EXPOSÉ GÉNÉRAL

Mesdames, Messieurs,

Si voter est un droit garanti par la Constitution, s'inscrire sur les listes électorales est une obligation imposée par la loi. Comme le rappelle l'article L. 9 du code électoral, « l'inscription sur les listes électorales est obligatoire ».

Derrière cette affirmation de principe, dont le législateur n'a toutefois assorti la violation d'aucune sanction, se cache une réalité plus nuancée. En effet, la tenue des listes électorales présente des insuffisances : double inscription, radiation omise, discordance avec le fichier général des électeurs tenu par l'Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), etc .

Ce constat sévère a été dressé par le rapport d'information présenté devant la commission des lois de l'Assemblée nationale par Mme Élisabeth Pochon et M. Jean-Luc Warsmann , le 17 septembre 2014 1 ( * ) . S'intéressant à l'ensemble de la procédure d'inscription sur les listes électorales (calendrier, démarches, contrôles, etc .), nos collègues députés se sont interrogés sur « l'ampleur de l'éloignement du processus électoral, qui concernerait 9,5 millions d'électeurs potentiels, non-inscrits (3 millions) ou mal-inscrits (6,5 millions) ». Ils formulaient alors une série de propositions appelant à une réforme d'ensemble d'un pan de la procédure électorale immuable, depuis plusieurs décennies.

Faute de réforme en temps et heure, le Parlement a rouvert exceptionnellement l'inscription sur les listes électorales avant les élections régionales de décembre 2015, invoquant l'impératif « d'obtenir un corps électoral plus sincère ». À une loi d'exception, le Sénat avait alors préféré, une solution pérenne assouplissant les conditions d'inscription au titre de l'article L. 30 du code électoral. Soutenu par le Gouvernement, les députés imposèrent finalement cette procédure spéciale en réponse à un problème présenté comme exceptionnel 2 ( * ) .

À la suite de cet épisode législatif, Mme Pochon et M. Warsmann ont finalement traduit les recommandations formulées dans leur rapport d'information par le dépôt, le 9 décembre 2015, d' une initiative législative se décomposant en trois textes :

- la proposition de loi rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales qui modifie en profondeur le contenu et l'architecture du chapitre II du titre I er du livre I er du code électoral et procède aux coordinations nécessaires au sein des dispositions particulières à certains scrutins ;

- la proposition de loi organique rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales des Français établis hors de France, prise en application de l'article 6 de la Constitution pour l'élection du Président de la République ;

- la proposition de loi organique rénovant les modalités d'inscription sur les listes électorales des ressortissants d'un État membre de l'Union européenne autre que la France pour les élections municipales, dont l'adoption requiert, conformément à l'article 88-3 de la Constitution, l'accord des deux chambres.

Ce travail, mené en étroite collaboration avec le Gouvernement, s'est appuyé sur le rapport de plusieurs inspections générales mandatées par le ministre des affaires étrangères, des finances et de l'intérieur afin d'examiner la faisabilité des solutions préconisées et les modalités de leur mise en oeuvre 3 ( * ) . Avec l'accord des auteurs, le président de l'Assemblée nationale a également sollicité l'avis du Conseil d'État que ce dernier a rendu le 3 mars 2016, suggérant des modifications ou des compléments sans bouleverser l'esprit de la réforme proposée 4 ( * ) .

Au regard de ces travaux préparatoires, l'examen de ces trois textes, dont le rapport a d'ailleurs été confié à nos collègues députés Pochon et Warsmann, s'est engagé dans un climat consensuel qui s'est manifesté par leur adoption à l'unanimité des voix en première lecture à l'Assemblée nationale.

À son tour, votre commission a examiné dans un esprit constructif, ces trois propositions de loi . Partageant la logique des propositions votre rapporteur s'est d'abord attaché, dans les délais contraints qui lui étaient imposés, à évaluer la faisabilité pratique de cette réforme.

Outre les auditions classiques, il s'est également déplacé auprès de services municipaux de deux villes de taille moyenne de la région parisienne - Le Perreux-sur-Marne et Combs-la-Ville - pour mesurer les difficultés concrètes que ces communes ont rencontrées lorsqu'elles ont cherché à mettre en concordance leur liste électorale et le fichier général des électeurs de l'INSEE.

De ces rencontres, votre rapporteur n'a retiré aucune opposition de principe à l'économie générale des textes soumis au Sénat . Votre commission l'a suivi en approuvant les principes essentiels de cette réforme.

Votre commission a ainsi admis la fin du principe d'une révision annuelle des listes électorales , se déroulant les deux premiers mois de l'année, après la clôture de la période des inscriptions au 31 décembre de l'année précédente. S'y substituerait une inscription au fil du temps jusqu'à un mois avant le premier tour du scrutin.

Votre commission a aussi approuvé le transfert de la responsabilité des inscriptions et radiations incombant actuellement à des commissions administratives au maire, pour les listes électorales communales, et à l'ambassadeur ou au chef de poste consulaire, pour les listes électorales consulaires. En contrepartie, les propositions de loi prévoient un contrôle des opérations par une commission et le maintien des voies de recours devant le tribunal d'instance.

Enfin, votre commission a souscrit à la création d'un répertoire électoral unique tenu par l'INSEE dont les listes électorales locales seraient une extraction, ce qui exclurait toute possibilité de double inscription. Ce faisant, les communes se trouveraient soulagées d'une partie de leur charge, sous réserve de disposer de l'environnement informatique adéquat auquel l'institut entend travailler avec les éditeurs de logiciel.

Ces modifications, qui entreraient en vigueur à l'horizon de 2019 , s'appliqueraient pour les postes à l'étranger et sur l'ensemble du territoire national, exception faite de la Nouvelle-Calédonie qui conserverait le système actuel de trois corps électoraux distincts. À l'approche d'échéances électorales décisives pour l'avenir institutionnel de ce territoire 5 ( * ) , l'application d'une telle réforme ne serait pas opportune.

Au final, ces textes apportent des modifications bienvenues que votre commission, suivant les propositions de son rapporteur, a aménagées pour faciliter leur mise en oeuvre, éviter les contestations et plus encore les conflits. Aux yeux de votre rapporteur, cette réforme sera d'autant mieux acceptée par les services chargés de son application qu'ils disposeront d'un temps raisonnable pour assurer la concordance entre la liste nationale et les listes locales dont elles sont extraites. Actuellement, quoique fâcheuses, les discordances entre la liste de l'INSEE et la liste locale n'interdit pas à un électeur absent de la première de voter. Ce ne sera plus le cas après la réforme. Il est donc essentiel d'éviter ce type de situation, source de conflits.

Ces textes votés, il appartiendra aux services communaux ou consulaires, de le « faire vivre » en saisissant toutes les occasions d'inciter les nouveaux électeurs potentiels à s'inscrire sur les listes électorales. Par ailleurs, la dématérialisation progressive des procédures administratives (procurations en ligne pour les électeurs expatriés, inscription en ligne sur le site service-public.fr, etc .) devraient faciliter la mise en oeuvre de la réforme.

Faciliter la procédure d'élaboration et de révision des listes électorales est donc souhaitable, un encouragement des citoyens à exercer leur droit de suffrage et, selon la formule des rapporteurs de l'Assemblée nationale, un moyen de corriger « l'inadaptation de notre procédure d'inscription à la mobilité géographique des électeurs » .

Ceci dit, penser endiguer la croissance de l'absentéisme électoral simplement en améliorant les conditions d'inscription sur les listes serait un leurre, un leurre coupable car il dispenserait de trouver les réponses politiques à ce délitement de notre démocratie.

I. LES CONDITIONS D'INSCRIPTION SUR LES LISTES ÉLECTORALES : ASSOUPLISSEMENT ET RATIONNALISATION

Si l'essentiel de la réforme se concentre sur la procédure d'établissement et de tenue des listes électorales, les textes soumis à votre commission contiennent des modifications de fond des règles permettant de solliciter l'inscription sur une liste électorale.

A. LA REFONTE DES CAS D'INSCRIPTION AUPRÈS D'UNE COMMUNE

1. De nouvelles conditions de rattachement à la liste électorale d'une commune

Si l'essentiel des inscriptions sur la liste électorale ont lieu dans la commune du domicile réel de l'électeur, l'article L. 11 du code électoral ouvre également cette possibilité aux personnes qui ont acquitté, pendant cinq ans consécutifs, des impôts directs au sein de la commune concernée.

Les textes transmis au Sénat entendent prendre en compte la situation de personnes qui ne figurent pas en leur nom propre sur le rôle fiscal mais en qualité d'indivisaire, de gérant ou d'associé majoritaire ou unique d'une société qui acquitterait cette imposition. C'est prendre en compte une évolution juridique profonde permettant de détenir un bien immobilier ou un fonds de commerce à travers une société et non en leur nom propre.

L'Assemblée nationale a également voulu assouplir la condition d'attache communale en réduisant de cinq à deux années consécutives la durée d'inscription au rôle des contributions directes locales exigée pour être reconnu contribuable local et donc électeur.

Si votre commission a souscrit à la première modification, elle a en revanche suivi son rapporteur en supprimant la seconde : cette modification souhaitée par les députés peine à trouver une justification convaincante. Si le lien avec la commune ne s'établit pas par la résidence effective, le lien fiscal, d'une nature différente, doit être suffisamment entretenu pour justifier une inscription électorale... Sauf en cas de suffrage censitaire évidemment !

En fait cette règle se justifie en ce qu'elle permet à certains électeurs, essentiellement en milieu rural, de conserver dans la durée l'attache avec une commune dans laquelle ils ont vécu et avec laquelle ils conservent un lien affectif. Mieux vaut donc ne pas faciliter les rattachements artificiels et sujets à controverse, et ce, d'autant moins que l'inscription des nouveaux résidents est facilitée par la réforme.

Enfin, votre commission a conservé l'introduction par les députés de la possibilité pour les enfants âgés de moins de 26 ans dont les parents sont électeurs de la commune , de voter au sein de cette dernière. Cette disposition répond particulièrement au problème soulevé par les étudiants, qui, tout en conservant une attache avec la commune de leurs parents, sont installés provisoirement dans une autre commune pour les besoins de leurs études.

2. Un élargissement des cas d'inscription d'office

L' inscription d'office permet à un citoyen, s'il remplit les conditions pour être électeur, d'être inscrit sur une liste électorale sans qu'il ait besoin de solliciter son inscription. Depuis 1997, cette procédure est réservée aux personnes qui ont 18 ans au plus tard la veille du jour du premier tour du scrutin, à partir du recensement effectué par le ministère de la défense.

Ce dispositif serait étendu aux jeunes atteignant l'âge de 18 ans entre les deux tours d'un scrutin . En outre, bénéficieraient désormais de cette procédure les personnes qui acquièrent la nationalité française .

Votre commission a approuvé, sans réserve, ces deux modifications.


* 1 Rapport d'information n° 2473 du 17 décembre 2014 sur les modalités d'inscription sur les listes électorales fait au nom de la commission des lois de l'Assemblée nationale ( http://www.assemblee-nationale.fr/14/rap-info/i2473.asp ).

* 2 Le bilan de la mise en oeuvre de cette procédure exceptionnelle a été dressé par votre rapporteur au sein de l'avis budgétaire qu'il a présenté devant la commission des lois sur le projet de loi de finances pour 2016 (http://www.senat.fr/rap/a15-170-1/a15-170-11.pdf).

* 3 « La réforme de la gestion des listes électorales » , rapport de l'inspection générale des finances, de l'inspection générale de l'administration et de l'INSEE, septembre 2015, ( http://www.igf.finances.gouv.fr ).

* 4 Avis n° 391031, 391032 et 391033 du Conseil d'État.

* 5 La situation particulière des listes électorales en Nouvelle-Calédonie a été rappelée devant votre commission des lois par notre collègue Catherine Tasca ( https://www.senat.fr/compte-rendu-commissions/20160523/lois.html#par15 ).

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