CHAPITRE IV - DISPOSITIONS RELATIVES AUX OPÉRATIONS, À LA COOPÉRATION ET À L'ENTRAÎNEMENT DES FORCES

Article 23 - (art. L. 2381-1 du code de la défense) - Prélèvements biologiques en opération

L'article 23 du présent projet de loi tend à compléter le régime juridique des prélèvements biologiques réalisés par les militaires en opération extérieure en ajoutant y une nouvelle finalité et en élargissant le champ des personnes qui peuvent faire l'objet de tels prélèvements.

I - Le droit en vigueur

Actuellement, l'article L. 2381-1 du code de la défense prévoit que les membres des forces armées et des formations rattachées peuvent, dans le cadre d'opérations extérieures, procéder sous certaines conditions à des opérations de relevés signalétiques (empreintes digitales et palmaires, reconnaissance faciale et de l'iris) ainsi qu'à des prélèvements biologiques (prélèvements sanguins, salivaires et génétiques) :

- sur des personnes décédées lors d'actions de combat ou des personnes capturées par les forces armées, aux fins d'établir leur identité, dès lors que celle-ci est inconnue ou incertaine, ou leur participation antérieure aux hostilités (I de l'article L. 2381-1) ;

- sur les personnels civils recrutés localement sur le théâtre d'opérations et sur les personnes accédant à une zone protégée ou placée sous le contrôle des forces armées françaises, afin de vérifier leur identité et leurs antécédents (II du même article).

II - Les modifications proposées par le projet de loi

Le 1° de l'article 23 tend à ajouter une troisième catégorie de personnes pouvant faire l'objet de relevés et de prélèvements : les personnes « dont il existe des raisons précises et sérieuses de penser qu'elles présentent une menace pour la sécurité des forces ou des populations civiles ».

Selon l'étude d'impact annexée au projet de loi, cette nouvelle possibilité constituerait une alternative avantageuse par rapport à la capture des personnes considérées, légale selon le droit international et sous le régime des mandats encadrant les interventions françaises, mais utilisée avec parcimonie par des armées à la fois soucieuses de limiter leur impact sur les populations et confrontées à des théâtres d'opérations dont les dimensions rendent de telles opérations difficiles.

L'étude d'impact fournit plusieurs exemples d'utilisations possibles de ce nouveau dispositif :

- après le déclenchement d'un engin explosif improvisé, sur les personnes se trouvant aux abords de l'explosion, ayant un comportement anormal et dont on peut soupçonner qu'elles sont impliquées dans la préparation de cette attaque ;

- lors de la découverte d'une cache d'armes ou d'un laboratoire de fabrication d'engins explosifs improvisés ;

- sur les personnes découvertes alors qu'elles collectent du renseignement sur les forces armées, leurs emprises ou leurs déplacements ;

- sur les personnes qui se seraient introduites sans autorisation dans une zone placée sous le contrôle des forces françaises (emprises, camps...) ;

- sur les personnes qui portent ou circulent avec des armes ou des munitions sans respecter les procédures en vigueur localement (relatives au titre de détention de l'armement, aux interdictions de certaines armes, aux accords de démilitarisation, au désarmement et à la réinsertion...) et qui sont interceptées et contrôlées lors d'un contrôle de zone.

Comme l'ont souligné les représentants de la direction du renseignement militaire (DRM) lors de leur audition par votre rapporteur, les modalités du recours à ces prélèvements devront être inscrites dans les règles opérationnelles d'engagement (ROE) des armées pour chaque théâtre d'opération. Les prélèvements seront réalisés par des sous-officiers formés par la DRM et expressément habilités à cette fin. Les résultats alimenteront le fichier BIOPEX, créé par un décret du 2 août 2017 non publié, et dont le contenu, les modalités d'accès et la durée de conservation des données sont couverts par le secret de la défense nationale.

Par ailleurs, le 2° et le 3° du présent article ajoutent deux conditions de mise en oeuvre du dispositif de relevés signalétiques et de prélèvements biologiques :

- les prélèvements biologiques seront limités aux seuls prélèvements salivaires, à l'exclusion de tout autre type de prélèvement plus intrusif (prélèvement sanguin par exemple) ;

- les personnes qui seraient soumises à ces relevés et prélèvements doivent être informées au préalable des motifs et des finalités de ces opérations.

Notons que le présent article a aussi pour effet d'élargir le champ d'application de l'article 16-11 du code civil, en vertu duquel l'identification d'une personne physique par ses empreintes génétiques ne peut avoir lieu que dans un nombre de cas limitatifs, dont ceux prévus par l'article L. 2381 du code de la défense.

III - La position de l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a adopté le présent article sans modification.

IV - La position de votre commission

La compatibilité avec les grands principes de notre droit

Dans sa décision n° 2010-25 QPC du 16 septembre 2010 portant sur le fichier national des empreintes génétiques (FNAEG), le conseil constitutionnel a dégagé certaines des conditions nécessaires pour que le prélèvement des empreintes génétiques soit compatible avec les droits de la personne et ne portent pas atteinte « à l'inviolabilité du corps humain, au principe du respect de la dignité de la personne humaine et à la liberté individuelle ».

Il faut ainsi notamment que « le prélèvement n'implique aucune intervention corporelle interne ; qu'il ne comporte aucun procédé douloureux, intrusif ou attentatoire à la dignité des personnes », et que « la disposition contestée n'autorise pas l'examen des caractéristiques génétiques des personnes ayant fait l'objet de ces prélèvements mais permette seulement leur identification par les empreintes génétiques », toutes conditions respectées par le dispositif du présent article, qui n'autorise que les prélèvements salivaires.

Plusieurs des autres conditions fixées par le Conseil se réfèrent par ailleurs à la distinction entre police administrative (préventive) et police judiciaire (répressive). Si les cas actuellement prévus par l'article L. 2381-1 relèvent plutôt selon cette distinction de la police administrative et préventive, en revanche les nouvelles dispositions semblent plutôt se rattacher, selon l'étude d'impact, à une forme d'enquête intervenant après les événements (comme l'explosion d'un IED). Dès lors, l'on pourrait estimer que des garanties supplémentaires sont nécessaires. Toutefois, comme l'a souligné le Conseil d'Etat dans son analyse, il s'agit là de dispositions qui s'appliquent, selon les termes du présent article, « dans le cadre d'une opération mobilisant des capacités militaires se déroulant à l'extérieur du territoire français », c'est-à-dire par hypothèse, selon le Conseil, dans une zone de guerre. Dès lors, les garanties de procédure n'ont pas besoin d'être aussi fortes qu'elles le seraient sur le territoire national.

De même, la Cour européenne des droits de l'homme procède à une application extraterritoriale de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et juge que, pour ne pas méconnaître le droit à la vie privée garanti par son article 8 , la collecte de données personnelles doit poursuivre un but légitime et avoir un caractère proportionné au but ainsi identifié, ce qui est bien le cas en l'espèce.

L'utilité incontestable du dispositif

Votre commission a estimé que l'ouverture de cette nouvelle possibilité de recueillir des éléments permettant d'identifier des personnes dont il y a de fortes raisons de penser qu'elles représentent un danger constitue une avancée importante tant pour la sécurité des militaires français que pour celle des populations des pays concernés.

Votre commission a adopté l'article 23 sans modification.

Article 24 - (art. 689-5, 689-6, 689-14 [nouveau] du code de procédure pénale) - Extension du champ de la compétence quasi-universelle des juridictions françaises

L'article 24 du présent projet de loi tend à modifier le code de procédure pénale afin de le rendre conforme à plusieurs protocoles et conventions relatifs à la répression d'actes illicites en matière de sécurité maritime, d'aviation civile internationale et de protection des biens culturels en cas de conflit armé. Il étend ainsi la compétence universelle des juridictions françaises à de nouvelles infractions.

En premier lieu, le présent article tend à modifier l'article 689-5 du code pénal pour tenir compte du protocole relatif à la Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et du protocole relatif au protocole pour la répression d'actes illicites contre la sécurité des plates-formes fixes situées sur le plateau continental, adoptés à Londres le 14 octobre 2005, signés par la France le 14 février 2006, entrés en vigueur le 28 juillet 2010 et dont la ratification a été autorisée par la loi n° 2017-1576 du 17 novembre 2017.

Ces deux protocoles modifient deux textes de 1988, adoptés à la suite du détournement, en 1985, par un commando du Front de libération de la Palestine, du paquebot italien Achille Lauro. Les modifications adoptées en 2005 visent les infractions à caractère terroriste commises depuis ou à l'encontre d'un navire, ainsi que les infractions de prolifération par mer d'armes biologiques, chimiques ou nucléaires (BCN) .

En second lieu, le présent article effectue les modifications nécessaires à l'application de la Convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et le protocole complémentaire à la Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs, adoptés à Pékin le 10 septembre 2010. La convention se substitue à la convention de Montréal du 23 septembre 1971 et le protocole complémentaire modifie la convention signée à La Haye le 16 décembre 1970.

La France a signé la Convention et le protocole le 15 avril 2011 et leur ratification a été autorisée par la loi n° 2016-1323 du 7 octobre 2016. Ces textes créent notamment de nouvelles infractions visant à incriminer, par exemple, l'utilisation d'aéronefs civils comme armes dans le but de donner la mort ou répandre des substances BCN . Ils précisent également les règles de compétences de l'État pour connaître des infractions qu'ils définissent ainsi que les conditions d'extradition et de coopération judiciaire internationale.

Enfin, le présent article tire les conséquences de l'adhésion de la France au deuxième protocole relatif à la convention de La Haye de 1954 pour la protection des biens culturels en cas de conflit armé, signé à La Haye le 26 mars 1999. L'adhésion de la France à ce protocole a été autorisée par la loi n° 2017-226 du 24 février 2017.

Ce texte définit les violations graves commises à l'encontre des biens culturels et précise les conditions de poursuite de leurs auteurs par les États parties. Il s'agit de lutter contre l'impunité dans ce domaine en engageant des poursuites pénales contre toute personne qui accomplirait un acte grave.

II - Les modifications proposées par le projet de loi

L'application de ces protocoles et conventions suppose certaines modifications du code de procédure pénale :

- le 1° du présent article modifie l'article 689-5 du code de procédure pénale pour actualiser les références à la Convention pour la répression d'actes illicites contre la sécurité de la navigation maritime et au protocole relatif à la sécurité des plates-formes fixes. Par ailleurs, il complète la liste des infractions pouvant en conséquence faire l'objet de poursuites pénales au titre de l'article 689-1 du code de procédure pénale, c'est-à-dire selon le principe de la compétence quasi-universelle (possibilité pour les juridictions françaises de poursuivre des infractions commises par toute personne hors du territoire national, dès lors que cette personne se trouve en France) ;

- le 2° modifie l'article 689-6 du même code pour actualiser les références des protocoles (Convention sur la répression des actes illicites dirigés contre l'aviation civile internationale et le protocole complémentaire à la Convention pour la répression de la capture illicite d'aéronefs) et compléter les infractions pouvant faire l'objet de poursuites pénales en vertu de ces protocoles et de l'article 689-1 du code de procédure pénale précité ;

- le 3° de l'article, enfin, introduit un article 689-14 dans le code de procédure pénale, afin d'ajouter un nouveau chef de compétence quasi-universelle du juge français pour juger les auteurs des violations graves au protocole sur la protection des biens culturels en cas de conflit armé.

III - La position de l'Assemblée nationale

L'Assemblée nationale a approuvé les dispositions du présent article, n'adoptant que quatre amendements rédactionnels.

IV - La position de votre commission

Votre commission a également approuvé ces modifications du code de procédure pénale, qui permettront aux juridictions françaises de poursuivre des faits particulièrement grave, à l'encontre des personnes mais également des trésors du patrimoine mondial, particulièrement visés par des destructions au cours des dernières années. Le présent article constitue ainsi une importante avancée en matière de lutte contre l'impunité.

Votre commission a adopté un amendement de coordination de la commission des lois.

Votre commission a adopté l'article 24 ainsi modifié.

Article 24 bis A - (art. L. 214?2 du code de la sécurité intérieure) - Normes relatives aux dispositifs militaires d'immobilisation des véhicules

L'article 24 bis A du présent projet de loi tend à préciser que le ministre de la défense peut définir, par arrêté, les normes techniques relatives aux matériels spécifiques des armées permettant d'immobiliser les moyens de transport, dès lors que leur emploi est nécessaire pour la protection des installations militaires.

I - Le droit en vigueur

L'article 1 er de la loi du 28 février 2017 relative à la sécurité publique 101 ( * ) a introduit la possibilité, pour les militaires chargés de la protection des installations militaires situées sur le territoire national, d'immobiliser les moyens de transport dans les conditions prévues à l'article L. 214?2 du code de la sécurité intérieure. Cet article prévoit que les matériels utilisés pour immobiliser les moyens de transports doivent être conformes à des normes techniques définies par arrêté du ministre de l'intérieur.

II - Les modifications proposées par le projet de loi

Issu d'un amendement des députés adopté en séance publique avec un avis favorable du Gouvernement, le présent article prévoit que le ministre de la défense puisse également définir, par arrêté, les normes techniques relatives aux matériels spécifiques des armées, dont l'emploi est nécessaire pour la protection des installations militaires.

Votre commission a adopté un amendement de notre collègue Philippe Paul permettant d'améliorer la rédaction du présent article.

Votre commission a adopté l'article 24 bis A ainsi modifié.

Article 24 bis - (art. L. 3211-3 du code de la défense ; art. L. 421-1 du code de la sécurité intérieure) - Exercice des missions de la gendarmerie nationale à bord des navires battant pavillon français

L'article 24 bis du projet de loi, introduit à l'Assemblée nationale, tend à étendre le champ des missions militaires et civiles de la gendarmerie nationale aux navires battant pavillon français.

I - Le droit en vigueur

L'article L. 3211-32 du code de la défense prévoit que les missions militaires de la gendarmerie nationale s'exécutent sur toute l'étendue du territoire national, hors de celui-ci en application des engagements internationaux de la France, ainsi qu'aux armées.

Par ailleurs, l'article L. 421-1 du code de la sécurité intérieure prévoit que les missions civiles de la gendarmerie nationale s'exécutent sur toute l'étendue du territoire national et hors de celui-ci en application des engagements internationaux de la France.

II - La position de l'Assemblée nationale

Le présent article est issu d'un amendement des membres du groupe La République en Marche, adopté par la commission de la défense de l'Assemblée nationale. Il étend l'exécution des missions militaires et civiles de la gendarmerie nationale, au-delà de la mer territoriale, aux navires battants pavillon français, bâtiments de l'Etat aussi bien que navires à passagers.

Ce faisant, selon le rapport du rapporteur de la commission de la défense de l'Assemblée nationale, le présent article vise à « sécuriser juridiquement la possibilité de déployer des gendarmes sur des navires battants pavillon français, afin d'en assurer la protection et celle de leurs passagers, en particulier dans le cadre de la création des équipes de protection des navires à passagers (EPNAP) associant gendarmes maritimes et fusiliers-marins, constituées depuis le 1er août 2016 . »

III - La position de votre commission

Votre commission a adopté un amendement de notre collègue Philippe Paul permettant de maintenir le parallélisme de rédaction entre le code de la défense et le code de la sécurité intérieure pour l'exercice des missions de gendarmerie en haute mer.

Votre commission a adopté l'article 24 bis ainsi modifié.


* 101 Loi n° 2017-258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique.

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