EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Votre commission est de nouveau saisie de l'examen de la proposition de loi n° 461 (2015-2016) de MM. Alain Tourret et Georges Fenech portant réforme de la prescription en matière pénale , adoptée par l'Assemblée nationale le 10 mars 2016, qui avait fait l'objet, à son initiative, d'une motion de renvoi en commission adoptée par le Sénat le 2 juin 2016 1 ( * ) .

Au cours de sa réunion du mercredi 25 mai 2016, votre commission avait en effet considéré que le calendrier parlementaire proposé pour l'examen de cette proposition de loi ne permettait pas de mener une réflexion approfondie et nécessaire sur les évolutions proposées des règles de la prescription en matière pénale, à plus forte raison en l'absence d'étude d'impact évaluant la charge supplémentaire qui pèserait sur les juridictions.

Si comme l'avait notamment souligné, en 2007, le rapport de la mission d'information de votre commission sur le régime des prescriptions civiles et pénales 2 ( * ) , une mise en cohérence des règles de la prescription est souhaitable, votre commission s'est néanmoins interrogée sur les solutions retenues par l'Assemblée nationale. Elle a estimé nécessaire de définir plus précisément les actes interruptifs de la prescription, mais également le champ concerné par les infractions « occultes » ou « dissimulées », justifiant un report du point de départ de la prescription, ou encore celui des obstacles de droit et de fait justifiant une suspension de la prescription. Une réflexion particulière consacrée à la prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs lui est apparue également souhaitable.

Fort de ce mandat confié par votre commission, votre rapporteur a mené des auditions complémentaires et approfondi l'analyse de la doctrine et du droit comparé, grâce notamment à la commande d'une étude de législation comparée sur les actes interruptifs de la prescription 3 ( * ) .

Sur sa proposition et dans une démarche constructive à l'égard des travaux de l'Assemblée nationale, votre commission a élaboré un texte d'équilibre tenant compte de la double nécessité d'améliorer la répression des infractions tout en préservant les principes fondateurs de la prescription.

I. LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : PERMETTRE UNE PLUS LARGE RÉPRESSION DES INFRACTIONS

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale tend, d'une part, à procéder à une clarification ou à une légalisation de certaines règles existantes en matière de prescription , d'autre part, à répondre aux « nouvelles attentes » de la société qui considèrerait la prescription comme une loi de l'impunité .

A. DONNER UN FONDEMENT LÉGAL AUX INNOVATIONS JURISPRUDENTIELLES

La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale tend à donner un fondement légal à des solutions jurisprudentielles trouvées par la Cour de cassation, parfois contra legem, afin de faciliter la répression de certaines infractions, notamment financières.

Elle fixe le point de départ du délai de prescription des infractions occultes par nature ou dissimulées, non pas au jour de leur commission, mais au jour où le délit est apparu dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Cette innovation jurisprudentielle a été développée dès 1935 par la Cour de cassation pour l'abus de confiance 4 ( * ) , puis étendue à d'autres infractions 5 ( * ) .

Le texte adopté par l'Assemblée nationale qualifie explicitement les actes d'enquête d'actes interruptifs de la prescription, comme l'avait déjà fait la jurisprudence de la Cour de cassation 6 ( * ) .

Il consacre également le principe jurisprudentiel, dégagé dès 1975 7 ( * ) , selon lequel un acte interruptif de prescription concernant une infraction a le même effet à l'égard des autres infractions connexes à celle-ci.

Traduisant l'adage civiliste « contra non valentem agere non currit praescriptio », selon lequel la prescription ne peut courir contre celui qui ne peut valablement agir, il inscrit dans la loi la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation admettant la suspension de la prescription en cas d'obstacles de droit à l'exercice de l'action publique 8 ( * ) , ainsi que l'innovation jurisprudentielle dégagée très récemment 9 ( * ) et très critiquée par la doctrine, permettant la suspension de la prescription en cas d'obstacle de fait insurmontable rendant les poursuites impossibles, même lorsque le délai de prescription n'a pas commencé à courir.


* 1 Le compte rendu de cette séance est disponible à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/seances/s201606/s20160602/s20160602012.html#section2903

* 2 Rapport d'information n° 338 (2006-2007) de MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung fait au nom de la mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent ». Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2006/r06-338-notice.html

* 3 Étude de législation comparée réalisée par la Direction de l'initiative parlementaire et des délégations du Sénat, n° 270, 30 juin 2016, « Les actes interruptifs de la prescription ». Cette étude est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2015/lc270-notice.html

* 4 Cour de cassation, chambre criminelle, 4 janvier 1935.

* 5 Elle s'applique notamment au détournement de fonds publics (Chambre criminelle, 2 décembre 2009, n° 09-81.967), à l'altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité (Chambre criminelle, 17 décembre 2002, n° 01-87.178), ou encore à l'atteinte à l'intimité de la vie privée (Chambre criminelle, 4 mars 1997, Bulletin criminel n° 83).

* 6 La Cour de cassation a pu reconnaître un effet interruptif aux procès-verbaux de gendarmerie ou de police constatant une infraction (Chambre criminelle, 24 février 1966, Bulletin criminel n° 73), aux réquisitions aux fins d'inscrire un profil ADN au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) (Chambre criminelle, 12 décembre 2012, n° 12-85.274) ou encore à la consultation du fichier national des permis de conduire (Chambre criminelle, 28 octobre 2014, n° 13-86.413).

* 7 Chambre criminelle, 16 décembre 1975, Bulletin criminel n° 283.

* 8 Le délai de prescription est ainsi suspendu pendant la durée de l'instance en cassation, en cas de pourvoi (Chambre criminelle, 5 mars 1979, Bulletin criminel n° 94), la durée d'un mandat parlementaire en cas de demande de levée d'immunité (Chambre criminelle, 3 février 1955).

* 9 Dans un arrêt de l'assemblée plénière du 7 novembre 2014 (n° 14-83.739) concernant un octuple infanticide par la mère, la Cour de cassation a considéré que les circonstances de la grossesse constituaient un obstacle insurmontable motivant une suspension ab initio de la prescription, avant même que le délai ne court, en contradiction avec la décision de la chambre criminelle.

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