N° 60

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2020-2021

Enregistré à la Présidence du Sénat le 21 octobre 2020

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi , adopté par l'Assemblée nationale après engagement de la procédure accélérée, relatif aux conditions de mise sur le marché de certains produits phytopharmaceutiques en cas de danger sanitaire pour les betteraves sucrières ,

Par Mme Sophie PRIMAS,

Sénateur

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; M. Alain Chatillon, Mme Dominique Estrosi Sassone, M. Patrick Chaize, Mme Viviane Artigalas, M. Franck Montaugé, Mme Anne-Catherine Loisier, MM. Jean-Pierre Moga, Bernard Buis, Fabien Gay, Henri Cabanel, Franck Menonville, Joël Labbé , vice-présidents ; MM. Laurent Duplomb, Daniel Laurent, Mme Sylviane Noël, MM. Rémi Cardon, Pierre Louault , secrétaires ; M. Serge Babary, Mme Martine Berthet, M. Jean-Baptiste Blanc, Mme Florence Blatrix Contat, MM. Michel Bonnus, Denis Bouad, Yves Bouloux, Jean-Marc Boyer, Alain Cadec, Mme Anne Chain-Larché, M. Patrick Chauvet, Mme Marie-Christine Chauvin, M. Pierre Cuypers, Mmes Françoise Férat, Catherine Fournier, M. Daniel Gremillet, Mme Micheline Jacques, MM. Jean-Marie Janssens, Jean-Baptiste Lemoyne, Mmes Valérie Létard, Marie-Noëlle Lienemann, MM. Claude Malhuret, Serge Merillou, Jean-Jacques Michau, Mme Guylène Pantel, MM. Sebastien Pla, Christian Redon-Sarrazy, Mme Évelyne Renaud-Garabedian, MM. Olivier Rietmann, Daniel Salmon, Mme Patricia Schillinger, MM. Laurent Somon, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

3298 , 3358 et T.A. 483

Sénat :

7 , 59 et 61 (2020-2021)

L'ESSENTIEL

À la suite d'un hiver doux, la filière de la betterave est aujourd'hui confrontée à une vague massive d'attaques de pucerons ayant propagé plusieurs virus de jaunisse. Il en résulte des rendements historiquement bas dans les départements producteurs au sud de l'Île-de-France, facteur de déstabilisation économique de tout un écosystème essentiel dans de nombreux territoires ruraux. Alors que l'ensemble de la filière sucrière est menacée, à ce stade, aucune solution technique suffisamment efficace n'a émergé comme alternative au x néonicotinoïdes dont l'utilisation est proscrite pour toutes les cultures depuis le 1 er juillet 2020 en France.

En effet, en 2016, le Parlement a voté l'interdiction d'utilisation des produits phytopharmaceutiques à base de néonicotinoïdes, famille de pesticides qui agissent sur les récepteurs nicotiniques d'un neurorécepteur du système nerveux central des insectes et des mammifères . Cette interdiction, notamment justifiée par les risques induits par ces produits pour les abeilles et l'environnement, est devenue pleinement applicable en moins de deux ans, en prévoyant des dérogations éventuelles pour les filières sans alternative jusqu'au 1 er juillet 2020.

Cette interdiction, adoptée sans étude d'impact préalable, laissait présager des difficultés techniques évidentes pour des filières agricoles laissées sans solution crédible . Le Sénat avait déjà regretté cette situation à l'époque de l'adoption de loi biodiversité.

Consacrée au niveau législatif sans articulation claire avec un droit européen d'harmonisation maximale sur ces matières, l'interdiction pose, en outre, une difficulté pratique en ce qu'elle n'aménage pas un régime de dérogation exceptionnelle en cas d'urgence sanitaire, comme le prévoit pourtant le droit européen .

Le projet de loi n'entend pas revenir en arrière en réautorisant un usage général de ces produits. Cependant, dans certaines situations, il est impérieux d'avoir recours à ces mécanismes en cas d'urgence et sous réserve d'un strict encadrement. C'est aujourd'hui le cas de la filière betterave sucrière . C'est pourquoi, à la suite de la mobilisation de nombreux élus 1 ( * ) , le Gouvernement a déposé un projet de loi dans le but d'autoriser, à titre dérogatoire, le recours à des semences de betteraves enrobées de néonicotinoïdes pour des cultures mentionnées par arrêté en cas d'urgence. Il a pris l'engagement de restreindre ces dérogations aux seules betteraves sucrières.

I. IL EST NÉCESSAIRE D'AGIR POUR LA FILIÈRE BETTERAVE, CE QUI JUSTIFIE L'ADOPTION D'UN TEXTE PRAGMATIQUE

A. DEPUIS 2018, UNE ABSENCE D'ALTERNATIVE EXPOSANT AU RISQUE DE JAUNISSE

Les jaunisses virales sont, historiquement, des maladies importantes pour la culture betteravière, au même titre que la rhizomanie.

Les jaunisses de la betterave

Au nombre de quatre, en l'état actuel des connaissances scientifiques, les virus de jaunisse de la betterave altèrent la physiologie de la plante, et plus spécifiquement la photosynthèse au niveau des feuilles, elle-même à l'origine de l'accumulation des sucres dans la racine.

Ils sont transmis par plusieurs pucerons, dont le plus efficace est sans doute le puceron vert du pêcher ( myzus persicae ). Les pucerons, porteurs des virus de jaunisse de la betterave, après s'être réfugiés pendant l'hiver sur des adventices et du colza, migrent vers les betteraves semées en mars et qui lèvent en avril dès lors que les températures sont relativement élevées pour la saison (au-delà de 14°C). En général, le phénomène se déroule donc entre mai et juin, alors que la betterave présente un stade d'avancement plutôt développé (stade 8 feuilles). Les auxiliaires, après l'apparition des pucerons verts du pêcher, apparaissent, se diffusent et réduisent, en général, les populations de pucerons. Toutefois, plus la parcelle est contaminée tôt, plus les pertes de rendement sont massives.

La lutte contre ce phénomène reposait, principalement, avant 2018, sur l'utilisation de semences enrobées de néonicotinoïdes, avec des résultats efficaces pour des quantités épandues faibles, de l'ordre de quelques grammes par hectare, contrairement aux pratiques antérieures à base d'autres substances actives.

Au moment de l'interdiction adoptée dans la loi biodiversité, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail (Anses) établit qu' il existait « une seule alternative chimique aux néonicotinoïdes suffisamment efficace et opérationnelle pour l'usage pucerons sur betteraves mais pas d'alternative non chimique 2 ( * ) ».

Face à cette impasse technique, la recherche a accéléré ses travaux sur le cas spécifique de la betterave sucrière. Plusieurs projets, certains ayant été initiés avant 2016 comme le projet AKER, cherchent des solutions en matière génétique, agronomique, culturale ainsi que des solutions de biocontrôle. Certaines pistes se révèlent, d'ores et déjà, prometteuses.

Toutefois, à ce stade, aucune solution technique suffisamment efficace n'a émergé.

Malgré des projets de recherche prometteurs,
aucune alternative efficace n'a aujourd'hui vu le jour

À cet égard, le projet AKER , débuté depuis 2012 et financé par des programmes d'investissements d'avenir (à hauteur de 5 millions d'euros), consiste avant tout à élargir la variabilité génétique de la betterave en constituant une base enrichie de gènes en provenance de ressources du monde entier dans le but, dans un second temps, de produire de nouvelles variétés à haut potentiel qui seront mises à disposition de la filière.

Depuis 2018, le projet ABCD-B , inclus dans le plan Ecophyto, a pour objectif d'évaluer des solutions génétiques ou de biocontrôle contre les maladies à virus transmises, en grandes cultures, par les pucerons. Cinq substances naturelles et un micro-organisme ont été étudiés : de l'huile de paraffine, de la maltodextrine, du soufre, de l'azadirachtine (huile de neem), de la kaolinite (argile calcinée), et un champignon entomopathogène ( Lecanicillium muscarium ).

Le projet EXTRAPOL , financé sur la période 2020-2022 par le CASDAR, vise à mettre au point un protocole d'évaluation des résistances / tolérances variétales de la betterave à sucre. Le projet actuel porte sur deux virus responsables de jaunisses sur la betterave à sucre et qui sont principalement transmis par le puceron vert du pêcher.

Le projet MoCoRiBa (Modélisation et Communication du Risque Bio-Agresseurs en Grandes Cultures), a pour objectif d'évaluer la faisabilité et l'utilité d'une estimation en temps réel du risque sanitaire dans les parcelles et de l'intérêt de traitements ou de pratiques préventives locales et paysagères.

Enfin, le projet SYPPRE entend faire émerger les systèmes de culture de demain en alliant les sciences de l'agronomie et de l'écologie dans une approche de développement durable. L'ITB pilote une des plateformes expérimentales de terres de craie de Champagne.

Après un arrachage plutôt préservé de la jaunisse en 2019, l'arrivée massive et prématurée de pucerons en raison d'un hiver doux au sud de l'Île-de-France, bien avant l'arrivée des auxiliaires, a engendré un taux de contamination exceptionnellement élevé dans certaines régions.


* 1 Notamment par le biais d'une lettre ouverte au Président de la République des sénateurs Pierre Cuypers (Les Républicains - Seine-et-Marne) et Sophie Primas (Les Républicains - Yvelines), cosignée par près d'une centaine d'élus dont quatre présidents de régions - publiée dans L'Opinion du 29 juillet 2020 - « Halte au sabordage de la filière betteravière »

* 2 Anses - Risques et bénéfices relatifs des alternatives aux produits phytopharmaceutiques comportant des néonicotinoïdes - Tome 1 - Rapport du groupe de travail « Identification des alternatives aux usages autorisés des néonicotinoïdes » (mai 2018).

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