II. L'ACCORD BILATÉRAL DE DÉFENSE AVEC CHYPRE

A. CHYPRE, UNE CLÉ D'ACCÈS À LA MÉDITERRANÉE ORIENTALE

1. Chypre, une île divisée, qui est sortie de la récession depuis 2015

L'île de Chypre compte un peu plus d'un million d'habitants sur une superficie d'environ 9 000 km 2 . C'est une ancienne colonie britannique qui a accédé à l'indépendance en 1960, la Grande-Bretagne, la Grèce et la Turquie ayant été désignées « puissances garantes » de ce nouvel Etat bicommunautaire. La République de Chypre est membre du Commonwealth depuis 1961, de l'Union européenne depuis 2004 et se situe dans la zone euro depuis 2008.

L'île est occupée militairement par la Turquie depuis 1974, en réponse à un coup d'Etat organisé par la Grèce des généraux en vue d'un rattachement de l'île - la Turquie est intervenue militairement pour protéger les Chypriotes turcs. Les transferts de population consécutifs à cette intervention ont abouti à une séparation géographique des deux communautés : au Sud, la communauté chypriote grecque au sein de la République de Chypre ; au Nord, la communauté chypriote turque (environ 260 000 habitants sur 37% du territoire), constituant une « République turque de Chypre Nord » autoproclamée en 1983, qui n'est pas reconnue au niveau international, sauf par la Turquie.

L'économie chypriote est entrée en récession en 2009. Confrontée à une crise majeure, elle a bénéficié, début 2013, d'un plan de sauvetage de 10 milliards d'euros alloués par l'Union européenne et le Fonds monétaire international, afin d'éviter notamment la faillite du système bancaire en contrepartie de la restructuration du secteur financier, de l'assainissement des finances publiques et de réformes structurelles. Chypre a renoué avec la croissance en 2015 (+1,7 %), puis en 2016 (+2,8 %), compte tenu notamment du dynamisme du tourisme, de son industrie maritime (10 ème flotte mondiale et 3 ème flotte de l'Union européenne). Les estimations pour 2017 et 2018 sont respectivement de +2,5 % et +2,3 %. Chypre est sortie du programme d'ajustement en mars 2016, les objectifs ayant été largement atteints, même si des progrès sont encore attendus dans le secteur bancaire.

Suite à la découverte d'un important champ gazier off-shore en Egypte, Chypre espère, elle aussi, des découvertes dans sa zone économique exclusive, ce qui lui permettrait de sortir de sa dépendance énergétique quasi-totale.

Chypre conduit, par ailleurs, une politique fiscale pour attirer les capitaux étrangers - faible taux d'imposition sur les sociétés, programme de « passeports dorés » notamment.

2. Chypre et son voisinage : des relations toujours très tendues avec la Turquie

Selon les informations transmises par le MEAE 9 ( * ) et comme indiqué Supra , les relations de Chypre avec la Turquie sont particulièrement tendues. La Turquie ne reconnaît pas la République de Chypre et a mis un veto à son adhésion à plusieurs instances internationales, notamment à l'Organisation de coopération et de développement économique (OCDE), à l'Arrangement de Wassenaar sur le contrôle des exportations d'armes conventionnelles et de biens et technologies à double usage, ainsi qu'au Régime de contrôle de la technologie des missiles ( Missile Technology Export Control Regime - MTCR).

La Turquie conserve le rôle de puissance garante de Chypre, attribué en 1960, et continue son occupation militaire de l'île, depuis 1974, avec l'opération Attila qui compte plus de 30 000 hommes.

De plus, la Turquie interdit l'accès aux ports et aéroports turcs des bateaux et aéronefs chypriotes ou ayant transité par Chypre. Cette situation est contraire au Protocole d'Ankara, signé le 29 juillet 2005, qui visait à étendre l'Union douanière aux dix Etats membres y ayant adhéré en 2005, dont Chypre.

En revanche, Chypre est traditionnellement très proche de la Grèce, à laquelle elle est liée par une « doctrine de défense commune » conclue le 18 mars 1994, qui inclut l'île dans un espace hellénique de défense. La Grèce et Chypre sont également liées par un accord de coopération économique signé le 16 mars 1996.

Chypre entretient également des liens étroits avec la Russie, notamment en raison d'affinités orthodoxes. D'importants capitaux russes sont investis dans l'île, notamment dans l'immobilier, ce qui permet à leurs détenteurs d'obtenir le passeport chypriote et donc européen.

Le MEAE a souligné que Chypre multipliait les partenariats trilatéraux avec la Grèce, dont elle est très proche, et avec les Etats avec lesquels elle a des intérêts communs, à la fois en matière énergétique et face à la Turquie, comme l'Egypte et Israël. Ces partenariats renforcent les accords bilatéraux de Chypre avec ces Etats (accords de coopération économique et scientifique et accord de défense de 2011 avec Israël ; livraisons d'armement aux armées libanaise et jordanienne).

3. « La question chypriote »

Les négociations interchypriotes visant la réunification de l'île prennent la forme de discussions directes entre les dirigeants des deux communautés, chypriote-grecque et chypriote-turque. Leur objectif est la création d'une fédération bizonale et bicommunautaire, avec égalité politique, conformément aux résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies.

L'ONU maintient depuis 1964 une force d'interposition à Chypre, la Force de maintien de la paix des Nations unies à Chypre (FNUCHYP), qui gère la zone tampon appelée « ligne verte » - bande pouvant atteindre jusqu'à 7 kilomètres de large et sur laquelle les activités agricoles sont autorisées - ainsi qu'une mission de bons offices, afin de favoriser des négociations entre les deux communautés. Le mandat de la Force est renouvelé tous les six mois par le Conseil de Sécurité. Des mesures de conciliation ont abouti à l'ouverture de points de passage sur la ligne de démarcation depuis 2003 et à l'accès des Chypriotes turcs aux structures administratives du Sud. Le 24 avril 2004, le Secrétaire général des Nations unies, Kofi Annan a soumis à un double référendum un projet de règlement, dit « Plan Annan », qui a été massivement rejeté par les Chypriotes grecs.

Le Président de la République de centre-droit, Nikos Anastasiades, élu en 2013, puis en 2018, a présenté dès sa première arrivée au pouvoir « un paquet de mesures de confiance ». Après un échange historique de cartes en 2017, les deux conférences multilatérales sur les garanties qui s'en sont suivies ont échoué, conduisant à un gel du processus.

4. Chypre, un pays membre de l'UE depuis 2004

Chypre est pays membre de l'UE depuis 2004. N'étant pas membre de l'OTAN, elle apporte un soutien au sein de différentes instances européennes, et notamment dans le cadre de l'Europe de la défense.

Dans le cadre de la Politique de sécurité et de défense commune (PSDC), Chypre se montre également très favorable à la coopération structurée permanente et a proposé plusieurs projets en ce sens : coopération pour la protection des infrastructures énergétiques, partage de renseignement maritime, mise en réseau d'infrastructures de défense dans la périphérie de l'UE, création d'un centre d'entraînement UE. En retour de son soutien, elle attend une protection de la part des Etats membres au regard du différend qui l'oppose à la Turquie.

En matière capacitaire, Chypre participe à plusieurs initiatives de l'Agence Européenne de Défense, même si elle ne dispose que d'une industrie de défense très limitée.

Dans le domaine opérationnel, elle ne participe que de manière symbolique aux missions et opérations de la PSDC. Elle participe aux opérations navales de PSDC (1 pax 10 ( * ) dans Atalante et Sophia) ainsi qu'à EULEX Kosovo (1 pax - Chypre ne reconnaît pas le Kosovo) et à la Mission de surveillance de l'Union européenne (MSUE) en Géorgie (3 pax).

Chypre, qui considère la sûreté maritime comme une priorité, a joué un rôle important dans l'élaboration de la stratégie de sûreté maritime de l'UE (diffusion d'un non-papier franco-chypriote, en février 2013) adoptée par le Conseil européen le 24 juin 2014 et révisée au premier semestre 2018.

Par ailleurs, Nicosie participe au premier semestre 2018 au Groupement Tactique de l'Union européenne (GTUE), dont la Grèce est nation-cadre. Une nouvelle contribution a été annoncée pour le premier semestre 2020.

Le MEAE 11 ( * ) a indiqué à votre rapporteur que, consciente de sa proximité avec des zones de crise, mais également du rôle qu'elle peut jouer du fait de sa position géographique et de son histoire, Chypre se voit comme une plateforme de dialogue entre l'UE et la rive sud de la Méditerranée. On rappelle à cet égard que Chypre est en bons termes avec la plupart des pays arabes et que sa relation avec Israël s'est améliorée.


* 9 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.

* 10 Pax = passager.

* 11 Réponses du Gouvernement aux questions de la commission.

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