B. UN ACTEUR DOMINANT QUI N'A PAS SU S'ADAPTER AUX ÉVOLUTIONS DE LA GOUVERNANCE ET DU CADRE JURIDIQUE DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE
1. L'impact de la décentralisation sur le financement de l'Afpa
Dans le cadre du processus de décentralisation engagé à partir de 1982, la mise en oeuvre des politiques d'apprentissage et de formation professionnelle continue a été confiée aux régions par la loi du 7 janvier 1983 15 ( * ) . L'État restait toutefois encore compétent pour financer des stages « assurés par un même organisme dans plusieurs régions », destinés à des stagiaires sans considération de leur origine régionale ou bien encore réalisés en application des orientations prioritaires définies à l'échelle nationale. L'Afpa restait donc, sous ce régime juridique, encore très largement financée par l'État.
L'approfondissement de la décentralisation, et notamment le transfert aux régions de la majorité des financements apportés par l'État à l'Afpa , est venu bouleverser cet équilibre. La loi du 13 août 2004 16 ( * ) a chargé les régions de définir la politique de formation professionnelle des demandeurs d'emploi sur leur territoire. En conséquence, et en application de son article 13, les ressources consacrées par l'État au financement de stages de l'Afpa entrant dans ce champ leur ont été transférées à compter du 1 er janvier 2009 . Ce transfert pouvait être anticipé avant cette date par les régions volontaires, dans le cadre défini par une convention conclue entre le préfet, le conseil régional et l'Afpa et sous réserve du versement par les régions à l'association d'une dotation financière équivalente aux subventions que cette dernière percevait jusqu'à présent de l'État.
Notre ancienne collègue Annick Bocandé, rapporteur pour avis de votre commission sur cette loi, avait bien identifié les conséquences de cette disposition, en soulignant qu'au terme de la période transitoire prévue par ce texte, « les régions deviendront les donneurs d'ordre exclusifs de l'Afpa au titre de la commande publique » 17 ( * ) et que « les relations de l'Afpa avec les régions relèveront du code des marchés publics par le biais des procédures d'appel d'offres » 18 ( * ) et non plus d'une subvention négociée de gré à gré 19 ( * ) .
Ce changement fondamental dans la nature du financement de l'Afpa , avec le passage d'un financeur national très majoritaire à vingt-et-une collectivités territoriales aux pratiques et objectifs parfois divergents est intervenu concomitamment à une ouverture plus large des activités de formation professionnelle à la concurrence , sous l'impulsion du droit communautaire.
2. L'application du droit de la concurrence au champ de la formation professionnelle
Saisi par la Fédération de la formation professionnelle (FFP), organisation professionnelle représentant les structures privées de formation, le Conseil de la concurrence s'est prononcé à deux reprises, en 2000 puis en 2008, sur les conditions d'intervention des personnes publiques dans le secteur de la formation professionnelle et, plus spécifiquement, sur le positionnement de l'Afpa en matière de formation des demandeurs d'emploi au regard du droit de la concurrence.
Dans son premier avis 20 ( * ) , il avait estimé que la transparence et l' égalité entre tous les organismes de formation devait être préservée, indépendamment de leur statut, refusant toute concertation entre les membres du service public de l'emploi et toute « orientation privilégiée » des financements vers une structure publique lorsqu'existent des offres concurrentes émanant d'organismes privés. Il avait toutefois également relevé l' absence de droits exclusifs conférant une position dominante aux acteurs publics, dans un contexte où l'évolution des modalités de commande publique des prestations de formation professionnelle était anticipée mais ne s'était pas encore concrétisée.
Dans son second avis 21 ( * ) , qui traite directement de l'Afpa, le Conseil de la concurrence a rappelé l'assujettissement de principe des activités de formation professionnelle au droit communautaire de la concurrence . Il souligne néanmoins qu'il était loisible à l'État de déléguer à l'Afpa des prérogatives de puissance publique non économique ou de lui confier une mission de service public répondant à la définition d'un service d'intérêt économique général (SIEG) au sens du droit communautaire.
Surtout, il identifiait deux domaines dans lesquels l'activité de l'Afpa pouvait être de nature à limiter la concurrence, au détriment des opérateurs privés de formation.
Son impartialité dans l'instruction des demandes d'agrément formulées par ceux-ci auprès des services déconcentrés du ministère du travail pour délivrer les titres du ministère pouvait être mise en doute. L'Afpa bénéficiait en effet d'une disposition réglementaire l'habilitant à délivrer ces titres sur l'ensemble du territoire national, étant donc en concurrence directe avec les organismes dont elle était chargée de contrôler les pratiques. En conséquence, ce statut privilégié lui a été retiré par un décret du 18 janvier 2010 22 ( * ) et les directions régionales des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi (Direccte) assurent désormais l'intégralité de la procédure d'agrément et de contrôle des organismes délivrant des titres du ministère de l'emploi.
Avec un impact plus profond sur l'organisation de l'Afpa et la façon dont elle assurait son activité depuis sa création, le Conseil de la concurrence a estimé que son activité d'orientation des demandeurs d'emploi vers un stage de formation , exercée en partenariat avec l'ANPE, lui conférait un avantage indu .
Il a souligné que, malgré l'affirmation de la neutralité de ses psychologues du travail par l'Afpa, cette situation ne permettait pas de garantir une concurrence non faussée, le risque étant que les demandeurs d'emploi soient orientés en priorité vers les formations offertes par l'association. La loi du 24 novembre 2009 23 ( * ) a finalement prévu le transfert de 920 de ces personnels à Pôle emploi au 1 er avril 2010.
3. L'incapacité de l'Afpa à tirer profit de cette nouvelle donne
Ces transformations d'ordre financier, juridique et opérationnel ont fait entrer l'Afpa dans une période d'instabilité dont elle n'est depuis jamais réellement sortie. Aux subventions d'État a succédé un programme d'activité de service public (Pasp) destiné à compenser les seules charges liées aux missions de service public qui restent confiées à l'association, essentiellement la mise en oeuvre de la politique du titre du ministère de l'emploi, en particulier l'ingénierie de ses titres professionnels, et les sujétions liées à sa présence territoriale .
Entre 2007 et 2012, les versements de l'État à l'Afpa ont diminué de 64 % , passant de 301 à 77 millions d'euros 24 ( * ) . Dans le même temps, les ressources issues des régions ont diminué de 6 % : si celles allouées par appels d'offres ont progressé de 295 millions d'euros , celles résultant de subventions ont reculé de 355 millions d'euros .
La mise en place par certains conseils régionaux de mandatements avec octroi de droits spéciaux, dans le cadre d'un service d'intérêt économique général (SIEG ; cf. infra ), est restée limitée, ceux-ci ne représentant que 34 millions d'euros en 2012.
L' irrégularité des achats de formation par Pôle emploi a aggravé la situation financière fragile de l'association. Après avoir progressé de 116 % entre 2007 et 2010, atteignant un maximum de 51,4 millions d'euros cette année-là, ils ont ensuite décru de 36 % , ne représentant plus que 33 millions d'euros en 2012. Quant au chiffre d'affaires sur le segment de la formation continue des salariés , décrit comme « insuffisant » par la Cour des comptes 25 ( * ) , il n'a progressé que de 7 % sur ces cinq années, sans compenser les pertes de parts de marché subies sur la formation des demandeurs d'emploi.
Ainsi, comme le souligne la Cour des comptes 26 ( * ) , l'Afpa a perdu sept points de part de marché sur la formation des demandeurs d'emploi entre 2007 et 2011 , passant de 29,3 à 22 % , ses produits d'exploitation liés à cette activité reculant de 9 % alors que les dépenses pédagogiques globales en faveur de ce public, dont les effectifs ont très fortement crû durant la période, progressaient de 25 % . L'Afpa avait formé près de 120 000 demandeurs d'emploi en 2007, mais moins de 90 000 en 2012.
Évolution du nombre de stagiaires formés par l'Afpa depuis 2007
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
|
Demandeurs d'emploi |
119 254 |
120 171 |
106 423 |
98 884 |
92 267 |
89 424 |
85 680 |
82 076 |
77 040 |
Salariés |
58 745 |
60 479 |
67 824 |
69 263 |
67 542 |
57 745 |
54 645 |
59 411 |
56 454 |
Total |
177 999 |
180 650 |
174 247 |
168 147 |
159 809 |
147 169 |
140 325 |
141 487 |
133 494 |
Source : Afpa
Cette dégradation généralisée n'a pu être enrayée par une stratégie de réorientation de l'activité de l'Afpa adaptée à ces nombreux défis. Celle-ci, que la Cour des comptes qualifie de « chaotique », tout particulièrement entre 2010 et 2012, a au contraire contribué à aggraver sa situation, notamment par une recentralisation excessive de la prise de décision , au détriment des directions régionales et des centres de formation. Ceux-ci perdirent toute responsabilité en matière commerciale, malgré leurs connaissances des besoins de leurs territoires et des financeurs locaux, tandis qu'aucune réflexion sur l'évolution du modèle pédagogique de l'association ne fut sérieusement engagée.
Comme l'avait identifié la Cour des comptes, l'Afpa était handicapée par le poids de ses charges de structure , notamment en matière de personnel. Alors que les formateurs représentent toujours moins de la moitié des effectifs de l'association (47,19 % en 2013) 27 ( * ) , la réduction de la masse salariale a été limitée (- 18 % entre 2007 et 2012) et 40 % de celle des effectifs (- 2 339 équivalents temps plein [ETP], passant de 11 354 à 9 015 , soit - 21 %) est liée au transfert des psychologues du travail à Pôle emploi (cf. supra ). La Cour des comptes conclut ainsi qu'en excluant ce phénomène ponctuel, la réduction des effectifs de l'Afpa « s'est opérée à un rythme lent » 28 ( * ) .
Évolution des effectifs de l'Afpa depuis 2007
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
2011 |
2012 |
2013 |
2014 |
2015 |
2016 |
2017 1 |
Variation
|
|
CDI |
9 649 |
9 849 |
9 370 |
8 530 |
8 089 |
7 970 |
7 745 |
7 470 |
7 115 |
6 892 |
6 638 |
- 31,2 |
CDD |
1 310 |
1 505 |
1 309 |
944 |
1 061 |
1 044 |
924 |
929 |
967 |
1 385 |
1 491 |
+ 13,8 |
Effectif
|
11 354 |
10 959 |
10 679 |
9 474 |
9 150 |
9 014 |
8 669 |
8 399 |
8 082 |
8 277 |
8 129 |
- 28,4 |
1 estimation
Source : Cour des comptes et DGEFP
Dans ce contexte, la classification de l'Afpa par plusieurs structures publiques a évolué dans un sens contradictoire . Elle a ainsi perdu, à compter de l'exercice 2012, son statut d'organisme divers d'administration centrale (Odac) au sens de la comptabilité nationale. Définis par l'Insee comme des organismes auxquels l'État a donné une compétence fonctionnelle spécialisée au niveau national, contrôlés et financés majoritairement par lui et qui ont une activité principalement non marchande, les Odac entrent dans le champ de la mesure de la dette des administrations publiques au sens du traité de Maastricht et ne peuvent par conséquent pas avoir recours à l'emprunt. Cette évolution se justifiait par la transformation des modalités de financement de l'association et l'évolution de l'appréciation du caractère marchand de la majeure partie de son activité. A l'inverse le Conseil d'État, dans son rapport de 2012 sur les agences 29 ( * ) , qualifiait l'Afpa « d'agence de production et de prestation de services » 30 ( * ) de l'État et estimait que le statut associatif ne devait pas être utilisé comme « support juridique » 31 ( * ) d'une telle structure.
Au premier semestre 2012, les interrogations sur le devenir de l'Afpa étaient nombreuses et le constat de sa fragilité économique extrême très largement partagé .
Dans le rapport 32 ( * ) qu'il avait remis au Président de la République au mois d'avril, Gérard Larcher lui consacrait une annexe et appelait à lui « donner un nouvel avenir » 33 ( * ) . Il rappelait la nécessité de coordonner l'action de l'État et des régions en la matière, estimant qu'elles partageaient la responsabilité de la situation que connaissait alors l'association. Il appelait de ses voeux une fluidification de ses relations avec Pôle emploi , afin d'offrir à davantage de demandeurs d'emploi une formation qualifiante. Il soulignait enfin les atouts dont elle disposait, qu'il s'agisse de son caractère national, de la qualité de son offre de formation, des prestations annexes qu'elle offre ou de l'accompagnement social qu'elle peut fournir aux stagiaires. Une partie de ces orientations se sont retrouvées dans le plan de refondation mis en place par la nouvelle direction de l'Afpa à partir de l'été 2012.
* 15 Loi n° 83-8 du 7 janvier 1983 relative à la répartition des compétences entre les communes, les départements, les régions et l'Etat, art. 82.
* 16 Loi n° 2004-809 du 13 août 2004 relative aux libertés et aux responsabilités locales.
* 17 Annick Bocandé, avis n° 33 (2003-2004) fait au nom de la commission des affaires sociales sur le projet de loi relatif aux responsabilités locales, 22 octobre 2003, p. 25.
* 18 Id., p. 27.
* 19 Il convient toutefois de noter qu'un régime juridique dérogatoire reste en vigueur pour la collectivité territoriale de Corse, qui en application de l'article L. 4424-34 du code général des collectivités territoriales signe une convention avec l'Afpa pour déterminer le programme de ses formations et de ses opérations d'équipement sur son territoire.
*
20
Avis
n° 00-A-31 du 12 décembre 2000 relatif à une demande
d'avis présentée par la Fédération
de la
formation professionnelle.
*
21
Avis
n° 08-A-10 du 18 juin 2008 relatif à une demande d'avis
présentée par la Fédération
de la formation
professionnelle.
* 22 Décret n° 2010-59 du 18 janvier 2010 relatif à l'agrément des organismes organisant des sessions de validation du titre professionnel délivré par le ministre chargé de l'emploi.
* 23 Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, art. 53.
* 24 Source : Cour des comptes, « L'association nationale pour la formation professionnelle des adultes », décembre 2013, p. 30.
* 25 Id., p. 34.
* 26 Id., p. 35.
* 27 Id., p. 99.
* 28 Id.
*
29
Conseil d'Etat, « Les agences :
une nouvelle gestion publique ? », étude annuelle 2012,
septembre 2012.
* 30 Id., p. 43.
* 31 Id., p. 125.
* 32 Gérard Larcher, « La formation professionnelle : clé pour l'emploi et la compétitivité », rapport au Président de la République, avril 2012.
* 33 Id., p. 47.