AVANT-PROPOS
Madame, Monsieur,
Il est rare de voir l'économie maritime, en tant que telle, au coeur d'un texte législatif, alors même qu'elle représente un atout majeur pour notre pays et un formidable levier de croissance et d'emplois.
Cette proposition de loi est le troisième texte consacré aux activités maritimes depuis 2012. Elle vient en effet après l'adoption de la loi du 1 er juillet 2014 relative aux activités privées de protection de navires, rapportée par Odette Herviaux, et après l'adoption de la loi du 8 décembre 2015 tendant à consolider et clarifier l'organisation de la manutention dans les ports maritimes, rapportée par Michel Vaspart.
La présente proposition de loi a été déposée le 8 juillet 2015 sur le bureau de l'Assemblée nationale, examinée par la commission du développement durable le 27 octobre 2015 et en séance publique les 2 et 3 février derniers.
Elle fait suite au rapport du député Arnaud Leroy sur la compétitivité des services et transports maritimes français, remis en novembre 2013 au Premier ministre Jean-Marc Ayrault et au ministre délégué chargé des transports, de la mer et de la pêche, Frédéric Cuvillier. Elle reprend une partie des vingt-six propositions formulées à cette occasion.
Un certain nombre de ces mesures sont demandées par le monde maritime depuis parfois près d'une décennie. Le calendrier d'examen étant fortement contraint, votre rapporteur a souhaité entendre un large panel d'acteurs, en ouvrant largement ses travaux à l'ensemble des membres de la commission et à ceux du groupe d'études mer et littoral.
C'est dans ce climat d'ouverture et d'urgence que votre rapporteur a examiné ce texte, afin de déterminer s'il répond, d'une part, aux besoins immédiats de notre économie maritime, et s'il permet, d'autre part, de poser les jalons d'une véritable stratégie de croissance bleue.
Tout en déplorant l'impuissance maritime française et l'absence de volonté gouvernementale d'y remédier, votre commission a adopté ce texte, en l'améliorant sur certains points lors de sa réunion du 2 mars 2016.
EXPOSÉ GÉNÉRAL
I. UN CONTEXTE INQUIÉTANT
En dehors de quelques espaces maritimes resserrés comme la Méditerranée ou la mer de Chine méridionale et de quelques grandes routes maritimes, les océans restent de vastes déserts vierges de toute occupation humaine . La mer est une réalité gigantesque que nous avons devant nous sans toujours la voir pleinement pour tout ce qu'elle est.
A. LA MER EST NOTRE AVENIR
Sans entrer dans une approche exhaustive des vertus et ressources de la mer, votre rapporteur souhaiterait insister sur cinq points .
Le premier point est que la mer est une infrastructure essentielle du XXI ème siècle , qui sera sans doute le plus maritime de toute l'histoire de l'humanité. Sans la mer, il n'y a pas de mondialisation. D'une part, elle permet le transport de 80 % des marchandises échangées dans le monde , soit plus de 10 milliards de tonnes par an. De nos jours, le chargement d'un seul porte-conteneurs représente 1 000 Airbus A 380 cargo ou 6 000 gros camions. Et le coût est dérisoire : le transport d'un conteneur de 20 tonnes entre la Chine et l'Europe coûte moins cher que celui d'un seul passager par avion. Cela justifie des investissements gigantesques comme le creusement d'un second canal de Panama ou l'élargissement du canal de Suez.
D'autre part, la mer permet d'assurer, via les réseaux de câbles sous-marins, la quasi-totalité des communications internationales , à des coûts également très faibles. D'ores et déjà, des réseaux de fibres optiques sont en cours de mise en place sous la future route maritime de l'Arctique , dont le bénéfice attendu est de réduire de 50 millisecondes le temps de transit des informations bancaires entre l'Europe et l'Extrême Orient, actuellement d'environ 230 millisecondes via Suez et la route traditionnelle des Indes.
Le deuxième point est que la terre dépend directement de la mer . En 2020, 70 % de la population mondiale vivra à moins de 60 kilomètres des côtes . La mondialisation repose aujourd'hui sur un réseau de mégalopoles de Los Angeles à Jakarta, en passant par Rio de Janeiro, Dubaï, Londres, Mumbai, Istanbul, Singapour, Hong Kong ou Kobé pour n'en citer que quelques-unes, et toutes ces cités géantes sont d'abord des ports . Il n'y a pas de grand pays industriel qui ne soit pas aussi un grand pays maritime. C'est une loi intangible, de la Venise d'hier à la Chine d'aujourd'hui.
Le troisième point est que la mer est et demeure la source de la vie . Elle y est apparue voici plus de quatre milliards d'années. Le sang humain en conserve d'ailleurs la mémoire, puisque sa composition ionique est très proche de celle de l'eau de mer. Aujourd'hui, près de trois milliards d'hommes dépendent des ressources halieutiques pour leur alimentation. Et les océans sont indispensables à la régulation de la terre et de son atmosphère, en absorbant 90 % de la chaleur produite et un tiers des émissions de carbone. Autant le dire, sans la mer, point de vie sur la planète.
Le quatrième point est que la mer est un gisement inestimable de ressources énergétiques, minérales et biologiques . Les océans recèlent 90 % des hydrocarbures et 84 % des métaux rares : on présente souvent ces réserves reposant au fond des océans, et les permis, qui se multiplient en haute-mer, comme le symptôme d'une nouvelle ruée vers l'or . C'est sans compter les microalgues qui promettent non seulement de la nourriture, des engrais, des cosmétiques et des médicaments, mais aussi des carburants de troisième génération et des plastiques « bio ». Il faut savoir qu' un seul litre d'eau de mer contient un milliard de bactéries et cent mille micro-algues. Ce n'est donc pas le bleu d'un désert que l'on observe depuis l'espace, c'est le bleu de la vie. Ce trésor immense est encore largement inconnu : à ce jour, seulement 300 000 espèces vivantes du milieu marin, des micro-organismes aux organismes supérieurs, ont été recensées alors que leur nombre est estimé à plusieurs millions . Le marché mondial des bioressources marines est évalué à 2,8 milliards d'euros et croît de plus de 10 % par an.
Le cinquième point, qui découle naturellement des autres, est que la mer est l'espace économique et stratégique le plus disputé , avec le cyberespace. Elle est au coeur de la rivalité entre les États-Unis et la Chine. D'ailleurs le gigantesque projet « One Belt, One Road » annoncé par le gouvernement chinois, probablement le plus grand projet d'infrastructures au monde, vise notamment le développement d'un réseau de ports et la création d'une nouvelle « route de la soie » maritime . Ces ambitions maritimes de la Chine sont également symbolisées par la construction de plus de 800 hectares d'îlots artificiels au cours des derniers mois. Les autres pays émergents ne sont pas en reste et investissent massivement dans les espaces maritimes, qu'il s'agisse de plateformes portuaires ou de la constitution de flottes de haute-mer. À titre d'exemple, la Russie consacre plus de 400 milliards de dollars à la modernisation de sa flotte.