'événementiel ; j'ai 37 ans et j'habite dans les Hauts-de-Seine. Je suis une citoyenne lambda, pas spécialement militante.

Notre proposition n'est pas révolutionnaire, sa formulation est raisonnable. Mais le terme « garantir » est important pour éviter tout greenwashing institutionnel.

Permettez-moi de partager avec vous une note de Mme Marie-Anne Cohendet, professeure de droit constitutionnel et de l'environnement à la Sorbonne, sur les risques de l'inscription - et de la non-inscription - d'une telle disposition à l'article 1 er de la Constitution.

Il y aurait tout d'abord le risque d'ouvrir une boîte de Pandore, qui existe pour n'importe quelle révision constitutionnelle et quel que soit l'article de la Constitution concerné ; mais l'action en faveur de la préservation de l'environnement et la lutte contre le changement climatique sont déjà anciennes et sont dictées par l'urgence.

Deuxième risque d'une telle inscription : transformer l'article 1 er en un catalogue ; mais il est souhaitable que les principes fondamentaux soient régulièrement adaptés et enrichis en fonction des grands changements de société.

Enfin, M. David Boyd, rapporteur spécial sur les droits de l'homme et l'environnement auprès de l'Organisation des nations unies, a montré que dans tous les pays où de telles dispositions avaient été adoptées, les craintes initiales s'étaient révélées infondées : cette nouvelle norme ne sera pas plus floue que nos principes de liberté, d'égalité ou de laïcité ; aucun pays n'a vu ses juridictions paralysées par un flot de contentieux ; les tribunaux français ont appliqué la Charte de l'environnement avec beaucoup modération ; ces dispositions ne porteront pas atteinte aux droits et libertés fondamentaux, car le juge constitutionnel veille à les concilier entre eux, avec des limitations qui ne peuvent être que justifiées et proportionnées, sans porter d'atteinte excessive à d'autres droits ; l'économie n'a pas été ruinée et les entreprises n'ont pas été paralysées, elles ont été incitées à s'adapter et c'est plutôt le changement climatique qui les menace.

L'absence d'inscription de ce nouveau dispositif à l'article 1 er de la Constitution - et son inscription à l'article 34 - présente aussi des risques : un risque de restreindre au seul Parlement le pouvoir de définir les axes d'action ; un risque de désillusion, les citoyens pouvant se sentir floués ; un risque que les dispositions, n'étant pas imposées par la Constitution, dépendent du Parlement et non plus du peuple ; un risque qu'elles soient remises en cause au premier changement de majorité politique ; un risque de dénonciation de l'Accord de Paris ; et enfin un risque que la France perde sa place de leader mondial sur ces thématiques.

M. Guillaume Chevrollier , rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Merci de votre présence et de vos travaux. La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable est mobilisée sur cet enjeu et tâche de trouver des solutions pour être efficace, afin que les lois inutiles n'affaiblissent pas les lois nécessaires.

Quelle est la genèse de votre proposition ? En 2018 et 2019, des propositions de phrases assez similaires avaient déjà circulé.

L'article 6 de la Charte de l'environnement prévoit que le développement durable concilie la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social, sans hiérarchie entre ces trois principes. Or votre proposition crée une hiérarchisation. Quels sont les effets juridiques attendus de votre proposition ? Qui avez-vous auditionné ? Le monde économique a-t-il été entendu par la Convention ?

Mme Dominique Vérien . - Comment votre réflexion s'est-elle articulée entre écologie et économie ? Avez-vous rencontré les syndicats agricoles et les représentants des entreprises pour évaluer l'impact de votre proposition ?

M. Jean-Pierre Sueur . - Je me présente : Jean-Pierre Sueur, citoyen. Nous sommes tous des citoyens.

Je ne suis pas convaincu de la nécessité d'ajouter des phrases au texte de la Constitution alors que l'on aurait pu compléter la Charte de l'environnement.

Je me souviens que Robert Badinter avait regretté que le principe de précaution ne soit pas défini. En vertu de ce principe, nous devrions peut-être renoncer à certains vaccins ; mais alors la maladie va se répandre... Tout n'est pas noir ou blanc.

En cas de conflit entre deux principes constitutionnels, vous souhaitez que la conciliation opérée ne puisse porter atteinte à la préservation de l'environnement. Mais pourquoi n'accorderait-on pas une prééminence du même ordre à la lutte contre la grande pauvreté, par exemple ? On a trop longtemps méconnu la préoccupation environnementale, mais elle doit toujours être articulée avec les préoccupations liées à l'humanité : l'homme fait partie de son environnement.

Vous préconisez que des membres du CESE soient tirés au sort. Sachez que nous sommes quelques-uns ici à avoir des réticences sur ce mode de désignation. La démocratie, ce sont des gens qui se présentent et se font élire sur la base d'un projet. Comment justifier le caractère contingent et hasardeux du tirage au sort ? Après huit mois de travail, quel regard portez-vous sur la démocratie classique et sur cette démocratie qui est le fruit du hasard ? Faudrait-il aller jusqu'à tirer au sort nos représentants à l'Assemblée nationale et au Sénat ?

M. Alain Marc . - Je vous remercie de votre présence. Vous êtes-vous intéressés aux questions d'aménagement du territoire ? Mon département, l'Aveyron, a connu l'exode rural : les gens continuent à s'agglutiner en ville... Tous les dix ans, c'est l'équivalent d'un petit département français qui est artificialisé. Pour rééquilibrer les territoires, il faut autoriser les maires des départements ruraux à construire.

Ne risque-t-il pas d'y avoir une contradiction entre votre proposition et le projet de loi 4D ?

Mme Muriel Jourda . - Comment avez-vous été désignés pour venir au Sénat ? Par élection, tirage au sort, ou par un autre mode de désignation ?

Monsieur Costa, vous avez parlé d'une obligation de résultat. Quelle est donc, d'après les informations que vous avez obtenues, la part anthropique du réchauffement climatique ?

Enfin, Mme Blanchetot nous a cité une professeure de droit constitutionnel selon laquelle il ne faut pas craindre d'ouvrir avec ce texte une boîte de Pandore. Or nous avons entendu la semaine dernière trois professeurs nous exposer chacun un avis différent sur le sens que le Conseil constitutionnel pourrait donner aux termes retenus par le Gouvernement dans son texte, ce qui montre bien que l'on ne peut avoir à ce sujet aucune certitude. Dans ces conditions, est-il vraiment raisonnable de l'adopter ?

Mme Françoise Gatel . - Je vous remercie de votre présence, de votre engagement et de vos travaux. Je suis citoyenne-sénatrice. J'ai une vraie vie et suis élue locale en Ille-et-Vilaine, où j'ai longtemps été maire.

Nous sommes conscients de la nécessité de préserver les ressources pour transmettre notre planète à nos successeurs. Le concept de développement durable qui repose sur trois piliers - environnemental, social-sociétal et économique - est très intéressant, mais il faut que ces trois piliers se tiennent.

La France est déjà engagée dans la protection de l'environnement : la Charte de l'environnement existe ; elle est adossée à la Constitution ; des décisions de justice ont été prises sur son fondement.

Le terme « garantir » emporte une obligation de résultat. Avez-vous réalisé une étude d'impact de votre proposition ? Avez-vous auditionné des élus ?

Je m'interroge sur le « zéro artificialisation » : plus question de prendre un seul hectare de terre agricole pour construire une usine ou des logements, ni de construire une ligne de chemin de fer pour désenclaver un territoire. Demain, ne risque-t-on pas d'aboutir au blocage, par des décisions de justice, de toute action visant pourtant l'intérêt général ?

Mme Cécile Cukierman . - Je vous remercie de votre présence ce matin. Sur Terre, nous sommes les seuls à nous préoccuper de notre survie, de celle des autres êtres vivants et de la planète. Mais cette réflexion est indissociable de la question de l'aménagement du territoire où vivent les femmes et les hommes de notre pays. Avez-vous pu mesurer toutes les conséquences de votre proposition sur notre vie quotidienne ? Nous devons transmettre la planète aux générations futures dans l'état le moins dégradé possible, mais il faut aussi faire vivre ensemble des individus sur leur territoire.

Veillons en outre à ne pas limiter la recherche et le progrès qui permettront à nos activités humaines d'être, demain, plus respectueuses de l'environnement et du climat.

M. Mathieu Darnaud . - Je partage les propos tenus par l'ensemble de mes collègues. Votre diagnostic sur la dégradation de l'environnement fait largement consensus. Mais, dans quelques semaines, le législateur va débattre de différenciation entre nos territoires. Ceux-ci présentent en effet des spécificités : les problématiques rurales ne sont pas celles que l'on rencontre dans le tissu urbain, et les problématiques du littoral ne sont pas celles des territoires de montagne. De fait, il est difficile d'imposer à l'ensemble de nos territoires des dispositions qui s'appliqueraient en tout lieu de manière absolument uniforme. Je vois là un écueil majeur, une contrainte qui empêcherait toute forme d'agilité, alors même que les différents mouvements sociaux de ces dernières années, et notamment celui des gilets jaunes, rappellent la nécessité de trouver un point d'équilibre entre l'activité économique et la protection de l'environnement. En élevant certaines de vos propositions au rang constitutionnel, je crains que nous ne fassions que contraindre encore un peu plus et imposer une application uniforme et rigide des règles à l'ensemble de nos territoires. La Charte de l'environnement, comme l'a rappelé Françoise Gatel, est adossée à la Constitution et permet la différenciation et l'agilité nécessaires.

M. Guy Benarroche . - Je suis élu des Bouches-du-Rhône et souhaite essentiellement écouter les membres de la Convention citoyenne. D'ailleurs, j'ai déjà eu l'occasion de rencontrer certains d'entre eux - rien n'est plus facile, dans nos territoires ou en visioconférence. Je ne partage pas la plupart des choses qui ont été dites par mes collègues. Je considère pour ma part qu'il est temps de passer à un autre rythme, au niveau législatif, au niveau constitutionnel, et en termes d'actions menées. Tous les moyens peuvent être étudiés pour y arriver. Une transition, un changement réel de la société, des modes de production et de consommation est aujourd'hui nécessaire. Nous ne sommes pas dans la situation où nous nous trouvions au moment de la promulgation de la Charte de l'environnement. Vous savez tous à quel point la situation de notre planète et de la biodiversité, de même que le changement climatique, ont évolué depuis. De jour en jour, ce combat et cette lutte deviennent plus urgent.

En dehors de ce projet de loi constitutionnelle, estimez-vous utile de faire figurer dans la loi la notion d'écocide ? Comment comptez-vous faire pour permettre aux députés et aux sénateurs, lorsqu'ils débattront de la loi sur le climat, d'adopter une grande partie des mesures que la Convention citoyenne a préconisées ?

M. Grégoire Fraty . - Vous avez évoqué le tirage au sort et la question de la légitimité des citoyens que l'on est ainsi allé chercher. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le président, nous avions un rôle consultatif et non décisionnel. Nous n'avons pas cherché à en avoir un autre : nous nous sommes tenus à une posture de co-construction avec les représentants élus. Certes, nous avons préconisé que siègent au CESE des citoyens tirés au sort, parce que, pour l'avoir expérimenté, nous pensons que le tirage au sort est une beau mode de démocratie participative, voire délibérative, qui permet aux citoyens qui ne s'impliquent pas, qui ne veulent pas s'impliquer ou qui n'ont pas le temps de s'impliquer, de participer à la vie de la cité. De fait, cela conduit à aller chercher des gens en très grande précarité, qui ne sont pas forcément diplômés, des mères au foyer, bref des gens qui ne vont pas forcément se présenter à des élections ou être militants dans un parti politique. Je crois en la démocratie représentative et en nos représentants élus, mais je crois aussi qu'on peut adjoindre à ces derniers des citoyens qui sont là pour leur faire des propositions, pour les conseiller, pour apporter autre chose - en somme, pour être la cerise sur le gâteau institutionnel.

Avec M. Costa, nous siégions dans le groupe « Se loger » et avons donc beaucoup parlé des problématiques d'artificialisation des sols, sur lesquelles nous avons fait plusieurs propositions. Nous avons pris en compte tous les acteurs locaux. Certains d'entre nous sont d'ailleurs maires de très petites communes. Nos propositions visent à tendre vers le zéro artificialisation, selon une temporalité bien définie et avec des logiques de compensation, que nous avons pensées à l'échelle des schémas de cohérence territoriale (SCOT), et que le projet de loi place à celle des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet). Certaines communes ont artificialisé tous leurs champs : c'est le cas de la mienne, une petite commune normande. Le schéma de cohérence, pour nous, est l'élément central. Nous ne voulons pas freiner toute artificialisation et tout développement. Il faut réfléchir en fonction des besoins des territoires, mais aussi du besoin de préservation de la biodiversité, qui n'a rien d'accessoire et doit être central - le faire figurer parmi les valeurs de la République à l'article 1 er de la Constitution permettra d'ailleurs de souligner son importance.

Nous avons auditionné des acteurs économiques, des élus, dont vous pouvez retrouver la liste sur le site de la Convention citoyenne. En tout, nous avons rencontré entre 200 et 250 intervenants. Nous les avons vus une seconde fois pour leur soumettre nos propositions. Nous avons en outre été accompagnés dans notre travail, grâce aux moyens du CESE et à ceux de l'État. Tous ces intervenants avaient d'ailleurs, parfois, des avis très divergents. Ils nous ont aidés à construire nos propositions, en cherchant le consensus. Nous-mêmes, les 150 citoyens, avions des dissensions entre nous, puisque nous comptions dans nos rangs aussi bien un pilote de ligne qu'une personne en très grande précarité, qui dormait dans la rue. Nous avons pris en compte tous les champs, tous les acteurs, autant que possible.

Vous, les sénateurs, êtes des citoyens, personne ne le nie. Mais nous proposons un référendum, pour poser la question à tous les citoyens. Ce que nous demandons au Sénat, à l'Assemblée nationale, ce n'est pas de changer la Constitution, c'est de faire cette proposition aux Français, pour que ceux-ci, derniers juges, décident si, oui ou non, ils veulent y aller. Votre travail préparatoire est très important, car il ne faut pas que des propositions farfelues soient proposées au référendum ni qu'il y ait des référendums tous les quatre matins. Nous souhaitons demander à 45 millions d'électeurs s'ils pensent que la hiérarchie entre les valeurs doit être modifiée, et s'il faut aller vers la garantie de la préservation de la biodiversité, de l'environnement et la lutte contre le réchauffement climatique. Il y aura un temps très important d'éducation, de sensibilisation, de formation à la question climatique. Ce sera un temps d'appropriation collective. Ainsi, les Français pourront se donner une direction et faire un choix eux-mêmes.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Mme Jourda demandait comment, tous les trois, vous aviez été choisis pour venir devant nous.

M. Grégoire Fraty . - À l'issue de la Convention citoyenne, après huit mois de travaux, nous avons constitué une association, qui s'appelle « Les 150 ». Entre 120 et 130 citoyens sur 150 y ont adhéré - preuve que le citoyen engagé, quand on est allé le chercher par tirage au sort, continue ensuite à s'engager ! Cette association compte douze groupes thématiques, et nous faisons partie du groupe consacré à la Constitution, dont M. Costa et moi sommes les animateurs. Nous avons fonctionné par consensus pour savoir qui serait le plus apte à répondre à vos questions, et nous voici !

Mme Muriel Jourda . - Vous n'êtes donc pas les dirigeants de cette association.

M. Grégoire Fraty . - Non. J'en ai été le coprésident, mais ne le suis plus.

M. Victor Costa . - Je vais vous faire part de mon avis global. Le dérèglement climatique, la perte de biodiversité : on en tient compte, ou pas ? Je n'arrête pas de me battre, sur les réseaux sociaux avec des gens qui ne veulent pas y croire. Or nous sommes à un tournant, et il faut faire des choix sur notre rapport à l'autre et à la politique - dont nos concitoyens commencent à se détourner. Nous-mêmes nous sommes fait avoir : nous avons fait des propositions, il ne devait pas y avoir de filtres, et on sait comment tout s'est passé. Dès le début de la Convention, autour de moi, on me demandait pourquoi je m'échinais à y participer, puisque tout serait démonté à la fin. J'ai voulu y croire, et espéré qu'il n'y aurait pas de filtres. Tout a été filtré. On ne peut pas continuer comme cela, et on ne peut pas continuer à nier que nous avons des problèmes.

Limiter le réchauffement à 2 degrés, c'est maintenant impossible
- M. Jancovici, enseignant à Mines ParisTech, le dit clairement. Bien sûr, nous devons continuer à vivre normalement et à développer nos activités. Mais il faut prendre tous les enjeux en compte. Tous les jours, on voit les glaciers fondre et des espèces disparaître. Or le monde ne nous appartient pas, nous en faisons partie : nous sommes composés des mêmes atomes qu'une plante, une pierre, un arbre... Il faut adapter nos modes de vie. On peut continuer à construire, mais avec des matériaux renouvelables ! On sait que le ciment est émetteur de CO 2 . Bref, il faut prendre en compte tous les paramètres, progressivement, mais assez vite, car nous n'avons pas tout le temps non plus. Sinon, continuons comme à présent, et nous verrons bien à quel moment nous suicider. Mon frère me dit qu'il s'en fiche, que dans un certain nombre d'années il ne sera plus là. On peut voir les choses comme ça. Mais moi, j'ai des enfants, qui auront des enfants. On ne peut pas choisir de n'en faire qu'à sa tête pendant encore 20 ou 30 ans, quoi qu'il arrive ensuite !

Mme Mélanie Blanchetot . - En tant que citoyens tirés au sort, nous n'étions pas là pour écrire les lois : c'est votre travail ! Nous étions là pour dire ce qui nous paraît acceptable par la société. D'ailleurs, nous n'avons pas repris tout ce qui nous a été proposé. Sur la démographie, par exemple, il ne nous a pas paru acceptable de légiférer. Taxer la viande ne nous a pas davantage paru opportun. J'ai découvert l'intelligence collective de citoyens qui venaient de tous horizons. Chacun ayant une vie différente pouvait dire quels seraient pour lui les impacts des mesures envisagées.

Moi qui n'avais pas conscience de l'urgence climatique, comme beaucoup de mes concitoyens, j'ai vraiment pris une claque. Mais j'ai aussi appris que la transition écologique et la lutte contre le dérèglement climatique sont une opportunité ! Elles ne doivent pas être vues comme quelque chose qui va tout bloquer et tout paralyser : c'est une opportunité à saisir, et si la France ne la saisit pas, d'autres pays le feront.

J'entends dire que cela bloquerait les innovations. Oui, les innovations néfastes, mais pas celles dont les conséquences auront été réfléchies. Nous voulons développer des industries d'avenir et protéger nos entreprises pour qu'elles soient plus résilientes, pas paralyser notre économie. Moi-même, je me suis demandé s'il fallait changer la Constitution. On dit aussi que les entreprises vont toutes se délocaliser. Nous en avons beaucoup discuté, et nous nous sommes beaucoup renseignés. En fait, les industries du futur, ce sont les entreprises respectueuses de l'environnement. C'est en protégeant nos terres, nos sols et nos eaux qu'on assurera la survie de nos industries et de notre agriculture. Au sein du groupe « Se nourrir », nous avons eu des débats contradictoires avec Greenpeace, la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et le directeur de Système U. Il y avait de l'ambiance ! Ces débats ont alimenté notre réflexion. En tous cas, nous avons bien pris en compte l'économie, et nous n'avons pas voulu mettre l'écologie au-dessus de tout. D'ailleurs, les libertés demeurent égales : le juge devra les concilier. Si nous ne faisons rien, la France s'expose à des condamnations dans quelques années, par l'Europe ou dans le monde.

Le terme « garantir » figure déjà dans la Constitution, où il est écrit que la République garantit à tous la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et le loisir. J'ai donc un peu de mal à comprendre pourquoi il y a un tel blocage sur ce point. Vous évoquez la liberté d'entreprendre. La liberté, c'est faire ce qui ne nuit pas à autrui. La liberté d'entreprendre, cela n'a jamais été de polluer et de porter atteinte à l'environnement. Pour autant, il n'est pas question d'arrêter toute industrie.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Allez-vous, au moins, nous laisser rêver ? Je dis cela en plaisantant, car je partage une grande partie de tout ce que vous dites. Mais les enjeux environnementaux ne doivent pas devenir bloquants pour le développement. En fait, il s'agit plus d'une clarification que d'une véritable opposition : les enjeux que vous exposez tous les trois, je suis intimement convaincu que nous les partageons tous ici. Mais en tant que législateurs et constituants, nous devons faire du droit. Lorsque vous dites que tout ce qui est dans la Constitution est d'égale valeur, vous avez raison. Le terme « garantit », pour vous, impliquerait une obligation de résultat. Ailleurs dans la Constitution, il désignerait comme une obligation de moyens. La question est de savoir comment, lorsqu'il se prononcera, le Conseil constitutionnel interprétera la notion de garantie. Les notions d'obligation de moyens ou de résultat n'ont guère de place dans sa jurisprudence, car il n'a pas une vision civiliste des choses.

M. Grégoire Fraty . - Ne vous inquiétez pas, nous allons bien vous laisser rêver ! Même, on peut rêver de voler dans des avions verts : je crois qu'Airbus et Safran travaillent sur le sujet.

Sur ces notions juridiques, nous sommes tout à fait d'accord avec vous, et nous avons eu ce débat. Pour ma part, j'étais partisan au départ d'un terme comme « agir », par exemple, sans doute moins malléable juridiquement. Nous avons choisi le terme « garantit » parce que, selon nous, il crée une obligation de moyens et une quasi-obligation de résultat, pour reprendre les termes du Conseil d'État. Pour nous, il n'y a pas de quasi-dérèglement climatique, on ne va pas vivre sur une planète quasi-polluée ! Il va falloir agir, mettre les moyens. Pour cela, il faut que l'État s'engage. Nous voulons créer une obligation d'avancer, d'aller vers le mieux, vers le meilleur. Nous pensons que cette proposition n'a de sens que si elle est proclamée par 47 millions d'électeurs français. D'où l'idée d'un référendum, car cela donnera un poids politique à ce changement. On a vu beaucoup d'écologie d'incantation, et l'on constate que cela ne mène guère à des améliorations - ou alors, trop lentes. Un tel coup de pied aux fesses démocratique permettrait de signifier que les Français veulent aller vers des résolutions fortes, avec une obligation de moyens et une quasi-obligation de résultat, parce qu'ils ont pris conscience qu'il y a urgence.

Mme Catherine Di Folco . - Je souhaite réagir aux propos de M. Costa sur les élus, qui me chagrinent beaucoup, d'autant qu'ils reflètent sans doute ce que pensent beaucoup de gens. Il y a des milliers et des milliers d'élus, notamment locaux, qui se démènent au quotidien pour assurer la qualité de vie de leurs concitoyens. Ce sont des gens honnêtes, vraiment très honnêtes, et ils se heurtent aussi, parfois, à des difficultés administratives, ou se voient opposer des refus comparables à ceux que vous avez essuyés avec vos propositions. Nous aussi, d'ailleurs, nous sommes des citoyens, comme vous, nous venons aussi de la société civile, pas de Mars ! Nous avons presque tous été maires - c'est comme cela qu'on prend connaissance des affaires - et nous mettons du coeur à ce que nous faisons, comme les milliers d'élus locaux qui se lèvent tous les matins pour faire tourner leur commune : ils y vont avec les tripes ! Il serait donc bon que le regard change un peu, car nous en souffrons tous, alors que nous nous engageons et prenons des responsabilités, au quotidien, pour le bien-être des autres - pas le nôtre.

M. Victor Costa . - Lorsque nous avons commencé à travailler sur l'article 1 er , les journaux disaient que le texte ne passerait jamais et qu'il serait bloqué au Sénat, le Sénat étant de droite. Évidemment, quand on lit des choses pareilles, on se dit que rien ne sert à rien, que tout est joué. Mais ce ne sont pas les journaux qui font les lois ! C'est bien à vous de décider !

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - C'est pour cela que vous êtes venus ici ce matin, et je vous en remercie. L'examen du projet de loi en commission est prévu le 5 mai, et le texte sera débattu en séance publique la semaine suivante.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

Audition de Mme Clara Gonzales, juriste auprès de Greenpeace France,
et Mme Marie-Anne Cohendet, présidente du conseil scientifique
de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et l'homme

(Mercredi 14 avril 2021)

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Mes chers collègues, dans le cadre de l'examen du projet de loi constitutionnelle complétant l'article 1 er de la Constitution et relatif à la préservation de l'environnement, nous recevons aujourd'hui Mmes Clara Gonzales et Marie-Anne Cohendet, qui représentent respectivement Greenpeace France et la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme.

J'indique à la commission que nous avions sollicité deux autres associations, WWF France et France Nature Environnement, qui ont préféré se consacrer au projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, en cours d'examen par le Parlement.

M. Guillaume Chevrollier, rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, est également présent.

Nous arrivons au terme de nos auditions sur ce projet de révision constitutionnelle. Nous avons auditionné beaucoup de juristes. L'enjeu concerne certes la protection de l'environnement, mais il s'agit d'abord de droit et de la traduction de cet objectif dans la Constitution. Nous avons également entendu des associations de toute nature, ainsi que des élus locaux, et sommes aujourd'hui très intéressés par votre audition, mesdames.

Mme Clara Gonzales, juriste auprès de Greenpeace France. - Mesdames les sénatrices, messieurs les sénateurs, merci de votre invitation.

Vous faisiez référence au projet de loi sur le climat. Greenpeace France est en effet plus actif dans son plaidoyer à ce sujet. Cependant, nous avons déjà été auditionnés par l'Assemblée nationale sur le projet de révision constitutionnelle. Je ne suis pas constitutionnaliste, mais nous souhaiterions vous faire passer un certain nombre de messages.

Je commencerai par une rapide présentation de ce qu'est le pôle juridique de Greenpeace France. L'association est structurée autour de thématiques - pétrole, océan, agriculture et forêt, énergie, climat, transports -, à propos desquelles nous développons un certain nombre de tactiques. Nous sommes connus pour des actions non violentes qui expliquent notre forte activité juridique en défense. Néanmoins, nos campagnes mobilisent d'autres tactiques, comme la sensibilisation, la publication de rapports ou le plaidoyer. D'autres ressources peuvent toutefois être mobilisées en interne
- rapports scientifiques, expertise financière, cartographie, enquêtes. Le pôle juridique a deux rôles principaux, être proactif en matière de stratégies de campagne en proposant des opérations contentieuses contre l'État ou les acteurs économiques privés, et contribuer aux plaidoyers, comme aujourd'hui.

Notre autre rôle est également de garantir la défense de Greenpeace en tant que personne morale, de nos militants et de nos activistes. À ce titre, nous nous engageons aussi dans la protection de la liberté d'expression contre des projets de réformes que nous estimons attentatoires aux libertés ou qui renforcent la répression contre les activistes, notamment environnementaux, que ce soit la création de la cellule Déméter il y a quelques années ou l'adoption de textes tels que le projet de loi confortant le respect des principes de la République ou la proposition de loi relative à la sécurité globale.

S'agissant du projet de révision constitutionnelle, je souhaite aborder le sujet en deux temps. J'insisterai d'abord sur l'urgence de cette révision pour la protection du climat et de l'environnement, avant d'évoquer les limites de la mesure proposée et de formuler des recommandations.

Tout d'abord, l'urgence de la protection de l'environnement suppose aujourd'hui une réponse à la hauteur des enjeux, tant face au dérèglement climatique qu'à l'heure de la sixième grande extinction du vivant, avec un minimum d'effectivité à court terme des mesures proposées par le Gouvernement et adoptées par le Parlement afin de garantir une meilleure protection de l'environnement.

Sous l'angle de l'effectivité, nous nous montrons assez critiques vis-à-vis du bilan du Gouvernement, surtout s'il venait à se clôturer uniquement sur cette proposition de révision constitutionnelle qui, comme cela a été rappelé il y a peu dans la presse, n'a a priori pas toutes ses chances d'aboutir devant le Sénat ou, en tout cas avec un réel risque d'affaiblissement dans la formulation.

On constate aujourd'hui un affaiblissement général et une régression de toutes les barrières censées protéger l'environnement que sont la dissuasion, les autorités de sanction, la régulation, la Commission nationale du débat public (CNDP), les commissaires enquêteurs, qui seraient voués à disparaître si l'on suit la ligne du Gouvernement actuel, qu'il s'agisse de la loi d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) ou de la loi pour un État au service d'une société de confiance (Essoc), avec des expérimentations de suppression des enquêtes publiques.

Pour Greenpeace, d'un point de vue politique, ce projet de loi constitutionnelle a un caractère dilatoire, alors même que nous n'avons aucune assurance que la loi référendaire aboutisse. Nous ne voudrions pas que cette réforme masque le fait que le Gouvernement a renié sa promesse de transmettre « sans filtre » les propositions de la Convention citoyenne pour le climat, ce sont témoigne le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, qui arrivera bientôt devant vous. À ce titre, il est important de rappeler que la Convention citoyenne pour le climat a conçu sa proposition de révision constitutionnelle comme le complément des autres propositions qu'elle a formulées. En tant que sénateurs et sénatrices, en tant que membres de la commission des lois, vous êtes surtout attendus sur le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, car c'est là que vont résider les réels enjeux des débats parlementaires, en tout cas du point de vue de l'effectivité à court terme.

Je m'adresse donc à vous aujourd'hui pour vous demander de vous engager à soutenir les amendements permettant d'améliorer le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique, ceux des associations mais pas uniquement, afin de répondre à l'urgence réelle et à la promesse de transmission « sans filtre », qui vous oblige aussi.

S'agissant du projet de révision constitutionnelle, il nous semble impossible d'affirmer aujourd'hui qu'il constitue une révolution juridique. Greenpeace a essayé d'imaginer ce qu'une telle inscription dans la Constitution aurait réellement changé à nos demandes et à nos actions ces dernières années. D'autres associations l'ont fait. Force est de constater qu'en termes d'effets, elle n'aurait quasiment rien modifié.

J'insiste sur cet aspect des choses pour illustrer à quel point la réforme ne répond pas à l'urgence de l'effectivité, que ce soit à propos des autorisations de projets polluants, de la responsabilité des entreprises ou de la sûreté nucléaire.

France Nature Environnement, qui a une expérience significative en matière de question prioritaire de constitutionnalité (QPC), considère que la révision constitutionnelle, si elle n'intégrait pas le principe de non-régression, se réduirait à une démarche politique et communicationnelle traduisant un manque d'ambition politique.

Il existe une affaire dans laquelle il aurait été intéressant de mesurer la portée de cette révision, c'est l'Affaire du siècle, dont nous sommes l'un des initiateurs. À cet égard, il est intéressant de noter que le tribunal administratif n'a pas attendu son inscription explicite dans la Constitution pour dégager une obligation incombant à l'État de lutter contre le réchauffement climatique. Notre argumentaire s'est appuyé sur des obligations implicites contenues dans la Charte de l'environnement et la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Dans sa décision, le tribunal administratif fait explicitement référence à l'article 3 de la Charte de l'environnement pour dégager cette obligation.

À cet égard, on peut dire que, par rapport au droit positif, cette inscription dans la Constitution, même si elle est bienvenue, arrive un peu tard dans le sens où, selon nous, l'obligation existe déjà. Elle vient d'être reconnue par le tribunal administratif et a pu être dégagée à partir de deux catégories d'obligations qui existent déjà dans le droit positif, l'une générale, qui serait issue de la Charte de l'environnement et de la CEDH, et l'autre spécifique, avec les directives de l'Union européenne et, au niveau national, la transposition du paquet énergie-climat et la stratégie nationale bas carbone, qui engagent l'État.

Je souhaite enfin attirer votre attention sur une responsabilité qui vous incombe pour la protection de l'environnement, soulignée par l'ensemble des experts et des spécialistes : c'est de refuser toute remise en cause régressive des dispositions existantes de la Charte de l'environnement, notamment toute atteinte au principe de précaution.

Greenpeace soutient bien entendu le renforcement de la protection constitutionnelle de l'environnement, qu'il s'agisse de la biodiversité ou du climat et, en particulier, le renforcement des obligations des acteurs publics. Nous identifions deux apports principaux dans la rédaction actuelle.

Le premier consiste à passer de l'équivoque à l'univoque s'agissant de l'obligation de lutter contre le changement climatique. S'il est évident pour certains que l'environnement intègre la biodiversité et le climat, ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, et l'ajout de la mention explicite du climat permettra de clore certains débats. Elle devrait permettre de sortir de la conception naturaliste du terme « environnement » encore présente, notamment dans les analyses qu'en fait le Conseil constitutionnel.

Malgré la marge d'interprétation importante dont dispose le Conseil constitutionnel, avec sa possibilité d'invoquer des moyens d'office, il a eu jusqu'à présent du mal à dégager de la Charte de l'environnement des obligations générales définies, comportant un contenu. Il existe des obligations spécifiques, par exemple en matière de droit à l'information et à la participation, comme l'article 7, mais pas d'obligations générales définies dans leur portée. Même si le climat a été mentionné dans les travaux préparatoires de la Charte de l'environnement, le Conseil constitutionnel n'a jamais reconnu que celle-ci le protégeait.

Autre exemple qui démontre l'intérêt d'intégrer la mention de la biodiversité : il résulte des considérants de la Charte que « les ressources et les équilibres naturels ont conditionné l'émergence de l'humanité » et que « l'avenir et l'existence même de l'humanité sont indissociables de son milieu naturel ». Or dans une décision très récente sur les produits phytopharmaceutiques, le Conseil constitutionnel s'est refusé à déterminer la portée de ce considérant en ce qui concerne la protection de la biodiversité.

Par ailleurs, l'emplacement prévu pour les nouvelles dispositions nous semble le bon. L'article 1 er de la Constitution définit l'identité de la République. Sa portée symbolique est évidente.

Le projet a le mérite de clarifier l'existence d'une obligation de portée générale relative tant au climat qu'à la biodiversité, même si, aujourd'hui, rien ne nous garantit que le Conseil constitutionnel lui donnera sa pleine dimension.

Le deuxième apport principal de la réforme réside dans un levier supplémentaire pour le Conseil constitutionnel en matière d'appréciation de la constitutionnalité des textes qui lui sont soumis et dans un processus potentiel d'acculturation pour les juridictions. On va ainsi pouvoir, en sortant d'une approche naturaliste, élargir le champ des sujets concernés et permettre le contrôle constitutionnel des législations relatives à des secteurs particulièrement polluants.

Surtout, cette révision doit permettre de mieux définir les obligations. Il me semble que c'est ici que vous devez être particulièrement vigilants concernant les tentatives d'affaiblir le texte. Le Conseil d'État a recommandé d'utiliser le verbe « favoriser ». Or « favoriser » ne permet pas de dégager une obligation et un droit à une liberté garantie par la Constitution, selon la jurisprudence du Conseil constitutionnel. Employer le verbe « favoriser » priverait la phrase de toute portée. Elle n'ajouterait rien par rapport à la Charte de l'environnement, et il nous semble que soumettre au peuple par voie référendaire un projet de révision constitutionnelle cosmétique serait une grave erreur. A minima , il faudra conserver l'emploi des termes « garantir » et « lutter ». Je laisserai Marie-Anne Cohendet développer ce sujet.

Certains estiment qu'il s'agirait d'une obligation de moyens renforcée, d'autres d'une obligation de résultat. Je crois comprendre que c'est un débat de constitutionnalistes. Une obligation de moyens renforcée constitue déjà un élément engageant pour le Gouvernement et les acteurs publics, et donne une marge de manoeuvre au Conseil constitutionnel.

À cet égard, si les propositions de révision constitutionnelle qui ont été faites ces cinq dernières années ont pu être jugées superfétatoires par certains professeurs de droit, a priori , et étant donné les récentes décisions du Conseil constitutionnel, il n'en irait pas de même de ce nouveau texte. A minima , il aurait le mérite de clarifier la place du climat et la portée de l'obligation des acteurs publics.

Cette réforme obligera le législateur à se poser la question de la protection de la biodiversité et de l'obligation de lutte contre le dérèglement climatique à l'occasion de chaque nouveau texte. Les décisions rendues par le Conseil constitutionnel seront particulièrement intéressantes dans les années à venir, si la réforme est adoptée : dans le cadre du contrôle de l'incompétence négative, le Conseil constitutionnel aura à se prononcer sur la question de savoir si le législateur a bien mis en place tous les moyens nécessaires pour lutter contre le réchauffement climatique, ce qui correspondrait à un contrôle d'une obligation de moyens renforcée.

Les effets de la réforme seront également intéressants selon nous à propos de certains secteurs d'activité très émetteurs, où le pouvoir législatif est susceptible d'intervenir. Il en va ainsi de l'énergie - notamment du secteur nucléaire - et des transports. Il nous semble à cet égard qu'une interprétation favorable du Conseil constitutionnel pourrait permette, à terme, de renforcer non seulement les obligations des acteurs publics mais aussi celles des entreprises dans les secteurs polluants.

Le dernier point concerne l'acculturation des juridictions. Greenpeace se bat depuis de nombreuses années pour obtenir la création de juridictions spécialisées, dont on entrevoit l'embryon avec le projet de loi sur la justice pénale spécialisée récemment adopté, avec des juges et des enquêteurs mieux formés. Cela suppose une augmentation des moyens de la justice, mais avant tout que les acteurs se sentent concernés par les enjeux. À ce titre, la portée symbolique de l'inscription des termes proposés dans la norme suprême n'est pas à négliger.

Je pondère ces apports positifs potentiels en rappelant que, dans de nombreux domaines, les décisions du Conseil constitutionnel se sont jusqu'à présent montrées très décevantes, du point de vue des droits humains ou de la protection de l'environnement. Il peut donc se passer un certain temps avant que les mesures produisent leurs effets.

L'avis du Conseil d'État montre bien que l'évolution de nos institutions prend un certain temps. Le Conseil d'État avait rendu le même avis en juin 2019 concernant le projet de révision constitutionnel de l'époque, qui était assez similaire.

En conclusion, la réforme serait selon nous plus ambitieuse si le principe de non-régression y était intégré. Ce principe aurait une utilité dans le cadre de lois de portée générale, mais aussi sectorielles. Elle pourrait notamment être intéressante en matière de participation du public, l'interprétation faite par le Conseil constitutionnel de l'article 7 de la Charte de l'environnement étant selon nous insuffisante aujourd'hui. Il en irait différemment si l'article 7 était couplé à un principe de non-régression. J'évoquais en préambule les lois Essoc et Asap, qui ont détricoté les règles relatives à la participation du public et au rôle de la CNDP. Un principe de non-régression aurait par ailleurs pu avoir un effet très concret sur l'usage de produits phytopharmaceutiques.

J'insiste sur le fait que, seule, cette mesure aura une portée limitée. Il est urgent d'agir, notamment en n'autorisant pas le détricotage de la démocratie environnementale, mais aussi en s'assurant que les atteintes à l'environnement puissent être correctement sanctionnées par les magistrats. Je fais ici référence à la création de deux délits prévue par le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, que les juges et nous attendons depuis longtemps, et dont il conviendra de vérifier qu'ils peuvent être qualifiés dans un nombre suffisant de situations pour être utiles, ce que la rédaction du Gouvernement ne permet pas.

Ces débats arriveront devant vous dans un second temps, mais ils sont intrinsèquement liés au projet de révision constitutionnelle que vous étudiez en ce moment.

M. François-Noël Buffet , président . - La commission des lois est toujours sensible à l'avis des personnes qu'elle auditionne, mais elle est aussi très sensible à sa liberté. Vous avez cité Boileau. Je citerai Montesquieu, si vous me le permettez : on ne peut modifier la Constitution que d'une main tremblante... Nous nous tiendrons à ce principe, pour ce qui nous concerne. Par ailleurs, ce que dit la presse n'est pas toujours la vérité...

Mme Marie-Anne Cohendet, présidente du conseil scientifique de la Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme . - J'interviens ici en tant que présidente du conseil scientifique de la Fondation Nicolas Hulot pour la nature et pour l'homme. Je suis également professeure de droit constitutionnel et de droit de l'environnement à l'université Paris I - Panthéon Sorbonne. Il se trouve que je travaille depuis plus de trente ans sur les questions de droit constitutionnel de l'environnement. J'étais allée pour cela au sommet de la terre à Rio de Janeiro en 1992. Je tiens par ailleurs une chronique dans la Revue juridique de l'environnement depuis des années et suis l'auteure d'un manuel de droit constitutionnel et de plusieurs autres livres, dont un Droit de l'environnement chez Dalloz et un Droit constitutionnel de l'environnement , qui va paraître le 13 mai prochain. Ce sont donc des questions que j'étudie très sérieusement depuis une trentaine d'années.

Cette convergence du droit constitutionnel et du droit de l'environnement est très importante au niveau national, mais également pour l'ensemble de la planète. J'ai été récemment consultée par David Boyd, rapporteur spécial de l'Organisation des nations unies (ONU), qui m'a demandé de réaliser une expertise pour la France. J'ai également été consultée par des députés allemands, très intéressés de voir les apports du droit français sur ces questions, et également par des collègues et autorités du Chili, pays qui révise actuellement sa Constitution et envisage d'y intégrer des normes environnementales.

À l'échelle de la planète, le fait de protéger l'environnement dans la Constitution n'a rien d'une élucubration. Vous êtes, monsieur le président, très sensible à Montesquieu. C'est également mon auteur juridique préféré. En 1748 déjà, il affirmait que « l'État doit à chacun des conditions de vie qui ne soient point contraires à sa santé. » Il me semble indispensable aujourd'hui de considérer que la protection de l'environnement est nécessaire à la protection de notre santé, qui figure dans le préambule de 1946 et, plus largement, à la préservation de nos conditions de vie.

On observera que cette protection de l'environnement est non seulement garantie par les constitutions du monde entier, mais également par la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, la Cour européenne des droits de l'homme ayant le pouvoir de condamner la France comme les autres États s'ils ne respectent pas suffisamment ces droits.

Actuellement, environ 170 constitutions contiennent des dispositions relatives à la protection de l'environnement. C'est énorme ! Une centaine d'entre elles mettent en avant les droits de l'homme en matière d'environnement et imposent un devoir de protection de l'environnement. Nous ne sommes donc pas des originaux en protégeant l'environnement dans la Constitution : c'est une chose qui est assez répandue.

Cependant, la France peut s'enorgueillir d'avoir une Charte particulièrement claire, cohérente et complète. En matière de protection de l'environnement, c'est un des textes les plus sophistiqués au monde. D'autres, qui sont plus complets, plus modernes aussi, protègent la nature elle-même, alors que notre vision reste anthropocentrique. Nous sommes donc bien placés dans le monde, mais nous ne sommes pas seuls à protéger l'environnement dans la Constitution.

En ce qui concerne le droit international et la Convention européenne des droits de l'homme, le texte du Conseil de l'Europe date de 1950, époque à laquelle on n'évoquait pas beaucoup ces questions environnementales. Pour autant, la Cour de Strasbourg a eu recours à des droits classiques, en particulier le droit de propriété, pour protéger l'environnement. Elle a en effet constaté que si l'environnement n'est pas bien protégé, la propriété des sols ou de l'eau peut être gravement affectée. De même, la CEDH a jugé que la protection de l'environnement peut être nécessaire à la protection du droit à la vie, garanti par l'article 2 de la Convention. Elle a aussi utilisé l'article 8 sur le droit à une vie privée et à une vie familiale normale. La CEDH condamne aujourd'hui les États qui ne protègent pas suffisamment l'environnement, comme on l'a vu dès sa décision Lopez Ostra contre Espagne , de 1994.

La protection de l'environnement est une obligation qui nous incombe en droit international, mais que nous avons également consacrée dans la Charte de l'environnement.

Une des grandes questions qui se pose et qu'ont soulevée certains collègues qui connaissent soit le droit de l'environnement, soit le droit constitutionnel - on ne peut tout étudier, et nous avons tous nos spécialités - et de savoir si le texte proposé va servir à quelque chose, puisque la Charte de l'environnement existe déjà. La question n'est pas impertinente. De fait, la Charte de l'environnement affirme le droit de l'homme à un environnement sain.

Il est donc bien évident que le texte que vous examinez n'a rien de révolutionnaire.

Avant d'entrer dans le détail de l'analyse juridique, voyons comment le projet de révision est perçu pour l'instant. Le texte que vous examinez a fait l'objet de critiques de part et d'autre. Certains trouvent qu'il ne va pas assez loin, d'autres qu'il va trop loin. Il me semble que ce texte a adopté une voie raisonnable intermédiaire.

Nous venons de l'entendre à l'instant - et je suis d'accord avec la quasi-totalité des propos qui viennent d'être tenus par Clara Gonzales -, ce texte ne constitue pas une révolution, nous sommes tous d'accord sur ce point. Cependant, il n'est pas inutile.

Les protecteurs de l'environnement le critiquent en disant qu'on enjolive la Constitution mais que, de l'autre main, on détricote le droit de l'environnement, et cela génère une certaine colère chez certains. Cette critique est parfaitement compréhensible et légitime. Pour autant, ce n'est pas parce que le texte n'est pas révolutionnaire qu'il est inutile.

Dans le détail, puisque le droit de l'homme à un environnement sain existe déjà, cela va-t-il apporter quelque chose de dire que la France garantit la protection de l'environnement, de la biodiversité et la lutte contre les changements climatiques ? Oui, cela va apporter quelque chose. Tout d'abord, ce qui va sans dire va encore mieux en le disant. Si l'on réalise une interprétation extrêmement sérieuse et approfondie de la Charte et de ses considérants, il est évident que la notion de protection de l'environnement inclut l'action contre les changements climatiques et la protection de la biodiversité. À cet égard, l'analyse du Conseil d'État ne me paraît pas pertinente, lorsqu'il estime qu'il pourrait y avoir une forme de contrariété entre l'article 1 er et l'article 34. La protection de l'environnement, en général, inclut la biodiversité et l'action contre le changement climatique. C'est évident pour qui connaît un peu les questions environnementales.

Pourquoi le préciser ? Certains, notamment parmi les protecteurs de l'environnement, se sont dit qu'on allait favoriser l'action contre le changement climatique et oublier le reste. Pas du tout ! Dès lors que le texte réaffirme - et c'est absolument indispensable - la protection de l'environnement en général, c'est tout l'environnement qui doit être protégé.

Pourquoi faire référence précisément à l'action contre le changement et pour la biodiversité ? Dominique Bourg l'a fort bien rappelé, et il était important que ce soit lui qui le rappelle, car il a participé à la rédaction de la Charte de l'environnement. Par rapport à 2004, époque de la rédaction de la Charte, les changements majeurs qui ont affecté l'environnement sont les changements climatiques, qui se sont accélérés de manière phénoménale, ainsi que la réduction dramatique et très rapide de la biodiversité.

Il est donc tout à fait pertinent de protéger l'environnement en général et de préciser ces deux points. Ce n'est pas contradictoire. En effet, cette réforme vise à réaffirmer et à préciser la volonté du peuple.

Selon une interprétation sérieuse et cohérente de la Charte, je l'ai dit, on devrait déjà protéger l'environnement en général, y compris agir contre le changement climatique et protéger la biodiversité. Mais, comme cela a été très justement rappelé par Clara Gonzales, jusqu'à présent la jurisprudence est très timide. Le juge administratif, par exemple, dans de très nombreux cas, recherche les normes de référence pour protéger l'environnement dans le droit européen, en particulier en matière de pollution de l'air, comme si l'Europe était plus protectrice que la France en matière d'environnement. C'est ennuyeux, car nous avons une Charte de l'environnement. Mais les juges ne l'appliquent pas comme ils devraient le faire. Ils traitent du droit de l'homme à un environnement sain comme d'une vague pétition de principe, alors que c'est un droit tout aussi important que le droit à la liberté ou à l'égalité.

Notons au passage que la protection de la dignité est très liée à celle de l'environnement. On le voit notamment dans de nombreux textes internationaux et dans la jurisprudence étrangère. On peut observer que, dans sa jurisprudence, le Conseil constitutionnel protège la dignité, mais ne fait pas le lien entre la dignité et l'environnement.

Il s'agit de réaffirmer la volonté du peuple de protéger le droit à un environnement sain. Pourquoi la réaffirmer ? Parce que les juges et le législateur ne l'appliquent pas assez - nous y reviendrons. Il appartient donc au peuple, lorsque les pouvoirs publics et les juges ne respectent pas sa volonté, de taper du poing sur la table en disant sa volonté. Ce n'est pas une innovation : il avait déjà fallu réviser la Constitution à propos de la parité, parce que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur les quotas par sexe excluait la possibilité de réserver des quotas de femmes pour les élections. De même, en matière de droit d'asile, il avait fallu réviser la Constitution pour surmonter la jurisprudence du Conseil constitutionnel.

Il n'est donc pas choquant d'adopter cette réforme pour réaffirmer et préciser la Charte de l'environnement.

Préciser la volonté du peuple sur ces deux éléments qui ont beaucoup évolué - changement climatique et biodiversité - renforcerait symboliquement la protection de l'environnement. Là encore, Clara Gonzales l'a très bien dit.

Arrêtons-nous un instant sur ce point. Beaucoup d'auteurs ont estimé que ce serait une bonne chose, notamment Bastien François. Ils ont raison, car le symbolique est très important en droit, et l'article 1 er de la Constitution énonce les bases de notre République - laïcité, égalité, etc . Il s'agit des valeurs fondamentales qui nous unissent, la protection de l'environnement y a tout à fait sa place.

Toutefois, cette réforme n'est pas seulement symbolique : elle pourrait avoir des effets juridiques puisque les juges devront la respecter. Ces effets juridiques ont pu faire un peu peur, et on a craint, notamment le Conseil d'État, que le verbe « garantit » ne soit trop fort.

Je m'arrête ici un instant. Certains auteurs ont dit que cette réforme constitutionnelle n'apporterait rien du tout. Le Conseil d'État a démontré le contraire puisque, dans ses avis, il craint que le terme « garantit » ou « assure » ne soit trop fort et veut les remplacer par le terme « favorise ». Bien sûr, cela renforcera la protection de l'environnement, même si ce n'est pas une révolution puisque le seul fait qu'il existe un droit de l'homme dans l'environnement fait qu'on a obligation de le protéger. C'est simplement une obligation rappelée, réaffirmée, précisée et renforcée.

Dominique Rousseau, avec qui j'étais sur les ondes il y a peu, affirmait que cette révision ne changerait rien du tout, puisque le Conseil constitutionnel a jugé que, dans certains cas, il faut limiter la liberté d'entreprendre pour garantir la protection de l'environnement. C'est tout à fait juste, et cela peut rassurer ceux qui craignent qu'on ne limite la liberté d'entreprendre à cause de cette réforme : c'est déjà le cas - et c'est tout à fait normal. La liberté d'entreprendre n'est pas toute-puissante ni au-dessus des autres droits. Tous les droits de l'homme sont égaux, et il appartient aux juges, notamment au Conseil constitutionnel, d'en assurer la meilleure conciliation.

De ce point de vue, il n'y aura pas de révolution. Cependant, cela renforcera la protection juridique de ce droit, notamment par le biais de la question prioritaire de constitutionnalité (QPC), c'est-à-dire du contrôle des lois en vigueur. Pour l'instant, et sous réserve d'une évolution incertaine, le Conseil constitutionnel estime que les considérants de la Charte ne peuvent être invoqués en QPC. Or on constate que, dans le texte actuel de la Charte, la biodiversité n'est invoquée que dans les considérants. Si un texte de loi existant porte gravement atteinte à la biodiversité, il y a fort à parier que le Conseil constitutionnel écarte ce grief. Le texte qui vous est donc soumis apportera un vrai progrès puisqu'il permettra un meilleur contrôle.

Je tiens à souligner que ce texte ne sera pas, pour le législateur, un carcan mais une ressource. Même si le Conseil constitutionnel doit veiller à ce que le législateur respecte la Constitution et l'applique effectivement, l'analyse de sa jurisprudence, dans tous les domaines, jusqu'à aujourd'hui, montre fort bien qu'il ne reproche pratiquement jamais au législateur de ne pas avoir apporté de garanties suffisantes. On l'a vu par exemple dans la décision récente sur la dérogation à l'interdiction des néonicotinoïdes pour la culture de la betterave sucrière. Il a considéré que cette exception était ponctuelle, limitée dans le temps, dans son objet, etc ., et qu'il n'y avait pas d'atteinte fondamentale aux principes.

Ce ne sera donc pas un carcan, parce que le Conseil constitutionnel ne réalise qu'un contrôle de l'erreur manifeste, du caractère manifestement inapproprié de telle ou telle législation par rapport à l'objectif.

En revanche, ce sera un moyen d'assurer votre propre survie. La dégradation atteint en effet un tel niveau qu'il ne s'agit plus seulement de nos enfants, de nos petits-enfants, mais aussi de nous-mêmes. On annonce 55 degrés dans les prochaines années à Paris, et beaucoup de gens n'y survivront pas car, soumis à de telles températures, le système respiratoire ne fonctionne plus.

Si nous voulons assurer notre propre survie et celle des générations futures, il nous faut des ressources supplémentaires. Or ce texte vous en fournira, ainsi qu'aux juges administratif et constitutionnel, qui pourront assurer plus efficacement la conciliation entre la protection de l'environnement et les autres droits fondamentaux.

S'agira-t-il d'une obligation de moyens ou de résultats ? Il y a eu des débats sur ce point. Je suis d'accord avec le Conseil d'État lorsqu'il estime qu'il existera une quasi-obligation de résultat. Tout comme le législateur et le juge doivent protéger le principe d'égalité, ils devront protéger l'environnement, notamment sur ces points-là.

Cependant, cela ne signifie pas que, demain, des torrents de contentieux vont déferler à la moindre pollution ou à la moindre dégradation de l'environnement. Le terme « garantit » - revenons-y un instant - fait un peu peur. Pourtant, il est déjà utilisé huit fois dans la Constitution.

Le Conseil d'État estime que le terme est trop fort et conseille de le remplacer par le terme « favorise ». Je suis en désaccord total avec le Conseil d'État sur ce point !

En effet, l'analyse de l'ensemble de la jurisprudence de tous les tribunaux démontre que le Conseil d'État est complètement à côté de la plaque ! Son analyse ne me paraît pas du tout justifiée, en particulier s'agissant du contentieux constitutionnel. À huit reprises, la Constitution affirme déjà que tel ou tel élément doit être garanti, six fois dans le Préambule, deux fois dans les articles. Dans le préambule de 1946, à l'alinéa 11, la Nation « garantit » la protection de la santé. Cela n'a absolument pas généré des flots de contentieux, cela n'a absolument pas paralysé l'économie ni l'industrie. Cela n'a absolument pas bloqué le principe d'innovation - qui est d'ailleurs réaffirmé dans la Charte de l'environnement. Toutes les craintes qui ont pu être exprimées sur ce point me paraissent donc totalement déraisonnables au regard de la jurisprudence actuelle, en particulier du Conseil constitutionnel.

Il me semble tout à fait utile d'adopter cette révision et indispensable de ne pas en réduire la portée. Il serait extrêmement dangereux de toucher à la Charte de l'environnement, qui est un texte symbolique, cohérent sur le plan du contenu, intéressant et qui apporte beaucoup de choses. Il faut néanmoins le compléter par cette révision.

Comme la plupart de mes collègues, et comme Clara Gonzales, j'estime que ce serait un progrès d'y affirmer le principe de non-régression et peut-être une très belle occasion pour le Sénat de se montrer l'ami de l'environnement, car on a parfois pu se demander si c'était toujours le cas. Il trouverait là une belle occasion de le montrer, soit en adoptant cette réforme telle quelle, soit en prouvant qu'il veut la renforcer avec le principe de non-régression, marquant ainsi le fait que l'institution vit dans son époque, qu'elle est ouverte à l'évolution de la société et soucieuse de protéger le présent et l'avenir.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Sur ce dernier point, auriez-vous un doute ?

Mme Marie-Anne Cohendet . - Oui, et un vrai doute !

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - Quel dommage ! Vous ne connaissez pas assez le Sénat ni les sénateurs.

Mme Marie-Anne Cohendet . - Il y a beaucoup de sénateurs formidables et soucieux de protéger l'environnement !

M. Guillaume Chevrollier , rapporteur pour avis de la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable . - Madame Cohendet, vous avez dit que le texte n'était pas révolutionnaire mais avait une portée symbolique. Vous avez par ailleurs indiqué que 170 constitutions dans le monde font état de l'environnement, et qu'une centaine comporte un droit à l'environnement. Quelles sont les formulations choisies ? La sémantique est importante dans cette révision. Le mot « garantit » figure-t-il dans certaines constitutions ? Comment les choses se passent-elles pour ce qui est ensuite de l'interprétation des juges constitutionnels de ces pays ? Y a-t-il eu un avant et un après ? Pouvez-vous nous donner des exemples concrets sur le sujet ? Par ailleurs, la France serait-elle la seule à employer le verbe « garantir » ?

Mme Cécile Cukierman . - Merci, mesdames, pour votre présentation.

Je tiens tout d'abord à vous rassurer : nous sommes toutes et tous conscients des conséquences du dérèglement climatique. Nous en avons d'ailleurs vu les résultats dans beaucoup de nos régions, avec les floraisons précoces qui ont eu lieu et les conséquences catastrophiques du gel pour la viticulture et l'arboriculture de notre pays.

Avec beaucoup d'humilité, je vous rappelle qu'il existe inévitablement des réponses politiques différentes en démocratie, au Sénat comme à l'Assemblée nationale, comme dans la société toute entière. Avoir des désaccords entre nous ne veut pas dire que nous sommes toutes et tous inconscients et regarderions la planète brûler sans rien faire.

Nous sommes en effet obligés en tant qu'élus, mais non par le Gouvernement ou par telle ou telle proposition : nous sommes obligés par les femmes, les hommes qui vivent, travaillent dans nos départements, celles et ceux que nous rencontrons, nos électrices, nos électeurs, à travers nos différents mandats. Ce sont parfois des gens avec des priorités différentes.

Je rencontre régulièrement des personnes qui estiment que, si la Constitution garantit beaucoup, concrètement, elle ne garantit plus leurs droits. Vous avez rappelé que la Constitution garantit la santé. Beaucoup de femmes et d'hommes, aujourd'hui, voient s'éloigner de chez eux l'accès à la santé... Il ne s'agit donc pas seulement d'inscrire un principe dans la Constitution. Il s'agit de savoir quelle ambition politique on se donne pour y répondre.

On parle beaucoup de l'article 1 er de la Constitution. Lorsqu'on le relit, il pose les bases - vous l'avez évoqué - de ce qui permet aux femmes et aux hommes de « faire République » ensemble. Dès lors que l'on y rajoute de nouveaux principes, au demeurant fort légitimes, n'ouvre-t-on pas la boîte de Pandore ? Ne risque-t-on pas, demain, de voir ajouter des orientations et des choix d'action qui ne concernent pas simplement la façon dont nous décidons de vivre ensemble et de « faire République » ?

M. Jean-Yves Leconte . - Personne ici ne souhaite réduire la portée de l'objectif constitutionnel de défense de l'environnement et de lutte contre le réchauffement climatique. Toutefois, il existe plusieurs principes constitutionnels, et plus les principes peuvent avoir des effets contradictoires, plus on dessaisit le législateur de sa capacité d'arbitrer au profit du juge.

Vous avez parlé d'un principe de non-régression. Cela peut sembler très intéressant. On pourrait aussi estimer qu'il faudrait poser un principe de non-régression en faveur des libertés individuelles. Nous y serions sans doute tous favorables, par principe. Toutefois, face à la pandémie, qu'aurait-on fait depuis un an ? Ce principe peut sembler intéressant, mais il n'est peut-être pas très pragmatique par rapport à tout ce qui peut arriver.

Par ailleurs, vous avez dit que le juge constitutionnel ne reproche jamais au législateur de ne pas fournir de garanties. J'ai quand même le sentiment, en particulier s'agissant des déclarations d'état d'urgence, que de nombreuses dispositions votées en 2015 et 2016 ont été censurées faute de garanties. On ne peut donc pas dire que, si le législateur n'assortit pas les droits fondamentaux de garanties suffisantes, le juge ne le sanctionne pas.

Toute la question est de savoir si l'on ne transfère pas le pouvoir au juge en inscrivant trop d'exigences constitutionnelles parfois contradictoires, qui ne seront plus arbitrées par la représentation nationale.

M. François-Noël Buffet , président, rapporteur . - De votre point de vue, quelles seraient les conséquences de l'usage du verbe « garantir » sur l'application du principe de développement durable, qui associe la protection et la mise en valeur de l'environnement, le développement économique et le progrès social ? Cet équilibre ne serait-il pas remis en cause ?

Mme Marie-Anne Cohendet . - Monsieur Chevrollier, en ce qui concerne le droit comparé, je vous renvoie aux ouvrages de James May et Erin Daly, Global Environmental Constitutionalism , et aux ouvrages de David Boyd, rapporteur spécial à l'ONU sur les droits de l'homme et l'environnement. Ils démontrent les uns et les autres qu'il existe une assez grande diversité dans les termes employés dans les constitutions des différents pays et qu'il faut manier ces comparaisons avec beaucoup de prudence, un même terme n'étant pas forcément interprété de la même manière d'un pays à l'autre. Par exemple, en France, nous connaissons le principe suivant lequel, en droit, l'indicatif vaut impératif. Toute disposition rédigée à l'indicatif dans notre Constitution vaut obligation, ce qui n'est pas forcément le cas ailleurs.

Ces auteurs ont observé une très grande gradation dans les énoncés. Certains sont peu contraignants, d'autres au contraire le sont extrêmement. Il existe donc une gamme très variée. On ne peut dire que les termes retenus par le projet de loi constitutionnelle soient ni trop forts ni trop faibles. Il existe également sur ces sujets un ouvrage de Jochen Sohnle sur l'effectivité du droit constitutionnel de l'environnement dans certains pays.

Cette notion de la garantie, il faut l'apprécier par rapport à notre droit français, par rapport aux autres dispositions de la Constitution qui contiennent ce terme, et en observant si cela a généré ou non des flots de contentieux.

Je vous signale que plusieurs constitutions sont plus exigeantes que la Constitution française et reconnaissent des droits plus forts que le droit français. Par exemple, il existe dans le droit brésilien, le droit sud-africain ou à Saint-Domingue des exigences constitutionnelles extrêmement précises et fortes. Dans ce domaine, on ne peut craindre que la France ait un régime très dur et que les autres aient un régime très doux. Cela dépend beaucoup des pays.

Vous soulevez la question très importante de savoir si la France peut garantir seule la protection de l'environnement. On sait très bien que la protection de l'environnement doit se faire à l'échelle de la planète et que c'est l'action de tous les pays qui est importante. Si nous, Français, nous nous imposons des exigences très fortes alors que les Chinois ou d'autres n'ont pas d'exigences et font n'importe quoi, on risque de mettre en péril notre économie, alors que les autres massacreront l'environnement.

Je me suis rendue à un colloque en Chine il y a quelque temps. J'ai été stupéfaite de constater qu'on ne trouve plus à Pékin que des deux-roues électriques et plus du tout de deux-roues à essence, à cause de la pollution. Les Chinois ont un niveau de pollution épouvantable : le nuage couvre des milliers de kilomètres, ce qui prouve qu'ils auraient dû se réveiller plus tôt. Le nombre de morts de ce fait est énorme. Cependant, il ne me paraît pas réaliste de croire que les Chinois ne s'en soucient pas. Je pense au contraire qu'ils mènent des actions extrêmement fortes en faveur des énergies renouvelables, notamment en matière de fabrication de voitures électriques, où ils font des efforts gigantesques.

Nous ne devons pas rester immobiles au prétexte que d'autres pays ne font rien. Il est vrai que, sous le mandat de M. Trump, les États-Unis ont détricoté toute leur législation. Ce n'est plus le cas depuis l'arrivée de M. Biden, et je pense que son élection va renforcer la protection de l'environnement à l'échelle mondiale.

Je suis surtout convaincue qu'il existe des débouchés économiques et industriels énormes en matière de protection de l'environnement. Notre survie alimentaire dépend aussi de la protection de l'environnement agricole. Marc Dufumier, si vous le consultez, vous montrera comment les États-Unis, pendant des années, ont stérilisé des milliers d'hectares en recourant à des pratiques agricoles abusives, alors qu'on peut très bien nourrir la planète avec une agriculture respectueuse de l'environnement. Cela offrira plus d'emplois. C'est une question de volonté. On peut garantir notre alimentation et une économie solide et durable tout en protégeant l'environnement.

Madame Cukierman, je comprends votre inquiétude : si l'on touche à l'article 1 er , ne va-t-on pas y mettre ensuite un peu tout et n'importe quoi ? L'argument est sérieux, mais je tiens à vous rassurer : l'article 1 er a déjà été modifié au moins à deux reprises, en particulier pour y introduire la décentralisation. Ce n'est pas un problème du tout. Il ne faut pas non plus qu'une Constitution soit une vieille chose qui n'est plus du tout adaptée à la société actuelle. Au contraire, il me semble important qu'une constitution sache s'adapter à l'évolution de la société. Le contrat social qu'établit la Constitution entre nous tous en 2021 n'est évidemment pas le même qu'en 1789. Ce serait une bonne chose d'introduire ce nouveau principe, et je ne pense pas que l'on ouvre ainsi une boîte de Pandore : c'est toujours le peuple qui décidera en dernier ressort, soit directement par référendum, soit par votre intermédiaire, du contenu qu'il souhaite donner à notre pacte républicain.

Monsieur Leconte, je comprends très bien votre argument, on ne peut plus sérieux, d'un risque de transfert du pouvoir de décision du législateur au juge. Néanmoins, je pense que le risque n'existe pas en France actuellement. Quand je disais tout à l'heure que le juge trouve toujours que les garanties offertes par la loi sont suffisantes, je parlais d'environnement. Cela ne s'applique pas à tous les domaines du droit, et si je vous ai fait croire le contraire, c'est que je me suis mal exprimée.

Pour l'instant, le juge n'est absolument pas prêt à aller vérifier sur le terrain si, dans le détail, la préservation de l'environnement est garantie sous tel ou tel aspect. Le juge vérifie si, grosso modo , les mesures adoptées vont ou non dans le sens de ce qui a été affirmé comme étant la volonté du peuple. Il ne sanctionne généralement que l'erreur manifeste. Je pense donc que le transfert du pouvoir de décision du législateur au juge ne constitue pas un vrai sujet de préoccupation aujourd'hui en France. Il faut veiller à ce que cela ne le devienne jamais, et c'est bien parce que les juges n'ont pas respecté la volonté affirmée par le peuple dans la Charte de l'environnement que cette révision constitutionnelle s'impose aujourd'hui.

Monsieur le président, l'emploi du terme « garantit » ne remettrait pas en cause l'équilibre interne du développement durable. D'autres articles de la Constitution - notamment le Préambule - contiennent le mot « garantit », qui ne génère pas une hiérarchie dans la valeur des droits. En d'autres termes, l'emploi de ce mot ne placerait pas la protection de l'environnement au-dessus d'autres droits et libertés. Certains ont toujours peur que la protection de l'environnement porte atteinte à la liberté ou à la propriété. Au contraire, notre dignité, notre droit de propriété, notre liberté, notre droit à la protection de la santé ne peuvent être préservés que si l'on garantit la protection de l'environnement.

Mme Clara Gonzales . - S'agissant du principe de non-régression, il n'implique pas que la réglementation environnementale ne puisse plus évoluer et que toute norme environnementale soit créée de manière définitive. Le principe de non-régression concernera le niveau de protection qui ne pourra plus être abaissé. Comme l'a rappelé Marie-Anne Cohendet, différentes garanties à valeur constitutionnelle existent aujourd'hui et n'empêchent pas l'innovation, la liberté d'entreprendre, etc. Le principe de non-régression consiste à garantir le fait que la protection ne sera pas abaissée, sans se priver de la capacité d'adaptation nécessaire pour atteindre ce résultat.

Je pense qu'il faut s'en remettre à l'intelligence, au professionnalisme et aux exigences du Conseil constitutionnel dans l'interprétation et l'équilibre des normes. Les principes de non-régression, de lutte contre le réchauffement climatique ou de protection de l'environnement seront toujours à appliquer de manière proportionnée, en particulier si cela engendre des atteintes à d'autres libertés ou droits fondamentaux garantis constitutionnellement. De ce point de vue, il n'existe pas de hiérarchie, comme l'a rappelé Marie-Anne Cohendet, entre les droits et libertés garantis constitutionnellement. La notion d'équilibre est fondamentale.

Les mêmes débats ont eu lieu à propos du principe de précaution. Marie-Anne Cohendet a rappelé que la santé est notamment garantie par la Constitution : ces principes n'ont pas engendré de blocage ni un contrôle renforcé des mesures que le législateur a adoptées. Il faut donc s'en remettre à la sagesse du contrôle exercé par le Conseil constitutionnel qui, il faut le rappeler, s'est montré assez frileux dans l'interprétation de certaines normes de la Charte de l'environnement.

L'inscription dans la Constitution nous obligera à l'échelle nationale puis, potentiellement, à soutenir l'adoption de normes internationales dans le cadre des relations interétatiques ou au sein de l'Union européenne. Nous resterons cependant soumis aux contingences des politiques internationales, c'est évident. Éric Dupond-Moretti, quand il a présenté le projet de réforme, a dit qu'il instituait un principe d'action des pouvoirs publics. Ce principe s'applique avant tout à l'échelle nationale. Cela ne changera pas la face de la politique des autres pays du monde, mais cela nous placera en position d'avant-garde dans la défense et la protection de l'environnement, ce qui, je pense, est voulu par le Gouvernement et un certain nombre d'élus.

Monsieur le président, vous avez rappelé à juste titre la liberté qui est la vôtre et le fait que la seule chose qui vous oblige, c'est votre fonction de représentants du peuple. Loin de moi l'idée de le remettre en cause. Heureusement, aucun intérêt privé, quel qu'il soit, ne vous oblige, ni le nôtre ni celui des autres personnes que vous avez auditionnées. J'essayais simplement de rappeler dans ma présentation que la préservation de l'environnement, objectif à valeur constitutionnelle, vous oblige et nous oblige tous. C'est pourquoi que je me permettais de faire référence aux différents textes dont vous aurez à débattre d'ici la fin de la mandature.

M. François-Noël Buffet , président . - Tous les sénateurs, et pas seulement les membres de la commission des lois, ont été élus locaux et assumé des responsabilités - maires, présidents de conseils départemental ou régional, d'intercommunalité. Même si nous avons des engagements politiques différents, je crois que nous nous accordons aujourd'hui très largement, pour ne pas dire unanimement sur la nécessité de la protection de l'environnement. Notre responsabilité, notamment au sein de la commission des lois, est d'écrire la loi et, en la circonstance, de jouer notre rôle de constituants. Nous sommes donc, par principe, à l'écoute de tout le monde et prudents dans nos analyses. Nous prendrons naturellement nos responsabilités mais, sur le fond, sachez que nous sommes convaincus de la nécessité de préserver notre environnement. Nos prédécesseurs ont d'ailleurs voté la Charte de l'environnement, qui fait désormais partie du bloc de constitutionnalité. Nous nous inscrivons dans la continuité de ce processus.

Il me reste, mesdames, à vous remercier pour vos contributions.

Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo disponible en ligne sur le site du Sénat .

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LA COMMISSION

M. Éric Dupond-Moretti 70 ( * ) , garde des sceaux, ministre de la justice

M. Bertrand Mathieu, professeur de droit public à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne, conseiller d'État en service extraordinaire

M. Dominique Rousseau , professeur émérite de droit public à l'université Paris-I Panthéon-Sorbonne

Mme Jessica Makowiak , professeur de droit public à l'université de Limoges, directrice du Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme (CRIDEAU)

Convention citoyenne pour le climat

Mme Mélanie Blanchetot, MM. Victor Costa et Grégoire Fraty , membres de l'association des citoyens de la Convention citoyenne pour le climat « Les 150 ».

Fondation Nicolas-Hulot pour la nature et l'homme

Mme Marie-Anne Cohendet , présidente du conseil scientifique

Greenpeace France

Mme Clara Gonzales , juriste

LISTE DES PERSONNES ENTENDUES
PAR LE RAPPORTEUR

Mme Mireille Delmas-Marty , professeur honoraire au Collège de France

Associations d'élus

Association des maires de France et des présidents d'intercommunalité (AMF)

M. Guy Geoffroy , maire de Combs-la-Ville et président de l'association des maires de Seine-et-Marne

Mme Gwenola Stephan , responsable de la mission développement durable

M. Robin Plasseraud , conseiller technique au sein de cette mission

Mme Charlotte de Fontaines , chargée des relations avec le Parlement

Assemblée des départements de France (ADF)

M. Arnaud Merveille , vice-président du conseil départemental de la Meuse en charge de l'environnement et de la transition énergétique

Mme Alix Mornet , conseillère environnement et développement durable

Mme Pauline Mazin , responsable veille et réseaux sociaux

Mme Marylène Jouvien , conseillère relations avec le Parlement

Régions de France

M. Jules Nyssen , délégué général

Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA)

M. Thierry Coue , président de la commission environnement

M. Gilles Baraize , juriste

Mouvement des entreprises de France (MEDEF)

M. Patrick Martin , président délégué

Mme Dorothée Pineau , conseillère auprès du président et du président délégué du MEDEF

M. Guillaume Leblanc , directeur des affaires publiques

LA LOI EN CONSTRUCTION

Pour naviguer dans les rédactions successives du texte, le tableau synoptique de la loi en construction est disponible sur le site du Sénat à l'adresse suivante :

http://www.senat.fr/dossier-legislatif/pjl20-449.html


* 1 Loi constitutionnelle n° 2005-205 du 1 er mars 2005 relative à la Charte de l'environnement .

* 2 Pour un aperçu général, voir D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel , 12 e éd., Paris, L.G.D.J., 2020, pp. 898-909. Voir aussi l'importante étude publiée par le Conseil constitutionnel, Dix ans de QPC en matière d'environnement : quelle (r)évolution ? , sous la responsabilité scientifique d'É. Chevalier et J. Makowiak, janvier 2020 (ce rapport est consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-constitutionnel.fr ). Voir également le rapport n° 168 (2020-2021) fait, au nom de la commission des lois du Sénat, par Arnaud de Belenet sur la proposition de loi constitutionnelle visant, face à la crise actuelle à construire le monde d'après fondé sur la préservation des biens communs , consultable à l'adresse suivante : https://www.senat.fr/rap/l20-168/l20-168.html .

* 3 Décision n° 2008-564 DC du 19 juin 2008, Loi relative aux organismes génétiquement modifiés .

* 4 Décision du Conseil constitutionnel n° 2011-192 QPC du 10 novembre 2011, Mme Ekaterina B., épouse D., et autres , cons. 20. Ce n'est toutefois qu'à l'occasion de sa décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes , que le Conseil constitutionnel a dégagé du préambule de nouvelles exigences constitutionnelles en faveur de la protection de l'environnement (voir ci-après).

* 5 Voir le cinquième rapport d'évaluation du GIEC (2013-2014), consultable à l'adresse suivante : https://www.ecologie.gouv.fr .

* 6 Voir notamment les travaux de la plateforme intergouvernementale scientifique et politique sur la biodiversité et les services écosystémiques (IBPES), consultables à l'adresse suivante : https://www.ipbes.net .

* 7 Les stipulations des conventions internationales relatives à la protection de l'environnement sont, en général, dépourvues d'effet direct en droit français : il en va ainsi, notamment, de la CCNUCC et de l'Accord de Paris, dont le Conseil d'État a néanmoins reconnu que leurs stipulations devaient être « prises en considération dans l'interprétation des dispositions de droit national » et étaient donc, en ce sens, invocables devant le juge interne (Conseil d'État, 19 novembre 2020, n° 427301 - sur cette décision, voir ci-après). Sur cette importante question, voir S. Robert-Cuendet, « L'invocabilité du droit international devant le juge administratif français », dans Les Dynamiques du contentieux climatique. Usages et mobilisations du droit , sous la dir. de M. Torre-Schaub, Paris, Mare & Martin, 2021.

* 8 On peut consulter la fiche de jurisprudence établie en avril 2021 par les services de la Cour européenne des droits de l'homme, « Environnement et Convention européenne des droits de l'homme », à l'adresse suivante : https://www.echr.coe.int .

* 9 Voir ci-après. Sur cette judiciarisation du droit de l'environnement, voir notamment Les Procès climatiques , sous la dir. de Ch. Cournil et L. Varison, préface de M. Delmas-Marty, Paris, A. Pedone, 2018, ainsi que Les Dynamiques du contentieux climatique , sous la dir. de M. Torre-Schaub, op. cit.

* 10 Voir la lettre de mission du Premier ministre, datée du 2 juillet 2019.

* 11 Voir notamment M. Prieur, « La constitutionnalisation du principe de non régression face à l'enjeu climatique », Énergie - Environnement - Infrastructures n° 12, décembre 2018.

* 12 Voir également, en ce qui concerne les dispositions relevant de la loi ordinaire, le projet de loi portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets , adopté par l'Assemblée nationale, en première lecture, le 4 mai dernier.

* 13 C'est-à-dire à la fois sa compétence pour fixer les « règles concernant (...) les garanties fondamentales accordées aux citoyens pour l'exercice des libertés publiques » (deuxième alinéa de l'article 34), cette réserve de compétence étant entendue par la jurisprudence comme couvrant tous les droits constitutionnellement garantis, et sa compétence pour déterminer « les principes fondamentaux (...) de la préservation de l'environnement » (quinzième alinéa du même article).

* 14 Conseil constitutionnel, décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières . Cette décision fait l'objet d'un commentaire plus détaillé dans la suite de ce rapport. Voir également la décision n° 2019-794 DC du 20 décembre 2019, Loi d'orientation des mobilité s : « Les objectifs assignés à l'action de l'État par une loi de programmation ne sauraient contrevenir au droit de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé ».

* 15 Conseil d'État, 26 février 2014, n° 351514, Association Ban Asbestos France et autres .

* 16 Conseil constitutionnel, décision n° 2011-116 QPC du 8 avril 2011 M. Michel Z. et autre . L'article 2 de la Charte est également cité, conjointement avec ses articles 1 er et 3, dans les considérants de la décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010 , en ce qui concerne la constitutionnalité de la contribution carbone.

* 17 Voir par exemple, à propos du principe de prévention, la décision du Conseil constitutionnel n° 2012-282 QPC du 23 novembre 2012, précitée.

* 18 Conseil constitutionnel, décision n° 2021-891 QPC du 19 mars 2021, Association Générations futures et autres .

* 19 Voir néanmoins la décision du Conseil constitutionnel n° 2018-768 DC du 26 juillet 2018, Loi relative à la protection du secret des affaires , où le Conseil constitutionnel accepte d'examiner le grief tiré de la violation de l'article 9 de la Charte.

* 20 Conseil constitutionnel, décision n° 2019-823 QPC du 31 janvier 2020, Union des industries de la protection des plantes . Le Conseil aboutit ainsi à une solution inverse de celle qu'il avait retenue en 2015 à propos de la suspension de l'exportation de produits contenant du bisphénol A (décision n° 2015-480 QPC du 17 septembre 2015).

* 21 Voir P. de Montalivet, Les Objectifs de valeur constitutionnelle , Paris, Dalloz, 2006.

* 22 Conseil constitutionnel, décision n° 82-141 DC du 27 juillet 1982, Loi sur la communication audiovisuelle .

* 23 Conseil constitutionnel, décision n° 89-261 DC du 28 juillet 1989, Loi relative aux conditions de séjour et d'entrée des étrangers en France .

* 24 Conseil constitutionnel, décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995, Loi relative à la diversité de l'habitat .

* 25 Conseil constitutionnel, décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990, Loi portant diverses dispositions relatives à la sécurité sociale et à la santé .

* 26 Conseil constitutionnel, décision n° 2003-483 DC du 14 août 2003, Loi portant réforme des retraites .

* 27 Il s'agit là des deux techniques classiques de contrôle des omissions du législateur par le Conseil constitutionnel.

* 28 Conseil d'État, référé, 3 mai 2002, n° 245697, Association de réinsertion sociale du Limousin et autres .

* 29 La juridiction administrative accepte en revanche de contrôler le respect de la Constitution par des mesures réglementaires d'application d'une loi qui ne se bornent pas à en tirer les conséquences nécessaires : voir Conseil d'État, Ass., juillet 2013, n° 344522, Fédération nationale de la pêche en France , à propos du respect par le pouvoir réglementaire dérivé du principe de prévention prévu à l'article 3 de la Charte de l'environnement.

* 30 Voir à ce sujet M. Verpeaux, « Contentieux constitutionnel : normes de référence - Diversité des normes de référence constitutionnelles », Répertoire Dalloz de contentieux administratif , § 492 sq .

* 31 Conseil d'État, Ass., 8 avril 2009, n° 311136 M. Hollande et M. Mathus .

* 32 Conseil constitutionnel, décision n° 94-359 DC du 19 janvier 1995 précitée. Voir également la décision n° 89-269 DC du 22 janvier 1990 précitée.

* 33 Étant entendu que les voies d'exécution de droit commun ne sont pas applicables aux personnes publiques débitrices. Il existe néanmoins des voies d'exécution administrative, prévues par la loi n° 80-539 du 16 juillet 1980 relative aux astreintes prononcées en matière administrative et à l'exécution des jugements par les personnes morales de droit public .

* 34 Selon l'usage le plus courant, en droit administratif notamment, la notion de responsabilité se limite à la réparation des préjudices.

* 35 Conseil d'État, Ass., n° 425983, Société hôtelière Paris Eiffel Suffren , ainsi que les décisions du même jour n° 428162, M. A . et n° 425981, Société Paris Clichy . Ce régime a toutes les apparences d'un régime de responsabilité pour faute, même si le Conseil d'État évite cette qualification à propos d'actes du législateur.

* 36 Il n'existe, en revanche, aucune voie de droit permettant de constater une carence du législateur dans l'application de principes constitutionnels (sauf, dans le cadre du contrôle de constitutionnalité des lois, par le biais de la sanction de l'incompétence négative et de l'abrogation de lois antérieurement promulguées - voir ci-dessus) et d'en tirer les conséquences sur la responsabilité de l'État, ce qui, au regard de l'équilibre des pouvoirs, apparaît tout à fait cohérent.

* 37 Voir René Demogue, Traité des obligations en général , 7 vol., Paris, A. Rousseau, 1923-1933 (notamment t. 5, § 1237 et t. 6, § 599). Demogue envisageait déjà l'extension de la notion d'obligation de résultat à la responsabilité extracontractuelle pour risque.

* 38 Articles 1927 et 1928 du code civil.

* 39 Cour de cassation, 1 e chambre civile, 16 octobre 2001, n° 99-18.221.

* 40 Article 1351 du code civil.

* 41 Cour de cassation, 1 e chambre civile, 21 mai 1996, n° 94-16.586, à propos de la responsabilité encourue par une clinique en cas d'infection contractée par un patient en salle d'opération.

* 42 Cour de cassation, 1 e chambre civile, 9 juin 1993, n° 91-17.387, à propos de l'obligation de sécurité du garagiste (qui peut s'exonérer en prouvant qu'il n'a pas commis de faute). Même si la réforme du droit des obligations de 2016 semble avoir assimilé la cause étrangère libératoire à la force majeure (voir le nouvel article 1351 du code civil, comparé à l'ancien article 1148), l'appréciation très casuistique par les juridictions des caractères d'extranéité, d'imprévisibilité et d'irrésistibilité propres à la force majeure laisse penser que des formes atténuées d'obligation de résultat perdureront.

* 43 H. Boucard, « Responsabilité contractuelle », Répertoire Dalloz de droit civil , juillet 2018, § 328.

* 44 Dictionnaire historique de la langue française , sous la dir. d'A. Rey, Paris, Le Robert, 1992, s.v. « Garant ».

* 45 Dictionnaire de l'Académie française , 9 e édition (1992-2011), consultable à l'adresse suivante : https://www.dictionnaire-academie.fr , s.v. « Garantir ».

* 46 Vocabulaire juridique de l'association Henri-Capitant , sous la dir. de G. Cornu, 11 e éd., Paris, P.U.F., 2016, s.v. « Garantie ».

* 47 À l'inverse, et malgré l'usage, le terme « garantie » semble moins adapté à propos de certaines obligations du bailleur (« garantie des vices cachés », « garantie contre les troubles de jouissance ») qui ne sont que des composantes de son obligation générale d'assurer au preneur la jouissance paisible de la chose louée. Voir, en ce sens, A. Bénabent, Droit des contrats spéciaux civils et commerciaux , 13 e éd., Paris, LGDJ, 2019, § 357.

* 48 Voir les définitions proposées par M. Cabrillac, Ch. Mouly, S. Cabrillac et Ph. Pétel, Droit des sûretés , Paris, LexisNexis, 2010.

* 49 On n'entrera pas ici dans les subtilités de la « théorie du risque » développée en doctrine depuis Raymond Saleilles, ni dans le détail de ses relations avec la « théorie de la garantie » élaborée notamment par Boris Starck ( Essai d'une théorie générale de la responsabilité civile considérée en sa double fonction de garantie et de peine privée , Paris, L. Rodstein, 1947).

* 50 Voir la décision du Conseil constitutionnel n° 2014-395 QPC du 7 mai 2014, Fédération environnement durable et autres .

* 51 G. Vedel, « La place de la Déclaration de 1789 dans le "bloc de constitutionnalité"», dans La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence , actes du colloque des 25 et 26 mai 1989, PUF, 1989, p. 49. Voir également G. Drago, « La conciliation entre principes constitutionnels », Recueil Dalloz , 1991, p. 265 sq .

* 52 Voir notamment, la décision du Conseil constitutionnel n° 2016-611 QPC du 10 février 2017, M. David P. , censurant le délit de consultation habituelle de sites internet terroristes, au motif notamment que les autorités administrative et judiciaire disposent par ailleurs de prérogatives étendues permettant d'atteindre les objectifs poursuivis. Selon le considérant de principe énoncé à cette occasion, « la liberté d'expression et de communication est d'autant plus précieuse que son exercice est une condition de la démocratie et l'une des garanties du respect des autres droits et libertés. Les atteintes portées à l'exercice de cette liberté doivent être nécessaires, adaptées et proportionnées à l'objectif poursuivi . » Sur la place de la liberté d'expression et de communication dans une hypothétique hiérarchie matérielle des normes constitutionnelles, voir ci-après.

* 53 Voir, à propos du contrôle des atteintes à la liberté d'entreprendre, le commentaire autorisé de la décision n° 2013-317 QPC du 24 mai 2013, Syndicat français de l'industrie cimentière et autre .

* 54 Ces dispositions posent un principe de conciliation qui a pleine valeur constitutionnelle (Conseil constitutionnel, décision n° 2005-514 DC du 28 avril 2005). Elles n'instituent pas un droit ou une liberté, raison pour laquelle leur méconnaissance ne peut, en elle-même, être invoquée à l'appui d'une question prioritaire de constitutionnalité (décision n° 2012-283 QPC du 23 novembre 2012).

* 55 Décision n° 84-181 DC du 11 octobre 1984, Loi visant à limiter la concentration et à assurer la transparence financière et le pluralisme des entreprises de presse .

* 56 À l'inverse, l'obligation de standstill en matière de droits fondamentaux, dégagée par la Cour constitutionnelle de Belgique, s'oppose seulement à ce que « le législateur compétent réduise sensiblement le niveau de protection offert par la législation applicable, sans qu'existent pour ce faire des motifs liés à l'intérêt général » (décision n° 102/2011 du 31 mai 2011, considérant apparu sous une forme similaire dans la décision n° 182/2008 du 18 décembre 2008). Ainsi, l'obligation de standstill ne fait pas obstacle à des régressions mineures ; elle peut être contrebalancée par des motifs d'intérêt général ; enfin, son respect s'apprécie de manière globale, en prenant en considération l'ensemble de la législation applicable en la matière.

* 57 Voir notamment P. Mazeaud, « L'erreur en droit constitutionnel », intervention lors d'un colloque à l'Institut de France les 25 et 26 octobre 2006, consultable à l'adresse suivante : https://www.conseil-constitutionnel.fr .

* 58 Voir par exemple la décision n° 2005-530 DC du 29 décembre 2005, Loi de finances pour 2006 .

* 59 L. Favoreu, « La jurisprudence du Conseil constitutionnel et le droit de propriété proclamé par la Déclaration de 1789 », dans La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence , op. cit., p. 123-150.

* 60 Sur ce sujet, voir A. Vidal-Naquet, Les « garanties légales des exigences constitutionnelles » dans la jurisprudence du Conseil constitutionnel , Paris, éd. Panthéon-Assas, 2007.

* 61 Conseil constitutionnel, décision n° 2020-809 DC du 10 décembre 2020, Loi relative aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières .

* 62 J.-Ph. Derosier, « Un principe constitutionnel de non-régression en matière environnementale tacitement reconnu », note sous la décision précitée, Titre VII , revue éditée par le Conseil constitutionnel, n° 6, avril 2021.

* 63 C'est ce que John Rawls appelait un ordre « lexical » : « un ordre qui demande que l'on satisfasse d'abord le principe classé premier avant de passer au second, le second avant de considérer le troisième, et ainsi de suite. On ne fait pas entrer en jeu un (nouveau) principe avant que ceux qui le précèdent aient été entièrement satisfaits ou bien reconnus inapplicables. Un ordre lexical évite donc d'avoir jamais à mettre en balance des principes » (J. Rawls, Théorie de la justice , Paris, Le Seuil, 1997, trad. fr. C. Audard, p. 68).

* 64 D. Rousseau, P.-Y. Gahdoun et J. Bonnet, Droit du contentieux constitutionnel , op. cit., § 453.

* 65 Selon les termes employés par les rapporteurs au fond et pour avis de l'Assemblée nationale. Voir le rapport n° 3894 (XVe législature) fait par M. Pieyre-Alexandre Anglade, au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale, ainsi que l'intervention en séance publique de M. Christophe Arend, rapporteur pour avis de la commission du développement durable et de l'aménagement du territoire, lors la première séance de l'Assemblée nationale du mercredi 10 mars 2021 (examen de l'amendement n° 267).

* 66 Selon certains membres de la Convention citoyenne pour le climat : « D'où l'idée d'un référendum, car cela donnera un poids politique à ce changement », déclarait M. Grégoire Fraty lors de son audition par la commission des lois du Sénat, le 7 avril 2021.

* 67 B. Genevois, « La marque des idées et des principes de 1789 dans la jurisprudence du Conseil d'État et du Conseil constitutionnel », troisième partie d'un article coécrit avec F. Gazier et M. Gentot, dans La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen et la jurisprudence , op. cit., p. 178-183.

* 68 Voir le compte rendu de l'audition du 24 mars 2021, annexé au présent rapport.

* 69 A contrario , certains droits et objectifs sont énoncés de telle façon que l'on peut considérer qu'ils sont effectifs ou ne le sont pas, sans qu'aucun moyen terme ne soit possible. Il en va ainsi, par exemple, du droit à la sûreté (conçu comme le droit de ne pas être arbitrairement détenu) ou encore du principe d'indépendance de la justice. La différence est toutefois linguistique plutôt que substantielle. La marge d'appréciation du législateur ne disparaît pas, puisqu'il lui revient (sous le contrôle du juge constitutionnel) de déterminer ce qui est arbitraire ou non, ou encore quelles règles suffisent à ce qu'une institution puisse être considérée comme indépendante. Par ce biais, même ces droits et objectifs apparemment « absolus » doivent être conciliés avec les autres.

* 70 Audition conjointe avec la commission de la culture, de l'éducation et de la communication.

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