SECONDE PARTIE :
UN ACCORD ÉQUILIBRÉ ET AMBITIEUX
AU REGARD DES STANDARDS INTERNATIONAUX

La présente convention entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Colombie en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune a été signé le 25 juin 2015 à Bogota, par le Président de la République colombienne, Juan Manuel Santos Calderón, et par le Premier ministre de la République française, Manuel Valls.

D'une manière générale, cette convention fiscale est largement conforme au dernier modèle de l'OCDE, qui date du 15 juillet 2014, et même plus ambitieuse sur plusieurs points , notamment en matière de lutte contre la fraude et l'évasion fiscales.

Les stipulations d'une convention fiscale étant par définition réciproques, les bénéfices qu'en retireront la France d'une part, et la Colombie d'autre part, dépendent de la structure des relations économiques et financières qu'entretiennent les deux pays. Puisque les investissements français en Colombie excèdent très largement les investissements colombiens en France 17 ( * ) , et que la balance commerciale est excédentaire en faveur de la France, on peut supposer que, toutes choses égales par ailleurs , ce sont les entreprises françaises qui bénéficieront le plus, sur le plan fiscal, de la présente convention fiscale (et notamment des retenues à la source limitées sur les revenus passifs tels que les dividendes, intérêts et redevances). En retour, l'incitation à investir en Colombie sera renforcée, au bénéfice de toute l'économie colombienne et de l'emploi - l'enjeu pour le pays étant de conserver malgré tout des bases taxables « stratégiques » sur son territoire, notamment en ce qui concerne les activités extractives.

C'est le sens du compromis trouvé dans le présent accord, qui constitue un texte équilibré, ambitieux, qui préserve les intérêts des deux parties tout en permettant aux échanges et aux investissements de se développer .

Les avantages que procure une convention fiscale ne peuvent être appréciés qu'à l'aune de ceux des autres conventions fiscales , qu'il s'agisse de l'accord entre la Colombie et l'Espagne précité, ou des conventions « complètes » récemment négociées par la France - de tels traités demeurent en vigueur plusieurs décennies, aussi les comparaisons ne sont-elles pertinentes qu'avec les accords les plus récents, conformes aux nouvelles normes internationales, tels que les accords signés avec la Chine le 26 novembre 2013 18 ( * ) et avec Singapour le 15 janvier 2015 19 ( * ) .

I. UN CADRE FAVORABLE ET SÉCURISÉ POUR ENCOURAGER LES ÉCHANGES ET LES INVESTISSEMENTS CROISÉS

1. Un traitement des dividendes largement conforme au standard international

Conformément au modèle de l'OCDE, l'article 10 du présent accord pose le principe d'une taxation des dividendes dans l'État de résidence de leur bénéficiaire, sous réserve d'une retenue à la source appliquée dans certaines limites et sous certaines conditions.

Aujourd'hui, en l'absence de convention fiscale, le taux de retenue à la source appliqué par la Colombie sur les dividendes est de 33 %.

Dans le présent accord, ce taux est au maximum de 5 % du montant brut des dividendes « remontés » vers le bénéficiaire lorsque celui-ci détient directement ou indirectement une part significative du capital de la société versante, et à 10 % dans les autres cas . Ces taux sont identiques à ceux du modèle de l'OCDE, et à ceux des autres conventions fiscales récemment signées par la France.

La « variable d'ajustement » est le seuil de détention du capital requis pour bénéficier de la retenue à la source de 5 %. Celui-ci est fixé à au moins 20 % du capital de la société versante, soit un taux inférieur au seuil de 25 % préconisé par le modèle de l'OCDE . Ceci fait de la convention franco-colombienne un accord favorable à l'investissement 20 ( * ) .

Les entreprises françaises devraient largement profiter de cette disposition , dans la mesure où les dividendes versés depuis la Colombie à des entreprises françaises sont supérieurs aux dividendes de source française versés à des entreprises de Colombie. La « remontée » des dividendes étant rendue plus aisée , cela devrait encourager les investissements entre les deux pays, et par voie de conséquence bénéficier aux finances publiques.

La « remontée » des dividendes de la Colombie vers la France
avant et après l'entrée en vigueur de la présente convention fiscale

Retenues à la source applicables sur les dividendes en vertu des conventions fiscales actuellement en vigueur (Colombie-Espagne et Espagne-France), et en vertu du présent accord (Colombie-France). Ces taux sont exprimés toutes choses égales par ailleurs , et ne tiennent pas compte d'éventuels régimes fiscaux particuliers prévus par le droit interne (ex : régime mère-fille) ou le droit conventionnel, ni de stratégies fiscales plus complexes de la part des contribuables (ex : conserver une partie des revenus en Espagne, transiter par un autre État, etc.).

Source : commission des finances du Sénat

Certes, les dispositions du présent accord sont parfois moins favorables que celles que permet le recours à la convention fiscale entre l'Espagne et la Colombie , tel que pratiqué par certains acteurs économiques. En effet, comme l'illustre le schéma ci-dessus, il est possible de ne subir aucune retenue à la source en cas de participation significative dans le capital (le seuil de détention étant par ailleurs fixé à seulement 10 % entre l'Espagne et la France, et à 20 % entre la Colombie et l'Espagne). En l'absence de participation significative, en revanche, le présent accord apparaît plus favorable, toutes choses égales par ailleurs.

Toutefois, il faut souligner que cet éventuel surplus de fiscalité, au demeurant modeste, s'accompagne d'avantages importants en termes de sécurité juridique et de simplification organisationnelle .

2. Un traitement des intérêts particulièrement favorable

Aujourd'hui, en l'absence de convention fiscale, le taux de retenue à la source appliqué par la Colombie sur les intérêts est de 14 %, un taux porté à 33 % pour les intérêts de prêts de court terme (moins d'un an). Il existe néanmoins des exonérations, notamment pour les prêts à court terme dans le cadre d'opérations d'importation ou d'exportation.

Le présent accord fixe le taux de retenue à la source à 10 % de leur montant brut , un taux conforme au modèle OCDE et aux autres conventions fiscales récemment signées par la France.

Le présent accord se distingue toutefois du modèle OCDE par l'ajout d'un paragraphe 3, qui permet d' exonérer de retenue à la source plusieurs catégories d'intérêts, formant un ensemble particulièrement large , qui ne seraient donc imposables que dans le pays de résidence du bénéficiaire. Ces exonérations, que l'on retrouve dans la plupart des conventions fiscales sous des formes proches, sont les suivantes :

- premièrement, les intérêts versés par des personnes publiques ou reçus par celles-ci , plus précisément définies comme « un État contractant, une de ses collectivités territoriales ou l'une de ses personnes morales de droit public, y compris la banque centrale de cet État » ;

- deuxièmement, les intérêts payés au titre d'une créance ou d'un prêt garanti, assuré ou aidé par un État contractant ou toute autre personne agissant pour son compte. Ceci permet notamment d'exonérer les garanties publiques à l'exportation octroyées par Bpifrance , qui reprendra d'ici fin 2016 les activités de la Coface (Compagnie française d'assurance et de commerce extérieur) 21 ( * ) ;

- troisièmement, les intérêts payés à raison de la vente à crédit d'équipements, de biens ou de marchandises par une entreprise à une autre entreprise. Cette clause, de portée très large , devrait être particulièrement favorable à la France , en raison de la place qu'occupe le crédit inter-entreprises dans notre économie 22 ( * ) ;

- quatrièmement, les intérêts payés au titre d'un prêt ou d'un crédit de quelque nature que ce soit accordé par une banque , mais seulement si celui-ci est accordé pour une période d'au moins trois ans . Cette dernière réserve, spécifique à l'accord franco-colombien, revient à exclure les prêts à court terme, qui peuvent relever de stratégie d'optimisation fiscale (cf. infra ), et à concentrer les effets de la disposition sur les prêts à long terme, c'est-à-dire liés à des investissements durables ou à des échanges réguliers ;

- cinquièmement, les intérêts payés par une institution financière de l'un des États contractants à une institution financière de l'autre État .

Au total, ces différentes exonérations rendent ce dispositif au moins aussi favorable que le « passage » par la convention entre la Colombie et l'Espagne, puis entre l'Espagne et la France, qui prévoient un même taux de retenue à la source de 10 % mais des exonérations moins détaillées.

3. Une retenue à la source sur les redevances, dérogatoire mais néanmoins fréquente

Aujourd'hui, en l'absence de convention fiscale, le taux de retenue à la source appliqué par la Colombie sur les redevances est de 33 %. Le modèle de l'OCDE préconise quant à lui une suppression totale des retenues à la source, et une imposition exclusive des redevances dans l'État de résidence de leur bénéficiaire.

L'article 12 du présent accord prévoit la possibilité d'une retenue à la source de 10 % du montant brut de ces redevances . Cette disposition devrait être plutôt favorable à la Colombie, qui en a fait la demande, dans la mesure où les entreprises françaises détiennent davantage de brevets et autres droits de propriété intellectuelle que les entreprises colombiennes.

Il convient toutefois de ne pas surestimer le caractère dérogatoire de cette disposition . En effet, si celle-ci n'est pas prévue par le modèle de l'OCDE, elle demeure très courante dans les conventions fiscales, y compris dans les nouvelles conventions fiscales signées par la France - et notamment avec la Chine 23 ( * ) .

De plus, le taux de 10 % apparaît in fine plus avantageux que la fiscalité qui résulte du « passage » par l'Espagne , dans la mesure où les redevances sont frappées d'une retenue de 10 % à la sortie de la Colombie vers l'Espagne, puis de 5 % à la sortie de l'Espagne vers la France 24 ( * ) .

4. De multiples précisions visant à garantir un haut niveau de sécurité et de stabilité juridique

Favoriser la croissance des échanges et des investissements suppose non seulement de trouver le « bon » équilibre dans la répartition des droits de chaque État à taxer telle ou telle activité, mais aussi, tout simplement, de garantir aux personnes physiques et aux entreprises un haut niveau de sécurité et de stabilité juridique s'agissant de leurs obligations fiscales .

Le présent accord constitue à cet égard un exemple relativement abouti : la « base » fournie par le modèle de l'OCDE a été enrichie de nombreuses précisions, simplifications ou encore adjonctions, tirées de l'expérience récente de la France et de la Colombie à l'occasion d'autres négociations, ou encore des commentaires les plus récents du modèle de l'OCDE, et qui tiennent compte des spécificités des deux pays et de l'évolution de la fiscalité internationale. Le fait que ce texte soit la première convention fiscale entre la France et la Colombie explique en partie cette réussite : les négociations sont parties d'une « page blanche », il n'a pas été nécessaire de se fonder sur un accord plus ancien, dont il aurait fallu rediscuter une à une chacune des dispositions, plus ou moins inadaptée, plus ou moins sédimentée.

Parmi ces précisions, on peut notamment citer :

- à l'article 7, la mention du fait que les bénéfices à imputer à un établissement stable (cf. infra ) « sont déterminés chaque année selon la même méthode , à moins qu'il n'existe des motifs valables et suffisants pour procéder autrement » ;

- à l'article 16, une mesure de simplification prévoyant que les gains d'un artiste, sportif ou mannequin sont imposables dans son État de résidence si ceux-ci ne dépassent pas 15 000 euros par an - les règles de droit commun sont en effet plus complexes, puisqu'elles reposent sur une imposition à la source sauf en cas de financement public prépondérant de l'autre État, et qu'elles opèrent une distinction en fonction de l'attributaire des revenus (l'artiste, sportif ou mannequin, ou bien une autre personne) ;

- à l'article 19, la fixation d'une durée maximale de six années consécutives de présence dans le pays pour qu'un étudiant ou stagiaire qui y suit des études ou une formation puisse être exonéré d'impôt sur les subsides qu'il reçoit de l'étranger. Le modèle de l'OCDE ne prévoit pas de durée, ce qui peut aboutir à une certaine insécurité juridique ; le régime prévu par le présent accord, plus détaillé, n'est toutefois pas aussi complet que celui prévu par la convention signée avec Singapour, les échanges universitaires avec la cité-État étant d'une toute autre importance ;

- à l'article 23, un ensemble de clauses de non-discrimination, issues du modèle de l'OCDE et reprises dans les conventions signées par la France , qui font obligation à un État de traiter une personne physique, une entreprise ou tout autre contribuable de l'autre État de la même façon que ses propres citoyens, entreprises et contribuables. En outre, et afin d'assurer la primauté de la convention fiscale sur tout autre traité ou accord signé par les deux États, notamment un accord commercial , le paragraphe 6 précise que les éventuelles clauses de non-discrimination ou de la nation la plus favorisée que pourraient contenir de tels accords ne s'appliquent pas aux impôts visés par la convention fiscale ;

- à l'article 24, enfin, la possibilité d'un recours à l'arbitrage dans le cas où une procédure amiable entre les deux États engagée à la demande d'un contribuable pour résoudre une difficulté fiscale n'aboutirait pas. Le recours à l'arbitrage, prévu par le modèle de l'OCDE, mérite d'être signalé dans la mesure où cette possibilité est loin d'être toujours ouverte par les conventions signées par la France - elle est par exemple absente des accords avec la Chine et Singapour 25 ( * ) . Toutefois, par rapport au modèle de l'OCDE, qui prévoit un arbitrage obligatoire si le contribuable en fait la demande, le présent accord repose sur un dispositif facultatif et plus flexible, inspiré du modèle de l'ONU , en vertu duquel l'arbitrage ne peut être demandé que « si les deux autorités compétentes et la personne en conviennent », et « à condition que la personne consente par écrit à être liée par la décision de la commission d'arbitrage ».


* 17 En d'autres termes : la France est plus fréquemment l'État de « résidence », et la Colombie est plus fréquemment l'État de « source ».

* 18 Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République populaire de Chine en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu, signé à Pékin le 26 novembre 2013.

* 19 Accord entre le Gouvernement de la République française et le Gouvernement de la République de Singapour en vue d'éviter les doubles impositions et de prévenir l'évasion et la fraude fiscales en matière d'impôts sur le revenu, signé à Singapour le 15 janvier 2015.

* 20 On remarquera que ces dispositions sont moins favorables que celles de l'accord entre la France et Singapour, qui fixe un seuil très bas de 10 % du capital pour bénéficier de la retenue à la source réduite, mais cette particularité tient au degré élevé d'ouverture et de financiarisation de l'économie de la cité-État, et n'est donc pas pertinente pour la Colombie.

* 21 Article 103 de la loi n° 2015-1786 du 29 décembre 2015 de finances rectificative pour 2015. Voir à ce sujet le commentaire de l'article 37 du projet de loi de finances rectificative dans le rapport n° 229, tome I (2015-2016) de Albéric de Montgolfier, rapporteur général de la commission des finances, 9 décembre 2015.

* 22 Voir à ce sujet l'intervention de Corso Bavagnoli, chef du service du financement de l'économie à la direction générale du Trésor, devant la commission des finances, lors de l'audition du 27 janvier 2016 sur le développement des nouvelles technologies de la finance (« Fintech ») et leurs enjeux en termes économiques et de régulation : « Un mot sur la question du "monopole bancaire" sur le crédit. Tout d'abord, celui-ci est en réalité partiel, du fait de la place très importante qu'occupe le crédit inter-entreprises en France, plus que dans tout autre pays européen - ce qui est à la fois une force et une faiblesse. Celui-ci est d'ailleurs appelé à se développer, avec les dispositions de la loi "Macron" pour la croissance et l'activité ».

* 23 A vrai dire, la suppression de la retenue à la source sur les redevances obtenue par la France dans la convention fiscale avec Singapour constitue plutôt une exception, et encore celle-ci est-elle « compensée » par l'introduction d'une imposition exclusive à la source des redevances issues d'activités littéraires et artistiques.

* 24 Sauf sur les oeuvres littéraires ou artistiques (à l'exclusion des films cinématographiques et des oeuvres sonores ou visuelles enregistrées).

* 25 D'après les informations transmises à votre rapporteur, la France demande systématiquement l'introduction d'une clause d'arbitrage, conformément au modèle de l'OCDE, mais ses partenaires sont souvent réticents à lier ainsi leur pouvoir de décision.

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