EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le mardi 17 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission a examiné le rapport de M. Victorin Lurel, rapporteur spécial, sur le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - Cela fait désormais quatre ans que je relève le défi annuel de vous éclairer sur les crédits du vecteur budgétaire de l'État actionnaire : le compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ». Défi, car le montant de crédits qui nous est proposé et sur lequel il me revient de vous proposer une position de vote n'est qu'indicatif. Le Gouvernement justifie cela par le souci de préserver la confidentialité des opérations que l'État actionnaire pourrait conduire. Autant dire que l'exercice est un petit peu virtuel.
Ce compte d'affectation spéciale présente en effet une particularité : la programmation proposée en loi de finances initiale, tant pour les recettes que pour les dépenses, est fixée de façon conventionnelle. Cette spécificité, qui vise à préserver la confidentialité des opérations de cessions que l'État est susceptible de mener, obère néanmoins les capacités de contrôle du Parlement. À cette caractéristique traditionnelle s'ajoute une complexité supplémentaire cette année, puisque le compte ne porte pas l'intégralité des crédits dédiés aux participations financières de l'État. En effet, les 20 milliards d'euros de crédits exceptionnels ouverts par la deuxième loi de finances rectificative sur le programme 358 de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire » n'ont pas fait l'objet d'un versement intégral sur le compte. Un abondement échelonné, au fil des besoins constatés, est prévu.
Pour 2021, le compte est présenté en déficit de 515 millions d'euros, ce qui reflète la forte activité attendue sur le compte pour intervenir en capital au sein d'entreprises en difficulté. Néanmoins, les dépenses prévues seront, pour l'essentiel, neutres pour le solde du compte, puisqu'elles seront financées par un versement du budget général. Si un tel abondement s'impose pour répondre aux besoins de financement identifiés, il relègue le compte à un véhicule budgétaire contingent.
Plusieurs entreprises du portefeuille de l'État actionnaire ont été fortement affectées par la crise sanitaire. De façon agrégée, la valorisation du portefeuille coté géré par l'Agence des participations de l'État (APE) a brutalement chuté depuis le mois de mars, avec un décrochage marqué de dix points par rapport aux indices parisiens de référence. Cette situation soulève des questions, dans la mesure où elle intervient après une année 2019 à rebours de l'évolution exceptionnelle des marchés actions et où le seul facteur sectoriel ne suffit pas à l'expliquer. En effet, la plupart des entreprises cotées sous-performent par rapport au parangonnage sectoriel.
Dans l'immédiat, la crise sanitaire affaiblit la situation financière de plusieurs entreprises du portefeuille, dont les coûts de financement par le marché se sont nettement dégradés depuis le mois de mars. Outre la mobilisation d'outils immédiats de trésorerie, c'est bien la question de la solvabilité de certaines entreprises qui se pose.
En réponse, le Gouvernement a décidé d'infléchir sa doctrine d'intervention, revenant de facto à celle qui prévalait jusqu'en 2017. En 2017, le Gouvernement avait, en effet, entendu en redéfinir les contours : les participations de l'État étaient conçues comme un placement « à la papa », lequel ne saurait échapper à la disruption en vogue à l'époque. Pour cela, un mouvement de « respiration » du portefeuille a été initié, ce qui s'est concrétisé par la cession de La Française des jeux. La privation d'Aéroports de Paris (ADP) devait suivre.
Trois ans plus tard, le « nouveau monde » accuse ses premières rides : à l'aune des évènements exceptionnels que nous traversons, le Gouvernement a infléchi sa doctrine. Derrière cet élément de langage, c'est en réalité au retour de la conception qui prévalait jusqu'alors que nous assistons, avec la mobilisation de la prise de participation publique comme levier de politique économique.
J'approuve ce choix, car je suis convaincu que l'intervention en capital de l'État peut permettre d'apporter une réponse, en soutien de nos entreprises, nos savoir-faire et nos emplois.
C'est pour cela que 20 milliards d'euros de crédits exceptionnels ont été ouverts à l'occasion du deuxième collectif budgétaire sur le programme dédié de la mission « Plan d'urgence face à la crise sanitaire ». Seulement 20 % des crédits ont été consommés et à peine la moitié pourrait l'être d'ici à la fin de l'année. Il faut donc croire que la sincérité budgétaire fait partie des victimes collatérales de la crise sanitaire.
À ce sujet, je souhaiterais vous alerter sur un point : quelques semaines après avoir sollicité du Parlement l'ouverture de ces crédits exceptionnels, le Gouvernement a retranché près de 2 milliards d'euros du compte pour compléter la dotation du fonds pour l'innovation et l'industrie (FII).
Comme vous le savez, il s'agit du mécanisme de débudgétisation imaginé par le Gouvernement en 2017, qu'il entendait doter du produit des cessions. À défaut d'encaisser les recettes de la vente d'ADP et faute de dividendes suffisants en 2020, le fonds risquait bien de montrer ses limites et de démentir les avantages relevés par le Gouvernement pour justifier son dispositif. Rappelez-vous les critiques que nous avions émises à l'égard du dispositif.
Je ne peux souscrire à ce tour de passe-passe. C'est la raison pour laquelle je vous propose un amendement n°1, consistant à réduire de 1,9 milliard d'euros les recettes du compte. En l'adoptant, le Gouvernement devra reprendre la dotation versée au compte en juillet.
J'en viens au débat sur les conditionnalités.
Compte tenu de l'effort massif consenti par la puissance publique, il importe que ce soutien soit assorti d'exigences. En fixant des conditionnalités aux aides qu'il fournit, l'État répond précisément à sa fonction de prêteur en dernier ressort et de « maître des horloges », selon l'expression chère au Président de la République. À ce propos, l'ouverture de crédits exceptionnels s'est accompagnée de mécanismes, certes timides, d'engagements de la part des entreprises faisant l'objet d'une prise de participation par l'État et de suivi. Il reviendra au Parlement d'en effectuer un contrôle approfondi pour en assurer la pleine effectivité.
Comme me l'a indiqué Martin Vial, commissaire aux participations de l'État, il doit être privilégié autant que possible une intervention directe en fonds propres et non en instruments de dette, assimilables à des fonds propres. En effet, il importe qu'en contrepartie de son investissement, l'État soit en mesure d'exercer une capacité d'influence sur la marche de l'entreprise.
C'est pourquoi, pour une prise de participation, les conditionnalités se justifient plus que pour tout autre type de soutien public. Or le mécanisme en vigueur en la matière me semble bien trop timide : comment qualifier cela d'engagements alors que rien ne vient sanctionner leur non-respect ? L'amendement n° 2 que je vous propose vise à pallier les lacunes du dispositif sur ce point. Laissez-moi vous faire part de ma conviction. Compte tenu de l'effort massif consenti par la puissance publique, je considère que ce soutien doit être assorti d'exigences. C'est ainsi que l'État tiendra tout son rang : en fixant des conditionnalités aux aides qu'il fournit, l'État répond précisément à sa fonction de prêteur en dernier ressort et de maître des horloges.
Le troisième et dernier point de mon intervention concerne le dossier de la rentrée, qui continue de faire grand bruit et inquiète nombre de collectivités territoriales. Je parle bien évidemment de l'acquisition de Suez par Veolia. S'il s'agit d'une affaire entre entreprises à capitaux privés, l'État actionnaire est indirectement concerné au titre de la participation qu'il détient dans Engie. Or, lors du conseil d'administration du 5 octobre dernier, l'État a été mis en minorité sur le vote de la résolution sur l'offre d'acquisition par Veolia de 29,9 % du capital de Suez détenu par Engie.
Dans cette affaire, au-delà des appréciations personnelles que nous pouvons avoir sur l'opportunité de la fusion, c'est bien la façon dont l'État actionnaire a appréhendé le dossier qui m'interroge. En effet, l'État a, sinon suggéré, du moins avalisé dès le premier semestre la décision d'Engie de recentrer ses activités et, partant, de mettre en vente sa participation au capital de Suez.
Aussi, la surprise ne saurait justifier l'attentisme de l'État actionnaire face à l'offre de Veolia. La stratégie consistant à jouer la montre faute d'entente entre les parties était vouée à l'échec. Quand deux des trois acteurs - Veolia et Engie - ont tout intérêt à aller vite, ce n'est pas, à mon sens, une position de neutralité.
Le Gouvernement s'est montré, jusqu'à présent, peu coopératif : le cabinet de M. Bruno Le Maire a ainsi décliné ma demande d'audition, jugeant que tel n'était pas « l'usage ».
Mes chers collègues, soyez-en assurés : je saurai faire usage de mes pouvoirs de rapporteur spécial pour faire toute la lumière sur la façon dont les conséquences du recentrage stratégique d'Engie ont été abordées par l'État actionnaire.
Pour conclure, je vous recommande d'adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État », modifiés de l'amendement de crédits que je vous propose. Je vous présente également un amendement portant article additionnel pour assurer la pleine effectivité du mécanisme de conditionnalités à toute intervention en capital de l'État.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Je salue le travail de notre rapporteur spécial, même si nous n'arriverons sans doute pas aux mêmes conclusions. En avril dernier, nous avons adopté une augmentation exceptionnelle des crédits dédiés aux participations financières de l'État, à hauteur de 20 milliards d'euros. Quelques mois plus tard, seulement 1 milliard d'euros a été effectivement consommé et 3 milliards d'euros mis à disposition d'Air France-KLM par un prêt d'actionnaire, toujours pas décaissés.
Je comprends qu'en avril, au pic de la première vague, il ait fallu agir en urgence. Mais, plus de six mois plus tard, j'ai l'impression que l'État actionnaire navigue toujours à vue.
En savons-nous plus sur les raisons qui vont justifier l'intervention en capital de l'État pour soutenir une entreprise ? Existe-t-il une stratégie formalisée ? Est-elle ajustée pour tenir compte du rebond de l'épidémie ?
M. Philippe Dallier . - Le Gouvernement a défini une liste d'une vingtaine d'entreprises affaiblies susceptibles de nécessiter rapidement un soutien en fonds propres de l'État. Cette liste est-elle publique ? Ensuite, comment l'État définit-il les entreprises stratégiques dans lesquelles il pourrait prendre une part en capital : a-t-il défini une liste ou bien intervient-il en fonction de l'actualité ? On a l'impression qu'il réagit toujours trop tard.
M. Jérôme Bascher . - Je ne peux que partager la surprise de notre rapporteur spécial en apprenant que le cabinet du ministre a refusé tout échange ! Quelle est la stratégie du Gouvernement quant aux participations de l'État dans des entreprises ? On parle de faire respirer le portefeuille. Ne s'agit-il pas plutôt de vendre les bijoux de famille ? La stratégie semble purement financière, et non plus dictée par des considérations économiques ou industrielles. Finalement, on a l'impression qu'il n'y a pas de définition des entreprises stratégiques. Je déplore que le Parlement ne soit pas davantage associé en la matière. La confidentialité n'est pas un motif valable. Il existe ainsi une délégation parlementaire au renseignement. De même, des parlementaires siègent à la commission de surveillance de la Caisse des Dépôts et consignations (CDC) et sont donc informés indirectement de ces opérations.
Je partage l'analyse d'ensemble de notre rapporteur, mais ne voterai pas son amendement sur la conditionnalité. Est-il opportun d'imposer trop de conditions à une grande entreprise que l'on veut sauver ou des exigences accrues de réduction des gaz à effet de serre à un constructeur automobile en difficulté ? Il est probable que dans l'immédiat, il ne pourra pas les respecter. Finalement, la loi sera contournée en passant par la CDC pour intervenir quand même.
M. Marc Laménie . - Comment fonctionne l'APE ? De quels moyens humains dispose-t-elle ? Une recapitalisation à hauteur de plus de 4 milliards d'euros de la SNCF semble prévue, qui s'ajouterait à la reprise de la dette de SNCF Réseau déjà intervenue. Mais notre rapporteur déplore l'opacité autour de ce sujet. Comment l'expliquer ?
M. Michel Canevet . - La baisse de la capitalisation boursière du portefeuille des participations de l'État n'est pas surprenante vu la crise économique que nous traversons. Quelle est la répartition des rôles entre l'APE et Bpifrance ? L'avance d'actionnaire de 3 milliards d'euros consentie à Air-France-KLM sera-t-elle suffisante ? La compagnie est dans une situation difficile et les perspectives ne sont guère réjouissantes. Des efforts supplémentaires lui seront-ils demandés ? Faut-il craindre une restructuration et une disparition des lignes d'aménagement du territoire ?
M. Sébastien Meurant . - Pourriez-vous nous éclairer sur la manière dont l'État est intervenu dans l'affaire Veolia-Suez ? Il me semble que cela relève de nos prérogatives de contrôle. Or, nous avons le plus grand mal à obtenir des informations. Un des fleurons de notre industrie, dans un secteur d'avenir, est pourtant menacé.
Mme Christine Lavarde . - La vente d'ADP semble suspendue. Le produit de la cession était pourtant destiné à alimenter le fonds pour l'innovation et l'industrie. Celui-ci est-il menacé ?
L'État envisage d'apporter une nouvelle aide à la SNCF sous la forme d'une recapitalisation, après la reprise de la dette de SNCF Réseau. L'entreprise semble victime d'un effet ciseau entre des dépenses non prévues et la baisse des recettes de SNCF Réseau. N'y a-t-il pas d'autres moyens d'aider l'entreprise ? Le plan de relance prévoit ainsi des crédits pour la régénération des voies.
Le groupe Les Républicains votera contre l'adoption des crédits du compte.
M. Claude Raynal , président . - On dit que l'État n'a plus de stratégie industrielle et serait mû uniquement par des considérations financières. Pourtant, il n'a pas profité du creux de la bourse pour acheter. Dès qu'il intervient, il est suspecté de vouloir nationaliser. On a donc un peu l'impression qu'il est perdant sur tous les tableaux et qu'il n'est ni vraiment stratège, ni vraiment financier !
M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - Les 20 milliards d'euros de crédits exceptionnels au titre du plan d'urgence n'ont pas fait l'objet d'un versement intégral sur le compte. Je le redis : un abondement échelonné, au fil des besoins constatés, est prévu.
Entre 2014 et 2017, il existait une doctrine d'intervention de l'État qui poursuivait quatre objectifs. Il s'agissait d'abord de préserver la souveraineté du pays en visant les entreprises intervenant dans des secteurs stratégiques sensibles, notamment le militaire, le nucléaire etc. Il s'agissait aussi de défendre les entreprises possédant des infrastructures et les opérateurs de services publics afin de répondre aux besoins fondamentaux du pays. Un autre objectif était l'accompagnement des secteurs et filières stratégiques pour la croissance économique nationale. Enfin, le dernier objectif était le sauvetage d'une entreprise présentant un risque systémique.
En 2017, le nouveau Gouvernement a rapidement lancé un programme de cessions, estimant qu'une participation publique n'était justifiée que dans les entreprises stratégiques qui contribuent à la souveraineté de notre pays - comme dans la défense ou le nucléaire -, les entreprises participant à des missions de service public ou d'intérêt général, national ou local, pour lesquelles l'État ne détient pas de leviers non actionnariaux suffisants pour préserver les intérêts publics, et enfin les entreprises pour lesquelles il existe un risque systémique. De fait, l'accompagnement des secteurs et filières stratégiques pour la croissance économique nationale n'est plus un motif d'intervention. Il s'avère aujourd'hui que cette nouvelle stratégie est un véritable échec.
La liste de la vingtaine d'entreprises stratégiques en difficulté n'est pas publique, au motif qu'il faut préserver la confidentialité des opérations. En fait, c'est du cas par cas. On a l'impression que l'État revient aujourd'hui à une doctrine plus interventionniste.
On constate bien une gestion « à la papa ». Comme l'a dit Claude Raynal, si l'État recherchait vraiment la rentabilité financière, il aurait acheté en profitant du creux de la bourse. Mais ce n'est pas le rôle de l'État d'être boursicoteur ou spéculateur.
La SNCF est un sujet sensible, pour lequel nous manquons d'informations. Une opération de recapitalisation de 4 milliards d'euros semble prévue, qui succède à la reprise de la dette pour 35 milliards d'euros ; une réforme du réseau ferroviaire devrait avoir lieu. L'État ne nous donne aucune information sur sa stratégie à long terme.
Dans l'affaire Suez-Veolia, je ne pense pas que l'État souhaite intervenir en capital. Il s'agit d'entreprises privées. Reprenons la chronologie. En juillet, Engie a annoncé vouloir procéder à un recentrage stratégique et donc vendre sa participation dans Suez. Comme nous l'a dit clairement Martin Vial, l'État était présent et a donné son aval. Peu après, à la fin août, Veolia a fait une offre à 15,5 euros par action, puis l'a prolongée jusqu'au 5 octobre, tout en la relevant à 18 euros par action. Le 5 octobre, l'État est mis en minorité au conseil d'administration d'Engie. L'État a été, en fait, attentiste, car Veolia, comme Suez et Engie étaient pressés. Le 4 septembre, le Premier ministre a dit que cette opération faisait sens sur le plan industriel. Quinze jours après, le ministre de l'économie, Bruno Le Maire disait qu'il n'y avait pas d'urgence et que l'État n'accepterait aucune pression ni intimidation. Mais le simple fait de rester sur l'Aventin revenait à avaliser l'opération. Je ne me prononcerai pas sur son opportunité, mais force est de constater que l'État actionnaire n'a pas pesé.
Je ne crois pas que l'État ait l'intention, pour le moment, d'intervenir dans cette affaire. Il aurait déjà pu le faire. Suez, en tout cas, y est opposée, tout comme ses salariés. La direction a mis en place une pilule empoisonnée, en créant une fondation de droit néerlandais, ce qui rend incessible l'entreprise pendant quatre ans. La justice est saisie et les tribulations judiciaires ne font que commencer. Le président de Veolia persiste dans son intention de lancer une opération publique d'achat (OPA). Ils ont acquis 29,9 % du capital auprès d'Engie, car au-delà du seuil de 30 % ils auraient dû lancer automatiquement et obligatoirement une OPA. C'est pourquoi ils ont choisi une opération en deux temps, en achetant d'abord les parts d'Engie, avant de lancer une OPA. Suez objecte qu'il faut consulter le comité social et économique, que le droit boursier n'a pas été respecté, faute de pré-offre publique d'achat et a créé une fondation. Donc l'affaire est partie pour durer et le contentieux pourrait durer au moins douze mois. En attendant la situation est bloquée et rien n'empêche Suez de créer de nouvelles pilules empoisonnées, comme des distributions d'actions aux salariés, par exemple. L'histoire risque donc d'être longue. Cela aurait été le rôle de faire entendre le point de vue de l'intérêt national. En tout cas, nous continuerons à suivre l'affaire. Enfin, il est vrai que le cabinet de Bruno Le Maire a refusé de nous recevoir, arguant que ce n'était pas la tradition...
En ce qui concerne les crédits du compte, le Parlement est bafoué : on ne nous donne pas les informations disponibles. Je ne suis pas opposé à ce que nous ne votions pas ces crédits, même si, par modération, je proposais une autre voie.
Je connais la sensibilité philosophique et idéologique de la question des conditionnalités. Je ne propose pas de corseter les entreprises, de les caporaliser ou de les étatiser. Je note simplement que l'État lui-même a déjà prévu des conditionnalités dans la loi de finances rectificative. Or, en l'occurrence, le Gouvernement nous demande de voter des crédits sans conditions ni sanctions. Il s'agit donc de mettre en oeuvre une réciprocité qui soit soutenable pour les entreprises et qui ne soit pas de nature bureaucratique. Le mécanisme que je vous propose concerne les grands groupes, mais peut aussi concerner d'autres entreprises, selon leur emprise régionale ou leur importance dans l'économie. Je suis surpris par l'inertie de l'État qui, sans doute tenu par une philosophie non-interventionniste, laisse faire, puis, lorsqu'il veut agir, se retrouve démuni, comme à Béthune avec Bridgestone. En Guadeloupe, 350 emplois sont menacés mais, par idéologie, on n'intervient pas et on laisse agir le marché. Tout est question de schèmes mentaux et idéologiques.
L'APE est constituée d'une équipe de 55 personnes. La répartition des rôles entre l'APE et Bpifrance n'est pas nette. Bpifrance gère le fonds pour l'innovation et l'industrie. Ce fonds est une usine à gaz ; nous l'avions dit. Il devait être doté de 10 milliards et devait rapporter 250 millions d'euros chaque année afin de financer l'innovation. Le rendement escompté serait ainsi de 2,5 %. Mais à l'heure actuelle, les taux d'intérêts sont négatifs, donc c'est une affaire ruineuse. En plus, la tuyauterie est complexe et incompréhensible. J'ajoute aussi que l'État ne percevra que très peu de dividendes en 2020. Finalement, le Gouvernement, gêné, doit compléter la dotation du fonds de 1,9 milliard d'euros et prélever d'autant le CAS.
L'État veut aussi créer un pôle financier public autour de la CDC et de la Banque postale, tout en absorbant la Société de financement local, qui est l'un des plus gros émetteurs d'obligations sécurisées pour les collectivités. Cela permettra peut-être des interventions plus éclairées.
En ce qui concerne Air France-KLM, l'État français a financé le groupe à hauteur de 7 milliards d'euros - dont 3 milliards d'euros de prêt d'actionnaire et 4 milliards d'euros de prêt garanti -, tandis que l'État néerlandais a aidé KLM pour plus de 3 milliards d'euros. Au total, la compagnie a reçu plus de 10 milliards d'euros d'aides, mais les problèmes stratégiques demeurent. Des réformes structurelles doivent être réalisées et des discussions ont été engagées avec les syndicats. Une difficulté supplémentaire tient au fait qu'il faut conserver l'équilibre entre l'État français et néerlandais, chacun actionnaire à hauteur de 14 % environ. Or, certaines aides pourraient prendre la forme d'une prise en capital. Les négociations sont complexes et Martin Vial n'a pas été en mesure de nous répondre. L'entreprise est fragilisée avec la crise et il faut aussi la protéger des OPA et des spéculateurs.
La vente d'ADP est suspendue. J'imagine mal que l'État reprenne ce projet ; d'ailleurs, vendre aujourd'hui serait une mauvaise affaire patrimoniale, un crime contre le bon sens, car l'action s'est effondrée. La cession devait financer le FII : c'est ce qui pose des problèmes de présentation du compte et le Gouvernement a dû procéder à quelques ajustements... Il aurait mieux valu qu'il admette qu'il s'était trompé. Mais par orgueil ou pour une question d'image politique, il ne l'a pas fait.
Nos rapporteurs spéciaux devront certainement s'intéresser au plan de réforme de la SNCF, qui comporte bien des sujets, comme la régénération des voies par exemple. Enfin, Claude Raynal, l'État doit intervenir comme un investisseur avisé. Ses opérations n'ont pas d'impact sur le déficit maastrichtien, mais il n'a pas un comportement de financier : on peut le regretter, mais c'est aussi conforme à l'idée que l'on peut se faire de l'État. En tout cas, il serait pertinent d'étudier la manière dont l'APE agit, ses moyens, ses résultats, l'information donnée au Parlement ou ses relations avec ses ministères de tutelle.
M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - Le Gouvernement a souhaité abonder le FII, ponctionnant le solde du compte quelques semaines après nous avoir demandé l'ouverture exceptionnelle de crédits supplémentaires. Avec l'amendement n° II-10 , je vous propose de retrancher 1,9 milliard d'euros de crédits du compte d'affectation spéciale afin de tirer les conséquences du choix opéré par le Gouvernement de dépenser un montant identique de crédits du compte pour compléter la dotation en numéraire du fonds pour l'innovation et l'industrie. Or, ce versement est intervenu quelques semaines seulement après que le Gouvernement a sollicité du Parlement l'ouverture exceptionnelle de 20 milliards d'euros de crédits supplémentaires pour les participations financières de l'État. C'est pourquoi, en plus d'être inopportune, la ponction opérée sur les ressources du compte pour abonder un mécanisme extrabudgétaire contrevient à la demande de crédits supplémentaires lors de la deuxième loi de finances rectificative. Ne pouvant modifier les recettes prévisionnelles du compte pour 2021, je vous propose de retrancher 1,9 milliard d'euros de crédits du compte pour que le Gouvernement s'explique sur la cohérence de son choix.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - Nous voterons cet amendement. En revanche, nous ne voterons pas les crédits du compte. Nous n'avons, en effet, aucune indication sur la doctrine selon laquelle ces crédits sont susceptibles d'être utilisés, ni sur les opérations envisagées. Martin Vial nous avait ainsi indiqué au début du mois que le principal dossier d'ici à la fin de l'exercice serait la recapitalisation de la SNCF. Or, hier, le président de la SNCF a déclaré dans une interview au Figaro qu'une recapitalisation « n'était pas à l'ordre du jour ». Si nous devons lire la presse pour obtenir des informations que le Gouvernement refuse de nous donner au motif du secret des affaires, c'est problématique ! Ensuite, je ne peux que constater l'incohérence du Gouvernement en retranchant, quelques semaines seulement après sollicité l'ouverture de crédits exceptionnels, près de 2 milliards d'euros du compte pour compléter la dotation en numéraire du fonds pour l'innovation et l'industrie - un mécanisme de débudgétisation que le Sénat avait rejeté lors de l'examen de la loi Pacte.
L'amendement n° II-10 est adopté.
La commission décide de proposer au Sénat de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».
Article additionnel avant l'article 74
M. Victorin Lurel , rapporteur spécial . - Mon amendement vise à rendre pleinement effective la conditionnalité introduite par la troisième loi de finances rectificative pour 2020 en matière d'intervention en capital de l'État.
M. Jean-François Husson , rapporteur général . - J'émets un avis défavorable à cet amendement.
Cet amendement n'est pas adopté.
*
* *
Réunie à nouveau le jeudi 19 novembre 2020, sous la présidence de M. Claude Raynal, président, la commission des finances a confirmé sa décision de proposer au Sénat, après l'adoption d'un amendement de crédits, de ne pas adopter les crédits du compte d'affectation spéciale « Participations financières de l'État ».