ANNEXE 3 - NOTE DE LÉGISLATION COMPARÉE SUR L'INDEMNISATION DU LICENCIEMENT
NOTE DE SYNTHÈSE
L'indemnisation du licenciement
La recherche menée par la Division de Législation comparée sur l'Allemagne, la Belgique, l'Espagne, l'Italie et la Suisse a dégagé une tendance partagée à encadrer les pouvoirs du juge de la relation de travail lorsqu'il accorde des indemnités au salarié victime d'un licenciement abusif.
Un plafonnement, voire une barémisation stricte, sont prévus. Les montants sont définis en fonction du salaire et peuvent différer, au sein d'un même pays, en fonction de l'âge, de l'ancienneté dans l'entreprise, du type de contrat de travail, de la taille de l'entreprise et de la gravité de la faute de l'employeur.
Pour sanctionner des abus graves de l'employeur, liés à des licenciements manifestement illicites, discriminatoires ou violant des droits fondamentaux, la réparation exigée est plus lourde, à la hauteur du préjudice. Les préjudices connexes subis par le salarié peuvent , le cas échéant, donner lieu à une action civile en dommages et intérêts.
La réintégration du salarié n'est pas non plus systématiquement exclue ; elle demeure même souvent le principe mais elle peut être, à l'initiative d'une des parties remplacée, par une indemnité, en partant du constat que la relation de travail ne peut plus se poursuivre sereinement.
1 - La caractérisation du licenciement abusif
On peut constater que la notion de licenciement abusif ou illégitime n'est pas parfaitement homogène entre les pays européens, au-delà de certaines constantes comme l'interdiction des discriminations, la protection spéciale des représentants syndicaux et du personnel et les mesures en faveur de la maternité.
En Suisse , en l'absence de code du travail, les dispositions relatives au licenciement sont prévues aux articles 335 et suivants du code des obligations. Plus encore qu'en Allemagne, où il n'existe pas davantage de code du travail mais où existent des lois spécifiques pour régler la fin de la relation de travail, le droit suisse est de matrice purement civiliste. La rupture d'une relation de travail y est d'abord la rupture d'un contrat, certes particulier mais reposant sur le libre consentement des parties.
Le droit suisse permet la résiliation avec effet immédiat du contrat de travail en tout temps et pour de justes motifs, autant par l'employeur que par le travailleur. La décision doit être motivée si l'autre partie le demande. Le code des obligations précise que comptent comme justes motifs « toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d'exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail » (art. 337). Le juge apprécie leur existence librement.
Le licenciement n'a pas besoin pour être justifié de disposer d'un motif grave ou d'une cause sérieuse, c'est l'abus de droit par l'employeur ou la violation majeure d'un droit du salarié qui peut être sanctionné.
L'article 336 du code énumère strictement les motifs pour lesquels un congé sera considéré comme « abusif » :
- une raison inhérente à la personnalité du travailleur ou l'exercice par celui-ci d'un droit constitutionnel, à moins qu'il n'y ait violation du contrat de travail par le salarié ou que ne soit porté un préjudice grave au travail dans l'entreprise de ce fait ;
- la volonté d'empêcher le salarié de faire valoir de bonne foi ses prétentions issues du contrat de travail ou de l'empêcher de bénéficier de nouvelles prétentions qui naîtraient de la poursuite de la relation de travail ;
- l'accomplissement par le salarié d'une obligation légale qu'il n'a pas demandé d'assumer (service militaire notamment) ;
- l'appartenance ou la non-appartenance d'un travailleur à une organisation syndicale, ainsi que le statut de représentant élu du personnel, sans autre motif justifié de résiliation. 335 ( * )
Le licenciement est nul et privé d'effet s'il intervient pendant certaines périodes précisément fixées : avant et après l'accomplissement d'un service obligatoire civil ou militaire, pendant la grossesse et après l'accouchement, pendant une incapacité de travail non due à une faute du salarié, pendant la participation à un service fédéral d'aide à l'étranger (art. 336c).
Partageant la même philosophie civiliste que le régime suisse, le modèle allemand a évolué sous l'effet des lois sociales de l'ère Brandt et de la jurisprudence des tribunaux qui, sous l'impulsion de la Cour constitutionnelle, mobilisent des clauses générales du code civil comme instruments de défense des droits individuels.
Ainsi, en Allemagne , les principales dispositions relatives au licenciement relèvent de la loi fédérale relative à la protection contre les licenciements du 25 août 1969 (Kündigungsschutzgesetz - KschG) . Celle-ci déclare inopérants ( unwirksam ) les licenciements socialement injustifiés (sozial ungerechtfertigt), c'est-à-dire ceux qui ne sont fondés ni sur un motif lié à la personne 336 ( * ) ou au comportement 337 ( * ) du salarié, ni sur des nécessités urgentes qui s'opposent au maintien du travailleur dans l'entreprise (§1). Cependant, la portée de cette règle est limitée depuis le 1 er janvier 2004 aux entreprises de plus de 10 salariés. 338 ( * ) D'autres textes de loi spécifiques protègent contre le licenciement les femmes pendant la grossesse, après l'accouchement et pendant le congé parental, les personnes lourdement handicapées et les élus du personnel dans l'entreprise.
Par ailleurs, dans la mesure où en droit allemand, le contrat de travail est une espèce particulière de contrat de prestation de service, certaines règles générales du code civil en matière de rupture de contrat s'appliquent. Comme actes juridiques, les licenciements sont nuls et privés d'effet dès lors qu'ils méconnaissent un droit fondamental constitutionnellement garanti, comme la liberté d'expression politique et la liberté syndicale. Ils ne sauraient contrevenir ni aux prohibitions légales explicites (§ 134 Bürgerliches Gesetzbuch - BGB), ni aux bonnes moeurs (§138 BGB) , ni au principe de bonne foi qui régit les relations contractuelles (§242 BGB).
Par le biais de ces clauses générales, le juge allemand peut aller au-delà des protections offertes par le Kündigungsschutzgesetz de 1969. Il dispose ainsi d'un pouvoir d'appréciation sur les licenciements dans les entreprises de moins de 10 salariés. Il peut mobiliser les dispositions de la loi générale d'égalité de traitement du 14 août 2006 pour empêcher les licenciements discriminatoires. Le principe de bonne foi peut aussi servir à protéger les salariés qui, employés depuis de longues années, ont mérité la confiance de l'employeur.
Enfin, le législateur ayant confié aux conventions collectives ( Tarifvertrag ) la possibilité de prévoir des clauses limitant les licenciements de certaines catégories du personnel - en fonction de leur âge ou de leur ancienneté par exemple -, une entreprise signataire de la convention ne peut procéder à un licenciement contraire. 339 ( * )
En Belgique , les dispositions relatives au licenciement sont régies par la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail. Chaque partie peut résilier le contrat pour un motif grave laissé à l'appréciation du juge . Le motif grave couvre « toute faute grave qui rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l'employeur et le travailleur » (art. 35). Ouvrent droit à indemnisation des ruptures du contrat de travail sans motif grave , sans respect du délai de préavis ou moyennant un préavis insuffisant.
En outre, la notion de licenciement abusif est reconnue en droit belge. La loi distinguait initialement entre les ouvriers et les employés. N'était considéré comme abusif que le licenciement « effectué pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite de l'ouvrier ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service » (art. 63). Aucune disposition spécifique équivalente à celle des ouvriers n'était prévue pour les employés. Un employé licencié abusivement devait donc faire valoir un abus de droit au sens du droit civil belge, défini dans un arrêt de principe comme le fait d'exercer un droit « d'une manière qui dépasse manifestement les limites de l'exercice normal de celui-ci par une personne prudente et diligente » 340 ( * ) . L'indemnisation était laissée à l'appréciation du juge, alors que l'ouvrier dans la même situation avait droit à une indemnité correspondant à six mois de salaire .
Cette différence de statuts a fait l'objet d'une refonte. La Cour constitutionnelle a jugé, dans un arrêt du 7 juillet 2011, que les différences entre ouvriers et salariés 341 ( * ) n'étaient pas conformes à l'exigence constitutionnelle d'égalité de traitement et a demandé au gouvernement d'adopter de nouvelles dispositions.
La loi du 26 décembre 2013 relative à l'introduction d'un statut unique a répondu à cette demande en précisant que les dispositions relatives au licenciement abusif des ouvriers cesserait de s'appliquer dès lors qu'une convention collective du travail (CCT) 342 ( * ) , conclue au sein d'une convention nationale entrerait en vigueur. La CCT n°109 du 12 février 2014 concernant la motivation du licenciement établit que, si un employeur licencie « un travailleur engagé pour une durée indéterminée après six mois d'occupation pour des motifs qui n'ont aucun lien avec l'aptitude ou la conduite du travailleur ou qui ne sont pas fondés sur les nécessités du fonctionnement de l'entreprise, de l'établissement ou du service, et que ce licenciement n'aurait jamais été décidé par un employeur normal et raisonnable , il s'agit d'un licenciement manifestement déraisonnable . Une sanction séparée y est liée » .
En Italie , l' illégitimité du licenciement peut procéder de l'absence de fondement matériel, qui inclut l'absence de juste cause ( giusta causa ) et de l'absence de motif justifié ( giustificato motivo ).
D'après l'article 2119 du code civil italien, la juste cause est un fait objectif grave qui ne permet pas la poursuite de la relation contractuelle. L'exemple donné par la doctrine est celui de l'employé de banque licencié parce qu'il est affilié à la criminalité organisée. Le licenciement pour juste cause est à effet immédiat sans obligation de préavis. Le motif justifié est défini par la loi n° 604/1966 comme l'inaccomplissement notable par le salarié de ses obligations (critère subjectif), ce qui vise en particulier des comportements fautifs, ou comme résultant de faits inhérents à l'activité productive et à l'organisation du travail dans l'entreprise (critère objectif). Les licenciements illégitimes pour manque de fondement substantiel sont annulables.
Sont considérés également comme illégitimes d'un point de vue formel les licenciements par oral, ceux qui ne sont pas accompagnés des motifs de la décision de l'employeur, ceux qui violent la procédure de licenciement disciplinaire. Ces licenciements sont sans effet.
À côté des licenciements illégitimes, le droit italien admet la catégorie des licenciements illicites et discriminatoires, qui sont frappés de nullité. Le législateur italien interdit le licenciement d'une salariée venant de se marier, enceinte ou mère d'un nourrisson. De même, la jouissance d'un congé parental ne peut servir de motif à un licenciement. Une maladie ou un accident du travail ne peut être cause d'un licenciement, non plus qu'un appel à servir sous les drapeaux. Sont enfin considérés comme discriminatoires les licenciements sur le fondement d'une opinion politique, d'une foi religieuse, de l'appartenance à un syndicat ou pour un motif raciste.
Le droit du licenciement en Espagne a été modifié dans les années 2000, puis à nouveau après l'entrée en vigueur de la loi n° 36/2011 de régulation des juridictions sociales, du décret-loi royal n° 20/2012 et du décret législatif royal n° 2/2015 modifiant le statut des travailleurs. Le juge du travail peut déclarer un licenciement qui lui est soumis nul ( nulo ), sans fondement ( improcedente ) ou fondé ( procedente ).
Le licenciement est nul s'il provient d'une discrimination illégale ou s'il viole les droits fondamentaux du salarié. Il l'est également s'il sanctionne une grossesse, une naissance, une adoption, l'exercice de congés de maternité ou destinés à assurer des soins à des enfants ou des parents.
Le licenciement est sans fondement et irrecevable :
- lorsque ne sont pas établis les manquements du salarié invoqués par l'employeur ;
- ou lorsque les formalités procédurales n'ont pas été correctement accomplies ;
- ou, en cas de licenciement pour cause objective 343 ( * ) , lorsque l'existence de la cause n'est pas établie.
2 - Le pouvoir d'appréciation du juge en matière d'indemnisation du licenciement
En Suisse , un principe fondamental du code des obligations veut que « la partie qui résilie abusivement le contrat doit verser à l'autre une indemnité » . Cette indemnité, fixée par le juge « compte tenu de toutes les circonstances » ne peut excéder le montant correspondant à six mois de salaire du travailleur (art. 336a). Parmi les critères d'appréciation sont notamment prises en compte les éventuelles fautes commises par les parties, la capacité financière de l'employeur, la durée de la relation de travail, ainsi que l'âge du travailleur , la capacité de réinsertion dans la vie économique et la gravité de l'atteinte aux droits personnels du salarié . Le même article précise que « sont réservés les dommages-intérêts qui pourraient être dus à un autre titre » , ce qui laisse ouvert la possibilité d'un recours civil supplémentaire.
Pour faire valoir son droit à indemnité, la partie doit faire opposition au congé par écrit avant la fin du délai de congé . Si cette contestation est valable mais ne permet toutefois pas le maintien du lien de travail, alors la personne licenciée peut faire valoir sa demande d'indemnité devant le juge dans les 180 jours à compter de la fin du contrat.
Dans le cas particulier de la rupture de la relation de travail à effet immédiat , si la résiliation par l'employeur est injustifiée , « le travailleur a droit à ce qu'il aurait gagné , si les rapports de travail avaient pris fin à l'échéance du délai de congé ou à la cessation du contrat conclu pour une durée déterminée » . Sont toutefois déduits de ce montant « ce que le travailleur a épargné par suite de la cessation du contrat de travail, [...] le revenu qu'il a tiré d'un autre travail ou le revenu auquel il a intentionnellement renoncé » . Le juge peut également condamner l'employeur à verser au travailleur une indemnité dont le montant, fixé librement compte tenu de toutes les circonstances, ne peut excéder le montant correspondant à six mois de salaire du travailleur (article 337c).
En revanche, lorsque la rupture immédiate par l'une des parties est justifiée par le non-respect du contrat de travail par l'autre partie, celle-ci doit « réparer intégralement le dommage causé , compte tenu de toutes les prétentions découlant des rapports de travail ». Lorsque la justification de la rupture provient d'une autre cause, « le juge apprécie librement les conséquences pécuniaires de la résiliation immédiate en tenant compte de toutes les circonstances » (article 337b).
En Allemagne , si un employé estime que son licenciement n'est pas socialement justifié ou qu'il est invalide pour d'autres raisons, il doit dans les trois semaines suivant la réception de la notification écrite de licenciement déposer une plainte auprès du tribunal du travail afin de faire constater que la relation de travail n'est pas résiliée.
Le principe est la réintégration dans l'entreprise lorsque le licenciement est injustifié car le juge allemand le considère alors comme sans effet.
Toutefois, tout en jugeant que la relation de travail n'est pas résiliée par le licenciement, le tribunal est libre d'estimer que sa poursuite n'est pas possible pour le salarié . Sur demande du travailleur, il peut mettre fin à la relation de travail et condamner l'employeur à verser une indemnité . Le tribunal doit prendre la même décision, sur demande de l'employeur , lorsqu'il existe des motifs montrant qu'une collaboration professionnelle servant les intérêts de l'entreprise ne peut plus être attendue. Le tribunal détermine, dans ces deux cas, le moment correspondant à la fin de la relation de travail (§ 9 - KSchG).
L'indemnité prend la forme d'une compensation pouvant atteindre jusqu'à 12 mois de salaire mensuel .
Si le travailleur a achevé sa cinquantième année et que la relation de travail a duré au moins 15 ans, son indemnité peut atteindre jusqu'à 15 mois de salaire mensuel .
S'il a achevé sa cinquante-cinquième année et que la relation de travail a duré au moins 20 ans, le tribunal peut fixer une indemnité pouvant atteindre jusqu'à 18 mois de salaire mensuel .
En cas de résiliation à effet immédiat de la relation de service 344 ( * ) après qu'elle a commencé, le prestataire, ici le salarié, est en droit de demander le paiement des prestations déjà effectuées (§ 626 BGB). En revanche, lorsque la résiliation est la conséquence d'une faute, la partie fautive est tenue de réparer le dommage en découlant (§ 628 BGB).
En Belgique , en cas de licenciement sans motif grave ou sans respect du délai de préavis, l'employeur doit au salarié « une indemnité égale à la rémunération en cours correspondant soit à la durée du délai de préavis qui aurait dû être notifié, soit à la partie de ce délai restant à courir » (art. 39 de la loi de 1978 sur les contrats de travail). L'indemnité de rupture inclut non seulement la rémunération, mais aussi les avantages acquis par le salarié en vertu du contrat.
Par ailleurs, aux termes de la convention collective nationale n° 109 du 12 février 2014 précitée :
- si le travailleur demande la communication des motifs ayant conduit à son licenciement et que l'employeur n'y répond pas, ou le fait dans de mauvaises formes, il est redevable au travailleur d'une amende civile forfaitaire correspondant à deux semaines de rémunération compatible avec une autre indemnité (art.7) ;
- si le licenciement est manifestement déraisonnable , l'employeur est redevable d'une indemnisation au travailleur, dont le montant est compris entre 3 et 17 semaines de rémunération . Cette indemnisation est uniquement cumulable avec une indemnité de préavis, une indemnité de non-concurrence, une indemnité d'éviction ou une indemnité complémentaire payée en plus des allocations sociales.
Le commentaire de la CCT précise que « le montant de l'indemnisation dépend de la gradation du caractère manifestement déraisonnable du licenciement » et qu' « en lieu et place de la sanction visée par le présent article , il reste loisible au travailleur de demander la réparation de son dommage réel , conformément aux dispositions du Code civil ».
En Italie , le régime d'indemnisation des licenciements illégitimes a été profondément remanié par la loi n° 183/2014 dit Jobs Act et surtout par le décret législatif n° 23/2015, équivalent d'une ordonnance, qui met en oeuvre un nouveau contrat de travail à durée indéterminée à protections croissantes ( tutele crescente ).
Les nouvelles dispositions d'indemnisation sous le contrôle du juge 345 ( * ) ne s'appliquent qu'aux salariés embauchés sous ce nouveau contrat à compter du 7 mars 2015 et à ceux qui travaillaient à cette date sous l'ancien régime de CDI mais dont l'entreprise a depuis dépassé les 15 salariés, ainsi qu'à ceux dont le CDD ou le contrat d'apprentissage a été transformé en CDI après le 7 mars 2015.
Pour les autres salariés s'applique toujours l'ancien régime de sanction du licenciement illégitime fondé sur les lois n° 604/1966 pour les petites entreprises et n° 300/700 portant statut des travailleurs pour les autres entreprises. Comme c'est très souvent le cas en droit italien, ces deux lois n'ont pas été abrogées par la réforme de 2014-2015 mais sont progressivement privées d'effet. 346 ( * ) Par souci de simplicité, et dans la mesure où l'ancien dispositif a vocation à tomber en désuétude, on ne présentera que le nouveau régime.
En cas de licenciements sans effet ou frappés de nullité, notamment les licenciements discriminatoires ou annoncés verbalement, le juge enjoint l'employeur de réintégrer le salarié, la relation de travail étant réputée n'avoir jamais cessé. L'employeur doit verser toutes les cotisations sociales rétroactivement. Au lieu de sa réintégration, le salarié peut demander comme alternative une indemnité. Cette indemnité est distincte de l'indemnisation de son préjudice à laquelle le salarié a droit.
L'indemnité pouvant être demandée s'élève à 15 mensualités de la dernière rémunération de référence . La demande d'indemnité, au lieu de la réintégration, est formulée dans les 30 jours suivant la communication de la décision ou suivant l'invitation de l'employeur à réintégrer le poste, si celle-ci est antérieure.
L'indemnisation , quant à elle, est prononcée par le juge, quel que soit le choix entre réintégration et indemnité pour lequel opte le travailleur. Cette indemnisation correspond au paiement des rémunérations non perçues entre le dernier jour travaillé et le jour de la réintégration, déduction faite des revenus perçus pendant cette période du fait d'une autre activité. Le montant total ne peut être inférieur à l'équivalent de 5 mensualités .
Tous les cas de licenciements illégitimes n'ouvrent pas le même droit à indemnisation, même si un plafond est systématiquement fixé :
- si est prouvée l'inexistence du fait matériel reproché au travailleur allégué par l'employeur comme juste cause ou comme motif justifié subjectif, le régime ressemble à celui du licenciement discriminatoire ou nul. Le licenciement est annulé par le juge et le salarié doit être réintégré . En revanche, il ne dispose plus d'un droit d'option. Les cotisations sociales sont dues par l'employeur, qui est, de plus, tenu de verser au travailleur une indemnité compensatrice égale aux rémunérations non perçues entre le dernier jour travaillé et le jour de la réintégration. Le montant ne peut excéder l'équivalent de 12 mois de salaire et est amputé des rémunérations autres perçues par le salarié durant cette période ;
- si le juge estime que ne sont pas réunies les conditions d'une juste cause ou d'un motif justifié objectif ou subjectif , il déclare la relation de travail terminée à la date du licenciement. L'employeur est alors condamné à verser une indemnité s'élevant à deux mensualités par année d'ancienneté dans l'entreprise , le total ne pouvant être inférieur à 4 mensualités de revenus, ni supérieur à 24 mensualités ;
- si le licenciement souffre d'un vice de forme ou de procédure , le juge déclare la relation de travail terminée à la date du licenciement. L'employeur est alors condamné à verser une indemnité d'un mois de rémunération par année de service , le total ne pouvant être inférieur à 2 mois de salaires, ni supérieur à 12 mois .
Ces dispositions s'appliquent aux entreprises de plus de 15 salariés. Dans les petites entreprises de 15 salariés ou moins, la sanction du licenciement illégitime est toujours uniquement l'indemnisation, sans annulation de l'acte, ni droit à réintégration. L'indemnité est fixée à un mois de rémunération par année de service pour absence de fondement matériel et à un-demi mois par année pour vice de forme ou de procédure, dans la limite de 6 mois de rémunération (art. 9 D.L. 23/2005).
En Espagne , selon une solution classique comme le montrent les exemples précédents, le licenciement nul en raison d'une illicéité, d'une discrimination ou d'une violation d'un droit fondamental ou d'une liberté publique est sanctionné par la réintégration du salarié et le versement des rémunérations qui auraient dû être perçues . Les revenus du travailleur qui pourraient être liés à un autre emploi occupé pendant la durée de la procédure peuvent être décomptés par l'employeur. Les cotisations sociales sont dues par l'employeur rétroactivement.
De plus, le droit espagnol admet à titre spécifique l'accumulation d'actions devant le juge social pour réclamer devant lui, dans la continuité du jugement de la rupture de la relation de travail, une indemnisation complémentaire au titre d'une discrimination ou de la violation d'un droit fondamental ou d'une liberté publique. L'accumulation d'actions devant le juge social est fermée si le travailleur a déjà joint une demande de réparation à une action pénale contre l'employeur. 347 ( * ) Aucun plafond de dommages et intérêts n'est prévu à ce titre.
Lorsque le licenciement est jugé sans fondement, la sentence comprend systématiquement deux options : la réintégration du salarié avec le versement rétroactif des salaires ou l'indemnisation.
Le choix revient à l' employeur , qui dispose d'un délai de cinq jours. Son absence de réponse conduit à la réintégration du salarié. S'il opte pour l'indemnisation, il versera à la personne licenciée 33 jours de salaires par année de service dans la limite de 24 mois de salaire . 348 ( * ) L'indemnisation a fortement baissé lors de la réforme de 2012 puisqu'elle s'élevait auparavant à 45 jours de salaire par année d'ancienneté avec un plafond de 42 mois de salaire.
Annexe
Comparaison avec les indemnités pour licenciement économique 349 ( * )
Licenciement abusif |
Licenciement économique |
|
Suisse |
. Au maximum 6 mois de salaire |
. Au maximum 2 mois de salaire, s'il est requalifié en licenciement abusif |
Allemagne |
. Principe en cas de licenciement illicite ou socialement injustifié : réintégration À la demande de l'employeur ou du salarié, appréciation du juge sur la capacité de poursuivre la relation de travail et passage en régime indemnitaire Indemnité = 12 mois de salaire
Si le travailleur a plus de 50 ans et plus de 15 ans
d'ancienneté, indemnité
Si le travailleur a plus de 55 ans et plus de 20 ans
d'ancienneté, indemnité
|
. Un demi-mois de salaire par année dans l'entreprise |
Belgique |
. Si absence de motif grave ou non-respect du préavis, indemnité de congé égale aux rémunérations dues pendant la totalité de la durée du préavis . Si licenciement manifestement déraisonnable, indemnité comprise entre 3 et 17 semaines de salaire + Si non-transmission ou mauvaise communication des motifs, amende de 2 semaines de salaire |
. Indemnité égale à ½ de la différence entre rémunération nette de référence et allocations chômage pendant 4 mois |
Italie
(nouveau régime réforme 2014-2015) |
. Si licenciement discriminatoire, nul ou verbal, 15 mensualités en cas de refus du salarié d'être réintégré + indemnisation d'au moins 5 mois de salaire . Si licenciement sans fondement, réintégration + paiement des salaires qui auraient dû être perçus dans la limite de 12 mois de salaire . Si licenciement sans motif légitime, indemnité de 2 mois de salaire par année de service, total compris entre 4 et 24 mois de salaire. |
. Traitement de fin de relation de travail (TFR) dû à tous les salariés démissionnaires, licenciés ou partant en retraite et équivalent à la rémunération annuelle globale divisée par 13,5 |
Espagne
(nouveau régime réforme 2012) |
. Si licenciement discriminatoire ou violant un droit fondamental, réintégration du salarié et versement rétroactif des rémunérations dues + possibilité d'accumulation d'actions devant le juge social pour dommages et intérêts sans plafond . Si licenciement non fondé, au choix de l'employeur : réintégration ou indemnité de 33 jours de salaire par année de service dans la limite de 24 mois. |
. 20 jours de salaire par année de service dans la limite de 12 mois de salaire |
* 335 À ces motifs abusifs s'ajoute, pour les licenciements collectifs, le non-respect de la procédure de consultation.
* 336 Maladie de longue durée ou fréquente, retrait du permis pour les chauffeurs-livreurs, retrait du permis de travail pour les étrangers sont autant de motifs personnels validés par le Tribunal fédéral du travail.
* 337 Absences répétées, usage massif de l'Internet au travail à des fins privées, harcèlement d'un collègue par exemple.
* 338 Elle s'applique aussi aux salariés embauchés avant le 1 er janvier 2004 dès lors que l'entreprise compte plus de 5 salariés.
* 339 À moins d'être, sous conditions, étendus par arrêté du ministre du travail, les Tarifverträge n'ont pas d'efficacité erga omnes mais seulement pour les parties et les personnes qui en dépendent (affiliés au syndicat, salariés de l'entreprise).
* 340 Cour de cassation de Belgique (1 ère ch.), arrêt du 10 septembre 1971
* 341 Sont visés dans cet arrêt les articles 52, § 1er, alinéas 2 à 4, et 59 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, qui ne sont pas conformes aux articles 10 et 11 de la Constitution belge.
* 342 « Une convention collective de travail (CCT) est un accord conclu entre une ou plusieurs organisations syndicales et une ou plusieurs organisations patronales ou un ou plusieurs employeurs, fixant les relations individuelles et collectives de travail entre employeurs et travailleurs d'entreprises ou d'une branche d'activité et réglant les droits et devoirs des parties contractantes. Elle constitue une source de droit extrêmement importante dans le droit du travail et a obtenu un statut juridique plein et entier grâce à la loi du 5 décembre 1968 relative aux conventions collectives de travail et aux commissions paritaires (dite « loi sur les CCT »). Une CCT intersectorielle conclue au sein du Conseil National du Travail (CNT) par les organisations représentatives représentées par au moins 90% des membres représentant les employeurs et au moins 90 % des membres représentant les travailleurs a un champ d'application qui s'étend aux différentes branches d'activité et à tout le pays ». cf. http://www.emploi.belgique.be/cctinfo/
* 343 Inaptitude du salarié, inadaptation aux évolutions techniques nécessaires pour son poste de travail, absences répétées, autres causes économiques et organisationnelles ne donnant toutefois pas lieu à un licenciement collectif économique, insuffisantes garanties budgétaires consignées pour l'exécution de plans et programmes publics.
* 344 La relation de service (Dienstverhältnis) intègre la relation de travail (Arbeitsverhältnis).
* 345 NB - L'employeur et l'employé peuvent trouver un accord afin d'éviter de recourir au juge. Dans ce cas, l'employeur peut octroyer une somme correspondant à un mois de la dernière rémunération par année d'ancienneté dans l'entreprise, le total devant être compris entre 2 et 18 mensualités. L'acceptation de cette offre vaut renonciation à contestation du licenciement. Des sommes supplémentaires peuvent être accordées afin d'« éteindre toute obligation encore en suspens dérivant de la relation de travail » (art. 6 D. L. 23/2005).
* 346 En revanche, si une contre-réforme venait à abroger le Jobs Act et le décret législatif 23/2015, alors le dispositif des lois de 1966 et 1970 retrouverait sa pleine efficacité.
* 347 Ley 36/2011 art. 26 ap. 2., 183 & 184.
* 348 Stricto sensu, cette règle ne s'applique qu'aux contrats signés avant l'entrée en vigueur de la Ley 3/2012 , le 12 février 2012. Pour les contrats antérieurs, l'indemnisation est mixte : 45 jours de salaires pour les années d'emploi avant 2012 et 33 jours de salaires par année après 2012.
* 349 Pour plus de détails on renvoie à l'étude de législation comparée n°273 de 2016 sur les licenciements économiques http://www.senat.fr/notice-rapport/2016/lc273-notice.html