EXAMEN EN COMMISSION

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M. Michel Forissier , rapporteur . - Le texte que nous examinons aujourd'hui marque l'aboutissement d'un processus enclenché formellement par la loi « Rebsamen » du 17 août 2015, mais dont il faut chercher les origines à la fin des années 2000 : la transformation de l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (Afpa) en établissement public à caractère industriel et commercial (Epic) afin de lui donner des fondations solides et de pérenniser ses missions de service public.

Le législateur avait habilité le Gouvernement, à l'article 39 de cette loi, à procéder à la création de cet Epic par ordonnance. Celle-ci a été prise le 10 novembre 2016 et il nous appartient de nous prononcer sur sa ratification. La complexité de cette tâche avait sans doute été sous-estimée et l'élaboration de ce texte a buté sur des questions juridiques d'une grande complexité, au regard notamment du droit communautaire de la concurrence. Elles ont été résolues de manière satisfaisante.

Le savant équilibre atteint est toutefois fragile. Il ne satisfait ni les tenants d'une banalisation de l'Afpa en tant que simple organisme de formation parmi les dizaines de milliers d'autres que compte notre pays ni ceux qui souhaitent un retour au quasi-monopole dont a longtemps bénéficié cette association, sous l'égide de l'État, en matière de formation des demandeurs d'emploi. Face à ces deux points de vue inconciliables, l'essentiel est de préserver la place de cet opérateur au sein du service public de l'emploi tout en évitant des distorsions de concurrence à son avantage.

Quelles sont les justifications du changement de statut de l'Afpa ? Créée au lendemain de la Libération, à une époque où il fallait améliorer la qualification de la main-d'oeuvre pour faire face au défi urgent de la reconstruction, cette association régie par la loi de 1901 est devenue, avec l'avènement de la formation professionnelle tout au long de la vie, un acteur majeur de ce champ, présent sur tout le territoire. À la fin des années 1990, elle était même l'association la plus subventionnée de France, bénéficiant d'un budget supérieur à celui du ministère de l'environnement.

Un tel niveau de dépenses publiques n'était toutefois pas injustifié : l'Afpa était alors chargée de la formation de la très grande majorité des demandeurs d'emploi, dont le financement était à l'époque directement assuré par l'État, hors de tout cadre concurrentiel. En lien avec l'ANPE, l'Afpa assurait également l'orientation des demandeurs d'emploi, évaluant leurs besoins de formation.

Les évolutions du cadre juridique de la formation professionnelle, et en particulier sa décentralisation, ont eu raison de cette organisation. Le transfert aux régions des financements consacrés par l'État aux formations assurées par l'Afpa par la loi du 13 août 2004, effectif au 1 er janvier 2009, a bouleversé l'activité de l'association. À une subvention d'État se sont substitués des appels d'offres régionaux soumis au code des marchés publics et ouverts à l'ensemble des organismes de formation. Du fait de ses charges de structure très importantes, liées à son implantation territoriale, mais aussi aux prestations annexes - hébergement ou restauration - qu'elle offre, l'Afpa s'est révélée très peu compétitive face à ses concurrents.

De plus, ce changement aurait dû entraîner une véritable révolution culturelle et organisationnelle au sein de l'association qui, en raison de résistances internes et d'un pilotage stratégique défaillant, n'a jamais abouti. Dans le même temps, le Conseil de la concurrence a confirmé en 2008 le caractère concurrentiel de la majorité des activités de formation professionnelle et a estimé que l'organisation de l'Afpa n'était pas conforme aux règles communautaires en la matière, entraînant le transfert de plus de 900 psychologues du travail vers Pôle emploi.

En conséquence, entre 2007 et 2012, le nombre de demandeurs d'emploi formés par l'Afpa a diminué de 25 %, de 119 000 à 89 000, et son chiffre d'affaires de près de 20 %, passant d'un milliard à 800 millions d'euros, pour trois raisons principales, identifiées par la Cour des comptes dans un rapport qu'elle a réalisé en 2013 à la demande de notre commission : la diminution des subventions d'État, la réduction des achats de formation par Pôle emploi et la baisse du chiffre d'affaires régional.

Cette situation a abouti en 2012 à une profonde crise financière qui a vu l'Afpa, avec une perte d'exploitation de près de 90 millions d'euros, frôler la cessation de paiement. La nouvelle direction, nommée par le Gouvernement, a alors élaboré un plan de refondation ambitieux visant à ramener l'activité à l'équilibre, en développant notamment l'offre de formation à destination des salariés, en s'adaptant davantage pour répondre aux appels d'offres régionaux et en réduisant les charges internes. L'État y avait apporté son soutien en souscrivant à des obligations associatives émises par l'Afpa, pour un montant total de 200 millions d'euros, afin de renforcer ses fonds propres.

Dès 2013, la Cour des comptes avait signalé que les perspectives d'exécution du plan de refondation étaient inférieures aux objectifs affichés, trop optimistes. Le retour à l'équilibre, initialement envisagé pour 2015, n'a jamais eu lieu et les pertes financières se sont même aggravées, atteignant 152 millions d'euros cette même année. La question du patrimoine immobilier mis à la disposition de l'association n'était toujours pas réglée. Il s'est donc avéré nécessaire de réfléchir à une transformation plus profonde de l'Afpa et notamment à une modification de son statut associatif. Cet héritage historique de l'après-guerre n'est pas adapté à un opérateur national du service public qui demeure, malgré ses difficultés, le principal acteur du champ de la formation professionnelle continue.

Conformément aux dispositions de l'ordonnance du 10 novembre 2016, la dissolution de l'association a été prononcée fin 2016 afin de permettre le 1 er janvier dernier sa transformation en un Epic, dénommé Agence nationale pour la formation professionnelle des adultes.

À la suite des observations de la Commission européenne et du Conseil d'État, qui ont effectué un travail approfondi sur le projet d'ordonnance, les missions de la nouvelle Agence peuvent être regroupées en trois blocs. Le premier bloc reprend les missions jusqu'alors remplies par l'association : la participation à la qualification des personnes les plus éloignées de l'emploi, l'élaboration des titres professionnels du ministère du travail - on en comptait 250 en 2016 - et la contribution à un égal accès à la formation professionnelle des femmes et des hommes sur l'ensemble du territoire.

Le deuxième bloc liste les nouvelles missions qui s'inscrivent dans le prolongement des premières. L'Agence devra ainsi expérimenter de nouveaux titres professionnels pour des métiers émergents, aider les autres ministères à élaborer leurs propres titres compte tenu de l'expertise largement reconnue à l'Afpa dans ce domaine, analyser les besoins en compétences dans les bassins d'emploi ou encore fournir un appui aux opérateurs du conseil en évolution professionnelle.

Le dernier bloc de missions concerne la formation des demandeurs d'emploi et des salariés. Afin d'éviter des subventions croisées et des entorses aux règles de la concurrence, l'ordonnance oblige l'Agence à créer deux filiales spécifiques et indépendantes pour assurer la formation de ces publics, qui représentent plus de 80 % de l'activité de l'Afpa. À ce dernier bloc se rattache également la contribution de l'Agence au développement des actions de formation en matière de développement durable et de transition écologique.

Toutes les missions relevant des deux premiers blocs sont qualifiées par l'ordonnance de missions de service public, l'Agence voyant ainsi son rôle conforté au sein du service public de l'emploi. À l'exception de son rôle en matière de certification qui relève d'un service d'intérêt général non économique, et reconnu par le droit européen, toutes ses missions sont assimilables à des services d'intérêt économique général (SIEG) et pourraient en théorie également être confiées à d'autres acteurs, même si cette probabilité demeure très faible.

Si la Commission européenne et la Cour de justice de l'Union européenne accordent une grande latitude aux autorités nationales pour définir un SIEG, sauf erreur manifeste d'appréciation de ces dernières, les compensations versées par une personne publique aux organismes qui sont chargés de ces missions, en contrepartie des sujétions qui leur sont imposées, sont strictement encadrées.

Toutefois, les compensations versées à un organisme mettant en oeuvre un SIEG concernant l'accès et la réinsertion sur le marché du travail, quels que soient leurs montants, ne sont pas soumises à l'obligation d'une notification préalable à la Commission européenne si elles remplissent les conditions fixées par sa décision du 20 décembre 2011, qui impose aux autorités nationales de définir très précisément le mandat de l'organisme chargé d'un SIEG, les critères pour calculer la compensation et les moyens d'éviter une surcompensation.

Le Gouvernement devra définir dans les mois qui viennent, et notamment dans le cadre du futur contrat d'objectifs et de performance conclu avec l'Agence, des critères précis, objectifs et publics pour calculer les compensations afférentes à chaque SIEG. Le choix des critères sera capital : si la dotation est trop faible, elle affaiblira l'Agence, mais si elle est trop élevée, elle sera assimilée à une surcompensation et la Commission européenne pourrait alors exiger le remboursement du surplus. Actuellement de l'ordre de 110 millions par an, la dotation de l'État devrait être d'un niveau équivalent l'an prochain puis baisser régulièrement les années suivantes.

En revanche, la Commission européenne a été très claire sur la formation des demandeurs d'emploi et des salariés : il ne s'agit pas d'un SIEG, mais d'une activité concurrentielle, qui ne saurait donc faire l'objet d'une aide publique. Elle considère que les établissements publics de l'État bénéficient par construction d'une garantie financière implicite et illimitée de ce dernier et s'est donc opposée à ce que cette activité de formation soit exercée directement par l'Agence. Elle a suggéré la création de filiales dédiées, estimant que la simple mise en place d'une comptabilité analytique était insuffisante, en raison de la perméabilité des crédits.

L'Afpa a créé fin 2016 deux filiales, qui auront le statut de sociétés par actions simplifiées unipersonnelles (SASU) et dont l'Epic sera l'unique actionnaire. Elles n'emploient actuellement aucun salarié et n'ont pas été dotées en capital : ce sont pour l'heure des coquilles vides. Toutefois, à partir de mars prochain, la filiale assurant la formation des demandeurs d'emploi devrait compter quatre cents salariés en charge uniquement des relations commerciales et juridiques, tandis que celle dédiée à la formation des salariés en regroupera deux cents. Dans les deux cas, ces salariés seront transférés par l'Epic aux filiales. En revanche les formateurs, qui peuvent travailler aussi bien avec des demandeurs d'emploi que des salariés, resteront au sein de l'Epic. Les filiales contractualiseront avec l'Agence pour disposer d'eux en fonction des marchés remportés.

La pérennité de ce montage complexe dépendra du climat social au sein de l'Epic et des critères de facturation retenus pour les mises à disposition du personnel et des locaux, qui devront respecter les règles de la concurrence, comme l'ont souligné avec raison les représentants de la Fédération de la formation professionnelle que j'ai rencontrés.

Pour garantir une concurrence libre et non faussée, l'ordonnance reconnaît aux autres organismes participant au service public régional de la formation professionnelle un droit d'utilisation des plateaux techniques de l'Agence, dans des conditions objectives, transparentes et non discriminatoires.

La gouvernance de l'Agence est par ailleurs rationalisée par rapport à l'association : le conseil d'orientation est supprimé et l'État devient le principal acteur du conseil d'administration, compte tenu du droit de vote double accordé à ses neuf représentants. Ce droit est également accordé aux quatre représentants élus des conseils régionaux, comme le réclamait l'Association des régions de France. La nouvelle directrice générale de l'Agence, Pascale d'Artois, devrait apporter à l'Agence un regard neuf : elle a notamment dirigé l'Organisme paritaire collecteur agréé (Opca) du travail temporaire.

La création de l'Epic règle définitivement l'imbroglio juridique qui entourait jusqu'à présent le statut des biens immobiliers mis à la disposition de l'Afpa par l'État. Depuis sa création, l'association occupait en effet des sites appartenant dans leur très grande majorité à l'État, sur la base de conventions d'occupation temporaire et dans des conditions financières extrêmement favorables, puisqu'elle devait seulement s'acquitter d'une redevance de 15 euros par an et par site. Une première tentative de céder les 181 biens concernés à l'époque directement à l'Afpa, à titre gratuit, a été prévue par l'article 54 de la loi du 24 novembre 2009. Saisi d'une question prioritaire de constitutionnalité par deux régions, le Conseil constitutionnel a censuré cette disposition en raison de l'absence de garantie du maintien de leur affectation aux missions de service public de l'association.

Diverses solutions ont ensuite été envisagées à la suite de nombreux rapports des inspections générales. La signature de baux emphytéotiques administratifs n'a au final concerné que deux sites. Ensuite, le transfert à titre gratuit aux régions, autorisé par la loi du 5 mars 2014, n'a été mis en oeuvre que dans une seule région - en Bourgogne-Franche-Comté, et pour deux sites seulement.

La création de l'Epic lève les difficultés liées au transfert à une personne privée de biens de l'État et à la censure du Conseil constitutionnel. Depuis cette date, France Domaine a cherché à augmenter le montant des redevances dues par l'Afpa. Celle-ci aurait refusé de les acquitter, entraînant, à l'expiration des conventions d'occupation temporaire antérieures, l'occupation sans titre de certains sites.

L'article 2 de l'ordonnance prévoit le transfert à l'Epic des biens mobiliers et immobiliers mis à la disposition de l'Afpa par l'État et nécessaires à l'exercice de ses missions de service public. Leur liste a été fixée par arrêté : 116 centres sont concernés, pour une valorisation de 403 millions d'euros. D'importants travaux de mise aux normes et de rénovation de ce patrimoine sont indispensables. Son entretien a été jusqu'à présent négligé, le propriétaire et l'occupant se renvoyant la responsabilité à ce sujet. L'Epic va par ailleurs conclure des conventions d'utilisation avec l'État pour 21 sites supplémentaires, qui vont rester la propriété de ce dernier.

Les modalités de cession des biens transférés à l'Epic sont encadrées par l'ordonnance. Afin que ceux-ci ne constituent pas une aide d'État, le produit de la cession d'un de ces biens ne pourra qu'être réinvesti pour garantir une implantation équilibrée de l'Agence sur le territoire et un égal accès à la formation professionnelle pour tous nos concitoyens. À défaut, il sera affecté au budget de l'État. La rationalisation de ses implantations immobilières n'en reste pas moins un impératif.

L'ensemble des droits et des obligations de l'association sont transférés à l'Agence en application de l'article 3 de l'ordonnance. Ainsi, l'Epic accueille tous les salariés qui travaillaient avant le 1 er janvier 2017 dans l'association. En revanche, des négociations difficiles sur ses dettes fiscales et sociales sont toujours en cours pour savoir si elles seront rééchelonnées ou en partie apurées.

Cette ordonnance respecte le cadre de l'habilitation accordée par la loi du 17 août 2015 et elle ne méconnaît pas les règles européennes en matière d'aide d'État et de concurrence. La transformation de l'Afpa en Epic est un témoignage supplémentaire du soutien du Gouvernement à son opérateur historique. Elle est réalisée dans des conditions qui préservent l'utilité sociale de son activité, à laquelle ses salariés sont viscéralement attachés. L'ordonnance devrait lever les ambiguïtés, voire le flou, qui caractérisaient la gestion de l'association. Des personnes publiques délèguent trop souvent des missions de service public à des associations sans disposer des leviers suffisants pour assurer leur pilotage.

Cette transformation ne constitue toutefois qu'une condition nécessaire, mais non suffisante, pour assurer la pérennité de l'activité de formation de l'Agence. La nouvelle direction doit mettre en place très rapidement une stratégie de développement ambitieuse pour répondre aux besoins des entreprises et des régions et rassurer ainsi un personnel échaudé par des années d'incertitude et de tentatives avortées de réforme. Faute d'une telle stratégie, l'Epic et ses filiales continueront de perdre des parts de marché et de voir diminuer leur nombre de salariés, en dépit des actions nationales engagées ces dernières années en faveur de la formation des demandeurs d'emploi.

C'est pourquoi je vous propose aujourd'hui d'adopter sans modification le présent projet de loi de ratification de l'ordonnance du 10 novembre 2016.

Mme Nicole Bricq . - Je n'ai rien à redire. Vous avez bien fait de prendre le temps nécessaire pour nous présenter votre rapport ; la lecture de l'ordonnance est complexe. Vous avez parfaitement retracé l'historique compliqué de l'Afpa, qui a subi un double choc : la décentralisation de 2004 et l'ouverture à la concurrence de 2008. Fin 2011, l'association était au bord de la cessation de paiement. L'État n'a pas assumé son rôle de 2003 à 2011. Le nouveau gouvernement a recapitalisé l'Afpa petit à petit, mais des modifications de structure étaient nécessaires.

Vous avez fort bien décrit les différentes filiales et les missions de service public du nouvel établissement public. Il connaîtra une forte contrainte immobilière en raison de la cession par l'État d'un patrimoine qui n'est pas en très bon état, même si son implantation en région est un atout : il doit être au plus près des bassins d'emploi pour s'adapter aux mutations économiques et sociales de la formation professionnelle.

Nous récoltons le fruit de nos actes pour les missions de service public. Lors de l'examen du projet de loi « Rebsamen », mon groupe avait déposé un amendement pour que l'Afpa joue un rôle en faveur de la question de la mixité entre les femmes et les hommes. Nous avions réussi à trouver une majorité, et je suis heureuse que ce travail sénatorial transpartisan soit repris dans l'ordonnance.

Vous avez rappelé la dimension juridique de l'ordonnance ; c'est une condition nécessaire, mais pas suffisante. La France dépense beaucoup d'argent - 34 milliards d'euros par an - pour la formation professionnelle, une somme qui bénéficie surtout à ceux qui sont déjà à l'intérieur de ce système très complexe car seul un chômeur sur cinq bénéficie d'une formation.

Ce n'est pas seulement une question de coût - voyez l'Autriche qui dépense trois fois plus que nous -, mais d'efficacité. Le Gouvernement pourra nous informer en séance publique sur la mise en oeuvre du plan de 500 000 formations supplémentaires pour les demandeurs d'emploi, dont la pérennisation intéresse les personnels de l'Afpa. La loi de finances pour 2017 prévoit une dotation de 500 millions d'euros pour financer ce plan.

Les régions, qui doivent déjà digérer les conséquences de la loi portant sur la nouvelle organisation territoriale de la République (NOTRe), fournissent peu de stagiaires. Le contingent des stagiaires de l'Afpa provient principalement de Pôle emploi. L'évolution à la baisse des demandes nécessite une reconfiguration de l'organisation de l'Epic et un aménagement des effectifs. Je comprends l'inquiétude du personnel de l'Afpa. Cette ordonnance règle les problèmes sur un plan juridique, mais comment l'Epic prendra-t-il sa place dans les mutations en cours ? Le plan de 500 000 formations longues doit être cohérent avec la loi Travail, qui prévoit un capital-formation qu'on garde toute sa vie à travers le compte personnel d'activité (CPA).

Ayons un vrai débat en séance publique sur la formation professionnelle, trop peu abordée dans le débat politique : c'est essentiel pour l'avenir de la France.

M. Philippe Mouiller . - Bravo, monsieur le rapporteur, pour votre travail sur ce sujet complexe. Nous sommes très inquiets de l'évolution financière de l'Afpa, en raison des observations de la Cour des comptes dans son rapport de 2013. Le patrimoine immobilier se trouve dans un très mauvais état. Le transfert est-il une bonne ou une mauvaise opération ? N'est-ce pas un cadeau empoisonné ?

Je m'étonne de l'absence de décision de l'État sur les dettes fiscale et sociale, qui laisse une épée de Damoclès de plusieurs dizaines de millions d'euros. Comment bâtir un plan de redressement sans disposer de tous les éléments pour estimer la situation financière de l'Epic ?

Qu'en est-il des contrats de partenariat noués avec les autres ministères, comme celui sur la reconversion des militaires de carrière ? Les inquiétudes sont fortes sur le terrain.

Le niveau des dépenses de personnel de l'Afpa est pointé du doigt par la Cour des comptes. Ce sujet a-t-il été évoqué lors de vos auditions ? Le problème juridique a été réglé mais il reste encore des choses à faire.

Mme Nicole Bricq . - Il y a eu des progrès !

M. Philippe Mouiller . - Oui, mais attention à la façon dont on obtient le chiffre d'affaires. Tout n'est pas calé dans le plan de redressement, notamment la maîtrise des charges.

M. Dominique Watrin . - Le groupe communiste républicain et citoyen s'est abstenu lors du vote de l'article de la loi Rebsamen habilitant le Gouvernement à légiférer par ordonnances sur l'Afpa et il adoptera la même position sur ce texte.

Le rapporteur a mené un travail approfondi grâce à ses nombreuses auditions et il a clarifié des points juridiques complexes. Nous saluons les avancées de ce projet de loi qui contraste avec l'attentisme de la majorité précédente, qui a failli mettre en faillite l'Afpa : la dévolution du patrimoine immobilier est désormais sécurisée juridiquement ; les aides financières ont empêché la liquidation de la structure. L'Afpa est un opérateur historique aux atouts nombreux, qui fournit des services spécifiques sur l'ensemble du territoire national.

Mais sa pérennité est loin d'être assurée. Son modèle économique a été bousculé par la décentralisation de la commande publique, désormais dévolue à la région, et à l'ouverture à la concurrence du « marché » de la formation. Le projet de loi consacre une interprétation très restrictive des « publics éloignés de l'emploi ». Les chômeurs de longue durée continuent à relever du marché concurrentiel, alors que leurs besoins ne sont pas fondamentalement très différents de ceux des publics très éloignés de l'emploi. Ce périmètre trop étroit risque de compromettre le devenir de l'Afpa. L'Autorité de la concurrence et le Conseil d'État ont imposé une interprétation trop libérale des règles européennes de la concurrence. Notre groupe ne peut l'accepter, d'autant que de nombreux points ne sont pas réglés. Dans le cadre du plan 500 000 formations supplémentaires, l'Afpa n'a bénéficié que de 18 000 stagiaires, dont seulement un millier provenait des régions, le reste de Pôle emploi. Cela prouve le faible enthousiasme des régions.

Les problèmes financiers ne sont pas réglés : qu'en est-il des dizaines de millions d'euros de dette fiscale et sociale et des arriérés de loyer demandés par France Domaine ? L'ordonnance ne règle pas ces problèmes qui pèseront fortement sur l'avenir de l'Afpa. Des suppressions d'emplois ont été mises en oeuvre et d'autres devraient être annoncées.

Notre abstention devrait inciter le Gouvernement à poursuivre la négociation avec les représentants du personnel de l'Afpa, qui ont voté contre ce projet et posent des questions vitales restant toujours sans réponse.

Mme Catherine Procaccia . - En tant que rapporteur de la loi Rebsamen, je peux vous assurer que l'objet de ce texte est conforme à ce que nous avons voté il y a un an et demi, contrairement à ce qu'affirment certains courriels que nous avons reçus, et même si l'ordonnance est complexe. J'espère que celle-ci règlera les problèmes juridiques de l'Afpa.

Déjà en 2009, alors que je présidais la commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, les problèmes immobiliers et de respect de la concurrence se posaient. Durant toutes ces années, l'Afpa et d'autres acteurs ont refusé de reconnaître les règles de concurrence européennes. J'espère que le statut d'Epic et les dispositions prises règleront définitivement ces questions.

M. Jean-Marc Gabouty . - Nous ne connaissons pas les chiffres les plus récents, même si l'on nous assure que la situation s'est améliorée. Mais la situation de toute entreprise peut s'améliorer lorsqu'elle ne paie pas ses charges fiscales et sociales ! On parle de rééchelonnement de la dette. Est-ce le nouvel organisme qui devrait la reprendre ou est-ce l'ancienne structure qui doit l'assumer avec l'aide de l'État ? Voyez ce gâchis : le statut associatif n'était manifestement plus viable. En 2012, malgré 83 000 demandeurs d'emploi formés, le déficit était considérable par personne formée - entre 10 % et 12 % -, qui pouvait être compensé par l'État. Le changement de statut ne règlera pas ce problème.

Cette transformation en Epic répond-elle aux impératifs d'un appareil de formation qui doit évoluer dans un monde concurrentiel ? Non. Nous retrouverons ce dossier de l'Afpa dans trois à quatre ans puisque son changement de statut, même s'il entraîne une nouvelle organisation interne, n'améliorera pas les choses. L'Afpa devra assumer ses charges immobilières et investir dans la plupart de ses bâtiments, qui sont excessivement vétustes. Dans le champ concurrentiel actuel, cette nouvelle structure est un gage d'échec.

La solution, c'est de décentraliser. Auparavant, on avait déconcentré au lieu de décentraliser. Nous avons décentralisé les politiques de l'emploi et du logement ; faisons-le pour la formation ! Nous devons avoir une organisation à dimension régionale, dirigée par les conseils régionaux, et des structures qui évoluent de manière adaptée à chaque région. Or, le fonctionnement actuel de l'Afpa est administratif, lourd et peu réactif. Les contrats d'objectifs sont négociés durant trois à six mois, alors que les concurrents privés sont organisés différemment. Je ne réclame pas la privatisation de l'Afpa, mais si on ne va pas vers plus de régionalisation tout en conservant le caractère public de l'Afpa, on restera jacobin et on renforcera la politique menée depuis dix ans...

M. Georges Labazée . - Merci, monsieur le rapporteur, pour la qualité de votre rapport. Longtemps conseiller régional, j'ai pu observer que la formation, partagée entre les compétences de l'État et celles des régions, est un éternel sujet de questionnement. Les débats sur la décentralisation lors de la loi NOTRe ont montré que chaque camp comptait des partisans. Tant que cette répartition des missions n'aura pas été tranchée au niveau législatif, l'Afpa restera dans une situation difficile. Le péché originel, c'est qu'elle devrait se calquer sur le calendrier des réformes successives des régions.

Mme Hermeline Malherbe . - Merci pour cet exposé, qui clarifie une ordonnance un peu confuse pour les non-spécialistes. Durant dix ans, le sujet de l'Afpa n'a pas réellement été traité par le Gouvernement dans les lois de 2004 et 2009. En 2011-2012, le Gouvernement s'est trouvé au pied du mur, ce qui l'a obligé à prendre le taureau par les cornes pour ne pas laisser mourir l'Afpa.

Mme Nicole Bricq . - Elle était condamnée...

Mme Hermeline Malherbe . - L'Afpa poursuit un certain nombre de missions spécifiques, qui ne sont pas remplies par d'autres organismes. Une solution, certes perfectible, a été trouvée aujourd'hui après quatre ans de réflexion.

L'ordonnance permet d'avancer a minima et d'avoir une solution d'avenir. Le dossier n'est pas clos et devra être retravaillé pour trouver des solutions juridiques et patrimoniales.

Dans les collectivités locales, nous avons l'habitude de récupérer le patrimoine non entretenu de l'État - comme les digues ou les barrages -. Les plateaux techniques de l'Afpa ont évolué en fonction des besoins : les mettre à disposition d'autres structures est intéressant. Accompagnons le plus possible le dispositif pour qu'il bénéficie aux salariés de l'Afpa et à la formation. Actuellement, ceux qui auraient le plus besoin de formation n'en bénéficient pas.

La formation doit bénéficier à ceux qui en ont le plus besoin au moment où ils en ont besoin. L'Afpa doit trouver des solutions spécifiques pour ces publics.

M. Jean-Marie Vanlerenberghe , rapporteur général . - Monsieur le rapporteur, ne craignez-vous pas que la mission de l'Agence portant sur l'évaluation des besoins en compétence dans les bassins d'emploi soit redondante avec celle du Centre d'études et de recherches sur les qualifications professionnelles (Cereq) ?

M. Jean Desessard . - Selon vous, quatre cents salariés seraient uniquement en charge des relations commerciales et juridiques. Pourquoi un tel nombre, alors que la formation est le coeur de métier de l'Afpa ?

M. Olivier Cadic . - A-t-on évoqué la possibilité de franchir une autre étape, à savoir de confier complètement au secteur privé la formation continue pour se dégager de cette situation ?

Mme Hermeline Malherbe . - L'Afpa était une association privée à but non lucratif.

M. Michel Forissier , rapporteur . - Je constate avec satisfaction que ce texte suscite beaucoup de questions de la part de nos collègues, alors que ce sujet est technique.

La partie concurrentielle des missions de l'Agence sera réalisée par des filiales, au statut de SASU, sans perméabilité possible avec elle. Les filiales ne sont pas à l'abri d'une faillite.

En outre, l'Agence ne recevra pas automatiquement des crédits de l'État : la garantie illimitée de l'État n'est pas automatique, Bercy n'ouvrira pas les vannes.

La dette fiscale et sociale de l'Afpa - vis-à-vis de l'Urssaf et du fisc - atteint plus de 80 millions d'euros. Ce problème devra être traité au niveau interministériel et en respectant les procédures requises. Il peut y avoir un échelonnement, voire un apurement d'une partie de la dette par l'État, en partie responsable de la situation actuelle. Je pense qu'il y aura un partage du fardeau entre l'Agence et ses créanciers.

Les filiales ont besoin de beaucoup de personnels compétents pour répondre aux appels d'offres dont la technicité s'accroît sans cesse.

Si l'ensemble des sites est transféré à l'Afpa, leur entretien prévisionnel lui coûterait, selon certaines sources, entre 1,2 et 1,4 milliard d'euros. Ce cadeau empoisonné représente cependant une garantie capitalistique pour les banques.

Seule une région s'est portée volontaire pour devenir propriétaire de deux sites mis à la disposition de l'Afpa. Le discours de Régions de France diffère de celui tenu par les présidents de région. Certaines régions, plus pauvres ou en récession économique, sont incapables de financer la formation. C'est pourquoi le statut d'Epic relevant de l'État conféré à l'Agence est une sage solution.

C'est pour répondre aux règles de la concurrence qu'ont été créées les deux filiales. La nouvelle direction générale devra élaborer un nouveau modèle économique pour assurer la pérennité des filiales.

M. Jean-Marc Gabouty . - Avec cette organisation, c'est sûr qu'elles vont péricliter...

Mme Nicole Bricq . - Le pire n'est jamais certain. Donnons-leur une chance.

M. Olivier Cadic . - Nous allons la leur payer !

Mme Hermeline Malherbe . - Arrêtons de polémiquer...

M. Michel Forissier , rapporteur . - La solution choisie est la meilleure à court terme, même si elle ne garantit pas la pérennité de l'Agence et de ses filiales à long terme. Si la structure est bien gérée, elle perdurera. Notre pays compte une multitude de plateaux techniques dans des lycées professionnels, les maisons familiales rurales, les CFA, mais ils sont, pour la plupart, obsolètes et sous-utilisés.

Mme Hermeline Malherbe . - Certaines régions agissent.

M. Michel Forissier , rapporteur . - Il faut mutualiser les plateaux techniques, mais ce sujet dépasse le cadre de l'ordonnance.

L'Afpa a bénéficié des retombées du plan 500 000 formations. Après un premier trimestre en baisse puis une stabilité globale au premier trimestre, l'activité de l'Afpa s'est fortement accrue à partir de septembre 2016. Le nombre de stages pour les demandeurs d'emploi a progressé de manière très importante dans les centres de formation de l'Afpa, concomitamment à l'activité de formation des salariés. Beaucoup a été fait sur onze mois ; 28 % des entrées de stagiaires proviennent de la commande publique ; 83 577 chômeurs ont été formés en novembre 2016, contre 60 000 en novembre 2015. Nous attendons avec impatience les décisions de la nouvelle direction et du conseil d'administration.

Le Cereq a une approche générale sur l'évolution des compétences alors que l'Afpa travaille sur des opérations concrètes dans les territoires.

L'Agence doit donner plus d'autonomie à ses directions régionales qui doivent nouer des liens étroits avec les organisations professionnelles. Tout le monde doit travailler ensemble.

À la Libération, l'Afpa répondait à l'objectif de redressement de la France. Ces valeurs doivent perdurer, mais la France du XXI e siècle ne peut conserver la même organisation. Adaptons-nous ! Prévoir des formations d'avenir nous fera d'abord perdre beaucoup d'argent, car cela nécessite d'investir dans des machines onéreuses et de former des formateurs. Tout ne peut pas être traité par le secteur concurrentiel. Dans quelques années, la représentation nationale devra tirer un bilan de l'ordonnance et l'ajuster, le cas échéant.

Mme Nicole Bricq . - Pouvez-vous nous rappeler la place des régions dans le conseil d'administration de l'Agence ? S'agissant du devenir de ses sites, rappelons-nous que la question du patrimoine immobilier des universités, centrale lors de l'examen parlementaire de la loi sur l'autonomie des universités, n'est plus un problème aujourd'hui. Cet exemple devrait nous inspirer sur le dossier de l'Afpa pour avoir une vision d'avenir.

M. Michel Forissier , rapporteur . - Les représentants de l'État ont neuf voix comptant double, et ceux des régions, désignés par Régions de France, ont quatre voix comptant double également, soit un poids bien plus important que ce que prévoyait le projet d'ordonnance.

M. Olivier Cadic . - Je m'abstiens sur ce texte.

M. Jean Desessard . - De même pour moi.

Le projet de loi est adopté sans modification.

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