C. UNE RÉFLEXION PERTINENTE MAIS INABOUTIE SUR L'ÉVOLUTION DE LA DOCTRINE DE MAINTIEN DE L'ORDRE
Par le biais d'une demande de rapport au Parlement, les auteurs de la proposition de loi invitent à repenser la doctrine française du maintien de l'ordre, en s'inspirant des modèles mis en oeuvre dans d'autres pays européens.
Ils soulèvent, ce faisant, un débat essentiel au vu du contexte social actuel. De l'avis de l'ensemble des personnes entendues par votre rapporteur, le durcissement des rassemblements sociaux et la multiplication des violences en marge des manifestations se déroulant sur la voie publique constituent en effet un enjeu majeur en termes d'ordre public et rendent aujourd'hui indispensable d'engager une réflexion sur l'adéquation de nos dispositifs de maintien de l'ordre.
Pour autant, les pistes proposées ne suscitent pas l'approbation de votre commission.
Conformément à sa position traditionnelle, celle-ci rappelle tout d'abord que la demande de rapport au Parlement ne constitue pas la façon la plus efficace ni la plus pertinente pour les assemblées parlementaires de contrôler l'action du Gouvernement. Le délai de deux mois prévu par l'article 3 de la proposition de loi ne lui paraît, en outre, pas suffisant au regard de l'ampleur du sujet identifié.
Surtout, elle observe que les solutions envisagées par les auteurs de la proposition de loi ne sont pas de nature à répondre aux défis auxquels le dispositif français de maintien de l'ordre est aujourd'hui confronté.
Selon les représentants des forces de l'ordre entendus par votre rapporteur, la doctrine française de maintien de l'ordre n'a en effet rien à envier aux doctrines mises en oeuvre dans d'autres pays européens. Il a été rappelé, à cet égard, que les agents de la police et de la gendarmerie nationales sont régulièrement sollicités par d'autres pays européens pour assurer la formation de leurs propres forces de maintien de l'ordre.
Contrairement à la conception communément admise, les doctrines fondées sur le principe de « désescalade » ne sont en outre pas exemptes, dans la pratique, de tensions entre les manifestants et les forces de l'ordre. Un rapport commun de l'inspection générale de la police nationale et de l'inspection générale de la gendarmerie nationale de 2014 11 ( * ) relève ainsi, par exemple, que la doctrine allemande, vantée par les auteurs de la proposition de loi, est fondée sur « l'entrée en contact rapide, accompagnée d'interpellations » et constitue « une tactique qui s'accompagne d'un nombre de blessés significatifs dans les rangs des forces de l'ordre et des manifestants ».
De l'avis de votre rapporteur, d'autres pistes, dont certaines ont été esquissées par les représentants des forces lors de leur audition, apparaissent plus à même de guider la révision de la doctrine française de maintien de l'ordre.
Ainsi en est-il, tout d'abord, du renforcement de la judiciarisation, a posteriori , des actes de violences et de dégradations. Les interpellations au cours des manifestations étant généralement de nature à accentuer les tensions, privilégier les enquêtes judiciaires à l'issue des manifestations serait, de l'avis de plusieurs personnes entendues, de nature à faciliter l'action des unités spécialisées de maintien de l'ordre, sans pour autant renoncer à sanctionner les exactions commises.
De même, plusieurs personnes ont souligné la nécessité de revoir la procédure mise en oeuvre préalablement à l'usage de la force, souvent mal comprise par les manifestants. La révision des sommations, actuellement à l'étude par le ministère de l'intérieur, constitue, de l'avis de votre rapporteur, un élément de nature à améliorer la communication, indispensable, entre les forces de l'ordre et la population.
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Pour l'ensemble de ces raisons, votre commission n'a pas adopté la proposition de loi n° 259 (2018-2019) visant à interdire l'usage des lanceurs de balles de défense dans le cadre du maintien de l'ordre et à engager une réflexion sur les stratégies de désescalade et les alternatives pacifiques possibles à l'emploi de la force publique .
En conséquence, et en application du premier alinéa de l'article 42 de la Constitution , la discussion portera en séance sur le texte initial de la proposition de loi.
* 11 Rapport commun de l'IGPN et de l'IGGN relatif à l'emploi des munitions en opérations de maintien de l'ordre, 13 novembre 2014.