III. LE RÈGLEMENT DES CONTRATS POUR LES TRAVAUX DE LA SECTION TRANSFRONTALIÈRE ET SON DISPOSITIF ANTIMAFIA
Ce règlement, comme indiqué supra , est prévu par l'article 2 de l'accord de 2015 et par l'article 3 du protocole additionnel de 2016. Il a été validé par la commission intergouvernementale lors de sa réunion du 7 juin 2016. C'est la première fois qu'un tel dispositif antimafia s'applique au plan transnational sur un grand chantier européen de travaux publics .
Depuis plusieurs années, ce projet de nouvelle ligne ferroviaire suscite des contestations, notamment en Italie. Les risques d'infiltrations mafieuses ont servi d'arguments au mouvement « No Tav », en Italie, pour s'opposer au projet. La presse s'est d'ailleurs fait l'écho, entre 2012 et 2014, de possibles infiltrations dans des contrats de sous-traitance relatifs à la sécurisation du chantier, côté italien. C'est pourquoi, à plusieurs reprises, lors des négociations, la partie italienne a indiqué à la partie française, que l'une des conditions majeures d'acceptabilité politique de l'engagement des travaux définitifs résidait dans la démonstration que des dispositions antimafia strictes seraient mises en oeuvre dans le cadre du chantier de la section transfrontalière.
Alors que l'objectif était initialement de rappeler que les États se fixaient un objectif fort de lutte contre les infiltrations mafieuses, la partie italienne a ensuite indiqué que la mise en oeuvre de dispositions antimafia similaires à celles applicables par ailleurs sur d'autres chantiers italiens était indispensable pour permettre la ratification de l'Accord par le Parlement italien. Or, en application de l'Accord du 30 janvier 2012, les droits français et communautaire devaient primer pour la passation et l'exécution des contrats conclus par le promoteur public pour l'exécution de ses missions. L'application de la législation antimafia italienne à ces contrats n'était donc pas prévue, même s'agissant de marchés devant se dérouler sur le seul territoire italien.
Sur la base de l'article 2 de l'accord du 24 février 2015 précité, la partie française a proposé à la partie italienne, en mai 2015, un projet de règlement des contrats compatible avec le droit français et le droit communautaire, conformément à l'accord de 2012. La délégation italienne a cependant souhaité voir appliquées, dans le règlement des contrats du promoteur public, certaines dispositions issues du droit italien visant à lutter contre les infiltrations mafieuses et, a notamment souhaité la mise en place d'une structure binationale chargée (i) de tenir à jour une « liste blanche » des entreprises non mafieuses autorisées à conclure et exécuter un contrat de travaux avec TELT, (ii) de mener des enquêtes préalablement à l'inscription des entreprises sur cette liste et (iii) d'intervenir sur site pour des contrôles dans le cadre de l'exécution des marchés.
Après confirmation, par la Commission européenne, de leur compatibilité avec le droit communautaire, la partie française a ensuite donné son accord pour que ces dispositions soient déclinées dans le règlement des contrats qui devait, dès lors, être approuvé par le Parlement pour permettre la transposition, en droit français, du droit antimafia italien. L'élaboration du règlement des contrats, complexe du point de vue juridique, a bénéficié de l'aide du Conseil d'État.
Ce règlement qui fait partie intégrante de l'accord de 2015 et de son protocole additionnel de 2016 a pour objet, aux termes de l'article 1, les contrats conclus par le promoteur public TELT, ainsi que les contrats liants les titulaires des contrats avec les sous-traitants et dans les sous-contrats, qui doivent être acceptés et agréés par le promoteur public TELT . Ces dispositions s'ajoutent à celles applicables aux contrats passés par le promoteur public TELT en application des articles 6 et 10 de l'accord de 2012, qui prévoit l'application du droit français pour les contrats passés par TELT. Il répond aux pratiques administratives en vigueur en France et en Italie, mais s'inspirent très largement du droit antimafia italien L'article 3 renvoie aux normes de référence du droit public italien sur le sujet.
Les services du ministère des affaires étrangères et du développement international 15 ( * ) ont fait valoir que c'était la première fois que de telles mesures de police administrative seraient appliquées en France . L'application des dispositions de ce règlement sera contrôlée par les autorités françaises, dès lors que tout refus d'inscription devra être validé par le préfet français (Cf. infra ).
1. Les motifs d'exclusion « antimafia »
L'article 4 prévoit deux séries de motifs d'exclusion des procédures de passation et d'exécution des contrats passés par le promoteur public, afin de prévenir toute infiltration mafieuse. Ils viennent s'ajouter à ceux déjà prévus par l'ordonnance n°2015-899 du 23 juillet 2015 relative aux marchés publics 16 ( * ) .
La législation italienne en matière de lutte antimafia - norme de référence - est ainsi intégrée dans l'ordre juridique français réglementant les contrats publics de TELT, qui sont, aux termes de l'accord de 2012, essentiellement de droit public français.
La première série repose sur des causes objectives résultant de l'existence de condamnations ou de mesures spécifiques qui sont décrites à l'annexe 1.
La seconde série repose sur des « situations qui suscitent des raisons sérieuses de penser que l'opérateur économique est contrôlé ou influencé, même de fait, par une organisation criminelle de type mafieux ».
Cet article précise également les sujets qui font l'objet de ces vérifications « antimafia » au sens du droit italien. L'annexe 2 mentionne les personnes du droit civil et du droit commercial français correspondant à celles du droit italien.
2. La structure binationale de vérification des motifs d'exclusion
L'article 5 institue une cette structure binationale afin de constater ces motifs d'exclusion « antimafia ».
Elle est composée du préfet de Turin et du préfet désigné par le Gouvernement français. Les décisions sont prises d'un commun accord entre les représentants des deux États. Assistée par des fonctionnaires administratifs et par des fonctionnaires et officiers de police ou de gendarmerie, elle est notamment chargée de coordonner les vérifications antimafia sur les opérateurs économiques, sur information du promoteur public TELT et de déterminer les aires de chantier de la section transfrontalière, pour lesquelles des visites d'inspection doivent être programmées.
Cette structure prévoit également des dispositions spécifiques en matière de comportement, pour assurer la pleine transparence des personnes et moyens circulant à l'intérieur des chantiers. Les visites d'inspection peuvent être réalisées par des équipes mixtes spéciales, composées de fonctionnaires et d'officiers de police des deux États.
L'article 13 fixe les pénalités, contractuellement prédéterminées, applicables par le promoteur public TELT, pour les violations d'obligations en matière de comportements définies par la structure binationale. Le produit de ces pénalités est affecté à la mise en oeuvre des interventions, activités ou services destinés à renforcer la sécurité antimafia des travaux de la section transfrontalière.
Votre rapporteur s'inquiète de voir que le préfet de région ne disposera pas de moyens propres et dédiés, mais fonctionnera en s'appuyant sur les effectifs des services compétents existants. Votre rapporteur estime que les moyens locaux dont le préfet dispose actuellement ne seront pas suffisants. Il a demandé, à ce sujet, des précisions au ministre de l'intérieur par courrier en date du 16 janvier 2017, notamment sur la façon dont les services de l'État (services extérieurs de la main d'oeuvre et du travail, services du Trésor public notamment) aideront ce dernier à remplir cette mission.
3. La liste blanche- ou le registre des prestataires autorisés
Selon l'article 6, la constatation de l'absence de motifs d'exclusion permet l'inscription de l'opérateur économique sur une liste blanche tenue et mise à jour par le promoteur public TELT , ce qui constitue le registre des prestataires.
Cette inscription permet la conclusion, l'approbation ou l'autorisation des contrats, des contrats de sous-traitance et des sous-contrats concourant à la réalisation de la section transfrontalière . Elle tient lieu, pour toute la durée de validité qui est en principe de douze mois , de vérifications antimafia pour les éventuels contrats suivants.
L'article 7 donne la possibilité aux opérateurs économiques intervenants dans certains secteurs plus exposés, dont il dresse la liste, de demander leur inscription, par l'intermédiaire du promoteur public TELT, sur la liste blanche, indépendamment de la participation aux procédures d'appels d'offres.
4. Les vérifications « antimafia » et leurs effets
L'article 8 définit les modalités du déroulement des vérifications antimafia effectuées sur les opérateurs économiques à inscrire sur la liste blanche-registre des prestataires. Elles répondent à une volonté d'exhaustivité, de respect du calendrier et d'efficacité des vérifications.
Ces vérifications sont effectuées par le préfet de l'État membre de la structure binationale ayant la même nationalité que celle de l'opérateur économique à inscrire . Ces vérifications sont effectuées en principe dans un délai de 30 jours. Si la structure nationale garde le silence au-delà de cette date, le promoteur public peut inscrire l'opérateur public sur la liste blanche-registre des prestataires, dans des cas présentant un caractère d'urgence ou pour des contrats dont le montant est inférieur à 50 000 euros.
Une fois la décision de la structure binationale prise, le préfet compétent prend un acte d'application susceptible de recours devant la juridiction nationale compétente, pour la France, le tribunal administratif de Grenoble. Les commissaires du Gouvernement auditionnés 17 ( * ) ont indiqué que le préfet de Turin, qui applique la loi italienne antimafia, avait déjà refusé l'inscription de dix entreprises sur la liste blanche.
L'article 10 précise que, lorsqu'il s'agit d'un opérateur économique d'un État tiers , le préfet compétent est celui du territoire national sur lequel est exécutée la partie physique prédominante de l'intervention ou, à défaut de pouvoir le déterminer, le territoire sur lequel a commencé l'intervention.
L'article 9 précise les effets des vérifications « antimafia » et les obligations d'informations du promoteur public à l'égard des opérateurs économiques. La décision défavorable est susceptible de recours. En outre, « la constatation d'une situation d'exclusion liée aux vérifications antimafia implique la caducité automatique des contrats (...) au moyen d'une résiliation non judiciaire ».
L'article 11 oblige les opérateurs économiques inscrits sur la liste blanche à informer le promoteur public de toute modification de la structure ou de la gouvernance de l'entreprise sous peine de se voir appliquer une sanction administrative pécuniaire d'un montant compris entre 20 000 et 60 000 euros par le préfet qui a mené les vérifications.
L'article 12 prévoit le traçage et le suivi financier des paiements réalisés par les opérateurs économiques intervenant dans le cadre de la réalisation de la section transfrontalière. « Tous les mouvements financiers doivent être enregistrés sur des comptes courants dédiés et doivent être effectués exclusivement par virement SEPA 18 ( * ) ».
5. Les dispositions finales et transitoires
Aux termes de l'article 14, les contrats approuvés avant l'entrée en vigueur du règlement des contrats sont modifiés, dans les meilleurs délais par avenant, pour se conformer aux dispositions de ce règlement.
L'article 15 prévoit la possibilité pour la commission intergouvernementale d'autoriser la modification du règlement des contrats, en cas notamment d'évolution de la règlementation visée par le règlement des contrats, sous réserve des règles constitutionnelles de la France ou de l'Italie.
* 15 Réponses au questionnaire.
* 16 Articles 45 et 48
* 17 Auditions.
* 18 Un virement SEPA est un virement international dans la zone européenne.