B. L'ÉTONNANTE PASSIVITÉ DE L'ÉTAT ACTIONNAIRE
En tant qu'actionnaire représentant 23,64 % du capital et plus du tiers des droits de vote d'Engie, l'État actionnaire s'est trouvé au coeur de ce dossier . Pourtant, force est de constater qu'il a surtout joué un rôle de figurant : son approche a varié et sa voix n'a finalement guère compté.
Le rapporteur spécial s'est donc interrogé pour savoir comment analyser le comportement de l'État actionnaire : faut-il voir dans sa passivité le signe d'un État actionnaire dépassé par le cours des évènements ou le signe d'un accord tacite ?
De façon préalable, l'approche évolutive du Gouvernement ne manque pas de surprendre . Alors que le Premier ministre Jean Castex a, dès le 4 septembre, salué un rapprochement qui « ferait sens sur le plan industriel » 38 ( * ) , le ministre de l'économie, des finances et de la relance, Bruno Le Maire, a ensuite déclaré le 17 septembre 39 ( * ) que l'État n'avait fait aucun choix, la seule ligne rouge étant qu'il ne laissera pas se déclencher une guerre entre les deux entreprises. Devant la commission des finances de l'Assemblée nationale, il a ainsi précisé le 28 septembre que « l'État ne cédera à aucune précipitation ni à aucune pression. Nous prendrons le temps nécessaire pour examiner l'offre de Veolia ou toute autre offre qui pourrait se présenter. Il n'y a pas d'urgence à réaliser cette opération. [...] Le rôle de l'État est un rôle d'arbitre, pour pacifier la situation et trouver des solutions répondant aux intérêts des deux parties. »
Tel est en effet l'écran utilisé par le Gouvernement pour justifier sa position : avant même d'étudier le projet, l'absence d'accord entre parties condamne toute décision.
Pour autant, force est de constater les limites d'une telle stratégie, dès lors que deux acteurs avaient intérêt à aller vite : Veolia, bien entendu, mais également Engie, qui souhaitait céder sa participation à un bon prix, ce que l'offre rehaussée de Veolia lui assurait.
À cet égard, le rapporteur spécial s'interroge sur la façon dont l'État actionnaire a anticipé ce dossier . En effet, la décision, en juillet dernier, du conseil d'administration d'Engie d'un recentrage stratégique implique deux hypothèses :
- d'une part, en tant qu'actionnaire historique et de référence, l'État a été associé en amont à cette proposition , acceptée par le conseil d'administration ;
- d'autre part, l'intention d'Engie de céder sa participation dans Suez était désormais connue de tous .
En réponse aux questions du rapporteur spécial, l'Agence des participations de l'État confirme d'ailleurs cette hypothèse, soulignant que c'est « avec le soutien de l'État [qu'Engie a considéré] fin juillet 2020 que la cession de sa participation dans Suez était la meilleure option , et l'a évoqué au marché ».
Aussi, l'argument mobilisé tant par Suez que par l'État actionnaire d'un délai trop contraint entre l'officialisation de l'offre de Veolia le 30 août et son terme, un mois plus tard, pour envisager une solution alternative doit sans nul doute être nuancé. De même que Veolia n'a fait que formaliser une offre préparée en amont, l'État actionnaire a disposé d'un certain temps pour étudier la recomposition de l'actionnariat de Suez qu'impliquait la cession par Engie de sa participation.
Dans ces conditions, le rapporteur spécial invite le Gouvernement à faire toute la lumière sur la façon dont les conséquences du recentrage stratégique d'Engie ont été abordées. Deux hypothèses sont envisageables :
- soit l'Agence des participations de l'État, dans un contexte certes tendu, n'a pas suffisamment anticipé la recomposition de l'actionnariat de Suez rendue nécessaire par le désengagement d'Engie, ce qui constitue une faute au regard de ses missions et requiert des explications ;
- soit l'État actionnaire s'est rapidement rangé à l'acquisition de Suez par Veolia, voire l'a avalisée tacitement, puis a adopté une posture de retrait pour tenter de préserver les apparences sur un projet potentiellement funeste pour l'emploi et le service rendu aux collectivités publiques.
* 38 Déclarations du Premier ministre à l'occasion de la conférence de presse de présentation du plan de relance.
* 39 À l'occasion d'une interview diffusée sur la chaîne télévisée Cnews.