C. LE « FRENCH TECH CENTRAL » À STATION F : PRÈS DE TRENTE SERVICES PUBLICS EN UN SEUL LIEU
Les développements ci-dessous sont communs au rapport spécial de Thierry Carcenac et Claude Nougein de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines », et au rapport spécial de Frédérique Espagnac et Bernard Lalande sur la mission « Économie ». |
1. Le French Tech Central, une initiative originale étroitement liée au lancement de l'incubateur Station F
L'un des principaux enjeux de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines » est l'amélioration du service rendu aux usagers de la DGFiP et de la DGDDI, dans un contexte de nécessaire réorganisation de son réseau territorial, mais aussi de nouvelles opportunités créées par la dématérialisation.
L'un des principaux enjeux de la mission « Économie » est de définir puis de conduire des politiques publiques efficaces au service des entreprises, et notamment des PME innovantes et/ou exportatrices, dans un contexte où l'émiettement des dispositifs et des acteurs est de plus en plus problématique (cf. supra ).
Lancé en septembre 2017 au sein de l'incubateur Station F (cf. encadré), le « French Tech Central » pourrait constituer une réponse à ces défis , pour l'écosystème des TPE/PME innovantes, mais aussi au-delà, sur l'ensemble du territoire - et à certaines conditions.
Station F Créé par Xavier Niel et inauguré le 29 juin 2017, Station F est un incubateur de start-ups, situé dans la Halle Freyssinet à Paris (13 e arrondissement). Disposant de 34 000 mètres carrés, Station F peut accueillir jusqu'à 1 000 start-ups, sur quelque 9 000 stations de travail, ce qui en ferait le plus grand incubateur du monde . Le site dispose en outre d'un auditorium de 370 places, de plusieurs espaces événementiels, d'un « makerspace » disposant notamment d'imprimantes 3D, de quatre cuisines et de deux cafés. Une résidence de 800 logements est en cours de construction. L'ensemble représente un investissement de 250 millions d'euros . Les start-ups sont réparties entre plus de vingt programmes d'accompagnement proposés par des acteurs extérieurs ( Startup Garage de Facebook , Impulse de Vente-Privée etc.) ou au sein du Founders Program proposé directement par l'incubateur. Sont également présents sur place des investisseurs , ainsi que plusieurs services publics (rassemblés au sein du French Tech Central). |
Piloté par l'Agence du numérique , service à compétence nationale (SCN) rassemblant depuis 2015 l'initiative French Tech (soutien aux start-up en France et à l'international), le programme Société Numérique (formation aux nouveaux usages) et le plan France Très haut débit, le French Tech Central est un espace de 300 mètres carrés ayant vocation à rassembler une trentaine de services publics différents, dans le but de favoriser les échanges avec les entrepreneurs, les investisseurs, les chercheurs, les autres acteurs publics, les visiteurs internationaux, etc.
Parmi les administrations participantes, la DGFiP et la DGDDI relèvent de la mission « Gestion des finances publiques et des ressources humaines ». D'autres administrations, établissements publics et autorités administratives indépendantes (AAI) relèvent de la mission « Économie » : la Direccte d'Île-de-France, l'INPI, l'ANFr, la Banque de France, la Caisse des dépôts et consignations (CDC), Bpifrance, Business France, l'Arcep ou encore la CCI Paris Ile-de-France.
Services publics présents au « French Tech Central » au 1 er novembre 2017
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Source : Agence du numérique, French Tech Central
Services publics prochainement présents
au
« French Tech Central »
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Source : Agence du numérique, French Tech Central |
L'offre du French Tech Central, encore au stade expérimental, semble se structurer plus précisément en trois volets :
? des « master classes », ou présentations générales des services publics , de leurs domaines d'intervention, des procédures et obligations existantes etc. Ce format généraliste constitue une forme de premier contact pour les entreprises, et peut s'avérer particulièrement utile pour les jeunes entrepreneurs ou les étrangers . À titre d'exemple, la master class prévue à la suite de la visite de vos rapporteurs spéciaux était organisée par la direction générale des douanes et droits indirects (DGDDI) ;
? des « ateliers », de format plus restreint et plus ciblé, rassemblant par exemple entre dix ou vingt participants, sur un thème particulier . Par exemple, là où l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) consacrerait une master class à la régulation financière en général, ces ateliers pourraient porter sur l'encadrement des monnaies virtuelles de type bitcoin , la technologie blockchain , ou encore les nouveautés de la deuxième directive sur les services de paiement (DSP 2) ;
? enfin, la possibilité de prendre un rendez-vous individuel direct, sur réservation, avec un agent public identifié et pour un besoin précis : impôts et cotisations sociales, formalités douanières en vue d'une importation ou d'une exportation, recherche de financements publics ou privés, protection de la propriété intellectuelle, régime applicable aux traitements de données à caractère personnel etc. Ces premiers rendez-vous ont d'ores et déjà commencé .
Tous les échanges peuvent avoir lieu en français ou en anglais , ce qui constitue un élément important de qualité du service public, compte tenu des usagers concernés.
2. Une réforme du service public qui pose des questions inédites
Tirer un premier bilan du French Tech Central serait prématuré , l'initiative ayant été lancée il y a un mois seulement. Toutefois, d'après les indications et les chiffres fournis à vos rapporteurs spéciaux, l'initiative est pour l'instant un succès . Plusieurs centaines de rendez-vous ont déjà été pris, et le taux de remplissage des créneaux est presque complet .
Le French Tech Central apparaît ainsi comme un exemple concret de modernisation de l'action publique , volontariste et innovant - ce que facilitent, bien sûr, les particularités de l'écosystème. Le lancement de cette initiative a notamment fait apparaître une série de questions importantes , qui conditionnent la possibilité d'exporter ce modèle au-delà de Station F ou de structures similaires.
a) La mise en place d'un dispositif d'évaluation pertinent
Le premier enjeu est l'évaluation de l'efficacité du dispositif, qui passe par la mise en place d'indicateurs de performance spécifiques . Ceux-ci pourraient par exemple mesurer le nombre de rendez-vous pris, le taux de remplissage, mais aussi, selon des modalités à préciser, les suites données à ces rendez-vous. Il serait souhaitable que les résultats puissent être analysés au regard des indicateurs de performance généraux de chacun des services publics concernés , et notamment de la DGFiP et de la DGDDI, qui disposent de données importantes sur leurs usagers.
b) La gestion des effectifs, entre mutualisation et égalité d'accès au service public
La gestion des effectifs constitue un autre enjeu majeur . En effet, la présence des services et organismes publics au sein du French Tech Central, bien qu'intermittente, mobilise des agents publics 38 ( * ) , et constitue donc, du point de vue du présent rapport, un arbitrage budgétaire .
Concrètement, l'un des objectifs doit être la mutualisation des effectifs . Par exemple, un agent de la DGFiP pourrait, dans certains cas, répondre à certaines questions au titre de la DGDDI - ne serait-ce que sur la répartition des compétences entre les deux, ou s'agissant de domaines partagés tels que la TVA. De même, un représentant de Bpifrance pourrait, le cas échéant, orienter les entrepreneurs vers d'autres sources de financements publics , proposés par exemple par la région, la Caisse des dépôts et consignations ou les chambres de commerce et d'industrie (CCI).
Une telle possibilité, qui constitue un avantage évident pour l'usager du service public, implique toutefois une coordination poussée - et souvent nouvelle - entre les différents acteurs sur le plan pratique et logistique (répartition des créneaux de rendez-vous, etc.). Ils doivent également être prêts à conseiller, lorsque cela est pertinent, le recours à un dispositif ou à un financement qui est parfois en concurrence avec celui dont ils ont la charge à titre principal.
Pour les agents concernés, tous volontaires, une telle initiative soulève de nouvelles questions en termes de formation, de carrière, mais aussi de valorisation en interne des tâches accomplies . Faut-il, ainsi, prévoir une formation spécifique, compte tenu du caractère transversal des échanges avec les entreprises présentes à Station F ? Les agents présents au French Tech Central doivent-ils être des spécialistes de cet écosystème ou des « généralistes » ? Comment ces fonctions doivent-elles être prises en compte dans la carrière des agents publics ? Ces questions, bien sûr, se posent avec davantage d'acuité pour les grandes directions à réseau que sont la DGFiP et la DGDDI , par rapport aux structures plus autonomes et ayant davantage recours à des agents contractuels.
Enfin, sur le principe, la présence d'agents publics dans les locaux de Station F , lieu privé, ne doit en aucun cas aboutir à limiter l'accès au service publics aux seuls entreprises hébergées par l'incubateur . C'est pourquoi les services proposés au French Tech Central sont accessibles à tous les usagers du service public, sans discrimination , et sans que l'appartenance à un programme de Station F soit une condition préalable 39 ( * ) .
c) Une comptabilité analytique pour un pilotage budgétaire transversal
Le French Tech Central est par définition une initiative transversale, qui mobilise de nombreux acteurs publics, et implique une mutualisation poussée des moyens humains, matériels et financiers.
La pérennisation du dispositif, et son éventuelle transposition à d'autres situations, implique donc la mise en place d'une comptabilité analytique spécifique , permettant d'évaluer la part de chacun des acteurs concernés, et de rapporter celle-ci aux résultats obtenus.
Il serait toutefois prématuré de lancer ce chantier dès à présent : le projet est encore à un stade expérimental, et a besoin plus que toute autre chose de flexibilité et de capacité d'initiative . De plus, l'Agence du numérique dispose de moyens humains très limités.
d) Du conseil à l'accomplissement effectif des procédures
Du point de vue de l'usager, la question principale est la nature du service rendu. L'objectif, pour le French Tech Central, est de pouvoir offrir non seulement des informations et des conseils aux usagers, mais aussi la possibilité d'accomplir directement, sur place et en temps réel, certaines démarches administratives . Cela implique que les agents présents au sein du French Tech Central aient la possibilité - aussi bien juridique que technique - d'accéder de façon sécurisée aux dossiers individuels des usagers, c'est-à-dire concrètement au système d'information de leur administration . Parmi les organismes présents au French Tech Central, certains offrent déjà cette possibilité, grâce à une organisation flexible et des systèmes conçus pour un accès à distance facile.
A contrario , ce mode de fonctionnement peut s'avérer plus délicat à mettre en oeuvre pour une grande direction comme la DGFiP , organisée depuis longtemps sur une base géographique, et dont les systèmes d'information autant que les procédures sont complexes à faire évoluer. L'enjeu est pourtant très concret : l'administration fiscale est représentée au French Tech Central par la direction des finances publiques compétente pour le département de Paris, mais les start-up présentes à Station F sont parfois domiciliées ailleurs en Île-de-France ou même en France 40 ( * ) . L'agent de l'administration fiscale n'a donc pas accès au dossier du contribuable lors du rendez-vous , et se limite donc à un rôle de conseil et d'information en matière fiscale - qui peut, d'ailleurs, être tenu par d'autres organismes publics présents sur place. Cet obstacle, toutefois, ne paraît pas rédhibitoire, comme le rappelle la récente mise en place par la DGFiP de centres d'appels nationaux , dont les opérateurs ont accès aux dossiers de l'ensemble des contribuables qui les sollicitent.
Ces remarques valent, bien sûr, pour l'ensemble des administrations présentes sur place, étant entendu que la possibilité de réaliser simplement et directement des démarches administratives, sans se déplacer, est évidemment un axe de modernisation majeur du service public , qui dépasse largement le seul cas du French Tech Central.
3. Un soutien politique et au niveau des directions générales : une nécessité qui n'est pas dénuée de risques
Le French Tech Central, initiative lancée par une petite structure de pilotage rattachée aux ministères économiques et financiers, a pu être mis en place grâce à la mobilisation des services de l'État au niveau déconcentré . Il convient tout particulièrement de saluer le rôle joué par la préfecture d'Île-de-France et de son secrétariat général pour les affaires régionales (SGAR) , qui a oeuvré à la mobilisation des différents services.
C'est pour cette raison que les services de l'État sont représentés au sein du French Tech Central par les directions régionales , qu'il s'agisse de l'administration fiscale, de la douane ou encore de la direction des entreprises, de la concurrence et de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte).
Cette mobilisation au niveau déconcentré, toutefois, risque de trouver bientôt ses limites 41 ( * ) , comme le montrent par exemple l'obstacle de l'accès au dossier des usagers ne relevant pas du ressort territorial de la direction concernée, ou encore le besoin de règles pérennes de mutualisation des effectifs et de partage des informations À terme, une forte implication des directions générales, et donc un soutien politique, apparaît donc indispensable .
En outre, certaines politiques publiques sont aujourd'hui menées par plusieurs acteurs, dont les compétences sont concurrentes ou du moins insuffisamment définies. Là encore, il appartient à l'autorité politique de définir clairement le chef de file de chacune des politiques concernées - par exemple, pour le financement ou l'accompagnement à l'international (cf. supra ) -, cette responsabilité ne relevant en aucun cas de l'Agence du numérique .
Toutefois, bien qu'indispensable, l'implication des responsables politiques et des responsables de programme n'est pas dénuée de risques .
En effet, il apparaît clairement que les premiers succès du French Tech Central tiennent à la liberté d'initiative dont ses responsables ont pu disposer . Le fait que cet espace soit adossé à un projet privé, Station F , et s'inscrive dans la dynamique dont bénéficie celui-ci, semble à cet égard constituer un facteur de succès important.
Vos rapporteurs spéciaux appellent donc les responsables politiques et les directions générales à se mobiliser pour faciliter la réussite de cette initiative, tout en veillant, à ce stade, à préserver les marges de manoeuvre et les possibilités d'expérimentations qui caractérisent le projet .
4. Une initiative reproductible sous certaines conditions, qui n'a pas les mêmes objectifs que les Maisons de services au public
L'exemple du French Tech Central, avec les questions qu'il pose, pourraient trouver à s'appliquer au-delà du cas particulier des start-up de Station F , et constituer un modèle de réforme du service public fondé sur le paradigme suivant : partir des besoins des usagers, plutôt que des missions de chaque administration ou organisme, trop souvent divisées en silos .
Cette conception, que l'on retrouve d'ailleurs fréquemment dans les documents budgétaires et autres contrats d'objectifs et de performance (COP) des administrations, trouve là une traduction concrète : si un entrepreneur se demande « comment exporter au plus vite ? », il doit pouvoir trouver sur place et rapidement l'ensemble des réponses.
La reproductibilité d'une telle initiative est toutefois soumise à plusieurs conditions. Il convient, à cet égard, de distinguer deux niveaux d'ambition.
D'abord, la transposition du French Tech Central au sein de l'écosystème des start-up innovantes ne semble pas poser de difficulté à moyen terme , sous réserve bien sûr d'apporter des réponses aux questions évoquées ci-dessus. Cet écosystème est bien structuré, connu des pouvoirs publics, et particulièrement en attente de tels services. Des espaces similaires au French Tech Central pourraient ainsi être créés dans les treize « métropoles French Tech » , la plupart de ces écosystèmes labellisés disposant d'ailleurs d'un ou plusieurs bâtiments emblématiques, voire même, à terme, dans les vingt-deux « hubs French Tech » , avec dans ce cas une spécialisation (internationalisation des PME/investissement en France, visa, expatriation etc.). Si cette initiative fait la preuve de son efficacité, elle pourrait constituer un levier puissant de dynamisation et d'attractivité des territoires pour les start-up , du fait de la facilité de sa mise en oeuvre.
Au-delà des PME innovantes, d'autres configurations particulières pourraient s'inspirer de cette démarche , dès lors qu'il existe une concentration d'usagers relativement homogènes et ayant des besoins spécifiques - on pourrait citer, par exemple, les campus universitaires.
En revanche, cette initiative ne semble pas transposable telle quelle à l'ensemble des services publics sur le territoire. Certes, la logique qui sous-tend le French Tech Central rappelle celle des Maisons de services au public (MSAP) : « les Maisons de services au public délivrent une offre de proximité et de qualité à l'attention de tous les publics. En un lieu unique, les usagers sont accompagnés par des agents dans leurs démarches de la vie quotidienne. De l'information à l'accompagnement sur des démarches spécifiques, les Maisons de services au public articulent présence humaine et outils numériques 42 ( * ) ». Il existe aujourd'hui 1 150 MSAP ouvertes ou en cours d'ouverture, réparties sur l'ensemble du territoire national 43 ( * ) , dont sont partenaires sept opérateurs nationaux : Pôle emploi, la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (CNAMTS), la Caisse nationale d'assurance vieillesse (CNAV), la Caisse nationale des allocations familiales (CNAF), la Caisse Centrale de la Mutualité Sociale Agricole (MSA), ainsi que La Poste et GRDF.
D'après le Commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), l'usager-type est « une femme, âgée de 40 à 60 ans, habitant généralement la communauté de communes d'implantation de la MSAP, qui se renseigne principalement sur : les aides et les prestations sociales (CMU, RSA, etc.) ; l'emploi et la formation ; mais aussi sur l'accès aux outils numériques, le logement, l'énergie, l'accès au droit et les aspects juridiques ».
Les MSAP répondent donc à un objectif très différent : là où le French Tech Central vise à répondre à des problématiques très ciblées et propres aux PME innovantes (propriété intellectuelle, internationalisation, données personnelles etc.), les MSAP ont un impératif d'accessibilité du service public et de cohésion sociale et territoriale , qui repose de surcroît sur des opérateurs publics dotés d'un réseau territorial existant, et de procédures normalisées à l'échelle nationale.
* 38 Il est, à ce stade, impossible de chiffrer précisément le nombre d'ETPT consacrés par les différentes structures publiques à cette initiative.
* 39 Les locaux occupés par l'Agence du numérique au sein de Station F , utilisés par le French Tech Central et d'autres agents de ce service, sont d'ailleurs loués dans les conditions de droit commun.
* 40 Les entreprises accueillies par l'incubateur Station F ne peuvent pas y être domiciliées.
* 41 Le problème ne se pose pas, en revanche, pour les organismes publics ayant une compétence nationale et/ou des procédures plus flexibles que celles des grandes directions à réseau.
* 42 Source : commissariat général à l'égalité des territoires (CGET).
* 43 Source : commissariat général à l'égalité des territoires (CGET), chiffres au 22 septembre 2017.