CONCLUSION
Après un examen attentif des stipulations de cet accord, la commission recommande l'adoption de ce projet de loi qui contribuera au développement économique et à l'intégration de la région asiatique, et ce d'autant plus que l'AIIB, tout en fonctionnant avec des coûts optimisés, appliquera des normes sociales et environnementales ainsi que des règles de passation des marchés conformes aux bonnes pratiques des autres banques multilatérales de développement, ce qui facilitera les partenariats, notamment les cofinancements, avec celles-ci.
En outre, il est absolument nécessaire que la France ratifie rapidement cet accord, afin d'être en mesure, une fois la loi promulguée, les formalités de dépôt des instruments de ratification et le versement de sa contribution réalisés, de prendre la place qui lui revient dans la gouvernance de la Banque, notamment lors de l'Assemblée annuelle12 ( * ) de l'AIIB, prévue fin juin 2016 . Jusqu'à présent, faute d'avoir ratifié, la France n'a été invitée qu'en tant qu'observateur, aux réunions du Conseil des gouverneurs et du Conseil d'administration de l'AIIB qui se sont tenus en janvier dernier. Elle n'a donc eu ni droit de parole, ni droit de vote, pendant ces réunions.
La commission a adopté le présent projet de loi lors de sa réunion du 4 mai 2016.
EXAMEN EN COMMISSION
Réunie le 4 mai 2016, sous la présidence de M. Christian Cambon, vice-président, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées a procédé à l'examen du rapport de M. Jean-Pierre Raffarin sur le projet de loi n° 483 (2015-2016) autorisant la ratification de l'accord portant création de la Banque asiatique d'investissement dans les infrastructures (Asian Infrastructure Investment Bank, AIIB) .
Après l'exposé du rapporteur, un débat s'est engagé.
M. Christian Cambon, président. - On observe, dans cette partie du monde, une certaine prévention à l'encontre de la Chine. On a vu aussi la manière dont ce pays s'y est pris à Madagascar. La Chine a-t-elle réussi à modifier son image ?
M. Robert del Picchia. - Vos remarques sur le multilatéralisme de la Chine sont justes. On voit que la Chine est soucieuse de soigner son image en se montrant généreuse vis-à-vis de ses partenaires. En revanche, si cette initiative est complémentaire du système monétaire international actuel, ne risque-t-elle pas à terme d'entrer en concurrence avec lui ? Par ailleurs, en quelle monnaie les prêts pourront-ils être libellés ? On se souvient que l'initiative de l'OPEP pour remplacer le dollar par le DTS avait fait long feu. Enfin, où la Grande-Bretagne se situe-t-elle dans cette initiative ?
Mme Nathalie Goulet. - La France a intérêt à ratifier cet accord. Il est intéressant qu'on trouve comme signataires Israël, l'Arabie Saoudite mais aussi l'Iran. Que va-t-il se passer si les sanctions perdurent à l'encontre de ce dernier pays malgré l'accord récemment signé ? Si un des membres fondateur figure dans la liste des paradis fiscaux ? Enfin, de quelle manière cette nouvelle banque coordonnera-t-elle son action avec celle la Banque islamique de développement ou encore de l'Agence française de développement (AFD) ?
M. Joël Guerriau. - La route de la soie rappelle Marco Polo, sauf que dans le cas de l'espèce c'est la Chine qui s'ouvre le monde et non l'inverse ! Que pourra faire la France en pesant 3 % du capital ? Quel était le risque de ne pas adhérer ? Quelle est la position des banques françaises et de l'AFD ? La chaise unique de la zone euro sera une parmi combien de chaises ?
Mme Marie-Françoise Perol-Dumont. - La création de cette banque est à l'évidence un succès diplomatique pour la Chine mais nous ne pouvions pas être absents de ce tour de table. Les votes seront proportionnels aux PIB des pays membres. Ceci n'est-il pas facteur d'instabilité si d'autres pays adhèrent ? Quelle sera alors notre place dans le dispositif ? La part de nos entreprises ne risque-t-elle pas d'être très fluctuante ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. - On voit que la monnaie chinoise est de plus en plus utilisée en Afrique. Quelle est la position du Japon, des Etats-Unis et des autres pays sur cette évolution ? Comment l'activité de cette nouvelle banque va-t-elle s'articuler avec celle de la Banque asiatique de développement ?
M. Yves Pozzo di Borgo. - Ne s'agit-il pas d'une sorte d'application par les Chinois de la doctrine Monroe à l'Asie ? Je poserais également une question en tant que président du groupe d'amitié France-Asie centrale. Dans les pays de la route de la soie, nous sommes à présent dans un « deuxième cercle économique ». Ainsi, au Turkménistan et au Kazakhstan, les entreprises françaises étaient présentes, mais cette présence recule. Est-ce que nos entreprises pourront bénéficier de la pénétration de l'AIIB dans cette zone ?
M. André Trillard . - A côté de ce beau projet, il y a la banque des BRICS dont la gouvernance est également chinoise ! Par ailleurs, l'Afrique peut devenir la chasse gardée de la Chine ! Je pense notamment à la construction de ports dans plusieurs pays, et aux visées chinoises sur le port de Lomé, en particulier. Par ailleurs, n'oublions pas que certains produits restent interdits à l'importation en Chine, la pénétration de nos entreprises n'étant autorisée que dans les cas où la Chine le veut bien. Il faut certes adhérer à l'AIIB mais sur une base d'ouverture plus réciproque.
M. Claude Malhuret. - Le 18 décembre 2015, les occidentaux ont fait une concession importante à la Chine en permettant que le renminbi soit inclus dans le panier des cinq monnaies composant les DTS, alors même que la monnaie chinoise ne remplissait pas les critères nécessaires, étant étroitement contrôlé par le Gouvernement chinois. Il y a là une rupture d'égalité. Est-il dès lors prudent de s'engager dans ce nouveau projet sans exiger que la monnaie chinoise rejoigne le droit commun ?
M. Jean-Paul Emorine. - Un commentaire : lorsqu'on voit l'influence chinoise dans cette zone, en particulier à Singapour et en Malaisie, la démarche de la Chine apparaît naturelle. Il est préférable pour nous d'y participer. Par ailleurs, nous avons fait, Richard Yung et moi, un rapport sur l'union des marchés de capitaux. Aux Etats-Unis, 70 % des investissements sont financés par les marchés de capitaux. En Europe, le président Juncker aimerait que l'on passe de 30 à 50 %. Il faut donc relativiser ! Enfin, les Chinois recherchent assidûment des terres agricoles en raison de leurs énormes besoins dans ce domaine.
M. Jeanny Lorgeoux. - On ne pourra pas empêcher la montée de l'« Empire chinois ». Il vaut mieux accompagner le mouvement que s'y opposer. En ce qui concerne l'Afrique subsaharienne, l'AFD ne peut pas financer à elle seule toutes les infrastructures. Or les Africains ayant commencé à remettre en cause la qualité des infrastructures construites par les Chinois, la Chine aimerait une « triangulation » avec la France pour pénétrer plus durablement le marché africain en améliorant la qualité de ses investissements. Du point de vue des entreprises françaises, il s'agit d'utiliser au mieux ce nouveau levier !
Mme Hélène Conway-Mouret. - Quelle est la réaction de Moscou à la création de cette banque ?
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur . - Finalement, la question de fond que vous posez revient à se demander s'il faut avoir peur de la Chine. En premier lieu, cela ne sert à rien d'avoir peur en politique étrangère et en second lieu, cela dépend de la vision que l'on a du monde. En France, la vision de la politique étrangère est celle d'un monde multipolaire. L'émergence de la Chine contribue à un nouvel équilibre du monde et c'est aussi le moyen de ne pas avoir pour seul interlocuteur les États-Unis. La paix, qui est notre objectif final, ne doit pas être imposée au reste du monde par une seule grande puissance, mais doit être le résultat d'un équilibre entre les pays. Le fond de l'affaire, c'est que la pensée chinoise n'est pas une pensée de l'affrontement. Songer qu'au XVe siècle l'amiral Zheng He arrive en Afrique avec une véritable armada mais qu'il ne lui vient pas à l'idée de coloniser les territoires qu'il visite. On n'a pas affaire à un peuple qui pratique l'affrontement, même si cela ne veut pas dire qu'il ne défend pas ses intérêts. L'élément important, c'est « le potentiel de situation », comme cela a très bien été montré par François Julien notamment, la création d'un rapport de forces tel que les adversaires n'ont pas intérêt à vous attaquer. Ainsi pour les Chinois, le général le plus brillant n'est pas celui qui gagne la guerre mais celui qui se met en situation de ne pas avoir à la livrer.
La Chine construit l'AIIB et obtient l'entrée du renminbi (RMB) dans le panier des droits de tirage spéciaux (DTS), c'est à dire qu'elle construit son « potentiel de situation », sans agressivité, en associant les autres pays. Naturellement, il y a derrière tout cela une volonté de puissance marquée par une ambition d'abord asiatique. La Chine veut être « le leader » de cette région en vue d'être une puissance mondiale majeure. La recherche de l'équilibre « à la française » ne peut s'exprimer que par la voie multilatérale. Que des outils multilatéraux se créent, c'est la moins mauvaise des solutions, car ils permettent d'associer le plus de partenaires possibles. Le fait que la Chine investisse dans l'ONU, comme le dit Robert del Picchia, me paraît positif car on reste dans un cadre multilatéral. Je serais davantage inquiet si elle s'investissait à l'extérieur de l'ONU ! Le Président Cambon parlait de l'expérience de Madagascar et cela rejoint ce que disait Jeanny Lorgeoux sur l'Afrique. Les Chinois veulent corriger les difficultés connues en Afrique et ils souhaitent travailler avec la France en Afrique pour y construire une stratégie de long terme. Les Chinois ont une volonté de long terme et la France leur semble être un bon allié pour cela.
Pour répondre à Robert del Picchia, il y a douze sièges au Conseil d'administration dont trois hors région Asie. Il y a ainsi une chaise « zone euro », une chaise « Europe élargie » avec notamment le Royaume-Uni et une chaise « Emergents non asiatiques » avec le Brésil, l'Egypte et l'Afrique du Sud. C'est vrai qu'il y a des concurrences, comme le disait aussi Joëlle Garriaud-Maylam. Le Japon d'ailleurs a lancé son propre plan d'investissements de 110 milliards de dollars sur cinq ans et la Banque asiatique d'investissement a également fait son plan d'investissements en Asie. Cependant il y aura aussi des partenariats et des cofinancements comme l'accord le prévoit.
Pour répondre à Joël Guerriau, si nous sommes d'accord pour que la Chine soit un partenaire mondial dans un monde multipolaire, alors on n'a pas intérêt à dire « non » en permanence mais plutôt à aider la Chine à accéder à cette position. Le Royaume-Uni a été plus rapide que nous, mais je considère qu'il valait mieux répondre avec l'Allemagne et l'Italie que tout seul, même un peu plus tardivement. Le risque est d'apparaître comme velléitaire et comme manquant de confiance dans un monde multipolaire. Quand je vois que les Etats-Unis exigent des visas pour les Français qui ont fait un passage préalable en Iran alors qu'ils décident d'ouvrir l'Iran, je m'interroge sur l'intérêt qu'une seule grande puissance fixe des règles. S'agissant des droits de vote, il n'y a pas de risque de déséquilibre s'il y a de nouveaux entrants au capital. Il n'y a pas non plus de monnaies choisies mais on reste dans une logique d'internationalisation du RMB. Les propos des campagnes présidentielles américaines sont souvent en contradiction avec l'attitude des Etats-Unis par la suite. Ainsi, lors de son premier déplacement en Chine, en qualité de secrétaire d'Etat, Mme Clinton n'avait pas dit un mot de la question des droits de l'Homme. On voit bien qu'il y a une attitude destinée au public américain et une autre, celle de deux grandes puissances qui traitent entre elles.
Pour répondre à Yves Pozzo di Borgo, s'agissant des grandes entreprises françaises, elles travaillent assez bien en Chine et je ne suis pas très inquiet. Pour les PME, c'est différent, car il faut qu'elles y aient de bons partenaires. Les grands groupes trouveront des partenariats mais il faut construire des partenariats pour les PME car sinon, comment peuvent-elles profiter des opportunités ? Notre système d'export est fragilisé par le fait que les grands groupes ne portent pas les PME comme c'est le cas en Allemagne. Safran emmène des PME en Chine mais il y a assez peu de groupes français qui le font. Jean-Paul Emorine a tout à fait raison sur l'achat de terres par les Chinois. Vous avez été plusieurs à parler du triangle France-Chine-Afrique, je vous annonce qu'il y aura un grand forum sur ce sujet à Dakar fin 2016 en présence des premiers ministres français et chinois, des autorités sénégalaises et celles d'autres pays d'Afrique. S'agissant de la Russie, les relations entre la Chine et la Russie se sont améliorées. La Chine a toujours choisi la stabilité en matière de politique étrangère. Pour elle, un bon régime est un régime stable. Les Chinois ne se positionnent pas comme « les gendarmes du monde ». Ils considèrent que pour développer leur pays, ils ont besoin que le reste du monde soit stable.
Pour conclure, il se passe quelque chose de très intéressant aujourd'hui. Un nouveau monde se dessine avec de nouvelles puissances. La Chine y sera un facteur d'équilibre avec les Etats-Unis. Tout notre intérêt est de construire du « multilatéral » pour éviter d'être exclu.
Mme Hélène Conway-Mouret. - En fait ma question portait sur l'attitude des pays qui sont dans la zone d'influence russe. N'auraient-ils pas intérêt à se tourner vers la Chine et quelle serait alors l'attitude de la Russie ?
M. Jean-Pierre Raffarin, rapporteur. - La Russie ne peut pas être contre les investissements chinois dans ces pays, compte tenu de sa situation économique. Il n'y aura donc pas d'hostilité. La Russie et la Chine ont fait beaucoup de progrès pour se comprendre. Nous travaillons beaucoup pour cela.
Suivant l'avis du rapporteur, la commission adopte le rapport ainsi que le projet de loi précité, à l'unanimité. Il sera examiné par le Sénat en séance publique le 12 mai 2016, selon la procédure normale.
* 12 Le ministre des Finances et des Comptes publics pourrait y participer.