II. AUDITION DES ORGANISATIONS SYNDICALES REPRÉSENTATIVES DES SALARIÉS
M. Alain Milon , président . - Nous entamons ce matin nos travaux sur le projet de loi d'habilitation à prendre par ordonnances les mesures pour le renforcement du dialogue social, en recevant les organisations syndicales de salariés représentatives au niveau national et interprofessionnel.
Je remercie de leur présence pour la CFDT, Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe, qui est accompagnée de Caroline Le Loup-Werkoff, secrétaire confédérale ; pour la CGT, M. Fabrice Angei, membre de la direction confédérale, accompagné de Mme Anaïs Ferrer, conseillère confédérale ; pour Force ouvrière, M. Didier Porte, secrétaire confédéral ; pour la CFE-CGC, M. Gilles Lecuelle, secrétaire national ; pour la CFTC, M. Bernard Sagez, secrétaire général, accompagné de M. Michel Charbonnier.
Le projet de loi d'habilitation, en cours de discussion à l'Assemblée nationale, touche à un grand nombre de domaines, d'importance inégale.
Nous connaissons l'orientation générale du Gouvernement qui veut imprimer à la législation du travail le renforcement du rôle de la négociation collective en entreprise, la simplification des institutions représentatives du personnel et la sécurisation juridique des règles du licenciement.
Mais si le champ des habilitations est défini de manière relativement précise, leur rédaction laisse encore une grande latitude au Gouvernement pour définir l'ampleur des modifications qu'il apportera avec les futures ordonnances.
Cette situation singulière tient en partie à la concertation qui s'est engagée avec les partenaires sociaux depuis le début du mois de juin et qui se poursuit jusqu'au 21 juillet, alors que le projet de loi est examiné par l'Assemblée nationale, avant d'ultimes concertations prévues à la fin de l'été.
Nos auditions d'aujourd'hui sont donc d'autant plus importantes que les organisations syndicales vont nous éclairer sur la teneur de leurs échanges avec le Gouvernement sur la préparation de ces ordonnances. Pour sa part, la ministre du travail viendra devant la commission le mardi 18 juillet.
Sur les principaux sujets en débat, je vous propose dans un premier temps d'exposer en une dizaine de minutes chacun les positions de vos organisations. Les questions des membres de la commission permettront ensuite de revenir plus en détail sur les différents aspects du texte.
Mme Véronique Descacq, secrétaire générale adjointe de la CFDT . - Le marché du travail et les institutions représentatives du personnel ont connu de nombreuses réformes ces dernières années. Il nous aurait semblé de meilleure politique de laisser du temps à la mise en oeuvre effective de ces réformes. Certaines ne sont d'ailleurs pas encore en oeuvre, comme celle sur les prud'hommes. Il aurait fallu également évaluer celles déjà en application.
Pour autant, la CFDT prend acte de la volonté politique d'une nouvelle réforme.
La situation du marché du travail mais aussi l'attitude très attentiste du patronat dans le domaine du fonctionnement des instances représentatives du personnel (IRP) et de la transparence des informations données par la base de données unique nous indiquent que le statu quo n'est peut-être l'option la plus souhaitable.
La concertation existe bel et bien. Pour autant, tous les sujets n'ont pas été traités à ce jour et beaucoup d'arbitrages n'ont pas été rendus. Il nous est donc difficile de préciser nos positions sur un certain nombre de sujets. La CFDT restera donc vigilante jusqu'au terme du processus législatif, notamment sur la place de la branche qui doit rester un régulateur de la concurrence économique et sociale et sur la décentralisation de la négociation vers l'entreprise dont la CFDT a soutenu le principe dès 2016. Cette décentralisation est souhaitable quand elle permet de cumuler les droits concrets et effectifs des salariés et l'agilité des entreprises. La médiation sociale s'impose au travers du fait syndical majoritaire, qui est le garant de cet équilibre entre les droits des salariés et l'agilité des entreprises.
Nous avons déjà traité de l'article premier avec le cabinet de la ministre : nous disposons d'un compte rendu précis sur l'articulation entre la branche et l'entreprise. La CFDT est d'accord sur la primauté de l'accord d'entreprise avec le renforcement des domaines d'intervention exclusive de la branche et sur la primauté de l'accord collectif qui représente l'intérêt général de la communauté de travail sur le contrat de travail ; enfin, le contrôle du juge demeure mais ne dénature pas l'intention des parties et l'équilibre de l'accord.
A ce stade, nous restons vigilants sur la déclinaison de ces principes. Dans son compte rendu, la ministre retient à notre demande un septième domaine réservé, celui de la gestion et de la qualité de l'emploi. Les négociateurs de branche pourront réguler le recours à l'ensemble des contrats atypiques (contrats courts, CDD, CDI de chantier) et encourager l'allongement de la durée des contrats pour lutter contre l'abus des contrats courts qui ont tendance à se raccourcir de plus en plus.
S'agissant du 2° de l'article premier, il n'est pas envisageable de désintermédier la négociation d'entreprise. La présence syndicale doit rester le principe afin de préserver l'autonomie des négociateurs vis-à-vis de l'employeur. A propos du b) de ce 2°, la CFDT n'est pas par principe hostile au principe du référendum tel qu'il a été mis en place par la loi travail de 2016, afin de débloquer les situations dans lesquelles il est difficile d'aboutir à un accord majoritaire à 50 %. Nous voulons que ce référendum reste dans le cadre actuel : un accord signé par au moins 30 % des organisations syndicales et n'ouvrir cette faculté qu'aux organisations syndicales signataires, mais pas à l'initiative de l'employeur, sans accord préalable, même minoritaire.
Sur le point c), nous sommes d'accord pour anticiper le passage des accords majoritaires prévus par la loi de 2016 en 2019, dans la mesure où la décentralisation de la négociation s'accélère. En revanche, le projet de loi d'habilitation ouvre la possibilité de changer les règles de calcul de la majorité, ce qui reviendrait à compter les signataires mais aussi ceux qui ne disent mot. Nous y sommes hostiles car il s'agirait d'un recul majeur par rapport à l'évolution de la représentativité et du dialogue social depuis 2008 et aux principes posés par la loi Larcher. Ce serait un contresens total avec l'objectif du projet de loi qui est de transformer en profondeur la démocratie sociale en entreprise.
On accorderait en effet une représentativité à ceux qui ne se prononcent pas : la majorité silencieuse permettrait à l'employeur d'imposer ses choix.
En ce qui concerne la fusion des IRP, la concertation n'est pas terminée mais le compte rendu publié hier par la ministre laisse beaucoup de points en suspens. Elle indique en effet que plusieurs arbitrages ne sont toujours pas rendus. Nous aurions voulu que le principe de négociation soit retenu, ce qui n'est pas le cas. Il aurait en effet fallu que les acteurs de l'entreprise puissent choisir la forme de leurs IRP. La ministre a décidé que la fusion systématique des instances s'imposerait. Nous avons réussi néanmoins à préserver les délégués du personnel de cette fusion automatique : il pourrait y avoir une négociation pour les rétablir. Autant la CFDT comprend que les discussions sur la stratégie de l'entreprise puissent ne se tenir que dans une seule instance, autant les délégués du personnel ont un rôle de proximité indispensable pour représenter les salariés. Certes, il faut que les IRP aient plus de pouvoirs, à l'instar de ce qui se passe en Allemagne, mais il faut alors privilégier les accords majoritaires dans les entreprises où le fait syndical existe et avec une extension des prérogatives de cette nouvelle instance : comme en Allemagne, elle aurait un pouvoir de codécision sur des sujets comme la formation professionnelle, que nous préférons appeler stratégie de transformation des compétences des salariés. Nous pourrions aussi inclure la rémunération des dirigeants ou l'utilisation des fonds publics. Avec le CICE, les informations que donnent les entreprises aux représentants du personnel sont dans un grand nombre de cas assez opaques. Si l'on fait le pari de transformer en profondeur le modèle de représentation des salariés en entreprise, il faut instaurer des codécisions, ce qui implique une grande transparence dans la transmission des informations et un recours accru aux expertises sous toutes leurs formes.
Il faut aussi aller plus loin dans la représentation des salariés dans les conseils d'administration en empêchant toute les stratégies de contournement mises en oeuvre dans des entreprises ou des groupes d'entreprises. Je pense en particulier aux groupes mutualistes, mais aussi aux entreprises qui transforment leurs statuts de SA en SAS pour échapper à cette obligation. Si l'on fait confiance au dialogue social au plus proche du terrain, on ne peut permettre à certains employeurs d'échapper à leurs obligations : le dialogue social n'est pas une contrainte mais un atout pour la vie des entreprises.
L'article 3 traite notamment du barème des indemnités prud'homales. Une réforme a été votée en 2015 mais commence juste à entrer en vigueur. Faute d'évaluation, il est regrettable d'aller vers un barème impératif qui contrevient à des principes généraux du droit comme celui à la réparation intégrale du préjudice. Si toutefois on s'engageait dans cette direction, il nous paraîtrait nécessaire de réévaluer nos indemnités légales de licenciement qui sont parmi les plus basses d'Europe. Il serait cohérent de le faire pour éviter le recours au judiciaire. Nous voudrions que les indemnités de licenciement puissent être versées dès après la période d'essai aux salariés comptant moins d'un an d'ancienneté, qui n'y ont actuellement pas droit. Pour cela, il faudrait que le projet de loi d'habilitation l'indique.
En 2016, nous étions hostiles à la référence au périmètre national pour apprécier les difficultés de l'entreprise en cas de licenciement économique, car nous craignions des arbitrages défavorables pour les salariés français. En tout état de cause, si l'on se place dans la logique du projet de loi, l'entreprise qui aurait recours au périmètre national devrait démontrer qu'elle n'a pas utilisé d'artifices pour prétendre qu'elle est en difficulté. A ce moment-là, n'autorisons les entreprises à utiliser un périmètre restreint que dans la mesure où elles auraient donné toutes leurs informations à la base de données unique et mis en oeuvre de la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences. Ce serait un moindre mal permettant de rétablir par le dialogue social un équilibre entre les représentants et une transparence dans l'information.
M. Fabrice Angei, membre de la direction confédérale de la CGT . - Nous sommes sur un projet de loi d'habilitation : c'est un contenant et les ordonnances présenteront le contenu, d'où la difficulté de la discussion malgré la concertation en cours. De plus, les comptes rendus des discussions ne sont pas exactement conformes à ce qui a été dit. En outre, nous ne disposons pas de texte de départ lors de ces discussions : le ministère du travail ne s'engage pas véritablement sur des mesures précises. Il ne s'agit donc pas de concertations, telles que définies à l'article L. 1 du code du travail introduit par la loi Larcher. Nous demandons donc une rencontre multilatérale plénière sur ce texte, ce qui permettrait à chacun d'avoir une vision collective et de présenter ses arguments et non pas de le faire de façon fractionnée comme aujourd'hui, ce qui permet au Gouvernement d'entretenir un certain flou. Je ne suis pas sûr que la parole avec les uns soit exactement la même avec les autres. Il va être difficile dans le temps très court accordé aux députés et aux sénateurs d'avoir un débat de fond sur le projet de loi d'habilitation. Cette réforme qui déstructure le droit du travail aurait nécessité bien plus que six réunions bilatérales sur les trois blocs et une discussion parlementaire accélérée en plein été.
Ce projet de loi fait la part belle aux exigences du Medef, bien plus qu'à celles des organisations syndicales : il prévoit la précarité pour ceux qui ont un emploi ainsi que pour ceux qui sont en recherche d'emploi et la liberté pour les entreprises : la flexibilité l'emporte sur la sécurité.
Cette réforme part d'un mauvais postulat : ce n'est pas le droit du travail qui explique les 6 millions de demandeurs d'emplois. Les études de l'Insee, de l'OIT, de l'OCDE démontrent qu'il n'y a pas de corrélation entre le niveau de garanties et celui de l'emploi. Une récente enquête de l'Insee menée auprès de 10 000 employeurs montre que leurs préoccupations majeures ont trait à la conjoncture économique et à leurs carnets de commande. Là réside le frein au recrutement. Nous sortons tout juste de la réforme du droit du travail avec la loi El Khomri. Pourquoi voter une nouvelle loi alors que la précédente n'a pas été évaluée ?
Les exemples internationaux démontrent que les accords d'entreprise n'ont pas d'impact sur le développement le dialogue social. En Espagne, une réforme identique s'est traduite par la réduction du nombre d'accords d'entreprise. Il en ira de même avec ce projet de loi.
Nous souhaitons la primauté des accords de branche sur les accords d'entreprise. Ces derniers doivent apporter un plus aux salariés et non pas du dérogatoire régressif. Ce projet de loi d'habilitation affaiblit les accords de branche avec, à terme, la fin des conventions collectives. Sur les six domaines qui relèvent exclusivement de la branche, cinq seraient confirmés. En revanche, quid de la pénibilité ? En ce qui concerne la durée et le renouvellement des CDD, le niveau de protection est en baisse.
Nous sommes préoccupés par la primauté des accords d'entreprise sur le contrat de travail : en cas de refus d'application par un salarié d'un accord d'entreprise, son licenciement sera bien plus aisé qu'aujourd'hui. Le ministère du travail nous a fait part de sa volonté de mettre fin, au bénéfice, dans ce cadre, du contrat de sécurisation professionnelle (CSP) pour définir des modalités uniques mais amoindries. L'indemnisation et l'accompagnement en souffriraient. Ces mesures pousseront les salariés à accepter l'accord, même s'il leur est défavorable.
Contrairement à ce que prétend la ministre du travail, le but de cette réforme est d'instaurer un code du travail par entreprise.
Le regroupement des trois instances du personnel ne se ferait pas au détriment de leur mission, d'après le ministère. Nous estimons que ce sera une véritable usine à gaz. Les membres de cette instance unique ne pourront pas examiner tous les sujets, et cela se fera notamment au détriment des compétences du CHSCT. Or, on déplore un mort par jour sur les chantiers. Quid de la disparition des délégués du personnel, représentants de proximité ? Ces élus risquent de se professionnaliser et de passer leur temps en réunions, au lieu d'être auprès des salariés. Comment être consulté à la fois sur des sujets économiques, les conditions de travail, les comptes de l'entreprise, assister les salariés lors de leurs entretiens, mener des enquêtes de sécurité et de santé, organiser des activités sociales et culturelles ? Nous aurons au final des super élus, plus proches du patron que des salariés.
Nous déplorons l'impact qu'une telle réforme aurait sur le nombre d'élus et sur les moyens et le temps qui diminueraient de façon drastique, de même que le nombre de salariés qui pourraient s'exprimer librement au sein de l'entreprise parce que protégés.
En devenant une instance unique, cette instance fusionnée serait investie des missions de négociation. Cela porterait une atteinte fondamentale aux organisations syndicales car elles ne pourraient plus choisir librement leurs représentants ni les révoquer, ni décider de signer ou non un accord d'entreprise. Cette réforme fera disparaître à terme la représentation syndicale dans l'entreprise. Dans les entreprises de moins de 50 salariés, la négociation s'effectuerait directement avec un délégué du personnel sans mandatement syndical. Ce n'est pas acceptable.
Avec ce projet de loi d'habilitation, c'est la précarité pour tous et des droits pour personne. Les entreprises pourront fixer leurs propres règles pour les CDD. Les licenciements seront facilités par l'augmentation des seuils des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), qui passeraient à 30 salariés, obérant la possibilité de bénéficier d'indemnisations majorées et d'actions de formation.
Les CDI de chantier ou de mission vont se généraliser, alors qu'il n'en avait jamais été question lors de nos discussions avec le ministère. Nous n'acceptons pas non plus la barèmisation des indemnités prud'homales ni la réduction des délais de recours pour les salariés licenciés abusivement.
Le contrat de chantier n'a de CDI que le nom car la case chômage est inscrite dès le départ sans même une prime de précarité.
La CGT est favorable à une refonte du droit du travail à condition qu'il soit plus accessible et adapté aux difficultés de notre temps en renforçant les garanties accordées aux salariés et aux travailleurs indépendants. L'évolution du travail impose de penser à de nouveaux périmètres et à de nouvelles protections.
Je vous renvoie aux travaux menés dans ce domaine : le GR Pact et un groupe de chercheurs universitaires ont fait des propositions intéressantes. Pourquoi ne les auditionneriez-vous pas ?
M. Didier Porte, secrétaire confédéral de FO . - L'exercice auquel nous nous livrons est assez compliqué, car il s'effectue dans des délais contraints. En outre, la concertation n'est pas terminée et des arbitrages sont encore en cours, tandis que le projet de loi d'habilitation reste vague. Mes propos porteront donc sur les orientations plus que sur des mesures fermes et définitives. Nous espérons que les derniers arbitrages prendront en compte nos propositions.
FO n'est pas demandeur d'une nouvelle réforme du code du travail qui vise à dérèglementer, sous prétexte d'emploi et de compétitivité. D'ailleurs, aucune étude ne démontre l'efficacité de la dérèglementation en termes d'emplois et d'embauches.
Le droit du travail a vocation à rétablir l'équilibre entre la partie faible - les salariés - et les employeurs. Ces derniers mettent en quatrième position le code du travail pour expliquer leurs réticences à embaucher.
Même si nous considérons que la concertation se déroule dans de bonnes conditions, elle ne préjuge en rien des décisions qui seront prises en dernier ressort. Nous prendrons toutes nos responsabilités si nous considérons que nous avons abouti à un échec. Ce texte intervient après une nouvelle réforme du code du travail sur laquelle aucune évaluation n'a été menée.
Notre organisation a toujours voulu renforcer le rôle des branches : il s'agit du niveau le plus judicieux des négociations pour renforcer la régulation économique et sociale. Les salariés d'un même secteur d'activité sont traités sur la même base et de la même façon, qu'ils soient salariés d'une multinationale ou d'une TPE. Cette égalité de traitement nous est chère. Il s'agit aussi du niveau le plus judicieux pour lutter contre le dumping social. A l'heure actuelle, la branche nous semble préservée et peut-être renforcée. Six thèmes sont verrouillés au niveau de la branche. La question de la pénibilité sera certainement traitée d'une autre façon, mais elle ne doit pas être remise en cause. Mais on ne renforce par la branche en vidant le code du travail. Parmi les six thèmes figurent les minima de salaires qui sont inscrits dans des grilles conventionnelles. À côté de ces minima, on trouve les rémunérations annexes. Aujourd'hui, ces dernières seraient transférées au niveau des entreprises. Il s'agit d'une rupture d'égalité entre salariés alors que les rémunérations annexes constituent un part importante de la rémunération.
En outre, les TPE pourraient contourner les six thèmes verrouillés au niveau des branches. Nous verrons ce qu'il en sera lorsque le contenu des ordonnances nous sera transmis. Tous les autres thèmes seraient réservés aux accords d'entreprise.
Autre problème : la primauté de l'accord collectif sur le contrat de travail. Nous estimons que les accords collectifs ne doivent pas justifier le licenciement d'un salarié qui refuserait de voir son contrat de travail modifié. Le Gouvernement veut harmoniser les motifs de licenciements. Aujourd'hui cinq types d'accords collectifs bénéficient de cette primauté sur les contrats de travail : les accords de maintien dans l'emploi, les accords de préservation et de développement de l'emploi, les accords de mobilité, les accords loi Aubry... Je ne vois pas comment un syndicat pourrait signer un accord qui aboutirait à des licenciements. Le motif de licenciement doit être motivé. Or, l'harmonisation consisterait à appliquer un licenciement pré-qualifié et sui generis, motif tout à fait contestable au niveau de la convention 158 de l'OIT. Nous avons évoqué ce sujet avec le Gouvernement et nous espérons que nous serons entendus.
Nous ne savons toujours pas quelle est la position du Gouvernement sur la présomption de légalité des accords d'entreprise : même un accord d'entreprise doit pouvoir être contesté devant le juge qui doit conserver sa marge d'appréciation. Or, on nous dit que le juge devrait a priori accepter ces accords collectifs. La négociation collective n'est pas la loi : attention à l'inconstitutionnalité d'une telle mesure. Laissons la possibilité de contestation individuelle aux salariés.
Les critères d'utilisation des CDD et la généralisation du contrat de chantier ne sont pas acceptables. Nous notons une certaine incohérence entre le fait d'utiliser le CDD au niveau de la branche et la généralisation du CDI de chantier : les salariés seraient transformés en intermittents du travail à perpétuité.
L'article 2 prévoit la fusion des IRP. À l'origine, le ministère nous avait dit que la possibilité de conserver, par accord majoritaire, des instances séparées serait prévue. Aujourd'hui, tel n'est plus le cas et le Conseil d'État s'en est ému. Nous espérons que les ordonnances rétabliront ce dispositif.
La fusion des IRP nous poserait des problèmes de formation de nos militants. Aujourd'hui, ils se sont spécialisés en fonction des instances auxquelles ils appartiennent. Demain, on leur demanderait de tout connaître sur tout. Cette globalisation du dialogue social rayerait toutes les spécificités actuelles. Je crains que cela ne décourage les vocations des salariés qui veulent s'investir. Pour nous, il est indispensable que chaque instance garde ses propres prérogatives et que les questions d'économie et de compétitivité ne prennent pas le pas sur les questions de sécurité et de santé des travailleurs. Le CHSCT doit conserver sa personnalité morale pour ester en justice. Et puis, qui payera les expertises en justice, une fois la réforme adoptée ? Il ne faudrait pas que cela soit un frein à la prévention des risques.
Après la loi Rebsamen, les entreprises de 100 à 149 salariés ont perdu six titulaires, trois suppléants et près de 40 heures de délégation.
En Allemagne, les conseils d'entreprise sont des instances de négociation qui bénéficient d'un droit de véto sur les suppressions d'emplois et d'un pouvoir de codécision. Mais tous ces droits ne seraient pas appliqués en France.
Nous ne pouvons non plus accepter la remise en cause du monopole de négociation des organisations syndicales. Le Gouvernement serait sur le point de mettre en place une instance unique de négociation, qui priverait les organisations syndicales de ce monopole et qui accorderait ce pouvoir aux délégués du personnel non mandatés et non syndiqués. Ce serait une grave atteinte au droit des organisations syndicales : nous sommes dans une logique du tout accord sans organisations syndicales. Or, les interlocuteurs les mieux formés à la négociation sont les négociateurs syndicaux. La mise en place du conseil d'entreprise serait un changement fondamental du dialogue social, puisque trois des quatre instances de représentation sont aujourd'hui élues, la quatrième émanant des organisations syndicales. Cette réforme institutionnaliserait la représentation syndicale dans les rouages de l'entreprise et remettrait en cause l'indépendance syndicale, ADN de FO. En outre, comment intégrer les délégués syndicaux dans ces conseils d'entreprise ? La loi de 2008 impose déjà de désigner les délégués syndicaux parmi les candidats ayant obtenu plus de 10 % aux élections professionnelles. C'est une contrainte que l'OIT souhaite voir levée. Si les délégués syndicaux étaient intégrés à l'instance unique, ils devraient être élus et cela remettrait en cause la liberté de désignation des organisations syndicales.
Il nous a été dit hier que le plafonnement des indemnités visait à la fois les licenciements sans cause réelle et sérieuse et les dommages attribués pour les autres litiges. Nous demandons que les indemnités légales de licenciement - les plus basses d'Europe - soient réévaluées. S'agissant des dommages et intérêts, c'est la hauteur du plafond qui donnera au juge un pouvoir d'appréciation. Il n'est pas choquant qu'un salarié perçoive pour un même motif de licenciement abusif une indemnité trois fois plus élevée qu'un autre : tout dépend de son âge et du lieu de licenciement. Ce n'est pas la même chose de perdre son emploi quand on a 20 ans et qu'on vit à Paris que lorsqu'on a 50 ans et qu'on demeure en Haute-Marne. Le juge doit donc disposer d'une grande liberté d'appréciation. Nous avons fait hier des propositions en partant des exemples belges et allemands. Aujourd'hui, un salarié licencié de façon abusive touche six mois d'indemnités pour deux ans d'ancienneté. Nous souhaiterions que le plancher soit fixé à un mois de salaire par année d'ancienneté. Le plancher pourrait être doublé selon les situations. Nous avons aussi proposé que le juge puisse s'exonérer de ce plafonnement.
Depuis 2013, les délais qui permettent à un salarié de contester son licenciement ont été revus à la baisse. On ne peut aller plus loin : ne tombons pas dans une stratégie d'évitement du juge.
M. Gilles Lecuelle, secrétaire national en charge du dialogue social à la CFE-CGC . - Merci pour votre invitation pour notre rendez-vous annuel pour la réforme du code du travail : comme cela a déjà été dit, nous avons en effet connu des réformes en 2014, 2015, 2016 et maintenant en 2017. Les lois précédentes ont eu un tel impact sur l'emploi qu'il était nécessaire d'y revenir cette année.
Pour la CFE-CGC, nul besoin d'entrer dans le détail de ce projet de loi d'habilitation. Au fur et à mesure des concertations, les lignes bougent de façon sensible et pas toujours dans le bon sens. Voyez ce qu'il en a été pour la fusion des IRP qui sera obligatoire. On veut imposer un nouveau dialogue social à l'entreprise : est-ce ainsi qu'on souhaite la libérer ?
Au départ, nous avions beaucoup d'espoir car nous prônons le dialogue social au sein de l'entreprise, afin de travailler mieux en son sein, ce qui signifie travailler tous ensemble. L'entreprise est un bien commun qui appartient à ses salariés autant qu'à ses dirigeants et à ses actionnaires. Il est donc nécessaire de revoir la gestion de l'entreprise entre ces différents acteurs de façon plus égalitaire. Hélas, dans les grands groupes, l'actionnaire a pris un poids très important et il pèse sur les décisions : tous les grands groupes ont supprimé des emplois en partie compensés par les TPE, les PME et les ETI. Cette loi semble taillée pour les grands groupes et va pénaliser les petites entreprises qui créent des emplois. Mme la ministre prône la primauté des accords d'entreprise, ce qui ressemble fort à une inversion de la hiérarchie des normes. Ce projet de loi est bien plus dangereux que celui de Mme El Khomri qui ne donnait aux entreprises que la possibilité de peser sur le temps de travail, les durées de pause, les heures supplémentaires et leur taux de majoration... Tout le reste restait du domaine de la branche qui continuait à négocier l'ordre public conventionnel. Demain, les branches ne disposeront plus que de six thèmes leur étant réservés tandis que les autres thèmes seront du ressort de l'accord d'entreprise.
Nous risquons de voir se créer une zone de dumping économique et social, contraire à l'objectif du texte initial, qui prévoyait que la branche renforcerait la cohérence d'ensemble. Renvoyer la rémunération à l'entreprise, c'est accroître le dumping. Rappelez-vous ce qui s'est passé dans l'industrie automobile il y a quelques années avec des donneurs d'ordre qui ont imposé des baisses de prix de 20 % à leurs sous-traitants, sous peine de voir les commandes passer à la Hongrie ou à la Roumanie. Demain, les donneurs d'ordre diront à leurs sous-traitants qu'ils peuvent baisser leurs coûts puisqu'ils disposeront de divers moyens pour réduire les salaires. Les petites structures risquent de pâtir de cette situation.
La multiplication de codes du travail au niveau des entreprises freinera la mobilité : si toutes les entreprises ont leur vision du droit social, le personnel d'encadrement aura du mal à s'y retrouver. D'ailleurs, les grands groupes qui disposent de plusieurs établissements dans notre pays ont tous concentré la négociation au niveau le plus haut de l'entreprise afin de favoriser la mobilité de leurs salariés d'un établissement à l'autre.
Nous partageons l'inquiétude de la précarisation de certains contrats. En outre, comment un demandeur d'emploi parviendra-t-il à s'y retrouver face à des contrats de travail différents en fonction des entreprises auxquelles il s'adressera ? C'est sans doute ce qu'on appelle simplifier le code du travail.
L'état des lieux établi par le Gouvernement n'est pas toujours partagé. Ainsi, on nous dit que la France serait un mauvais élève au niveau du contentieux du droit du travail. Or une étude de 2014 démontre que sur 23 pays européens, la France a un taux de recours à une juridiction du travail de 7,8 % alors que la moyenne européenne est de 10,6 %. J'entends dire aussi que les entreprises sont victimes du système prud'homal. Mais qui est la véritable victime ? C'est quand même le salarié qui a perdu son emploi de façon abusive. Aurait-on le droit de licencier de façon abusive et donc de violer la loi en sachant qu'un barème s'appliquera ? Pourquoi ne pas en faire de même pour le code de la route ou le code du commerce ? Sur Légifrance, 73 codes sont recensés. Or, seul le code du travail semble poser problème.
La CFE-CGC croit beaucoup à l'entreprise et au dialogue social comme facteur de compétitivité. Pour nous, il est important qu'une autre vision de l'entreprise soit défendue pour mieux prendre en compte le moyen et le long terme. L'économie et le social sont les deux faces d'une même pièce. Le renforcement du rôle de l'administrateur salarié ne compensera pas les divers reculs que nous constatons que ce projet de loi d'habilitation. Nous n'avons pas le sentiment que nous ayons une quelconque influence sur les quelques personnes qui tiennent le stylo et qui nous présenteront le projet durant la deuxième quinzaine d'août.
M. Bernard Sagez, secrétaire général de la CFTC . - Nous prenons acte de la volonté du Gouvernement de modifier le code du travail. Des constats et des motivations similaires avaient déjà guidé nos orientations : je vous renvoie à notre publication : « Dans un monde en bouleversement, construisons un nouveau contrat social ».
La mondialisation, les transition démographiques, numériques et écologiques bousculent nos certitudes et nous poussent à repenser notre rapport au travail et à adapter son organisation. Ainsi, nous militons depuis longtemps pour que les droits des travailleurs soient attachés à la personne, en cherchant des solutions adaptées à des parcours devenus souvent protéiformes, en oeuvrant pour une formation continue tout au long de la vie professionnelle. La CFTC place toujours l'humain au coeur de son action tout en s'adaptant aux évolutions du monde.
Nous ne sommes que concertés sur les trois articles du projet de loi d'habilitation : il n'y a pas de négociation en cours. Nous n'étions d'ailleurs pas demandeurs d'une nouvelle loi travail.
L'article 1 er touche à l'articulation des normes entre accords de branche, accords d'entreprise et contrat de travail. Pour mener à bien ces évolutions, nous militons en faveur du rôle régulateur de la branche, comme nous l'avons fait l'année dernière. Six domaines semblent réservés : la branche pourra continuer à jouer son rôle de protecteur pour les droits des salariés et de régulateur de la concurrence. La branche pourrait conserver, à nos yeux, d'autres thématiques comme la responsabilité sociale des entreprises (RSE), afin d'adapter une approche globale de la protection des travailleurs et d'affirmer le rôle central des entreprises vis-à-vis de la société. Les dimensions environnementales et de gouvernance doivent être prises en compte, tant elles ont des conséquences sur la sphère sociale. Outre les avancées réelles pour les travailleurs, la création d'un septième domaine réservé serait bénéfique pour les entreprises, notamment les TPE et les PME ; la signature d'un accord RSE négocié au niveau de la branche permettrait d'aller plus loin et de limiter le dumping social et sociétal.
Les branches doivent aujourd'hui définir leur ordre public conventionnel. La CFTC a soutenu ce rôle moteur de la branche dans la détermination de ces normes qui deviendraient impératives. Nous défendons le maintien effectif de la notion d'ordre conventionnel de branche qui n'apparait pas vraiment dans la loi d'habilitation.
Nous ne sommes pas opposés à des accords d'entreprise, à condition qu'ils soient renvoyés à des accords de branche ou, à défaut, à la loi. Le supplétif ne doit pas permettre à l'employeur de déroger à la branche ni au code du travail de façon unilatérale, sinon le dialogue social n'aura plus aucun sens dans l'entreprise.
Toutes les nouvelles latitudes apportées aux entreprises devront se faire dans le cadre d'un accord majoritaire conclu au niveau de l'entreprise. Si cette dernière ne signe pas d'accord, la branche doit rester la norme.
D'après le Gouvernement, les différentes instances ne favoriseraient ni le dialogue social, ni la capacité d'influence des représentants des salariés, d'où la fusion des IRP prévue à l'article 2. Il prévoit même d'intégrer la négociation aux compétences de cette nouvelle instance. Or, les institutions représentatives du personnel ont chacune leur histoire, leur spécificité et elles ont fait preuve de leur utilité, du moins dans les entreprises d'une certaine taille. Les supprimer au profit d'une seule instance n'est pas une question facile à traiter. De même, il faudrait s'interroger sur le fonctionnement de la délégation unique du personnel (DUP) : aujourd'hui, aucune étude ne montre qu'elle fonctionnerait mieux que le triptyque délégué du personnel, comité d'entreprise et CHSCT. Si la multiplication des structures est susceptible de constituer un frein à un dialogue social de qualité, nous alertons sur la confusion que pourrait entraîner cette fusion pour des représentants du personnel qui seraient devenus multi-casquette non spécialistes des conditions de travail.
La CFTC n'est pas opposée par principe au regroupement des IRP mais elle ne pourrait accepter que ce regroupement conduise à un appauvrissement des prérogatives et des moyens, ce qui serait contradictoire avec l'objectif de la réforme, à savoir un dialogue social efficace parce que renforcé, et une représentation adéquate de la collectivité du travail.
Le document de synthèse qui nous a été remis hier soir sur le deuxième bloc ne répond pas entièrement à cette condition, notamment sur les expertises et leur co-financement.
Nous demandons que soit préservée la possibilité de garder les instances actuelles grâce à un accord collectif avec les attributions et les moyens accordés par la législation actuelle. À ce titre, nous regrettons le caractère irréversible de la fusion des IRP prôné par le ministère du travail. Le Conseil d'État a récemment fait la même observation au Gouvernement et la note d'hier ouvrirait une légère brèche. Encore faut-il qu'elle se retrouve dans le projet de loi, ce qui n'est pas le cas pour l'instant.
Nous demandons que dans tous les cas de figure, seules les organisations syndicales représentatives puissent se présenter au premier tour des élections, surtout dans l'hypothèse où l'instance unique de représentation du personnel intégrerait la négociation des conventions. Nous ne pourrions accepter que cette réforme conduise à exclure de la négociation le délégué syndical, acteur historique de la négociation. Le texte d'hier lance des hypothèses selon les tailles des établissements et des entreprises. Nous estimons utile de maintenir le mandatement, sous une forme ou sous une autre, même si le Gouvernement n'y est pas favorable. Si l'on se dirige vers une codécision dans ce conseil d'entreprise ou d'établissement, il est nécessaire d'augmenter le champ de l'avis conforme par rapport à l'avis simple. La fusion des IRP devrait alors s'accompagner d'un élargissement des domaines de consultation nécessitant l'avis conforme du conseil d'entreprise.
Nous serons reçus demain pour parler du troisième bloc : nous ne pouvons donc arrêter une position tranchée. Concernant les dommages et intérêts alloués par le juge en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, nous ne sommes pas opposés au principe d'un référentiel obligatoire établi en fonction de l'ancienneté, mais nous arrêterons notre position lorsque nous connaîtrons les planchers et les plafonds. Nous veillerons aussi à ce qu'une part réelle d'appréciation soit laissée aux juges pour les cas de particulière gravité. Comment imaginer que l'on indemnise les salariés injustement licenciés en-deçà de la réalité du préjudice subi ?
Sur l'appréciation des difficultés économiques, la CFTC estime que le groupe multinational doit rester solidaire de ses entreprises françaises qui traversent des difficultés économiques. Le périmètre d'appréciation doit aller au-delà du territoire national.
L'article 5 touche à la lutte contre la pénibilité : le compte personnel de prévention de la pénibilité (C3P) constitue l'une des innovations sociales majeures de ces dernières années. Nous ne pourrons pas accepter que les modifications des règles de prise en compte des pénibilités au travail conduisent à un affaiblissement de la loi du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites. La santé au travail est un enjeu crucial pour lequel nous ne devons pas ménager nos efforts. La CFTC a toujours affirmé la primauté absolue de la prévention sur la réparation. Un système de reconnaissance de la pénibilité doit trouver à s'appliquer. Le mécanisme du C3P, bien que complexe, organise cette reconnaissance et permet l'acquisition par le salarié de points qui lui permettront de financer tout ou partie d'une action de formation, la réduction de son temps de travail ou la majoration de trimestres. Un courrier du Premier ministre confirme que le Gouvernement a choisi de modifier le C3P tout en reconnaissant la nécessité de maintenir la première partie du dispositif. Il propose de créer le compte professionnel de prévention, qui remplacerait le C3P. Reste à voir si ce nouveau compte répondrait aux pénibilités subies pour certaines catégories de travailleurs.
J'en viens à l'alinéa 4 de l'article 4 qui traite des fonds paritaires. La transparence des comptes, des financements publics et paritaires a été mise en place il y a peu : la GFPN fonctionne depuis trois ans. Elle donne satisfaction en matière de transparence d'utilisation des fonds paritaires, de répartition équitable entre les organisations bénéficiaires et de contrôle puisqu'un rapport annuel est remis aux parlementaires. Il n'y a donc pas lieu de remettre en cause ce dispositif même s'il est possible de l'améliorer encore. Sans doute faut-il lui ajouter d'autres financements du paritarisme qui sont épars. Ce n'est pas avec une nouvelle réforme que l'on règlera la situation.
M. Alain Milon , président . - Je ne sais plus très bien dans quelle République nous sommes. Celle dans laquelle j'ai été élevé prévoyait un temps pour la démocratie sociale pendant lequel le Gouvernement discutait avec les organisations syndicales et patronales et un temps pour la démocratie politique durant lequel le Parlement débattait. Je me demande si la loi Larcher est toujours respectée et je poserai la question à Mme la ministre.
Quelle sont vos positions par rapport à la limitation du cumul des mandats, par rapport au chèque syndical qui n'a pas remporté un franc succès et par rapport au périmètre d'appréciation des difficultés économiques dans le cadre d'un licenciement économique ?
Mme Nicole Bricq . - Le Sénat n'ayant pas le 49-3, un travail de fond a déjà pu être mené en commission et en séance publique l'année dernière, lors de la loi El Khomri, sur les différents sujets abordés par ce projet de loi. Il faut apprécier cette réforme du droit du travail dans sa globalité, alors qu'est annoncée la réforme de la formation professionnelle et de l'assurance chômage.
Avez-vous un avis sur la durée de l'habilitation ?
La loi El Khomri prévoyait la réduction du nombre de branches : où en sommes-nous ?
Par rapport à la loi Macron de 2015 qui réformait les prud'hommes, le nombre des recours contentieux a baissé. Est-ce le fait de cette réforme ?
M. Michel Forissier . - Rapporteur de la loi travail, je connais bien les représentants des organisations syndicales. Les ordonnances sont des procédures tout à fait démocratiques, mais le projet de loi n'ouvre-t-il pas un champ trop large ? Comme le veut la loi Larcher, des négociations doivent précéder toute modification du code du travail. La précipitation du Gouvernement ne risque-t-il pas de détériorer le climat social ? D'après vous, quels sont les sujets qui devraient relever de la loi et non des ordonnances ?
M. Philippe Mouiller . - Comment estimer la situation économique des entreprises en cas de licenciements économiques ?
La fusion des IRP ne doit-elle pas tenir compte de la taille des entreprises ? Cette fusion serait sans doute efficace dans les petites entreprises afin d'éviter des réunions redondantes.
Le projet de loi prévoit-il vraiment de supprimer le contrat de sécurisation professionnelle ?
M. Dominique Watrin . - Les ordonnances s'apparentent à un blanc-seing au Gouvernement : notre groupe y a toujours été défavorable, surtout sur des sujets d'une telle complexité et qui ont de telles conséquences sur le quotidien des salariés. On nous demande de légiférer alors que nous en connaissons encore moins que les syndicats : vous avez évoqué des comptes rendus partiels du Gouvernement. Pourquoi les parlementaires n'en sont-ils pas destinataires ?
Les représentants de CFE-CGC et de FO ont été assez critiques sur le projet de loi : ils ont regretté l'absence de véritables discussions et le risque de dumping social et salarial. Ma question est simple. Si vous n'êtes pas entendus en septembre, descendrez-vous dans la rue ?
M. Jean-Marie Morisset . - L'exercice est difficile dans un temps contraint et sur le fondement d'un texte flou qui varie en fonction des réunions.
Avant la discussion de ce texte, avez-vous disposé d'éléments pour apprécier la mise en oeuvre de la loi El Khomri ?
Les TPE représentent 99 % des entreprises et 55 % de l'emploi : est-il toujours d'actualité d'exiger un mandatement au sein des TPE lorsqu'il s'agit des conditions de travail ?
Vous nous avez parlé de la fusion des IRP, mais pas des seuils. Quelle est votre position ?
Mme Françoise Gatel . - Les partenaires sociaux jouent un rôle majeur dans la vie économique et je regrette qu'en France, leur poids soit aussi faible. Pour quelles raisons les salariés français ont-ils si peu d'engouement pour leurs syndicats ?
Les mutations de notre société touchent la vie économique : les parcours professionnels sont pour le moins variés et une même personne peut être salariée, puis au chômage, puis indépendante. Beaucoup de jeunes refusent les CDI classiques car ils ont un autre rapport au travail et une autre culture. Il faut à la fois sécuriser les salariés mais aussi leur permettre de s'adapter.
En quoi la fusion des IRP dans des entreprises de petite ou de moyenne taille serait contreproductive ?
Pourquoi craignez-vous les accords d'entreprise ? Croyez-vous que des entreprises vont signer des accords pour contrer les branches ? Enfin, les entreprises sont en concurrence pour les recrutements : elles ne vont donc pas se lancer dans du dumping social.
M. Jean-Marc Gabouty . - La loi d'habilitation définit le contenant alors qu'on se projette dans le contenu, parfois supposé. Nous sommes dans l'habilitation alors que vous négociez le contenu des ordonnances qui seront arrêtées par le Gouvernement en septembre. Nous y reviendrons lorsqu'il nous faudra les ratifier. Cette loi est d'ailleurs une prolongation de la loi El Khomri.
Le champ de cette loi d'habilitation est-il pertinent ? Souhaiteriez-vous le réduire ou l'élargir ? Vos positions semblent défensives : pourquoi ne pas parler de la répartition entre la rémunération du travail et du capital ?
M. Alain Milon , président . - Je précise qu'une fois publiées, les ordonnances seront applicables même si elles ne sont pas ratifiées.
M. Daniel Chasseing . - La précarité, c'est le chômage : six millions de chômeurs dans notre pays ! Certains secteurs comptent jusqu'à 80 % de CDD. Le droit du travail ne semble pas la préoccupation prioritaire des employeurs mais il demeure très important pour le recours des PME au CDI. Or, il a surtout été rédigé pour les grandes entreprises. Ne faut-il pas l'adapter ?
En quoi la fusion des IRP serait-elle problématique ?
Avec les ordonnances, les accords de branche seront renforcés, d'après la ministre. Ne faut-il pas pouvoir les adapter aux entreprises, tout en sécurisant la situation des salariés ? S'il n'y a pas de syndicats dans l'entreprise, pourquoi ne pas avoir recours au référendum dans les TPE et les PME qui regroupent 60 % des salariés ?
Enfin, les difficultés juridiques pour licencier ne sont-elles pas un frein à l'embauche dans les TPE ?
Mme Catherine Deroche . - L'article 1 er permet le recours au référendum d'entreprise. À quelles conditions y seriez-vous favorables, notamment si c'est l'employeur qui décide d'y recourir ?
Mme Laurence Cohen . - Pour nous, les ordonnances sont de même nature que le 49-3 ; ce n'est donc pas une procédure démocratique.
Sensible aux arguments du Medef, le Gouvernement veut remplacer le compte pénibilité par un pseudo-compte prévention. N'est-ce pas inquiétant ?
Les CDI de chantier qui vont se multiplier inscrivent le licenciement dans le contrat. N'est-ce pas très grave ?
Mme Isabelle Debré . - Je suis étonnée que vous ne parliez ni de la participation, ni de l'intéressement alors que beaucoup de salariés les réclament, qu'ils appartiennent à des grandes ou à des petites entreprises.
Mme Véronique Descacq . - Le temps de la concertation a été allongé à notre demande : nous avons obtenu quelques semaines supplémentaires en septembre pour la terminer. Comment faire vite, du fait du mandat politique, tout en laissant du temps à la concertation ? C'est complexe, mais la profondeur et la loyauté de la concertation nous importent plus que sa durée.
Sur l'article 1 er , nous estimons avoir été entendus, d'autant qu'un septième domaine a été ajouté. Sur le deuxième bloc, le Gouvernement laisse toutes les portes ouvertes : nous ne savons encore guère où nous allons. Sur le troisième bloc, nous verrons.
L'article L. 1 du code du travail, issu de la loi Larcher, a en tout état de cause été respecté.
La question de l'épargne salariale n'est pas abordée dans cette réforme, ce qui ne veut pas dire que nous n'en parlons jamais, bien au contraire. Nous souhaitons étendre le champ de l'intéressement et de la participation aux PME. Nous voulons aussi généraliser l'accès à l'épargne temps et inscrire ce droit nouveau dans le compte personnel d'activité (CPA). Le découpage entre la flexibilité avec les ordonnances et la sécurité avec les futurs textes sur la formation et l'assurance chômage ne nous semble pas des plus pertinents. La question des nouveaux droits attachés à la personne pour sécuriser les parcours professionnels nous semble très importante.
Quelques mots sur les syndicats en France et le peu d'adhérents. Dans certains pays, il faut adhérer pour avoir droit à l'assurance chômage. En Allemagne, les organisations syndicales ont très tôt géré les caisses d'allocations familiales et l'assurance maladie et ils ont pris l'habitude du dialogue social pour obtenir des droits nouveaux. Notre syndicalisme s'est beaucoup structuré autour de la contestation. La CFDT estime que c'est par la négociation que l'on obtient de nouveaux droits. N'oublions pas que nous sommes désormais la première organisation syndicale en France. Une évolution est donc en cours.
En fonction de la taille, de l'activité, de l'organisation, de l'histoire des entreprises, les avis divergent sur la fusion des IRP. Laissons donc les acteurs sur le terrain s'organiser. N'imposons pas une règle uniforme pour tous : ce serait un contresens. Préservons les attributions, les moyens, les recours à l'expertise. Enfin, une commission spécifique à l'intérieur de cette nouvelle instance permettra aux salariés de se spécialiser.
En cas de licenciement, les instances représentatives du personnel doivent s'assurer qu'il n'y a pas de manoeuvre de l'entreprise : exigeons donc une base de données économique et sociale qui comprenne des éléments prospectifs et un accord de gestion prévisionnelle des emplois et des compétences dans les trois précédentes années.
Il a été proposé, au cours des concertations, d'harmoniser les effets des différents types d'accords lorsqu'ils prévalent sur le contrat individuel. Dans l'un de ces types d'accord, était prévu non pas le contrat de sécurisation professionnelle, mais une forme d'accompagnement semblable au CSP. C'est cette forme d'accompagnement spécifique qui viendrait à disparaître dans le cadre de l'harmonisation. Mais les salariés qui refuseraient une modification de leur contrat de travail bénéficieraient d'une indemnisation et, bien sûr, de l'assurance chômage.
M. Fabrice Angei . - Nous maintenons que la procédure de concertation prévue par le code du travail n'est pas respectée, puisque la discussion se poursuit alors que le projet de loi d'habilitation est en cours d'examen au Parlement. Nous assistons à un bouleversement profond de notre modèle social, sans compter les réformes à venir sur la formation professionnelle, les retraites, le financement de la protection sociale.
Le chèque syndical est une mauvaise réponse à la faiblesse syndicale en France. N'oublions pas la discrimination et la répression syndicale : la peur de se syndiquer est une réalité. En outre, il faudrait réintégrer les expériences syndicales dans la carrière professionnelle. La question du cumul des mandats dans la vie syndicale ne se pose pas car 90 % des représentants syndicaux travaillent dans des PME. Limiter le cumul des mandats reviendrait à limiter la représentation syndicale dans les TPE et les PME.
Une sous-commission restructuration des branches travaille, au sein de la commission nationale de la négociation collective (CNNC), à la fusion des branches. L'éclatement actuel n'est pas du fait syndical mais bien de la volonté patronale : voyez le cas les conventions territoriales de la métallurgie. Laissons la sous-commission travailler à ces restructurations des branches.
La CGT a proposé une réforme du droit du travail pour lutter contre la précarité : ainsi, il conviendrait de proposer au salarié en fin de CDD un emploi en CDI.
Les entreprises disposent d'ores et déjà de multiples dispositifs pour s'exonérer de la peur du licenciement. Nul besoin donc de renforcer les dispositifs en la matière.
Enfin, près de 36 000 accords sont signés annuellement dans les entreprises et la CGT en signe plus de 80 %. Pourquoi rajouter à ce dialogue social de proximité la primauté de l'accord d'entreprise sur les conventions collectives et l'accord de branches ? Pour nous, cette loi ne renforce pas les branches.
M. Didier Porte . - Demander à nos élus encore plus de connaissances et de polyvalences se ferait au détriment de leurs spécialisations respectives, d'autant que les moyens vont diminuer. La délégation unique du personnel remet en cause le nombre d'élus et les heures de délégation.
L'objectif du chèque syndical est de promouvoir la syndicalisation. Pour des raisons d'indépendance syndicale, nous estimons quant à nous que ce n'est pas au patron de payer la cotisation syndicale.
Un grand groupe peut vouloir condamner une entreprise française : il faut donc privilégier un examen global de la situation économique du groupe. Nous sommes donc favorables au maintien de la jurisprudence actuelle qui devrait devenir force de loi.
La durée d'habilitation n'est me semble-t-il pas encore fixée. D'autre part, même si la loi de ratification n'est pas votée, les dispositifs des ordonnances auront valeur de décrets et seront donc applicables. Si le contenu des ordonnances ne nous satisfait pas, nous préfèrerions qu'il n'y ait pas de ratification.
Le chantier de la fusion des branches va s'accélérer : il est prévu que fin 2018 il ne reste plus que 200 branches. Il ne faudrait pas que cette fusion se traduise par un moins-disant social.
La baisse des recours aux prud'hommes est constatée depuis plusieurs années : la réforme Dati a supprimé 62 conseils des prud'hommes. Nous avions demandé d'en rouvrir quelques-uns. Des instances foraines avaient été mises en place, notamment pour les conciliations. Certains salariés ne saisissent pas la juridiction prud'homale, sachant que les temps de déplacements sont longs et les reports fréquents. Enfin, la saisine reste compliquée, d'où la baisse des recours.
Le Premier ministre nous a envoyé une lettre faisant part de sa volonté de réformer le code du travail. Les organisations syndicales lui ont répondu qu'elles n'étaient pas favorables à une négociation. Une concertation a débuté : pour nous, la procédure L. 1 est respectée, même si le recours aux ordonnances n'est pas une méthode des plus démocratiques.
L'État français devrait se mettre en conformité avec le droit européen sur la question des seuils, la prise en compte des apprentis et des contrats aidés. S'il n'y a pas de présence syndicale dans les entreprises de moins de 50 salariés, c'est parce qu'il n'est pas possible de désigner des délégués syndicaux. En Allemagne, le seuil est fixé à cinq salariés pour les conseils d'entreprise et une négociation a lieu pour l'abaisser à trois salariés.
M. Gilles Lecuelle . - Demandons-nous dans quelle mesure les propositions de ce projet de loi d'habilitation sont de nature à créer de l'emploi et à renforcer le dialogue social dans l'entreprise.
La CFE-CGC n'est pas opposée à une mutation du dialogue social mais elle considère que l'entreprise n'est pas mature pour aborder le choc de ce projet de loi. Depuis les lois Auroux, le dialogue social a connu des mutations substantielles, mais il faut laisser le temps aux dernières lois de faire leur preuve. Or, le temps donné pour absorber ces nouvelles modifications est bien trop court : le code du travail fait plus de 3 000 pages ; serait-on capable en quelques semaines de tout remettre à plat ? C'est irréaliste. Vous m'auditionnez alors que j'ai deux concertations à venir sur le troisième bloc : c'est surréaliste.
Les acteurs doivent être légitimes, formés. Au niveau de la branche, c'est chose faite. Il faut donc renforcer les branches et les inciter à être actives.
La loi Rebsamen a réglé la question de la fusion des IRP dans les TPE et les PME, mais très peu d'entreprises s'y sont livrées. Ce projet de loi ne fait que rendre cette fusion obligatoire pour toutes les entreprises. Les DRH des grands groupes sont pourtant opposés à la fusion des instances : ils ne veulent pas de représentants des salariés hors-sol. Avec des élus de terrain, il est plus facile de capter les signaux faibles et de régler les problèmes avant qu'ils ne soient trop importants.
M. Bernard Sagez . - Notre organisation n'est pas sur une position défensive. Nous discutons avec le ministère du travail, même si nous ne sommes pas entendus sur tous les sujets. Nous estimons que les droits doivent être attachés à la personne. Au cours de sa vie professionnelle, une personne va connaître différentes activités. La fusion des IRP dans les petites entreprises ne nous pose pas de problème, dès lors que la négociation se déroule sur le terrain. Pour nous, les branches ont un rôle de régulateur et de garde-fou indispensable.
M. Alain Milon , président . - Merci à vous toutes et tous pour vos interventions.
Ce point de l'ordre du jour a fait l'objet d'une captation vidéo qui est disponible en ligne sur le site du Sénat .