N° 570

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2017-2018

Enregistré à la Présidence du Sénat le 13 juin 2018

RAPPORT

FAIT

au nom de la commission des affaires économiques (1) sur le projet de loi , ADOPTÉ PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE APRÈS ENGAGEMENT DE LA PROCÉDURE ACCÉLÉRÉE , pour l' équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine , durable et accessible à tous ,

Par M. Michel RAISON et Mme Anne-Catherine LOISIER,

Sénateurs

Tome 1 : Rapport

(1) Cette commission est composée de : Mme Sophie Primas , présidente ; Mme Élisabeth Lamure, MM. Daniel Gremillet, Alain Chatillon, Martial Bourquin, Franck Montaugé, Mmes Anne-Catherine Loisier, Noëlle Rauscent, M. Alain Bertrand, Mme Cécile Cukierman, M. Jean-Pierre Decool , vice-présidents ; MM. François Calvet, Daniel Laurent, Mmes Catherine Procaccia, Viviane Artigalas, Valérie Létard , secrétaires ; MM. Serge Babary, Jean-Pierre Bansard, Mme Anne-Marie Bertrand, MM. Yves Bouloux, Henri Cabanel, Mmes Anne Chain-Larché, Marie-Christine Chauvin, Catherine Conconne, MM. Roland Courteau, Pierre Cuypers, Marc Daunis, Daniel Dubois, Laurent Duplomb, Alain Duran, Mmes Dominique Estrosi Sassone, Françoise Férat, M. Fabien Gay, Mmes Michelle Gréaume, Annie Guillemot, MM. Xavier Iacovelli, Jean-Marie Janssens, Joël Labbé, Pierre Louault, Michel Magras, Jean-François Mayet, Franck Menonville, Jean-Pierre Moga, Mme Patricia Morhet-Richaud, MM. Robert Navarro, Jackie Pierre, Michel Raison, Mmes Évelyne Renaud-Garabedian, Denise Saint-Pé, MM. Dominique Théophile, Jean-Claude Tissot .

Voir les numéros :

Assemblée nationale ( 15 ème législ.) :

627 , 838 , 902 et T.A. 121

Sénat :

525 , 563 et 571 (2017-2018)

AVANT -PROPOS

Mesdames, Messieurs,

Dans le prolongement des États généraux de l'alimentation réunis au second semestre 2017, le Gouvernement déposait sur le bureau de l'Assemblée nationale, le 1 er février 2018, le projet de loi « pour l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine et durable », texte sur lequel il engageait aussitôt la procédure accélérée.

Après soixante-dix-sept heures de débats en séance publique, l'Assemblée nationale a renvoyé à votre commission des affaires économiques, le 30 mai dernier, un texte considérablement épaissi par rapport à sa version initiale puisque son volume a plus que quintuplé , passant de 17 à 93 articles.

Plus de 1 900 amendements ont été déposés au stade de la commission, et à nouveau plus de 2 400 au stade de la séance. Ce nombre témoigne certes de la passion toujours vivace des Français et de leurs représentants pour leur agriculture et leur alimentation , ce dont chacun peut se réjouir. Il dévoile aussi l'un des dangers auquel doit faire face le législateur : la volonté de se saisir de tous les sujets médiatiques à l'appel de la société civile ou de certaines de ses composantes.

De l'usage du doggy bag à la reconnaissance de la chocolatine, en passant par les fromages fermiers affinés hors de l'exploitation ou l'abrogation d'une loi de 1957 sur la « Clairette de Die », les sujets abordés auront parfois éloigné les débats de l'ambition première de la loi : assurer un revenu décent à nos agriculteurs en organisant un partage équitable de la valeur.

Pour lutter contre ce phénomène naturel , et recentrer le législateur sur l'essentiel, à savoir la détermination des grands principes régissant les politiques publiques, la Constitution de 1958 a prévu des mécanismes régulateurs : les irrecevabilités . Mais alors que le Gouvernement devrait être un acteur dans leur mobilisation , force est de constater qu' il a ici très largement failli . De nombreux articles ont ainsi pu être intégrés au projet de loi avec l'accord du Gouvernement 1 ( * ) alors qu'ils ne relevaient manifestement pas du domaine de la loi , que leur lien, même indirect , avec le texte était inexistant, voire que leur recevabilité financière était incertaine, sans évoquer l'absence de caractère normatif d'un bon nombre de dispositions et les diverses demandes de rapport , la loi prévoyant même, pratique inédite, un rapport pour évaluer le contournement des mesures qu'elle entend mettre en place...

Il est à cet égard très étonnant de constater que tout en proposant de limiter le droit d'amendement par un contrôle renforcé des irrecevabilités constitutionnelles, le Gouvernement n'use pas des instruments qui sont d'ores et déjà à sa disposition , pas plus qu'il n'y incite sa majorité, pour améliorer la qualité, l'intelligibilité et la normativité de la loi. Le décalage entre la posture et la pratique apparaît de ce point de vue saisissant.

Un exemple atteste de l'inapplication, tant par le Gouvernement que par sa majorité, des irrecevabilités qu'ils jugent pourtant, de concert, insuffisantes. Avant même d'en connaître le contenu, un titre II bis censé accueillir diverses mesures de simplification dans le domaine agricole était ajouté en commission, dans l'espoir d'ouvrir les débats en séance. Ce titre contient finalement très peu de dispositions, leur lien même indirect avec le texte initial est incertain et, malgré la demande constante de simplification administrative de nos agriculteurs, une seule, au mieux, peut être présentée comme une mesure de simplification .

Ces questions procédurales ne porteraient pas à conséquence si elles n'avaient rien changé au contenu d'un texte pourtant très attendu par la profession agricole .

Or, faute d'avoir été recentrés sur leur objet premier, les débats à l'Assemblée nationale ont déséquilibré le projet de loi , déplaçant son centre de gravité des préoccupations agricoles vers des problématiques alimentaires, certes tout aussi légitimes mais largement déconnectées de l'ambition initiale d'un texte qui visait, avant tout, à donner une vraie place aux agriculteurs dans la chaîne de valeur pour accroître leurs revenus . Ils ont laissé l'amère impression aux agriculteurs qu'ils étaient les grands oubliés de « leur » projet.

À l'heure d'étudier ce projet de loi, votre commission s'est donc attachée à revenir à l'essentiel . Elle mesure à la fois les doutes et les ambitions que les acteurs de la « ferme France » ont exprimés lors des États généraux de l'alimentation ; tout en étant consciente des limites d'un texte qui n'est pas révolutionnaire mais apporte certaines réponses, parfois trop timides , aux difficultés du monde agricole, elle a cherché à s'inscrire dans la démarche du Gouvernement pour en renforcer l'ambition, souvent, en corriger les erreurs ou les excès, parfois, avec une ligne directrice constante : augmenter les revenus des agriculteurs, réduire leurs charges et adopter une politique de l'alimentation pragmatique , qui incite plutôt qu'elle ne contraint.

C'est dans cet état d'esprit constructif que vos rapporteurs -Michel Raison pour le titre I er et Anne-Catherine Loisier pour les titres suivants - ont travaillé. Ils ont entendu 154 personnes, au cours de plus de 50 heures d'auditions ouvertes à l'ensemble de leurs collègues.

Ils en ont tiré la conviction que les attentes de toutes les filières sont grandes et qu'il est temps d'agir .

Le texte qui est soumis à votre vote est décomposé en quatre titres : le titre I vise l'amélioration de l'équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire ; le titre II agrège des mesures disparates en faveur d'une alimentation « saine, de qualité, durable, accessible à tous et respectueuse du bien-être animal » ; le titre II bis , bien que dit de « simplification », comporte quelques mesures relatives à l'énergie en agriculture. Quant au titre III, il comporte des dispositions transitoires pour organiser l'entrée en vigueur de certaines dispositions du texte.

Signe du basculement opéré à l'Assemblée nationale : alors que le titre I était initialement deux fois plus important en volume que le titre II, il est désormais structuré autour de 24 articles contre 63 articles pour le titre II.

Certains des sujets qu'il aborde ont été délégués au fond à la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable, notamment les articles relatifs à la lutte contre le gaspillage et la précarité alimentaires (articles 12 à 12 quinquies ) et certaines autres dispositions particulières (articles 11 ter , 11 septies B, 11 sexdecies , 15 bis , 16 B). La commission de l'aménagement du territoire et du développement durable s'est, par ailleurs, saisie pour avis de l'ensemble du titre II du texte.

Au cours de ses réunions des 12 et 13 juin 2018, votre commission a adopté l'ensemble du projet de loi dans la rédaction issue de ses travaux en intégrant les propositions retenues par la commission de l'aménagement du territoire et du développement durable pour les articles qui lui avaient été délégués.

Les principaux apports de votre commission

- l'application du droit français des pratiques anticoncurrentielles aux négociations effectuées à l'étranger qui concernent des produits destinés à la vente en France (article 10 bis A) ;

- la mise en place d'une procédure de saisine du juge en la forme des référés par une des parties au contrat en cas d'échec de la médiation (article 4) ;

- l'obligation de formaliser par un écrit motivé le refus des conditions générales de vente par un distributeur (article 10) ;

- l'instauration d'une clause de révision de prix automatique pour les produits composés à plus de 50 % de matières premières agricoles dont le prix connaîtrait une forte augmentation (article 6) ;

- l'intégration dans la loi des dispositions relatives au seuil de revente à perte et à l'encadrement des promotions , plutôt que de renvoyer à la prise d'ordonnances par le Gouvernement (article 9) ;

- la suppression de l'interdiction des remises, rabais et ristournes sur les produits phytosanitaires , en l'absence d'éléments suffisants pour juger en toute connaissance de cause de l'effet de la mesure (article 14) ;

- la simplification des démarches administratives pour les substituts aux produits phytosanitaires , afin de favoriser leur développement (articles 14 ter et 14 quinquies ) ;

- l'élargissement du champ de l'expérimentation d'épandage aérien par drones sur terrain dangereux (pentes supérieures à 30 %) pour assurer la sécurité de tous les agriculteurs (article 14 sexies ) ;

- la création d'un conseil indépendant de la vente de produits phytosanitaires centré sur la définition d'une stratégie pluriannuelle individualisée par exploitation , au sein de structures où la séparation capitalistique n'est plus requise (article 15) ;

- la suppression de l'habilitation qui permettait au Gouvernement de réformer le droit coopératif par ordonnance , ce qui privait les parlementaires d'un débat sur un sujet essentiel pour les territoires (article 8) ;

- l'assouplissement des modalités de l'objectif de 50 % de produits de qualité, durables et locaux dans la restauration collective publique (inclusion de tous les produits sous signes de qualité, mentions valorisantes et certification de conformité ou issus d'une exploitation bénéficiant d'une certification environnementale, suppression de la part minimale de produits bio et prise en compte des capacités de production locale) (article 11) ;

- l'extension de l'obligation d'afficher l'origine des vins à tous les établissements en mettant à la vente , y compris les débits de boissons à consommer sur place ou à emporter (article 11 nonies E) ;

- l'obligation de faire figurer, sur l'étiquette, les pays d'origine du miel par ordre décroissant d'importance (article 11 decies ) ;

- le renforcement du « droit à l'injection » du biogaz pour les installations de production situées à proximité d'un réseau (prise en compte de l'injection dans les plans de développement des réseaux, consécration d'un droit d'accès aux réseaux des producteurs, mention de tous les cas d'adaptations du réseau et inclusion des installations situées hors du périmètre d'une concession) (article 16 C) ;

- la sortie du statut de déchets des matières fertilisantes et supports de culture de qualité, dont les digestats des méthaniseurs (article 16 D) ;

- la consécration de la possibilité de valoriser les résidus de transformation agricole dans les usages non alimentaires (article 16 CA).


* 1 Voire à son initiative, quand il les a soufflés à des députés, contournant au passage son obligation de réaliser une étude d'impact.

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