Rapport n° 8 (2016-2017) de M. François-Noël BUFFET , fait au nom de la commission des lois, déposé le 5 octobre 2016
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LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOIS
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EXPOSÉ GÉNÉRAL
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EXAMEN DES ARTICLES
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Article 1er (art. 7, 8, 9, art. 9-1 A, 9-1 et 9-3
[nouveaux], art. 15-3 du code de procédure pénale)
Prescription de l'action publique
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Article 2 (art. 133-2, 133-3, 133-4
et 133-4-1 [nouveau] du code pénal) Prescription des peines
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Article 3 (art. 213-5, 215-4, 221-18 et 462-10
[abrogés] et 434-25 du code pénal art. 85, 706-25-1 et
706-175 [abrogés] et 706-31 du code de procédure pénale
art. L. 211-12, L. 212-37, L. 212-38 et L. 212-39 du code de la
justice militaire art. 351 du code des douanes) Coordinations
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Article 4 (supprimé) Dispositions
transitoires
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Article 5 (nouveau) (art. 711-1 du code
pénal et art. 804 du code de procédure pénale)
Application outre-mer
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Article 1er (art. 7, 8, 9, art. 9-1 A, 9-1 et 9-3
[nouveaux], art. 15-3 du code de procédure pénale)
Prescription de l'action publique
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EXAMEN EN COMMISSION
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LISTE DES PERSONNES ENTENDUES LORS DES AUDITIONS
COMPLÉMENTAIRES
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ANNEXE : LES INFRACTIONS MENTIONNÉES
À L'ARTICLE 706-47 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
N° 8
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2016-2017
Enregistré à la Présidence du Sénat le 5 octobre 2016 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) sur la proposition de loi , ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE , portant réforme de la prescription en matière pénale ,
Par M. François-Noël BUFFET,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : M. Philippe Bas , président ; Mme Catherine Troendlé, MM. Jean-Pierre Sueur, François Pillet, Alain Richard, François-Noël Buffet, Alain Anziani, Yves Détraigne, Mme Éliane Assassi, M. Pierre-Yves Collombat, Mme Esther Benbassa , vice-présidents ; MM. André Reichardt, Michel Delebarre, Christophe-André Frassa, Thani Mohamed Soilihi , secrétaires ; MM. Christophe Béchu, Jacques Bigot, François Bonhomme, Luc Carvounas, Gérard Collomb, Mme Cécile Cukierman, M. Mathieu Darnaud, Mme Jacky Deromedi, M. Félix Desplan, Mme Catherine Di Folco, MM. Christian Favier, Pierre Frogier, Mme Jacqueline Gourault, M. François Grosdidier, Mme Sophie Joissains, MM. Philippe Kaltenbach, Jean-Yves Leconte, Roger Madec, Alain Marc, Didier Marie, Patrick Masclet, Jean Louis Masson, Mme Marie Mercier, MM. Michel Mercier, Jacques Mézard, Hugues Portelli, Bernard Saugey, Simon Sutour, Mmes Catherine Tasca, Lana Tetuanui, MM. René Vandierendonck, Alain Vasselle, Jean-Pierre Vial, François Zocchetto . |
Voir les numéros :
Assemblée nationale ( 14 ème législ.) : |
2931 , 3540 et T.A. 690 |
|
Sénat : |
461 , 636 , 637 (2015-2016) et 9 (2016-2017) |
LES CONCLUSIONS DE LA COMMISSION DES LOISRéunie le mercredi 5 octobre 2016, sous la présidence de M. Philippe Bas, président , la commission des lois a examiné le rapport de M. François-Noël Buffet et établi son texte sur la proposition de loi n° 461 (2015-2016), adoptée par l'Assemblée nationale, portant réforme de la prescription en matière pénale . À la suite de l'adoption d'une motion de renvoi en commission le 2 juin 2016, le rapporteur a poursuivi ses travaux, dans une démarche constructive, afin de préciser les contours de cette réforme et d'écarter tout risque d'imprescriptibilité de fait. Sur sa proposition, la commission a adopté 11 amendements. Elle a approuvé le doublement des délais de droit commun de la prescription de l'action publique en matière délictuelle et criminelle, respectivement portés de trois à six ans et de dix à vingt ans, l'augmentation de cinq à six ans du délai de prescription des peines en matière délictuelle, et l'inscription dans la loi des règles de computation des délais de prescription dégagées par la jurisprudence. Elle s'est en revanche opposée à l'imprescriptibilité des crimes de guerre et un allongement dérogatoire supplémentaire du délai de prescription de l'action publique des crimes sexuels commis sur les mineurs, dont le point de départ est reporté à la majorité de la victime. La commission a approuvé l'inscription dans la loi du report du point de départ des délais de prescription de l'action publique pour les infractions occultes par nature, tout en l'assortissant, à l'initiative de son rapporteur, d'un délai butoir . En outre, après examen de l'étude de législation comparée consacrée aux actes interruptifs de la prescription de l'action publique , elle en a retenu une définition plus précise. Enfin, la commission a précisé le champ des obstacles de droit ou de fait insurmontable, qui ont un effet suspensif sur la prescription. La commission des lois a adopté la proposition de loi portant réforme de la prescription en matière pénale ainsi modifiée. |
EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
Votre commission est de nouveau saisie de l'examen de la proposition de loi n° 461 (2015-2016) de MM. Alain Tourret et Georges Fenech portant réforme de la prescription en matière pénale , adoptée par l'Assemblée nationale le 10 mars 2016, qui avait fait l'objet, à son initiative, d'une motion de renvoi en commission adoptée par le Sénat le 2 juin 2016 1 ( * ) .
Au cours de sa réunion du mercredi 25 mai 2016, votre commission avait en effet considéré que le calendrier parlementaire proposé pour l'examen de cette proposition de loi ne permettait pas de mener une réflexion approfondie et nécessaire sur les évolutions proposées des règles de la prescription en matière pénale, à plus forte raison en l'absence d'étude d'impact évaluant la charge supplémentaire qui pèserait sur les juridictions.
Si comme l'avait notamment souligné, en 2007, le rapport de la mission d'information de votre commission sur le régime des prescriptions civiles et pénales 2 ( * ) , une mise en cohérence des règles de la prescription est souhaitable, votre commission s'est néanmoins interrogée sur les solutions retenues par l'Assemblée nationale. Elle a estimé nécessaire de définir plus précisément les actes interruptifs de la prescription, mais également le champ concerné par les infractions « occultes » ou « dissimulées », justifiant un report du point de départ de la prescription, ou encore celui des obstacles de droit et de fait justifiant une suspension de la prescription. Une réflexion particulière consacrée à la prescription des crimes sexuels commis sur les mineurs lui est apparue également souhaitable.
Fort de ce mandat confié par votre commission, votre rapporteur a mené des auditions complémentaires et approfondi l'analyse de la doctrine et du droit comparé, grâce notamment à la commande d'une étude de législation comparée sur les actes interruptifs de la prescription 3 ( * ) .
Sur sa proposition et dans une démarche constructive à l'égard des travaux de l'Assemblée nationale, votre commission a élaboré un texte d'équilibre tenant compte de la double nécessité d'améliorer la répression des infractions tout en préservant les principes fondateurs de la prescription.
I. LA PROPOSITION DE LOI ADOPTÉE PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE : PERMETTRE UNE PLUS LARGE RÉPRESSION DES INFRACTIONS
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale tend, d'une part, à procéder à une clarification ou à une légalisation de certaines règles existantes en matière de prescription , d'autre part, à répondre aux « nouvelles attentes » de la société qui considèrerait la prescription comme une loi de l'impunité .
A. DONNER UN FONDEMENT LÉGAL AUX INNOVATIONS JURISPRUDENTIELLES
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale tend à donner un fondement légal à des solutions jurisprudentielles trouvées par la Cour de cassation, parfois contra legem, afin de faciliter la répression de certaines infractions, notamment financières.
Elle fixe le point de départ du délai de prescription des infractions occultes par nature ou dissimulées, non pas au jour de leur commission, mais au jour où le délit est apparu dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique. Cette innovation jurisprudentielle a été développée dès 1935 par la Cour de cassation pour l'abus de confiance 4 ( * ) , puis étendue à d'autres infractions 5 ( * ) .
Le texte adopté par l'Assemblée nationale qualifie explicitement les actes d'enquête d'actes interruptifs de la prescription, comme l'avait déjà fait la jurisprudence de la Cour de cassation 6 ( * ) .
Il consacre également le principe jurisprudentiel, dégagé dès 1975 7 ( * ) , selon lequel un acte interruptif de prescription concernant une infraction a le même effet à l'égard des autres infractions connexes à celle-ci.
Traduisant l'adage civiliste « contra non valentem agere non currit praescriptio », selon lequel la prescription ne peut courir contre celui qui ne peut valablement agir, il inscrit dans la loi la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation admettant la suspension de la prescription en cas d'obstacles de droit à l'exercice de l'action publique 8 ( * ) , ainsi que l'innovation jurisprudentielle dégagée très récemment 9 ( * ) et très critiquée par la doctrine, permettant la suspension de la prescription en cas d'obstacle de fait insurmontable rendant les poursuites impossibles, même lorsque le délai de prescription n'a pas commencé à courir.
B. UNE PROPOSITION DE LOI QUI VISE À RÉPONDRE « AUX NOUVELLES ATTENTES DE LA SOCIÉTÉ »
Selon le rapport d'information de MM. Alain Tourret et Georges Fenech, intitulé « La réforme de la prescription pénale : moderniser le droit, renforcer la sécurité juridique » 10 ( * ) , le droit à l'oubli, le pardon légal seraient de moins en moins acceptés par la société. Les fondements même de la prescription seraient remis en cause par « la systématisation de la réponse pénale », « la sensibilité de la société à certains crimes et délits compte tenu de la primauté donnée à l'individu et à la protection de son intégrité », notamment en raison des effets de la médiatisation et, enfin, par la nécessité d'un « devoir de mémoire envers les victimes 11 ( * ) ».
Ce constat devrait conduire, selon les auteurs, à un allongement des délais de prescription, facilité par les progrès réalisés dans le recueil, l'exploitation et la conservation des preuves.
En conséquence, la proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale prévoit :
- un doublement des délais de prescription de droit commun de l'action publique pour les délits et les crimes , qui passeraient respectivement de dix à vingt ans et de trois à six ans ;
- un allongement du délai de prescription de la peine pour les délits, porté de cinq à six ans ;
- et l'imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l'humanité.
Cette primauté donnée à l'intérêt de la victime a également conduit l'Assemblée nationale à qualifier d'acte interruptif de la prescription de l'action publique la plainte simple d'une victime transmise au procureur de la République.
II. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION : REDONNER DE LA LISIBILITÉ ET DE LA PRÉVISIBILITÉ AUX RÈGLES DE LA PRESCRIPTION SANS ENGENDRER UNE IMPRESCRIPTIBILITÉ DE FAIT
Le texte élaboré par votre commission prévoit un allongement des délais de prescription en matière pénale et un encadrement des règles relatives à leur computation afin d'éviter de créer de nouvelles imprescriptibilités, de droit ou de fait.
A. ACCEPTER L'ALLONGEMENT DES DÉLAIS DE DROIT COMMUN DE LA PRESCRIPTION MAIS REFUSER LA CRÉATION D'UNE NOUVELLE IMPRESCRIPTIBILITÉ DE DROIT
Sans remettre en cause le constat dressé par l'Assemblée nationale sur les attentes de la société, votre commission des lois tient néanmoins à rappeler la pertinence de la prescription .
Liant droit à l'oubli et efficacité de la réponse pénale, notre collègue M. François Pillet considérait ainsi, lors du premier examen de la proposition de loi 12 ( * ) , que « c'est porter deux fois atteinte à l'ordre public que de revenir sur une infraction au bout d'un certain temps ». Nos collègues Mme Cécile Cukierman, MM. Yves Détraigne et François Zocchetto rappelaient également l'ambivalence d'une argumentation fondée sur les techniques scientifiques : si l'évolution technologique permet d'obtenir des « preuves » de longues années après les faits, elle peut aussi justifier le raccourcissement des délais nécessaires pour rechercher l'auteur d'une infraction et établir sa culpabilité.
Observant que « le vrai fondement de la prescription, c'est la reconnaissance de la faillibilité de la justice », notre collègue M. Alain Richard soulignait que « plus on creuse l'écart entre le moment où les faits sont accomplis et celui où ils sont jugés, plus il y a de risques que la justice se trompe . »
La prescription se déduit en effet du droit à un procès équitable . Dans un arrêt du 22 octobre 1996 13 ( * ) , la Cour européenne des droits de l'homme soulignait ainsi les finalités des délais de prescription : « garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actes, mettre les défendeurs potentiels à l'abri de plaintes tardives peut-être difficiles à contrer et empêcher l'injustice qui pourrait se produire si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur des évènements survenus loin dans le passé à partir d'éléments de preuve auxquels on ne pourrait plus ajouter foi et qui seraient incomplets en raison du temps écoulé ».
La prescription, sanction de la « négligence » des autorités de poursuite, traduit également le droit à être jugé dans un délai raisonnable . Ainsi la prescription incite à l'action et à la mise en état des procédures. Si certains pays, à l'instar du Royaume-Uni, postulent un principe général d'imprescriptibilité, les juges peuvent néanmoins mettre un terme à des procédures, sur le fondement de l'abus de procédure (« abuse of process »), lorsque de longs délais ne permettent plus de garantir un procès équitable 14 ( * ) .
Pour autant, le rapport d'information précité de notre ancien collègue M. Jean-Jacques Hyest, et de nos collègues MM. Hugues Portelli et Richard Yung relevait que les délais de prescription « apparaissent aujourd'hui excessivement courts » 15 ( * ) , notamment au regard de ceux retenus par nos voisins au sein de l'Union européenne, et proposait de fixer le délai de droit commun de la prescription de l'action publique à cinq ans en matière délictuelle et quinze ans en matière criminelle.
Votre commission a estimé raisonnable et compatible avec ces fondements de doubler les délais de droit commun de prescription de l'action publique en matière délictuelle et criminelle, tout en étant attentive à éviter tout risque d'imprescriptibilité de fait.
Elle ne sous-estime pas les effets indirects de cette réforme, qui risque de décevoir, en premier lieu, les attentes des victimes. Une affaire, même criminelle, dénoncée trop tardivement ne serait plus prescrite mais risquerait d'aboutir à un non-lieu, pour défaut d'éléments à charge suffisants.
De plus, l'allongement des délais de prescription est susceptible de redonner toute son importance au principe de l'opportunité des poursuites du ministère public. L'accroissement du nombre des affaires en cours pourrait inciter le ministère public à définir plus précisément les priorités de l'action publique, puisqu'il serait illusoire d'espérer, en particulier au regard des moyens des juridictions, la poursuite effective de l'ensemble des infractions.
Votre commission a également approuvé l'allongement, de cinq à six ans, du délai de prescription des peines prononcées pour un délit .
En revanche, à l'instar de la mission d'information de 2007 qui recommandait de « conserver le caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité en droit français, réservée aux crimes contre l'humanité » 16 ( * ) , elle a supprimé les dispositions prévoyant l'imprescriptibilité des crimes de guerre connexes aux crimes contre l'humanité.
B. ENCADRER LES RÈGLES DE COMPUTATION DES DÉLAIS DE PRESCRIPTION POUR ÉVITER TOUTE IMPRESCRIPTIBILITÉ DE FAIT
Afin d'éviter toute imprescriptibilité de fait qui porterait atteinte au principe de proportionnalité 17 ( * ) , votre commission a jugé nécessaire de préciser le champ des infractions concernées par un report du point de départ du délai de prescription , la détermination des actes interruptifs et la définition des causes de suspension de l'action publique, afin de renforcer la légalité mais également la sécurité juridique des règles de la prescription pénale.
À partir de l'analyse de la jurisprudence et de l'étude de législation comparée réalisée à la demande de votre rapporteur et notre collègue M. François Pillet 18 ( * ) , votre commission a retenu une définition plus précise de la liste des actes interruptifs de la prescription de l'action publique .
Elle a approuvé le report du point de départ des délais de prescription de l'action publique pour les infractions occultes par nature , également qualifiées d'« astucieuses », mais elle n'a pas conservé la notion d'infractions dissimulées .
En effet, si l'infraction occulte est bien définie, il n'apparaît pas possible, sans anéantir le principe d'une prescription, d'accepter un report du point de départ de la prescription de l'action publique pour les infractions « dissimulées » : la définition proposée par l'Assemblée nationale, qui vise l'accomplissement d'une « manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte », est trop large et peut s'appliquer à l'ensemble des infractions puisque nombre de leurs auteurs tentent de les dissimuler aux autorités. Dans son avis du 1 er octobre 2015 sur la proposition de loi, le Conseil d'État relevait ainsi qu'une telle qualification était susceptible de s'appliquer à toutes les infractions .
En outre, comme le recommandait le rapport d'information de notre ancien collègue M. Jean-Jacques Hyest et de nos collègues MM. Hugues Portelli et Richard Yung, et pour éviter toute imprescriptibilité de fait, votre commission a fixé un butoir à l'action publique, en cas de report du délai de prescription des infractions occultes : ce délai serait reporté au jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique dans la limite de dix ans, en matière délictuelle, et de vingt ans, en matière criminelle, à compter de la commission de l'infraction.
Enfin, votre commission a précisé le champ des obstacles de droit ou de fait insurmontable, qui ont un effet suspensif sur la prescription.
La commission des lois a adopté la proposition de loi ainsi modifiée .
EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er (art. 7, 8, 9, art. 9-1 A, 9-1 et 9-3 [nouveaux], art. 15-3 du code de procédure pénale) Prescription de l'action publique
L'article premier vise à allonger les délais de prescription de droit commun de l'action publique en matière criminelle et délictuelle (1), à rendre imprescriptibles les crimes de guerre connexes aux crimes contre l'humanité (2), à inscrire dans la loi les innovations jurisprudentielles relatives au report du point de départ de la prescription (3), aux actes interruptifs (4) et à la suspension (5) de la prescription.
À cet effet, il tend à la réécriture du sous-titre I er du titre préliminaire du code de procédure pénale, relatif à l'action publique.
1. L'allongement des délais de prescription de droit commun de l'action publique en matière criminelle et délictuelle
Le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoit le doublement des délais de droit commun de prescription de l'action publique en matière criminelle et délictuelle afin d'améliorer la répression des infractions. Actuellement de dix et de trois ans, ces délais seraient désormais fixés à vingt et six ans. La proposition de loi maintient les délais de prescription dérogatoires, notamment ceux qui s'appliquent aux infractions commises sur les mineurs 19 ( * ) .
En pratique, il est très rare qu'une affaire signalée aux forces de police se prescrive indépendamment de la volonté du ministère public, du seul fait de l'application stricte de délais de prescription excessivement courts. L'allongement des délais de prescription répond en réalité à l'hypothèse où les faits sont signalés tardivement aux autorités, plusieurs années après leur commission. Ce doublement permettrait donc d'accorder plus de temps aux victimes pour porter plainte .
Cette réforme ne doit cependant pas donner de faux espoirs aux victimes. Si les progrès réalisés dans le recueil, l'exploitation et la conservation des preuves scientifiques peuvent justifier un allongement des délais de prescription, le dépérissement des preuves, notamment l'affaiblissement avec le temps des témoignages, reste une réalité . De plus, les preuves scientifiques doivent avoir été recueillies et conservées immédiatement après les faits, ce qui ne serait pas le cas lors d'un dépôt de plainte tardif. C'est pourquoi votre rapporteur recommande de faciliter le dépôt de plainte , notamment dans les affaires où la victime est sous emprise, et de sensibiliser les intervenants à l'écoute des victimes.
Cet allongement significatif des délais de prescription de droit commun aurait un impact certain sur l'organisation des juridictions. S'il n'existe pas de statistiques permettant d'identifier le nombre de classements sans suite en raison de la prescription, les données transmises par la Chancellerie laissent à penser que 20 % à 50 % des affaires classées en 2015 correspondent à des cas de prescription 20 ( * ) . Dès lors, entre 10 000 et 25 000 affaires, par l'effet de cette réforme, seraient susceptibles de ne plus être prescrites. La charge de travail induite impliquerait des créations de poste dans une échelle de 29 à 72 ETP supplémentaires de magistrats, et de 39 à 98 équivalents temps plein (ETP) de fonctionnaires 21 ( * ) , soit un coût supplémentaire compris entre 3,7 millions d'euros et 9,3 millions d'euros.
En l'absence d'augmentation significative des effectifs , cette réforme engendrerait une forte charge de travail pour les juridictions qui seraient obligées de prioriser leur contentieux, au risque de susciter des désillusions quant aux effets attendus de cette réforme.
Votre rapporteur relève néanmoins que l'allongement proposé des délais de prescription serait toutefois de nature à les rapprocher des délais prévus dans les autres pays de l'Union européenne , en particulier pour les délits.
De plus, les multiples solutions trouvées contra legem par la Cour de cassation pour permettre de réprimer des infractions sont autant de manifestations de l'utilité d'un allongement des délais de prescription.
Votre commission a ainsi souscrit à l'allongement des délais de prescription de l'action publique en matière criminelle et délictuelle .
L'Assemblée nationale a conservé deux délais réduits pour le délit de discrédit à l'encontre d'une décision de justice, défini à l'article 434-25 du code pénal (3 mois), et le délit d'apologie du terrorisme (3 ans) à raison, pour le premier, de l'application particulière des lois de la presse écrite ou audiovisuelle et, pour le second, de sa qualité d'infraction « commise par voie de presse » même s'il ne figure plus dans la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse depuis la loi n° 2014-1353 du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme.
Votre commission a supprimé ces dérogations par l'adoption d'un amendement COM-9 de son rapporteur supprimant ces dispositions de l'article 8 du code de procédure pénale.
Le délit de discrédit d'une décision de justice ayant été inséré dans le code pénal, et non dans la loi du 29 juillet 1881, il paraît légitime de le soumettre au régime de prescription de droit commun.
De même, la dérogation prévue pour le délit d'apologie du terrorisme apparaît contestable au regard de la gravité des comportements réprimés.
Par l'adoption d'un amendement COM-8 de votre rapporteur , votre commission a, par ailleurs, supprimé les mentions introduites par l'Assemblée nationale aux articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale selon lesquelles les délais de prescription de droit commun s'appliquent « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement ». Une telle mention est en effet inutile conformément à l'adage lex specialis derogat legi generali , selon lequel les dispositions spéciales qui dérogent aux dispositions générales, prévalent.
2. La question de l'imprescriptibilité des crimes de guerre
La proposition de loi adoptée par l'Assemblée nationale vise également à inscrire dans la loi l'imprescriptibilité de l'action publique pour les seuls crimes de guerre connexes à un crime contre l'humanité, alors que sa version initiale proposait l'imprescriptibilité pour l'ensemble des crimes de guerre.
Votre commission a supprimé cette disposition, par l'adoption de l' amendement COM-7 de son rapporteur.
En premier lieu, l'objectif recherché est d'ores et déjà satisfait par la jurisprudence, que la proposition de loi tend à inscrire dans la loi, relative à l'application des effets des actes interruptifs de prescription à l'ensemble des infractions connexes. Ainsi, les crimes de guerre connexes à des crimes contre l'humanité sont de facto imprescriptibles.
En outre, il ne paraît pas souhaitable de déroger au caractère exceptionnel de l'imprescriptibilité, reconnu aux seuls crimes contre l'humanité. Votre commission partage les réserves formulées par le Gouvernement 22 ( * ) . Elle estime que l'imprescriptibilité des crimes de guerre n'est juridiquement imposée ni par le statut de la Cour pénale internationale, ni par aucun engagement international de la France.
Tableau comparatif des principaux délais de prescription 23 ( * )
Infraction |
Délai de prescription actuel |
Délai de prescription (Assemblée nationale) |
Délai de prescription (Commission des lois du Sénat) |
Les infractions criminelles |
|||
Crimes |
10 ans |
20 ans |
20 ans |
Crimes commis sur les mineurs |
20 ans |
20 ans |
20 ans |
Crimes d'eugénisme, de clonage reproductif, de disparition forcée, de trafic de stupéfiants, de nature terroriste, relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive |
30 ans |
30 ans |
30 ans |
Crimes de guerre |
30 ans |
30 ans ou imprescriptibles |
30 ans |
Les infractions délictuelles |
|||
Délits |
3 ans |
6 ans |
6 ans |
Délits commis sur les mineurs |
10 ans (20 ans pour certains délits tels les agressions sexuelles) |
10 ans (20 ans pour certains délits tels les agressions sexuelles) |
10 ans (20 ans pour certains délits tels les agressions sexuelles) |
Délits de trafic de stupéfiants, de nature terroriste, relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive |
20 ans |
20 ans |
20 ans |
Délits de guerre |
20 ans |
20 ans |
20 ans |
Les infractions contraventionnelles |
|||
Contraventions |
1 an |
1 an |
1 an |
Source : commission des lois du Sénat
3. Les reports du point de départ du délai de prescription de l'action publique
Si, en principe, le point de départ du délai de prescription de l'action publique est fixé au jour de la commission de l'infraction, tant la jurisprudence que le législateur l'ont parfois fixé à une date postérieure.
• Le maintien du report du point de départ à la majorité des mineurs victimes de certaines infractions
Au regard des difficultés, voire de l'impossibilité que rencontre mineur victime de dénoncer les faits commis sur sa personne, le délai de prescription de l'action publique de certaines infractions commises sur les mineurs ne commence à courir qu'à compter de la majorité des mineurs victimes . Des crimes qui se prescrivent par dix ou vingt ans permettent ainsi l'engagement de l'action publique jusqu'à l'âge de 28 ou 38 ans pour les victimes.
Votre commission, à l'instar de l'Assemblée nationale, juge pertinent de conserver ce report du point de départ pour les infractions commises sur les mineurs jusqu'à leur majorité.
• L'amélioration de l'accessibilité et de la lisibilité des reports propres à certaines infractions spécifiques
Le présent article de la proposition de loi rassemble également dans les articles 7 et 8 du code de procédure pénale certaines dispositions existantes relatives au report du point de départ du délai de prescription.
Il déplace ainsi de l'article 215-4 du code pénal à l'article 7 du code de procédure pénale la disposition selon laquelle le crime de clonage reproductif, et lorsqu'il conduit à la naissance d'un enfant, le délai de prescription ne commence à courir qu'à la majorité de l'enfant.
De même, il mentionne à l'article 8 du code de procédure pénale les conditions dans lesquelles se prescrit l'organisation frauduleuse de l'insolvabilité. S'il apparaît légitime de « rapatrier » au sein du code de procédure pénale des dispositions de procédure présentes dans le code pénal, il semble peu pertinent d'effectuer un unique renvoi au code pénal qui, en l'espèce, n'apporte pas de clarté supplémentaire puisque l'Assemblée nationale n'a pas souhaité effectué les renvois vers d'autres dispositions contenues dans d'autres codes , à l'instar des infractions mentionnées à l'article L. 114 du code électoral pour lesquelles le point de départ du délai de prescription est le jour de la proclamation du résultat de l'élection, du délit d'usure pour lequel l'article 313-5 du code de la consommation prévoit que la prescription court « à compter du jour de la dernière perception, soit d'intérêt, soit de capital » ou encore, par exemple, des crimes et délits d'insoumission ou de désertion pour lesquels le délai ne commence à courir « qu'à partir du jour où l'insoumis ou le déserteur a atteint l'âge le dispensant de satisfaire à toute obligation militaire » 24 ( * ) .
Dans un souci de clarté, votre commission a adopté un amendement COM-10 de son rapporteur supprimant ce renvoi isolé au code pénal.
• La consécration législative du report du point de départ pour les infractions dissimulées ou occultes
Le présent article propose d'inscrire dans la loi les solutions jurisprudentielles dégagées par la Cour de cassation , en contradiction flagrante avec l'article 7 du code de procédure pénale, pour les infractions occultes.
Dès 1935, la Cour de cassation a esquissé sa jurisprudence relative aux infractions dissimulées par des manoeuvres caractérisées en retenant, pour l'abus de confiance, que « la dissimulation des agissements marquant le moment de la violation du contrat servant de base à la poursuite retarde le point de départ de la prescription jusqu' au jour où le détournement est apparu et a pu être constaté » 25 ( * ) .
Désormais, elle rattache le report du point de départ de l'abus de confiance à sa jurisprudence sur les infractions occultes par nature, ou « clandestines ».
Pour ces infractions, le point de départ du délai de prescription de l'action publique est reporté « au jour où l'infraction est apparue ou a pu être objectivement constatée dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique » . Ne s'assimilant pas à la discrétion de l'auteur, la clandestinité doit être un élément constitutif de l'infraction elle-même.
Cette exigence s'applique aux délits d'atteinte à l'intimité de la vie privée, de mise en mémoire de données informatives sans le consentement de l'intéressé 26 ( * ) , de tromperie 27 ( * ) ou encore de dissimulation d'enfant 28 ( * ) .
Reprenant la jurisprudence de la Cour de cassation, le texte adopté par l'Assemblée nationale tend à insérer un nouvel article 9-1 A dans le code de procédure pénale pour :
- prévoir que « le délai de prescription de l'infraction occulte ou dissimulée court à compter du jour où l'infraction est apparue et a pu être constatée dans des conditions permettant la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique » ;
- définir l'infraction occulte comme une « infraction qui, en raison de ses éléments constitutifs, ne peut être connue ni de la victime ni de l'autorité judiciaire » ;
- et définir l'infraction dissimulée comme une « infraction dont l'auteur accomplit délibérément toute manoeuvre caractérisée tendant à en empêcher la découverte ».
Conformément à la recommandation n° 5 du rapport « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent » de notre ancien collègue M. Jean-Jacques Hyest et de nos collègues MM. Hugues Portelli et Richard Yung 29 ( * ) , votre commission est favorable à la consécration législative de la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la définition et au report du point de départ du délai de prescription de l'action publique des infractions occultes .
Elle permet en effet d'étendre cette solution jurisprudentielle à l'ensemble des infractions occultes et de mettre fin à l'insécurité juridique née des débats doctrinaux sur cette question. Il s'agit par exemple du délit de simulation et dissimulation ayant entraîné une atteinte à l'état civil (article 227-13 du code pénal).
Votre commission est en revanche plus réservée à l'égard de l'inscription dans la loi des infractions dissimulées dont la définition donnée par l'Assemblée nationale lui semble trop vaste.
Dans son avis du 1 er octobre 2015 sur la proposition de loi, le Conseil d'État a relevé ainsi qu'une telle qualification était susceptible de s'appliquer à toutes les infractions . Ce point de vue est partagé par une partie au moins de la doctrine, selon laquelle « la vaste définition de l'infraction dissimulée risque de permettre à la Chambre criminelle de l'appliquer à de nombreuses infractions, voire à toute infraction » 30 ( * ) .
En conséquence et au nom du principe de sécurité juridique, votre commission a adopté un amendement COM-10 de son rapporteur de suppression de la mention des infractions dissimulées .
Comme le souligne une partie au moins de la doctrine 31 ( * ) , en fixant le point de départ de la prescription au jour de la révélation des faits, le texte adopté par l'Assemblée nationale « donne la possibilité au ministère public de poursuivre en théorie indéfiniment, contre le principe même de prescription, et témoigne d'un pas vers l'imprescriptibilité ».
Aussi, suivant la recommandation n° 6 du rapport « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent » de notre ancien collègue M. Jean-Jacques Hyest et de nos collègues MM. Hugues Portelli et Richard Yung, qui soulignait lui aussi la nécessité « de ne pas rendre imprescriptibles de facto certaines infractions », votre commission a-t-elle adopté un amendement COM-10 de son rapporteur tendant à fixer un délai butoir pour l'exercice de l'action publique, en cas de report du point de départ des délais de prescription des infractions occultes : l'action publique ne pourrait être engagée plus de dix ans, en matière délictuelle, et trente ans, en matière criminelle, à compter de la commission de l'infraction. Le délai butoir serait interrompu et suspendu dans les mêmes conditions que le délai de prescription.
Enfin, par le même
amendement COM-10 et
dans un souci de clarté de la loi, votre commission a
rassemblé au sein d'un même article
- l'article 9-1 A
du code de procédure pénale - l'ensemble des
dérogations au principe selon lequel le point de départ du
délai de prescription est fixé au jour de la commission des
faits.
Ainsi, au sein, figurerait le report du point de
départ pour les infractions commises sur les mineurs, l'infraction de
clonage reproductif et les infractions.
• Le report du point de départ pour les infractions commises à l'encontre des personnes vulnérables
La présente proposition de loi tend à supprimer une disposition, qui figure actuellement au dernier alinéa de l'article 8 du code de procédure pénale, relative aux infractions commises à l'encontre des personnes vulnérables. Introduite par la loi n° 2011-267 du 14 mars 2011 d'orientation et de programmation pour la performance de la sécurité intérieure (LOPPSI), cette disposition prévoit que le point de départ de certaines infractions (tel le vol aggravé ou l'escroquerie aggravée) commises sur une personne vulnérable « du fait de son âge, d'une maladie, d'une infirmité, d'une déficience physique ou psychique ou de son état de grossesse » est reporté au jour où l'infraction « apparaît à la victime dans des conditions permettant l'exercice de l'action publique ».
Cette disposition est très critiquée, à juste titre, car elle introduit une grande insécurité juridique en permettant à la victime de déterminer elle-même le moment d'agir. Votre commission a donc approuvé sa suppression par l'Assemblée nationale, en rappelant que restent inchangées les dispositions du code pénal qui protègent particulièrement les personnes vulnérables, par une aggravation de la répression des infractions commises à leur encontre.
4. Les actes interruptifs de la prescription
La prescription sanctionnant l'inaction des parties poursuivantes, leurs actes ont dès lors pour effet d'interrompre son cours. Plus précisément, les actes interruptifs ont pour effet « l'anéantissement rétroactif du délai ayant déjà couru par l'effet d'un évènement de la procédure marquant le point de départ d'un nouveau délai » 32 ( * ) .
En vertu des articles 7, 8 et 9 du code de procédure pénale, la prescription est interrompue par tout acte d'instruction ou de poursuite vis-à-vis de tous les auteurs, coauteurs et complices de l'infraction, connus ou inconnus. En raison du laconisme du code de procédure pénale qui n'énumère pas ces actes interruptifs, la Cour de cassation a développé une interprétation jurisprudentielle extensive de ces derniers, au-delà de la lettre du code de procédure pénale, selon laquelle un acte n'est interruptif que s'il manifeste une volonté d'exercice de l'action publique et de répression des infractions.
Les actes interruptifs de la prescription
Interrompt le cours de la prescription de l'action publique « tout acte du procureur de la République tendant à la recherche et à la poursuite des infractions de la loi pénale » 33 ( * ) , qu'il s'agisse : - des actes tendant à la mise en mouvement de l'action publique : citation devant une juridiction de jugement, réquisitoire introductif, mandement de citation transmis à un huissier ou d'un procureur général à un procureur de la République en vue de la saisine d'un huissier ; - des réquisitions - ainsi que des actes accomplis aux fins d'exécution des réquisitions ; - des instructions aux fins d'enquête adressées à un procureur de la République, à un officier de police judiciaire, à une administration ou encore d'une convocation envoyée à une personne en vue de l'entendre. Sont également des actes interruptifs : - les actes tendant à la mise en mouvement de l'action publique par la partie civile, à l'instar d'une citation directe, d'un dépôt de plainte avec constitution de partie civile, ou encore d'une constitution de partie civile par voie d'intervention ; - les actes accomplis par les juridictions d'instruction tendant à établir la réalité d'une infraction ou à rechercher les causes de la mort, ainsi que toutes les ordonnances rendues par un juge d'instruction ; - les actes émanant des officiers et agents de police judiciaire ou agents spécialement habilités de l'administration, tels les procès-verbaux d'une plainte, d'une audition, relatant des recherches ou constatant une dénonciation d'infraction, ou encore la diffusion d'une fiche de recherches de renseignements ; - l'ensemble des jugements et arrêts des juridictions de jugement ainsi que l'exercice des voies de recours. |
Le présent article tend à insérer un nouvel article 9-1 du code de procédure pénale afin, tout d'abord :
- de donner une base légale aux solutions jurisprudentielles reconnaissant un effet interruptif de la prescription de l'action publique aux actes d'enquête , ainsi qu'aux actes d'instruction ou de poursuite émanant de la personne exerçant l'action civile ;
- de prévoir , contrairement aux solutions retenues jusqu'à présent par la jurisprudence, que les plaintes simples ont elles aussi un effet interruptif ;
- de préciser que les actes d'enquête, d'instruction ou de poursuite doivent « effectivement » concourir à la constatation des infractions ou à la recherche, à la poursuite ou au jugement de leurs auteurs.
Votre rapporteur juge contestable de conférer un effet interruptif de la prescription de l'action publique à l'ensemble des plaintes : un simple courrier d'un plaignant ne saurait produire les mêmes effets juridiques qu'une plainte consignée par un officier de police judiciaire ou, par exemple, une plainte avec constitution de partie civile. Cette extension, que la jurisprudence a toujours refusé de consacrer, n'apparaît pas souhaitable et serait source de manoeuvres abusives puisqu'aucun droit ne limite le dépôt de plaintes, ce qui engendrerait de facto des infractions imprescriptibles.
Sensible aux situations où l'exercice des poursuites échappe à la partie civile, votre rapporteur a souhaité préciser à l'article 15-3 du code de procédure pénale, que le récépissé remis à la partie plaignante en cas de dépôt de plainte comporte deux mentions : les délais de prescription de l'action publique et la possibilité d'interrompre ce délai par le dépôt d'une plainte avec constitution de partie civile.
Sur sa proposition, votre commission a adopté à cet effet un amendement COM-11 , qui tend de surcroît à définir plus précisément les actes d'enquête, d'instruction et de poursuite tendant effectivement à la recherche des auteurs d'une infraction, à leur poursuite et à leur jugement.
Ainsi tout acte, émanant du ministère public ou de la partie civile, tendant à la mise en mouvement de l'action publique, et à la saisine d'une juridiction serait interruptif de la prescription. De même si tout acte d'enquête régulier serait interruptif de prescription lorsqu'il émane du ministère public, seuls les procès-verbaux établis par les officiers de police judiciaire ou tout agent habilité et exerçant en application d'une attribution de pouvoirs de police judiciaire, tendant effectivement à la recherche et à la poursuite des auteurs d'une infraction revêtirait cette qualification. Enfin, l'ensemble des actes d'instruction réalisés par un juge d'instruction, une chambre de l'instruction ou des magistrats et officiers de police judiciaire par eux délégués, des jugement et des arrêts, même non définitifs, auraient cet effet.
Le texte proposé par l'Assemblée nationale pour l'article 9-1 du code de procédure pénale tend également :
- à consacrer dans la loi la jurisprudence de la Cour de cassation qui a étendu l'effet des actes interruptifs aux infractions connexes 34 ( * ) ou indivisibles des infractions initialement visées. Par exemple, un acte interruptif de la prescription concernant une infraction A produit le même effet pour l'infraction B, en dépit d'exercices différenciés de l'action publique ;
- à prévoir que les actes interruptifs s'appliquent mêmes aux auteurs ou complices non visés par un acte de poursuite ou d'instruction.
Actuellement, tout acte interruptif efface le délai de prescription écoulé et fait courir un nouveau délai identique au délai initial.
La rédaction initiale de la proposition de loi prévoyait que tout acte interruptif ferait courir un nouveau délai de prescription d'une durée égale à la moitié du délai initial, soit trois ans en matière délictuelle et dix ans en matière criminelle. Selon M. Jean-Claude Marin, procureur général près la Cour de cassation, un tel dispositif serait de nature à inciter l'autorité judiciaire à agir avec célérité, étant observé que la stricte procédure de la loi du 29 juillet 1881 n'engendre pourtant qu'un nombre très limité d'affaires prescrites, et surtout à garantir le droit de chacun à être jugé dans un délai raisonnable.
Néanmoins, dans son avis n° 390335 du 1 er octobre 2015, le Conseil d'État a considéré qu'il pourrait « remettre en cause la cohérence de l'objectif poursuivi par les auteurs de la proposition de loi » et « avoir des effets qui dépasseraient ceux recherchés par les auteurs de la proposition de loi ».
En conséquence, la commission des lois de l'Assemblée nationale a supprimé ces dispositions jugées trop complexes.
Le texte adopté par l'Assemblée nationale dispose donc qu'un acte interruptif de la prescription de l'action publique fait courir un délai de prescription d'une durée égale au délai initial.
5. La consécration légale d'une cause générale de suspension de la prescription
La suspension a pour effet d'arrêter temporairement le cours du délai de prescription, qui reprend dès lors que disparaît l'obstacle qui s'y opposait.
Le texte proposé par l'Assemblée nationale pour insérer un nouvel article 9-3 dans le code de procédure pénale tend à consacrer un principe général de suspension du délai de prescription de l'action publique , inspiré par la jurisprudence de la Cour de cassation.
Il existe d'ores et déjà des causes de suspension légales : lorsque l'action publique a été déclarée éteinte par un faux (article 6 du code de procédure pénale), le temps de la mise en oeuvre d'une mesure alternative aux poursuites (article 41-1 du même code) ou encore le temps de l'examen de la recevabilité de la plainte avec constitution de partie civile (article 85 du dudit code).
De plus, inspirée par un adage civiliste « Contra non valentem agere non currit praescriptio », selon lequel la prescription ne peut courir contre celui qui ne peut valablement agir 35 ( * ) , la jurisprudence de la chambre criminelle de la Cour de cassation a admis la suspension de la prescription face à des obstacles de droit , tels le pourvoi en cassation en matière d'infractions de presse 36 ( * ) ou encore l'immunité statutaire d'un parlementaire ou du président de la République 37 ( * ) , ou des obstacles de fait telle l'invasion du territoire par l'ennemi 38 ( * ) .
Plus récemment, dans un arrêt du 7 novembre 2014 de son assemblée plénière 39 ( * ) , la Cour de cassation a considéré que la prescription de l'action publique était suspendue en cas d'obstacle insurmontable rendant les poursuites impossibles : alors que la chambre criminelle avait constaté la prescription de faits d'infanticides, l'assemblée plénière a considéré que les circonstances de la grossesse constituaient un obstacle insurmontable motivant une suspension ab initio de la prescription, puisque le délai n'avait jamais commencé à courir.
La présente proposition de loi reprend les apports de la jurisprudence en prévoyant une suspension de la prescription de l'action publique « lorsqu'un obstacle de droit ou un obstacle de fait insurmontable rend impossible la mise en mouvement ou l'exercice de l'action publique ».
Les obstacles de droit reposent sur un principe général dégagé par la jurisprudence : « la prescription est de droit suspendue à l'égard des parties poursuivantes dès lors que celles-ci ont manifesté expressément leur volonté d'agir et qu'elles se sont heurtées à un obstacle résultant de la loi elle-même 40 ( * ) ». Il s'agit notamment de la mise en oeuvre d'une mesure de médiation pénale (article 41-1 du code de procédure pénale) ou, pour reprendre un exemple déjà cité, de l'immunité pénale du président de la République qui suspend la prescription jusqu'à l'expiration de son mandat (article 67 de la Constitution).
L'identification des obstacles de fait peut soulever davantage de difficultés. La doctrine a ainsi pu relever que la « consécration légale des causes factuelles de suspension fait naître un risque important découlant du caractère subjectif de celles-ci » 41 ( * ) .
Aussi, dans un souci de sécurité juridique, votre commission a-t-elle adopté un amendement COM-12 de son rapporteur tendant à préciser, selon les solutions retenues par la Cour de cassation, que les obstacles de droit doivent être prévus par la loi 42 ( * ) et que les obstacles de fait doivent être non seulement insurmontables mais également assimilables à un cas de force majeure 43 ( * ) .
Votre commission a adopté l'article 1 er ainsi modifié.
Article 2 (art. 133-2, 133-3, 133-4 et 133-4-1 [nouveau] du code pénal) Prescription des peines
Le présent article vise à modifier les dispositions du code pénal relatives à la prescription des peines.
Actuellement, selon l'article 133-2 et sous réserve de l'article 213-5 relatif à l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité, les peines prononcées pour un crime se prescrivent par vingt années révolues à compter de la date à laquelle la décision de condamnation est devenue définitive.
Le présent article maintient dans le droit commun ce délai de vingt ans , ainsi que les délais dérogatoires de trente ans pour les crimes d'eugénisme, de clonage reproductif, de disparition forcée, les crimes de guerre, de trafic de stupéfiants, de terrorisme, relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive, tout en les rassemblant au sein du même article du code pénal. Votre commission a approuvé cet effort de lisibilité .
Par coordination avec la position de votre commission sur l'absence de pertinence de prévoir l'imprescriptibilité de certains crimes de guerre, votre commission a adopté l' amendement COM-14 afin de supprimer les dispositions rendant imprescriptible l'exécution des peines des condamnations pour les crimes de guerre connexes à des crimes contre l'humanité.
Par cohérence avec l'allongement de la prescription de l'action publique des délits, l'Assemblée nationale a également porté de 5 ans à 6 ans le délai de prescription des peines pour les délits , tout en rassemblant au sein du même article les délais dérogatoires inchangés pour les délits terroristes, de trafic de stupéfiants, relatifs à la prolifération d'armes de destruction massive lorsqu'ils sont punis de dix ans d'emprisonnement, qui se prescrivent par vingt ans.
En séance publique, l'Assemblée nationale a adopté un amendement de son rapporteur M. Alain Tourret qui opère un renvoi du code pénal à l'article 707-1 du code de procédure pénale lequel définit les conditions d'interruption de la prescription des peines . Votre commission est favorable à cette disposition qui crée un nouvel article 133-4-1 dans le code pénal et qui favorise la lisibilité du droit.
Afin d'affirmer le fait que les articles 133-2, 133-3 et 133-4 du code pénal posaient des règles de droit commun auxquelles la loi pouvait toutefois déroger, l'Assemblée nationale a voté l'ajout des mots « sauf dans les cas où la loi en dispose autrement » à ces articles. Si la volonté de l'Assemblée nationale était d'affirmer la primauté de cette règle par rapport aux dérogations, il aurait été toutefois plus pertinent de préciser en tête de l'ensemble des cas où la loi en dispose autrement que cette prescription s'établissait « par dérogation à l'article 133-2 ». Votre commission a jugé inutile cette disposition et a en conséquence supprimé ces ajouts aux articles 133-3 et 133-4 tout en rétablissant la dérogation explicite prévue actuellement à l'article 133-2 pour les crimes contre l'humanité, par l'adoption de l' amendement COM-13 .
Votre commission a adopté l'article 2 ainsi modifié.
Article 3 (art. 213-5, 215-4, 221-18 et 462-10 [abrogés] et 434-25 du code pénal art. 85, 706-25-1 et 706-175 [abrogés] et 706-31 du code de procédure pénale art. L. 211-12, L. 212-37, L. 212-38 et L. 212-39 du code de la justice militaire art. 351 du code des douanes) Coordinations
Le présent article assure les coordinations rendues nécessaires par le regroupement de dispositions diverses relatives à la prescription de l'action publique et des peines, en abrogeant ou en supprimant les dispositions désormais redondantes du code pénal et du code de procédure pénale.
Il vise également à modifier le code de la justice militaire afin de prévoir que l'action publique des crimes, délits et contraventions de ce code se prescrive selon les règles prévues par le code de procédure pénale.
Votre commission a adopté un amendement COM-15 de son rapporteur tendant à maintenir à trois ans le délai de prescription des contraventions douanières.
En effet, l'article 351 du code des douanes prévoit un délai de prescription unique pour les contraventions et délits douaniers, déterminé par référence au délai applicable pour les délits du droit commun.
Le doublement des délais de prescription aurait automatiquement pour conséquence l'allongement à six ans des délais de prescription des contraventions douanières, ce qui apparaît disproportionné.
Votre commission a adopté l'article 3 ainsi modifié .
Article 4 (supprimé) Dispositions transitoires
Le présent article, introduit par la commission des lois de l'Assemblée nationale à l'initiative de son rapporteur M. Alain Tourret, vise à reporter l'application du principe d'imprescriptibilité de l'action publique et des peines pour les crimes de guerre connexes à un ou plusieurs crimes contre l'humanité, prévu par les articles 1 er et 2 de la présente proposition de loi, aux faits commis postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi.
Par coordination avec la suppression de l'imprescriptibilité des crimes de guerre, votre commission a adopté un amendement COM-16 visant à supprimer cet article.
Votre commission a supprimé l'article 4.
Article 5 (nouveau) (art. 711-1 du code pénal et art. 804 du code de procédure pénale) Application outre-mer
Le présent article, qui résulte de l'adoption par votre commission d'un amendement COM-17 , vise à permettre l'application outre-mer des dispositions sur la proposition de loi.
Sur le plan formel, il met à jour le « compteur » de l'article 711-1 du code pénal et celui de l'article 804 du code de procédure pénale.
Votre commission a adopté l'article 5 ainsi rédigé .
EXAMEN EN COMMISSION
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MERCREDI 5 OCTOBRE 2016
EXAMEN DU RAPPORT
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Votée le 10 mars dernier par l'Assemblée nationale, la proposition de loi de nos collègues Alain Tourret et Georges Fenech avait fait l'objet d'un renvoi en commission le 2 juin car le délai imparti nous avait semblé trop court. Il nous manquait des éléments chiffrés, ceux que l'on peut trouver dans une étude d'impact ; des points méritaient réflexion, en particulier le délit de prescription des crimes commis sur les mineurs.
Depuis, nous avons pu mener des auditions complémentaires de magistrats et de médecins légistes, dont Caroline Rey-Salmon, chef de l'unité médico-judiciaire de l'Hôtel-Dieu.
Nous pouvons partager l'objectif du texte, renforcer la cohérence des délais de prescription des crimes et délits, à condition que cela ne conduise pas à une imprescriptibilité de fait. Une infraction doit, en effet, être prescrite à un moment donné, ne serait-ce qu'au nom de ce que l'on appelle communément le droit à l'oubli.
L'Assemblée nationale a souhaité porter de trois à six ans le délai de droit commun de prescription de l'action publique des délits, et de dix à vingt ans celui des crimes - ceux des contraventions de cinquième classe resteraient inchangés, nous avons abandonné l'idée de les modifier. Le doublement des délais se justifie d'abord, avancent les auteurs de la proposition de loi, par le fait que la prescription d'un crime après dix ans n'est plus acceptable socialement. Et de renvoyer à des affaires qui ont défrayé la chronique dans lesquelles les magistrats ont dû, pour contourner la prescription, recourir à des « arguties juridiques », un terme que je place entre guillemets.
M. Philippe Bas, président . - Toujours !
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Ensuite, l'évolution des sciences et des techniques, qui permet des révélations tardives.
MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung, dans leur rapport au nom de la commission des lois de 2007, préconisaient d'allonger les délais pour les mettre en cohérence avec ceux des autres pays européens. Une étude de droit comparé, dont nous avons bénéficié avant l'été, a confirmé qu'ils étaient beaucoup plus longs ailleurs. Je vous propose donc d'accepter leur doublement.
L'Assemblée nationale a transcrit dans le code de procédure pénale la liste jurisprudentielle des actes interruptifs de prescription. Il ne me semble pas opportun d'y ajouter la plainte pénale simple au commissariat risquerait d'aboutir à une imprescriptibilité de fait et de constituer un outil de pression à la main de personnes malveillantes. Le dépôt de plainte avec constitution de partie civile oblige la justice à instruire, c'est un filtre bienvenu.
Les auteurs de la proposition de loi souhaitaient rendre imprescriptibles les crimes de guerre. Face à l'opposition du Gouvernement et, singulièrement celle du ministère de la défense, un compromis a été trouvé à l'Assemblée nationale : l'imprescriptibilité a été limitée aux seuls crimes de guerre connexes à un crime contre l'humanité. Mieux vaut toutefois supprimer cette disposition : en pratique, si un crime de guerre s'inscrit dans la logique d'un crime contre l'humanité, il en devient un et, de ce fait, devient imprescriptible.
Les infractions occultes ont été parfaitement définies ; on ne peut pas en dire autant des infractions dissimulées, notion qui pourrait bien recouvrir toutes les infractions ! La jurisprudence de la Cour de cassation est constante : le délai court à partir de la connaissance de l'infraction. Cela ne pose aucune difficulté de la retranscrire. Dans leur rapport, Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung avaient introduit l'idée d'un délai butoir pour éviter une imprescriptibilité de fait ; je vous propose de la reprendre. Ainsi, pour une infraction commise en 2000 connue en 2008, l'action publique devrait être engagée avant 2010.
Sur la prescription des crimes commis sur des mineurs, nous sommes tous d'accord pour qu'elle courre à partir de la majorité. Mais les avis divergent ensuite : certaines associations, suivies par certains collègues, estiment que ces crimes devraient être imprescriptibles ; d'autres veulent porter le délai de vingt à trente ans, donc jusqu'à l'âge de 48 ans ; d'autres encore, enfin, veulent en rester à vingt ans.
Les magistrats que nous avons auditionnés l'ont souligné, le délai actuel de prescription fait obstacle au jugement d'un très petit nombre d'affaires. Ce n'est pas une raison pour ne pas l'allonger mais il faut le savoir. Lorsque les plaintes pénales sont déposées en fin de délai, preuves et témoignages sont difficiles à obtenir. Résultat, un non-lieu, voire une relaxe ou un acquittement. Le « gain », si vous me permettez ce mot, est quasi inexistant pour la victime, qui peut éprouver un sentiment de frustration. Dans ce cas, le procès, expliquent les médecins légistes, est loin de constituer un accompagnement psychologique pour les victimes ; au contraire, il représente un élément supplémentaire de complexité. Après réflexion, je suggère de maintenir un délai de prescription de vingt ans.
Si nous ne disposons pas d'une étude d'impact, nous avons fini par obtenir des chiffres de la Chancellerie : l'allongement des délais nécessiterait une augmentation de 29 à 72 équivalents temps plein (ETP) de magistrats et de 39 à 98 ETP de fonctionnaires, soit un coût supplémentaire de 3,7 à 9,3 millions d'euros.
M. François Pillet . - Le renvoi en commission n'était pas une manoeuvre dilatoire. Nous avons obtenu une étude de droit comparé et des chiffres de la Chancellerie - ce qui est important au moment où les effectifs manquent pour mettre en place la collégialité de l'instruction.
Je partage sur le fond les observations du rapporteur. Il faut éviter les interruptions de délai qui produiraient une imprescriptibilité de fait. Les délais butoirs sont une excellente disposition. Concernant les crimes commis sur mineurs, à vouloir faire mieux, on risque de faire moins bien : la victime serait encore plus accablée face au non-lieu, à la relaxe ou à l'acquittement ; un accusé innocent, même relaxé ou acquitté, aurait eu à subir un procès public qui n'est pas sans conséquences. Choisissons plutôt la solution du rapporteur, les autres sont illusoires.
M. Jacques Mézard . - Je me suis réjoui du renvoi en commission de ce texte qui posait beaucoup de problèmes. Malgré le travail positif du rapporteur, ma position n'a pas changé : l'allongement systématique de la prescription est une mauvaise réponse à une bonne question. Si la justice n'est pas capable de résoudre une affaire en dix ans, alors que les méthodes de recherche des preuves sont plus efficaces qu'autrefois, elle ne le sera guère davantage en vingt ans. Dans ma pratique professionnelle, j'ai vu le résultat lorsque les dossiers arrivent à l'audience quinze ans après les faits... Ce texte, pour répondre à une attente médiatique, s'engage dans une voie contraire à notre tradition juridique. Les objections que nous avons soulevées en première lecture montrent la capacité du Sénat à ne pas céder à de fausses bonnes idées.
M. Pierre-Yves Collombat . - Notre société est de plus en plus répressive. À l'heure où l'on entend bâtir la justice du XXI e siècle, je me demande si nous ne revenons pas plutôt à celle du XVI e ! Ce texte est là pour dissimiler la misère des moyens de la justice. C'est dans les premiers temps que les affaires sont résolues. On parle d'acceptabilité sociale... Il n'est pas certain qu'un referendum sur la peine de mort ne reviendrait pas sur son abolition. Il paraît que le populisme, c'est très mal et très vilain mais qu'est-ce que cette proposition de loi, sinon du populisme ?
L'argument technique est un peu fallacieux : il faudrait allonger les délais parce que nos techniques sont plus efficaces... Cela n'a pas de sens, de même que la proposition de l'Assemblée nationale sur les crimes de guerre. Pourquoi réformer la prescription alors que tant d'autres sujets sont prioritaires ?
M. Jean-Yves Leconte . - Le renvoi en commission a, en effet, été utile. Qu'apporte l'allongement des délais de prescription ? Comment ne pas y voir une mesure de confort pour masquer les difficultés que rencontrent certaines enquêtes ? Il est paradoxal de s'appuyer sur l'arrivée de nouvelles technologies pour le réclamer. Que signifie ce texte pour la justice ? Il y a d'autres priorités, à commencer par l'administration pénitentiaire. Évitons de mentir aux victimes ; avec le temps, la capacité à administrer les preuves diminue.
M. Jacques Bigot . - Merci au rapporteur pour son travail très équilibré. Cette proposition de loi a surpris les professionnels de cette commission, reste que nous devons aussi écouter la population. La prescription est profondément inacceptable pour les victimes : à nous d'expliquer que l'action publique vise à les protéger mais également à protéger la société, à apporter un certain apaisement. Les jurys populaires eux-mêmes, face à une personne âgée qui comparaît pour un crime ancien, sont enclins à se montrer moins sévères.
La prescription est aussi la capacité de la justice à traiter une affaire. Notre mission d'information sur le redressement de la justice devra se pencher sur le coût de la conservation des scellés et des preuves. Rien n'est pire pour une victime que de déposer enfin plainte pour se voir opposer un non-lieu, faute de preuves ; elle le vit comme une négation de sa souffrance.
M. René Vandierendonck . - À mon tour de me féliciter du renvoi en commission. Je ne peux pas m'empêcher de faire le parallèle entre ce texte et la troisième étude que le Conseil d'Etat vient de consacrer à la simplification et à la qualité du droit. Ne peut-on pas organiser une rencontre à tête reposée avec ses auteurs, comme nous l'avions fait lors de la publication de l'étude sur le droit souple ?
M. Philippe Bas, président . - Merci pour cette suggestion.
M. Thani Mohamed Soilihi . - Malgré l'excellent travail du rapporteur, je reste moi aussi sur mes positions de départ. Je vois une contradiction entre l'allongement des délais de prescription et l'évolution des techniques de recherche de preuves. Tous les spécialistes, enquêteurs comme magistrats, vous le diront : pour récolter des preuves, il faut agir vite, se rendre sur la scène de crime le plus rapidement possible. Que se passera-t-il en cas d'allongement des délais de prescription ? On se précipitera sur les lieux du crime puis on laissera l'affaire en suspens ? Plus le temps passe, plus la justice est difficile à rendre, sans compter que les témoignages s'altèrent avec le temps.
M. Jean Louis Masson . - On ne résoudra pas les vrais problèmes de la justice avec ce texte. Allonger les délais de la prescription pénale est un non-sens. Il faut déjà cinq à six ans aux juges pour boucler une affaire évidente ! Nos concitoyens en ont assez : quand ils portent plainte, leur dossier prend un temps fou à avancer à cause de moyens de procédure qui devraient être traités en deux à trois mois maximum.
Je suis très réticent sur les crimes de guerre, il n'y a qu'à voir la manière dont on est traité le génocide arménien. Visiblement, il y aurait les mauvais crimes contre l'humanité et les bons.
M. Philippe Kaltenbach . - Je suis déçu par la position du rapporteur sur les infractions sexuelles commises sur les mineurs. Souvenons-nous que le Sénat a voté il y a trois ans une proposition de loi de Mmes Jouanno et Dini. J'en étais le rapporteur. Mme Violaine Guérin, présidente de l'association « Stop aux violences sexuelles », m'avait convaincu : l'amnistie traumatique est une réalité. Les victimes veulent un procès, même si elles savent que les faits seront difficiles à prouver. J'avais proposé que la prescription, sans être supprimée comme le souhaitaient les auteurs de la proposition de loi, soit portée à trente ans pour les crimes commis sur les mineurs. Et j'avais fini par rallier Mme Dini à cette solution. S'il est possible de trouver des preuves d'un crime contre l'humanité cinquante ans après, pourquoi pas pour des crimes sur mineurs ? C'est ce que les victimes et les associations attendent de nous.
M. Pierre-Yves Collombat . - Ce n'est pas la justice !
M. Alain Richard . - Je rejoins la position du rapporteur. La prescription est, non un acte d'indulgence, mais un outil de prévention des erreurs judiciaires. Si les preuves sont insuffisantes, la justice peut se retrouver en défaut.
L'allongement de la prescription n'accentuera pas la lenteur de la justice. Cette lenteur s'explique d'abord par l'hésitation de la victime à porter plainte, ensuite par la mobilité grandissante des Français.
N'oublions pas la tendance actuelle à requalifier les actes graves en délits pour éviter la loterie des assises - nous en avons beaucoup parlé à propos du terrorisme. Pour certains délits punis de dix ans d'emprisonnement, le délai de prescription de trois ans est trop court. La comparaison avec les autres pays européens est éclairante : le délai de prescription y est souvent plus long pour les délits punis de cinq ans d'emprisonnement et plus que pour les délits ordinaires. Sur ce point, la proposition de loi fait un choix juste.
Un délai de vingt ans à partir de la majorité suffit pour les infractions sur mineurs, le porter à trente ans entraînera frustration et échec judiciaire.
Le traitement du crime de guerre, qui est le plus souvent un acte localisé, un dérapage militaire où est porté gravement atteinte à la population civile, se rapproche de la justice civile, contrairement au crime contre l'humanité qui recouvre, lui, une notion politique et mobilise les modes de preuve de l'historien. Respectons la frontière entre les deux : la notion de crime de guerre connexe à un crime contre l'humanité n'a pas de sens juridique. Elle serait censurée par le Conseil constitutionnel, parce que contraire au principe de légalité des délits et des peines. La connexité est une notion de procédure, certainement pas de fond.
Sur la date d'application, j'ai compris que les actes prescrits au jour de l'entrée en vigueur de la loi le resteraient, et que seuls les faits futurs ou dont la prescription court toujours seraient concernés. Est-ce bien cela ?
M. Michel Mercier . - Je me méfie de ces textes sur la prescription. Leur objectif n'est pas forcément une bonne administration de la justice, il est plutôt de répondre à telle ou telle affaire d'actualité. Bravo à notre rapporteur, il n'a pas perdu de vue le premier aspect. Pourquoi parle-t-on de prescription ? Parce que ceux qui auraient pu porter plainte, entre autres dans une affaire qui a secoué le Rhône, ne l'ont pas fait...et que la presse a amplifié l'affaire. Les juges trouvent pourtant toujours les moyens de faire échec à la prescription lorsqu'il le faut. Disons clairement que nous leur faisons confiance. Ce n'est pas en allongeant les délais de prescription qu'on réglera l'affaire étalée dans le journal du matin. Je me rallierai à la position du rapporteur sans enthousiasme.
Mme Catherine Tasca . - Je souscris globalement à l'analyse du rapporteur, notamment à ses arguments sur la difficulté à réunir les preuves. En revanche, je l'encourage à prendre le temps d'approfondir la question des violences sur les mineurs non seulement parce que ces crimes sont odieux mais aussi parce que ces actes sont parfois reproduits par les victimes elles-mêmes, qui prolongent ainsi dans le temps l'horreur du crime initial. Il faut envoyer un signal fort indiquant que, même si la victime réagit tardivement, ce type d'agression ne passera pas aux oubliettes. Ce ne sont pas, je le répète, des crimes ordinaires ; les victimes sont mineures, elles ne sont pas aptes à réaliser pleinement les violences qu'elles subissent. Ne mettons pas sur le même plan la prescription en général et celle des crimes sur mineurs.
M. Jean-Pierre Sueur . - Après réflexion, je suivrai la position du rapporteur sur la prescription des infractions sur mineurs, bien que je ne méconnaisse pas les arguments défendus pas les associations et par mon collègue Philippe Kaltenbach. Et ce, au nom de l'équilibre : si le délai de la prescription des meurtres est de vingt ans, il est cohérent de conserver cette même durée pour les crimes sur mineurs.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Monsieur Richard, ce texte s'appliquera aux infractions dont la prescription n'est pas acquise.
Monsieur Kaltenbach, le Sénat avait effectivement adopté une prescription de trente ans pour les crimes sur les mineurs mais c'était sous une autre majorité. J'ajoute que l'Assemblée nationale l'avait rejetée. Je le reconnais, la question est loin d'être simple à trancher.
M. François Pillet . - Alain Richard a été clair sur la prescription des délits. J'ajoute qu'un délai de six ans s'applique déjà à certains d'entre eux, notamment à la fraude fiscale. La cause est donc entendue, nulle révolution juridique là-dedans. Les actes de violence, d'escroquerie ou de vol ont autant d'importance pour les victimes que la fraude fiscale en a pour l'État.
EXAMEN DES AMENDEMENTS
Article 1 er
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-8 supprime une précision inutile, on sait que les dispositions spéciales dérogent aux règles générales.
L'amendement COM-8 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-7 tend à supprimer le caractère imprescriptible des crimes de guerre connexes à un crime contre l'humanité. Je n'y reviens pas.
M. Philippe Bas, président . - L'argument juridique est imparable.
L'amendement COM-7 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-9 supprime les dérogations au délai de droit commun prévues pour la prescription de l'action publique des délits d'apologie du terrorisme ou de provocation à des actes de terrorisme, à savoir une prescription de trois ans au lieu de vingt.
L'amendement COM-9 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-10 rassemble, au sein du même article du code de procédure pénale, les dispositions relatives au report du point de départ des délais de prescription de l'action publique pour les infractions sexuelles sur mineurs, les infractions occultes ou clandestines et le crime de clonage reproductif lorsque celui-ci a conduit à la naissance d'un enfant. Il supprime également la notion d'infraction dissimulée, excessivement vaste. Enfin, il prévoit un délai butoir à l'action publique, en cas de report du point de départ de la prescription pour les infractions occultes.
L'amendement COM-10 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-11 précise la liste des actes interruptifs de prescription. En est exclue la plainte simple.
L'amendement COM-11 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-12 encadre le champ des obstacles suspendant le cours de la prescription. D'une part, il précise que l'obstacle de droit ne peut être prévu que par la loi pour éviter toute extension jurisprudentielle. D'autre part, il limite le caractère subjectif de l'obstacle de fait insurmontable en précisant, selon la jurisprudence de la Cour de cassation, qu'il doit être assimilable à la force majeure.
L'amendement COM-12 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-3, déposé par M. Kaltenbach, porte à trente ans le délai de prescription des crimes sexuels sur mineurs. Je l'ai dit, j'y suis défavorable.
M. Philippe Kaltenbach . - Le Sénat, je le rappelle, avait adopté cette disposition lors de l'examen de la proposition de loi de Mmes Dini et Jouanno, deux sénatrices centristes. Le vote, s'il a eu lieu sous une autre majorité, dépassait largement les clivages politiques. Le rapporteur a lui-même déposé un amendement similaire sur ce texte voilà quelques mois. Il a évolué, semble-t-il...
M. Philippe Bas . - Nous lui avons, en effet, demandé d'approfondir sa réflexion en adoptant la motion de renvoi en commission.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Vous insinuez que j'aurais changé de pied à la faveur de circonstances particulières ? Non, et je vous prie de croire à la sincérité de mon évolution sur le fond.
M. Philippe Kaltenbach . - Mmes Dini et Jouanno souhaitaient instaurer l'imprescriptibilité de ces crimes. Nous proposons, pour notre part, d'instaurer une prescription de 30 ans. Dans huit cas sur dix, les enfants sont violés par des parents ou des personnes proches. Souvent, les victimes ne prennent pas conscience de la violence de l'acte puis souffrent d'une amnésie traumatique. Les souvenirs remontent seulement quand leurs propres enfants atteignent l'âge qu'elles avaient au moment du crime. Une femme m'a raconté comment la mémoire lui est revenue au moment du départ de sa fille de 13 ans en vacances avec son père. D'où notre proposition de trente ans de prescription à compter de la majorité, soit 48 ans, c'est-à-dire le moment auquel on a des enfants susceptibles d'avoir l'âge que l'on avait quand on a subi un crime sexuel.
Les victimes seraient déçues par le procès ? Elles le demandent, tout en sachant la difficulté.
Enfin, un prédateur sexuel agissant sur des mineurs a malheureusement tendance à répéter ces actes odieux. Tout ce qui pourra éviter que de nouveaux enfants soient violés sera bien perçu par l'opinion.
Rendons hommage à notre ancienne collègue Mme Dini en votant mon amendement.
M. Jacques Bigot . - Ce sujet difficile doit être resitué dans son contexte, en particulier celui de la médiatisation des affaires dans le Rhône. Le proche agresseur peut être un membre de la famille mais aussi un éducateur ou un enseignant. Amnésie traumatique ou non, ce n'est qu'une fois adulte que les victimes sont capables de parler. Elles le seront d'autant plus que notre société change. Voyez l'inceste, il n'est plus tabou comme il l'était hier. Les affaires émergeront plus vite qu'autrefois. Expliquons-le aux associations d'aide aux victimes, faisons leur comprendre le principe de la prescription.
Notre rapporteur l'a dit, la question est difficile à trancher. Pour ma part, je soutiendrai sa proposition plutôt que celle de mon collègue Philippe Kaltenbach.
Mme Éliane Assassi . - Le groupe communiste républicain et citoyen aussi !
M. Philippe Bas . - Ce débat, qui oppose des arguments sérieux de part et d'autre, devait avoir lieu. Néanmoins, nous avons adopté, mes chers collègues, l'amendement COM-10 qui a supprimé l'alinéa 4, que l'amendement COM-3 de M. Kaltenbach modifie. Par conséquent, cet amendement n'a plus d'objet.
L'amendement COM-3 n'a plus d'objet.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'avis est défavorable à l'amendement COM-1, satisfait par le doublement des délais de prescription. Sur la forme, il repose sur une confusion entre le délit de non-dénonciation de fait commis sur un mineur, visé par l'article 434-3 du code pénal, et celui de non-dénonciation de crime, visé par l'article 434-1 du même code. Seules les infractions commises sur un mineur doivent bénéficier d'un report du point de départ de la prescription à compter de la majorité.
L'amendement COM-1 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet . - Avis défavorable à l'amendement COM-5, par cohérence avec les amendements précédents.
L'amendement COM-5 n'est pas adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Idem pour l'amendement COM-4.
L'amendement COM-4 n'est pas adopté.
Article 2
L'amendement de coordination COM-14 est adopté.
L'amendement rédactionnel COM-13 est adopté.
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - J'émets un avis défavorable à l'amendement COM-2 car il existe un délit spécifique de non-dénonciation de crime, je viens de l'indiquer.
L'amendement COM-2 n'est pas adopté.
Article 3
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - L'amendement COM-15 maintient une prescription de trois ans pour les contraventions douanières tout en étendant le délai de prescription pour les délits douaniers.
L'amendement COM-15 est adopté.
M. François Pillet . - Peut-être devrais-je inclure un délai butoir de trois ans dans mon amendement COM-6. Nous pourrions le modifier en séance après les débats qui auront eu lieu sur la même disposition au sein du projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté. L'imprescriptibilité de fait va contre toutes mes convictions.
M. Philippe Bas . - Faut-il reprendre dans ce texte cette disposition que la commission spéciale a adoptée dans le projet de loi relatif à l'égalité et à la citoyenneté ?
M. François Pillet . - Et qui fait débat !
M. Alain Richard . - La procédure d'adoption du texte « Égalité et citoyenneté » nous empêche de revenir sur l'amendement de la commission spéciale qui reportait, je le rappelle, le point de départ de la prescription en matière de presse jusqu'à la disparition de l'information sur internet. Mieux vaudrait limiter cette disposition, qui pourrait entraîner un report quasiment infini de la prescription, en instituant un délai butoir, à la charge de l'autorité de l'instruction, qui identifiera la date à laquelle la personne visée a pu avoir connaissance de l'infraction.
M. François Pillet . - Je suis parfaitement d'accord.
M. Philippe Bas, président . - Cet amendement, de même que son équivalent dans le texte « Égalité et citoyenneté, modifie une disposition de la loi de 1881 sur la liberté de la presse. S'il ne vise pas la reproduction du contenu incriminé sur un support papier, il pourrait s'appliquer aux journaux et articles publiés exclusivement sur internet. De ce fait, il ne protège pas des publications qui devraient relever de la liberté de la presse, ce qui peut susciter des critiques de la part des journalistes. Je suggère à l'auteur de l'amendement de ne pas l'inclure dans le texte de la commission et de le présenter en séance afin que nous puissions en débattre.
M. François Pillet . - Je suis d'accord, monsieur le président, et je propose à Thani Mohamed Soilihi et Alain Richard, qui soutenaient le même amendement lors de l'examen du texte « Égalité et citoyenneté », de travailler avec moi à une nouvelle rédaction pour la séance.
L'amendement COM-6 est retiré.
Article 4
L'amendement de coordination COM-16 est adopté
Article(s) additionnel(s) après l'article 4
M. François-Noël Buffet, rapporteur . - Amendement de coordination pour l'outre-mer.
L'amendement COM-17 est adopté.
La proposition de loi est adoptée dans la rédaction issue des travaux de la commission.
Le sort des amendements examinés par la commission est retracé dans le tableau suivant :
Auteur |
N° |
Objet |
Sort de l'amendement |
Article 1
er
|
|||
M. BUFFET, rapporteur |
8 |
Amendement de précision |
Adopté |
M. BUFFET, rapporteur |
7 |
Suppression du caractère imprescriptible
|
Adopté |
M. BUFFET, rapporteur |
9 |
Suppression des dérogations prévues
|
Adopté |
M. BUFFET, rapporteur |
10 |
Détermination d'un délai butoir
|
Adopté |
M. BUFFET, rapporteur |
11 |
Précision des actes interruptifs
|
Adopté |
M. BUFFET, rapporteur |
12 |
Encadrement du champ d'application
|
Adopté |
M. KALTENBACH |
3 |
Allongement de la prescription
|
Sans objet |
M. KALTENBACH |
1 |
Allongement du délai de prescription
|
Rejeté |
M. KALTENBACH |
5 |
Allongement du délai de prescription
|
Rejeté |
M. KALTENBACH |
4 |
Allongement de la prescription
|
Rejeté |
Article 2
|
|||
M. BUFFET, rapporteur |
14 |
Coordination avec la suppression
|
Adopté |
M. BUFFET, rapporteur |
13 |
Rédactionnel |
Adopté |
M. KALTENBACH |
2 |
Modification du délit
|
Rejeté |
Article 3
|
|||
M. BUFFET, rapporteur |
15 |
Prescription des contraventions
|
Adopté |
M. PILLET |
6 |
Allongement du délai de prescription
|
Retiré |
Article 4
|
|||
M. BUFFET, rapporteur |
16 |
Coordination avec la suppression
|
Adopté |
Article additionnel après l'article 4 |
|||
M. BUFFET, rapporteur |
17 |
Application outre-mer |
Adopté |
LISTE DES PERSONNES ENTENDUES LORS DES AUDITIONS COMPLÉMENTAIRES
Syndicat de la magistrature
Mme Clarisse Taron , présidente
Mme Laurence Blisson , secrétaire générale
Union syndicale des magistrats
Mme Céline Parisot , secrétaire générale
M. Benjamin Blanchet , membre du bureau
Personnalité qualifiée
Docteur Caroline Rey-Salmon , chef de service de l'unité médico-judiciaire de l'Hôtel-Dieu
ANNEXE : LES INFRACTIONS MENTIONNÉES À L'ARTICLE 706-47 DU CODE DE PROCÉDURE PÉNALE
• Crimes de meurtre ou d'assassinat prévus par les articles 221-1 à 221-4, lorsqu'ils sont commis sur un mineur précédé ou accompagné d'un viol, ou lorsqu'ils sont commis avec tortures ou actes de barbarie, ou lorsqu'ils sont commis en état de récidive légale ;
• Crimes de tortures ou d'actes de barbarie prévus par les articles 222-1 à 222 6 du code pénal ;
• Crimes de viol prévus par les articles 222-23 à 222-26 du code pénal ;
• Délits d'agressions sexuelles prévus par les articles 222-27 à 222-31 du code pénal ;
• Délits et crimes de traite des êtres humains à l'égard d'un mineur prévus par les articles 225-4-1 à 225-4-4 du code pénal ;
• Délit et crime de proxénétisme à l'égard d'un mineur prévus par les articles 225-7 (1°) et 225-7-1 du code pénal ;
• Délits de recours à la prostitution d'un mineur prévu par les articles 225-12-1 et 225-12-2 du code pénal ;
• Délit de corruption de mineur prévu par l'article 227-22 du code pénal ;
• Délit de proposition sexuelle faite à un mineur de 15 ans par un majeur, prévu par l'article 227-22-1 du code pénal ;
• Délits de captation, d'enregistrement, de transmission, d'offre, de mise à disposition, de diffusion, d'importation ou d'exportation, d'acquisition ou de détention d'image pornographique d'un mineur ainsi que le délit de consultation habituelle ou en contrepartie d'un paiement d'un service de communication au public en ligne mettant à disposition des images pornographiques de mineurs, prévus par l'article 227-23 du code pénal ;
• Délit de fabrication, de transport, de diffusion ou de commerce de message violent ou pornographique susceptible d'être vu ou perçu par un mineur, prévu par l'article 227-24 du code pénal ;
• Délit d'incitation d'un mineur à se soumettre à une mutilation sexuelle ou à commettre cette mutilation, prévu par l'article 227-24-1 du code pénal ;
• Délits d'atteintes sexuelles, prévus par les articles 227-25 à 227-27 du code pénal.
*
1
Le compte
rendu de cette séance est disponible à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/seances/s201606/s20160602/s20160602012.html#section2903
* 2 Rapport d'information n° 338 (2006-2007) de MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung fait au nom de la mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales, « Pour un droit de la prescription moderne et cohérent ». Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2006/r06-338-notice.html
* 3 Étude de législation comparée réalisée par la Direction de l'initiative parlementaire et des délégations du Sénat, n° 270, 30 juin 2016, « Les actes interruptifs de la prescription ». Cette étude est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2015/lc270-notice.html
* 4 Cour de cassation, chambre criminelle, 4 janvier 1935.
* 5 Elle s'applique notamment au détournement de fonds publics (Chambre criminelle, 2 décembre 2009, n° 09-81.967), à l'altération de preuves en vue de faire obstacle à la manifestation de la vérité (Chambre criminelle, 17 décembre 2002, n° 01-87.178), ou encore à l'atteinte à l'intimité de la vie privée (Chambre criminelle, 4 mars 1997, Bulletin criminel n° 83).
* 6 La Cour de cassation a pu reconnaître un effet interruptif aux procès-verbaux de gendarmerie ou de police constatant une infraction (Chambre criminelle, 24 février 1966, Bulletin criminel n° 73), aux réquisitions aux fins d'inscrire un profil ADN au fichier national automatisé des empreintes génétiques (FNAEG) (Chambre criminelle, 12 décembre 2012, n° 12-85.274) ou encore à la consultation du fichier national des permis de conduire (Chambre criminelle, 28 octobre 2014, n° 13-86.413).
* 7 Chambre criminelle, 16 décembre 1975, Bulletin criminel n° 283.
* 8 Le délai de prescription est ainsi suspendu pendant la durée de l'instance en cassation, en cas de pourvoi (Chambre criminelle, 5 mars 1979, Bulletin criminel n° 94), la durée d'un mandat parlementaire en cas de demande de levée d'immunité (Chambre criminelle, 3 février 1955).
* 9 Dans un arrêt de l'assemblée plénière du 7 novembre 2014 (n° 14-83.739) concernant un octuple infanticide par la mère, la Cour de cassation a considéré que les circonstances de la grossesse constituaient un obstacle insurmontable motivant une suspension ab initio de la prescription, avant même que le délai ne court, en contradiction avec la décision de la chambre criminelle.
* 10 Rapport d'information n° 2778 de MM. Alain Tourret et Georges Fenech fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale « La réforme de la prescription pénale : moderniser le droit, renforcer la sécurité juridique », mai 2015, page 11.
* 11 Phénomènes énoncés par M. Marc Robert, procureur général près la cour d'appel de Versailles, cité par le rapport d'information précité, page 13.
*
12
Le
compte rendu est disponible à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20160523/lois.html#toc7
* 13 CEDH, 22 octobre 1996, Stubbings et autres c/ Royaume-Uni, n° 22083/93 - 22095/93.
* 14 Étude de législation comparée n° LC 270 précitée « Les actes interruptifs de la prescription », pages 33-34.
* 15 Rapport d'information n° 338 (2006-2007) précité, page 40.
* 16 Rapport d'information n° 338 (2006-2007) précité, page 39 (consultable à l'adresse suivante :
http://www.senat.fr/notice-rapport/2006/r06-338-notice.html)
* 17 Pierre Farge, « Attendre et espérer », Actualité juridique Pénal, Dalloz, juin 2016, page 293.
* 18 Étude de législation comparée « Les actes interruptifs de la prescription », n° LC 270.
* 19 En raison de la nature des crimes et délits commis sur les mineurs qui rendent difficile leur dénonciation, le législateur a choisi d'allonger le délai de prescription de l'action publique (articles 7 et 8 du code de procédure pénale) à :
- vingt ans pour les crimes mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale lorsqu'ils sont commis sur un mineur ou le crime de violences commises sur un mineur ayant entraîné une mutilation ou une infirmité permanente ;
- vingt ans pour les délits de violences volontaires ayant entraîné une incapacité totale de travail pendant plus de huit jours sur un mineur, d'agression sexuelle (222-29-1 du code pénal) ou de mise en péril des mineurs (227-26 du code pénal) ;
- dix ans pour les autres délits mentionnés à l'article 706-47 du code de procédure pénale.
La liste des infractions mentionnées à l'article 706-47 du code de procédure pénale est établie en annexe au présent rapport.
* 20 En 2015, 50 471 affaires ont été classées sans suite pour extinction de l'action publique (décès, abrogation de la loi pénale, chose jugée et prescription). Ces statistiques ne prennent pas en compte les non-lieu, les relaxes ou les acquittements prononcés en raison de la prescription des faits.
* 21 Cette extrapolation repose sur les ratios suivants :
- 2 553 dossiers par magistrat du parquet au stade de l'enquête ;
- entre 800 et 20 000 dossiers par magistrat au stade du jugement des délits, selon les modalités de la décision (jugements du tribunal correctionnel, CRPC, ordonnances pénales) ;
- 75 dossiers par magistrat instructeur ;
- 33 dossiers par magistrat siégeant dans une cour d'assises ;
- 3 233 dossiers par magistrat du parquet au stade de l'exécution et de l'application des peines ;
- 980 dossiers par juge de l'application des peines.
* 22 Selon l'exposé des motifs de l'amendement n° CL11 déposé par le Gouvernement lors de l'examen de la proposition de loi par la commission des lois, l'imprescriptibilité des crimes de guerre :
« - risquerait de banaliser le crime de génocide et les crimes contre l'humanité en rompant le caractère absolument exceptionnel de l'imprescriptibilité ;
- mettrait les militaires français dans une situation juridiquement inégale, leurs ennemis étant davantage susceptibles d'être poursuivis pour des crimes terroristes restés prescriptibles que pour des crimes de guerre difficiles à prouver ;
- accroîtrait la tentation de certains acteurs politiques, visible aujourd'hui, de contraindre la souveraineté française et son action diplomatique et stratégique par l'arme de l'action judiciaire ;
- se heurterait à la difficulté pour le juge national d'apprécier, des décennies après les faits, les éléments matériels de l'infraction qui reposent notamment sur une distinction entre objectifs militaires et objets civils dont les conflits modernes, et notamment celui qui oppose la France et la coalition à laquelle elle participe à Daech, montrent à quel point elle est délicate ».
* 23 Certains délais ne sont pas modifiés par la présente proposition de loi : le délai de trois mois prévu à l'article 65 de la loi du 29 juillet 1881, le délai d'un an prévu à l'article 65-3 de la même loi, à l'article L. 114 du code électoral, aux articles 1741 et 1743 du code général des impôts, ou encore à l'article L. 341-3 du code forestier.
* 24 Article L. 211-13 du code de la justice militaire.
* 25 Chambre criminelle, 4 mars 1935. On remarquera toutefois que la Cour de cassation considère désormais l'abus de confiance comme une infraction occulte par nature.
* 26 Chambre criminelle, 4 mars 1997, n° 01-85.763.
* 27 Chambre criminelle, 7 juillet 2005, n° 05-81.119.
* 28 Chambre criminelle, 23 juin 2004, n° 03-85.508.
* 29 Rapport d'information n° 338 (2006-2007) fait par MM. Jean-Jacques Hyest, Hugues Portelli et Richard Yung au nom de la mission d'information sur le régime des prescriptions civiles et pénales. Ce rapport est consultable à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/notice-rapport/2006/r06-338-notice.html
* 30 Audrey Darsonville, « Recul du point de départ de la prescription de l'action publique et suspension du délai : le flou actuel et à venir ? », Actualité juridique Pénal, Dalloz, juin 2016, page 306.
* 31 Pierre Farge, « Attendre et espérer », Actualité juridique Pénal, Dalloz, juin 2016, page 293.
* 32 Frédéric Desportes, Laurence Lazerges-Cousquer, Traité de procédure pénale, Economica, 2009, page 651.
* 33 À propos de la recevabilité du soit-transmis dans l'affaire Émile Louis, arrêt de la chambre criminelle, 20 février 2002, n° 01-85042.
* 34 La chambre criminelle de la Cour de cassation retient une définition extensive des infractions connexes prévues à l'article 203 du code de procédure pénale en retenant cette qualification dès lors qu'existent « des rapports étroits analogues à ceux que la loi a spécialement prévus » ou pour les infractions qui « procèdent d'une même conception, relèvent du même mode opératoire et tendent au même but ».
* 35 Traduit par la loi n° 2008-561 du 17 juin 2008 portant prescription en matière civile, l'article 2234 du code civil prévoit que la prescription ne court pas ou est suspendue contre celui qui est dans l'impossibilité d'agir par suite d'un empêchement relevant de la loi, de la convention ou de la force majeure.
* 36 Cour de cassation, chambre criminelle, 19 avril 1983, n° 82-92.366.
* 37 Selon les articles 26 et 67 de la Constitution.
* 38 Cour de cassation, chambre criminelle, 1 er août 1919, Dames G.
* 39 Cour de cassation, assemblée plénière, 7 novembre 2014, n°14-83.739.
* 40 Cour de cassation, assemblée plénière, 23 décembre 1999, n° 99-86.298.
* 41 Audrey Darsonville, « Recul du point de départ de la prescription de l'action publique et suspension du délai : le flou actuel et à venir ? », Actualité juridique Pénal , Dalloz, juin 2016, page 309.
* 42 Cour de cassation, assemblée plénière, 23 décembre 1999, n° 99-86.298.
* 43 Cour de cassation, chambre criminelle, 8 août 1994, Bulletin criminel n° 288.