B. UNE SÉCURITÉ JURIDIQUE RENFORCÉE POUR LES TRANSPORTEURS AÉRIENS
Les accords examinés n'auront pas d'impact immédiat sur la situation des transporteurs aériens en provenance ou à destination des pays concernés , notamment Air France, qui dessert le Congo, la RDC et, depuis le 25 novembre 2013, Panama.
Ils ne peuvent qu'avoir un impact positif à moyen et long terme, en confortant la situation des transporteurs , notamment grâce à la consolidation de leurs droits : libéralisation de la fixation des tarifs, droit de passer des accords commerciaux (partage de codes)... Les accords renforcent ainsi la sécurité juridique des transporteurs, sans empêcher d'aller plus loin que ce que prévoient les accords dans la mesure où ceux-ci fixent un « plancher » de droits garantis, plutôt qu'un « plafond ».
1. L'accord avec la République du Congo
Les services aériens entre la France et le Congo reposaient sur l'accord relatif aux services aériens du 1 er janvier 1974. Cet accord prévoyait, en son article 14, le « traitement juste et équitable » des entreprises désignées par chacune des deux Parties et leur assurait « des possibilités égales et des droits égaux pour l'exploitation des services agréés ». Il constituait l'unique base pour la détermination des droits de trafic et aucune consultation aéronautique bilatérale n'avait été tenue depuis lors.
L'accord permet de donner aux compagnies aériennes désignées au titre du pavillon français la sécurité juridique nécessaire pour l'exploitation de services aériens réguliers entre la France et le Congo.
Pour chaque pavillon, une enveloppe de 11 fréquences hebdomadaires pour les services passagers a été établie, avec un maximum de sept fréquences par paire de points (ou route) . En effet, comme indiqué dans l'étude d'impact annexée, « les dernières consultations aéronautiques de juillet 2013 ont permis de fixer les droits de trafic bilatéraux à 11 fréquences de vol hebdomadaires entre la France et le Congo, dont un maximum de 7 fréquences hebdomadaires par route. Ces droits n'avaient pas été fixés jusque-là et les services des transporteurs étaient approuvés de façon discrétionnaire par les autorités aéronautiques des deux parties ».
D'après les réponses au questionnaire de votre rapporteur, cette formule donne à Air France les garanties nécessaires pour maintenir sa desserte de Brazzaville avec 4 fréquences hebdomadaires et lui a déjà permis d'augmenter ses services vers Pointe-Noire à raison d'un vol quotidien .
Le marché France-Congo est relativement modeste (170 000 passagers par an) et largement dominé par Air France, qui transporte plus de 80 % de la totalité des passagers.
La France, premier partenaire économique du Congo, souhaite profiter du dynamisme actuel et de l'augmentation du trafic entre les deux pays. La croissance du trafic est importante : + 14 % en 2013 (par rapport à 2012) puis + 12 % en 2014. L'augmentation du trafic reflète notamment le schéma d'opération d'Air France, passé à un vol quotidien vers Pointe Noire à la saison d'hiver 2014. En effet, si le trafic de la ligne Paris - Brazzaville est resté sensiblement le même au cours de ces dernières années, la desserte de Pointe Noire, capitale économique en raison de ses activités pétrolières et portuaires, correspond à une demande soutenue de la clientèle affaires, dans un contexte de forte concurrence avec les autres compagnies européennes ou étrangères.
La compagnie ECair (Equatorial Congo Airline), désignée par les autorités congolaises, assure une liaison avec la France depuis le Congo, en affrétant la compagnie suisse Privatair, dans la mesure où ECair fait l'objet d'une interdiction dans l'Union européenne, en vertu du règlement n° 368/2014 de la Commission (« liste noire »).
France-Congo : Transporteurs visés par la clause de multidésignation La compagnie congolaise ECair (Equatorial Congo Airlines), créée en 2012, qui connaît aujourd'hui des difficultés financières, assure vers Paris des services pouvant aller jusqu'à 4 fréquences hebdomadaires depuis Brazzaville et 3 vols par semaine depuis Pointe-Noire. Dans les deux cas, Ecair affrète la compagnie suisse Privatair . En effet, l'ensemble des compagnies congolaises fait l'objet d'une interdiction d'exploitation générale dans l'Union européenne, conformément au règlement n°368/2014 de la Commission (dit « liste noire »). ECair ne peut donc pas opérer de services entre le Congo et la France par ses propres moyens. Les modalités qui permettent à ECair d'affréter une compagnie autorisée pour effectuer des services aériens sont prévues à l'annexe A du règlement d'exécution (UE) 2016/963 de la Commission du 16 juin 2016 modifiant le règlement (CE) n°474/2006 en ce qui concerne la liste des transporteurs aériens qui font l'objet d'une interdiction d'exploitation dans l'Union. Dans ce règlement il est prévu que : « Les transporteurs aériens figurant à l'annexe A pourraient être autorisés à exercer des droits de trafic en affrétant un appareil avec équipage appartenant à un transporteur aérien qui ne fait pas l'objet d'une interdiction d'exploitation, à condition que les normes de sécurité applicables soient respectées » . |
Privatair met donc ses moyens (appareil et équipage) à la disposition d'ECair pour assurer les vols entre Paris et Brazzaville. La compagnie suisse est tenue d'appliquer la réglementation européenne depuis la signature de l'Accord entre la Communauté européenne et la Confédération suisse sur le transport aérien, signé le 21 juin 1999, qui prévoit notamment la reprise et la mise en oeuvre de l'acquis européen par les autorités suisses, en particulier en matière de sécurité des appareils exploités par les compagnies suisses. À noter enfin que les autorités congolaises ont insisté sur la possibilité de désigner, le moment venu, la compagnie régionale multinationale Air Cemac (Communauté Économique et Monétaire de l'Afrique Centrale). Cette possibilité a donc été insérée dans la clause de désignation de l'accord aérien (art. 3, alinéa 3), conformément aux articles 77 et 79 de la Convention de Chicago. Cette disposition ne crée aucune obligation pour la France d'accepter Air Cemac mais offre le droit de demander des consultations spécifiques pour traiter de cette désignation, le cas échéant. Le projet Air Cemac, qui date de 2001, visait à relier depuis Brazzaville les capitales de six États d'Afrique centrale, ainsi que d'autres destinations africaines et européennes, dont Paris et Bruxelles. Le projet de compagnie aérienne Air Cemac a toutefois été abandonné lors de 12 ème session ordinaire des chefs d'État de la CEMAC, le 6 mai 2015 à Libreville. Les compagnies qui souhaitaient investir dans ce projet, dont Air France-KLM, y avaient en effet renoncé, faute de garanties suffisantes tant au niveau financier qu'en matière de projet d'exploitation de services aériens. |
Par ailleurs, en application de la note b) de l'Annexe de l'Accord (Tableau des routes), les délégations des deux autorités aéronautiques sont convenues que les entreprises de transport aérien de chaque Partie contractante sont autorisées à exercer des droits de trafic, dans la limite de leurs services agréés respectifs, passagers et/ou cargo, entre les points suivants :
- sur les routes pouvant être exploitées par les entreprises de transport aérien désignées de la République française, entre Rome, Tunis, Tripoli, Kano et/ou Lagos, d'une part, et Brazzaville et/ou Pointe Noire, d'autre part ;
- sur les routes pouvant être exploitées par les entreprises de transport aérien désignées de la République du Congo, entre Kano, Lagos, Rome, un point en Suisse, d'une part, et Marseille ou Nice et/ou Paris, d'autre part.
2. L'accord avec la République démocratique du Congo (RDC)
Cet accord permet, lui aussi, d'adapter le cadre bilatéral, devenu obsolète, à la réalité du transport aérien d'aujourd'hui et de le mettre en conformité avec le droit communautaire et international. Les services aériens entre la France et la RDC reposaient en effet jusqu'alors sur un accord relatif au transport aérien du 10 janvier 1964.
L'accord permet de desservir Paris et un autre point en France pour les transporteurs aériens congolais, Kinshasa et Lubumbashi en RDC pour les transporteurs aériens français.
La compagnie Air France détient à l'heure actuelle le monopole du marché, avec cinq fréquences hebdomadaires vers Kinshasa. Reprise en 2002 après une interruption de six ans due à la guerre civile, la desserte France-RDC par Air France a connu cinq années de forte croissance de 2003 à 2009 (+ 130 %). Le marché s'est légèrement contracté en 2010, pour se stabiliser autour de 60 000 passagers/an. La desserte de Lubumbashi est particulièrement attractive en raison de la présence forte d'industries extractives, impliquant de forts revenus potentiels en raison d'une classe « affaires » développée.
L'enveloppe des services aériens autorisés a été établie de manière graduée , sous réserve des « exigences du trafic », selon une demande de la partie congolaise : 4 fréquences hebdomadaires au minimum sont disponibles pour les deux pavillons, qui peuvent exploiter une cinquième fréquence hebdomadaire depuis 2014 et jusqu'à un vol quotidien depuis 2015. Ces dispositions ont permis à Air France d'envisager librement une progression de sa desserte de Kinshasa.
Si la possibilité de desservir Lubumbashi a été préservée, les autorités congolaises s'opposent, à ce stade, à l'ouverture de l'aéroport à des services internationaux intercontinentaux. La RDC n'a concédé le service vers Lubumbashi au pavillon français que sous la forme de partage de codes 6 ( * ) (d'après le point c) de l'annexe « tableau des routes » à l'accord). En vertu de cette disposition, Air France (transporteur contractuel) pose son code sur un vol opéré par Kenya Airways, via Nairobi (transporteur effectif).
A ce stade, la RDC n'a désigné aucune compagnie pour exploiter des services aériens, toutes ses compagnies figurant sur la « liste noire », au titre du règlement de la Commission européenne précité.
3. L'accord avec le Panama
À la différence des deux premiers, l'accord avec le Panama met en place un cadre juridique nouveau, à la demande de la Partie panaméenne, pour améliorer la connectivité entre ce pays et l'Europe, et, en particulier, pour sécuriser le développement de services avec la France . La signature de cet accord est intervenue dans un contexte d'intenses échanges à haut niveau entre les gouvernements, avec la visite au Panama du ministre des Affaires étrangères en février 2013, la visite en France du Président de la République du Panama les 30 mai et 1 er juin 2013 puis celle du ministre panaméen des relations extérieures en juillet 2013.
Les relations entre la France et le Panama se sont toutefois dégradées en 2016, à la suite du scandale des « Panama papers », lorsque la France a ajouté le Panama à sa liste des États et territoires non coopératifs (ETNC) 7 ( * ) , instituée à l'article 238-0 A du code général des impôts, conçue pour exercer une pression sur les États dont la coopération fiscale avec la France est insatisfaisante. En réponse, le Parlement panaméen a élaboré et approuvé la loi 370, non encore promulguée, qui tend à permettre des mesures de rétorsions économiques vis-à-vis des entreprises françaises exerçant une activité économique au Panama. Cependant, les transports aérien et maritime ont été retirés de la liste des secteurs pouvant faire l'objet de restrictions sectorielles. Les transporteurs pourraient toutefois être impactés par des mesures fiscales. Les autorités françaises devront donc être attentives à la bonne application des dispositions du présent accord, s'agissant notamment des articles relatifs aux droits de douane et taxe (article 10), aux activités commerciales (article 11) et aux transferts des excédents de recette (article 13).
L'accord répond aux projets des compagnies françaises et présente la spécificité de correspondre aux attentes formulées par les territoires ultramarins français . Les autorités panaméennes ont reconnu que les points de départ ou à destination de la France, dans l'annexe « tableau des routes », recouvrent aussi bien des points de départ ou à destination de la France métropolitaine que les territoires ultramarins.
Cette disposition répond à une demande de la Nouvelle-Calédonie et de la Polynésie française, qui souhaitent pouvoir disposer d'une alternative à la desserte de leur territoire via l'Asie. En vertu des compétences propres de ces territoires en matière de desserte internationale 8 ( * ) , il leur appartiendra de déterminer, avec le Panama, les modalités encadrant le développement des droits de trafic, en regard des projets éventuels de leurs compagnies (respectivement Aircalin et Air Tahiti Nui).
Accords dans le domaine aérien entre la France et les États d'Amérique latine Outre le présent accord avec le Panama, la France a conclu des accords aériens avec plusieurs autres États d'Amérique latine : Argentine, Brésil, Chili, Colombie, Équateur, Guatemala, Mexique, Pérou, Venezuela. Un accord a été négocié et paraphé avec l'Uruguay en 2013. Des négociations sont prévues avec le Costa Rica et le Paraguay. Le cadre bilatéral existant entre la France et le Brésil devrait toutefois s'effacer au profit d'un cadre européen, les États membres de l'UE ayant donné mandat à la Commission pour négocier un accord global de transport aérien avec ce pays (voir précédemment), aux termes duquel les transporteurs aériens européens et brésiliens devraient pouvoir proposer librement des services entre tout aéroport européen et tout aéroport brésilien. |
L'expansion économique du Panama est portée par des projets de grande envergure, comme l'extension du canal de Panama et la construction du métro de Panama City, mais aussi par le développement touristique. Plus de 80 compagnies multinationales ont basé leur siège au Panama, pour leurs activités vers la région Amérique Centrale, du Sud et Caraïbes. Le nombre de passagers entre la France et le Panama est actuellement estimé à environ 100 000 par an.
Les négociations entre les autorités aéronautiques des deux États ont permis, en février 2013, de déterminer une enveloppe de sept fréquences hebdomadaires par pavillon . Cette enveloppe permet de répondre aux projets des compagnies françaises à moyen et long terme, y compris pour les transporteurs opérant éventuellement depuis les territoires ultramarins.
La compagnie panaméenne COPA ne dessert pas la France à l'heure actuelle. Les autorités panaméennes n'ont pas désigné leur compagnie nationale au titre de l'accord, dans la mesure où elles n'envisagent pas d'opérations vers la France à court ou moyen terme, la flotte de cette compagnie étant adaptée à un rayon d'action régional.
Air France a inauguré la ligne Paris-Panama le 25 novembre 2013 . Air France propose 5 vols directs hebdomadaires depuis Paris-Charles de Gaulle à destination de Panama City, ainsi qu'une sixième fréquence pendant la saison hivernale. Air France propose en outre des possibilités de correspondances vers le Panama, en posant son code sur des vols opérés par KLM via Amsterdam, ou par Delta Airlines via Atlanta.
La liaison directe d'Air France a fait du Panama un hub vers l'Amérique centrale . Les échanges sont facilités par un accord d'exemption de visas avec l'espace Schengen. Tandis qu'un accord d'échanges d'informations aéroportuaires est en cours de négociation entre le Mexique et la Commission européenne 9 ( * ) , la question d'un tel accord pourrait également être soulevée par le Panama. Les États-Unis militent notamment pour la signature de ce type d'accord entre l'UE et les pays du continent américain.
* 6 Vol en partage de codes (ou code sharing) : Vol opéré par un transporteur aérien (transporteur effectif) avec lequel le transporteur auprès duquel le passager a passé un contrat (transporteur contractuel) a passé un accord commercial, lui permettant d'associer à ce vol son propre code de désignation.
* 7 Arrêté du 8 avril 2016, prenant effet au 1 er janvier 2016.
* 8 Il s'agit des seuls territoires ultramarins français disposant d'une compétence propre en matière de droits de trafic internationaux, en vertu de la loi organique modifiée n° 99-209 du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie et de la loi organique n°2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française.
* 9 L'UE a déjà signé des accords visant à permettre aux transporteurs de l'UE de transférer des données PNR (Passenger name record) aux États-Unis, à l'Australie et au Canada. En juin 2015, le Conseil a adopté une décision autorisant l'ouverture de négociations en vue de la conclusion d'un accord de ce type avec le Mexique.