C. LES INFRASTRUCTURES : UN FINANCEMENT INSUFFISANT

Les dépenses, hors titre 2, engagées au titre de la politique immobilière du ministère sont retracées à l'action 04 du programme 212. Le périmètre de cette action englobe l'ensemble des dépenses d'infrastructures ainsi que aussi les moyens de fonctionnement alloués au service des infrastructures de la défense (SID) et les dépenses locatives et d'entretien courant.

Le projet de loi de finances pour 2016 propose d'inscrire, au titre de cette action, 1,6 milliard d'euros en autorisations d'engagement, soit 5,5 % de moins qu'en 2015, et près de 1,2 milliard d'euros en crédits de paiement, soit 11,4 % de plus qu'en 2015. Cette hausse s'explique par le lancement d'opérations liées aux grands programmes d'armement. Toutefois, Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration du ministère de la défense affirme que ces dotations « ne sont pas suffisantes puisque les états-majors, pour la programmation 2016, évaluent les besoins à 1,4 milliard d'euros en crédits de paiement » 13 ( * ) .

1. Les besoins liés à la moindre déflation des effectifs

Le ministère de la défense privilégiait jusqu'ici dans la mise en oeuvre des restructurations un principe de densification des emprises militaires, afin d'ajouter des économies de structure et de soutien aux économies sur les dépenses de personnel liées aux dissolutions d'unités.

Le relèvement des effectifs de la force opérationnelle terrestre - qui passe de 66 000 militaires à 77 000 militaires - et son rôle accru dans la protection du territoire, qui implique un maillage plus fin, met à mal cette stratégie.

Le nouveau modèle de l'armée de terre issu de l'actualisation de la programmation militaire ne prévoit ainsi pas de dissolution de régiments. Il faut en outre assurer le logement des militaires participant à l'opération Sentinelle.

Le ministre de la défense a ainsi déclaré le 21 octobre dernier 14 ( * ) que les infrastructures utilisées dans le cadre de l'opération Sentinelle « doivent véritablement faire l'objet d'adaptations, en particulier dans la région parisienne » et qu'il avait en conséquence décidé « d'interrompre la vente de la caserne Lourcine, dont le produit devait initialement être intégré aux recettes immobilières, afin que les militaires participant à l'opération Sentinelle à Paris bénéficient de conditions de logement convenables ». Admettant que « les débuts ont été difficiles », Jean-Yves Le Drian a en outre indiqué qu'un financement de 20 millions d'euros a été affecté « à la mise aux normes des logements et à l'acquisition des équipements nécessaires pour que les sites d'accueil puissent offrir minimum de confort, notamment en Île-de-France ».

2. La remise à niveau de la protection des sites de munitions

À la suite vol de détonateurs et d'explosifs dans l'enceinte de l'établissement de munitions régional de Miramas dans la nuit du 5 au 6 juillet 2015 et face aux carences révélées par l'enquête qui semblent également toucher de nombreux sites, le ministère de la défense a annoncé le 30 juillet dernier qu' « un plan d'urgence, dédié à la protection des sites de munitions, a été élaboré et validé par le ministre ». Ce plan comporte des mesures de trois types :

« - des mesures immédiates d'ores et déjà ordonnées, qui sont réalisées ou en cours de mise en oeuvre. Elles concernent le renforcement de la protection physique, au niveau des clôtures et des magasins de stockage des munitions, ainsi que le déploiement d'une centaine de militaires. Elles portent également sur la réparation des systèmes de surveillance.

« - des mesures urgentes visant à doter les sites les plus vulnérables de systèmes de vidéo-surveillance. Leur mise en place interviendra dans les meilleurs délais.

« - des mesures pérennes de reconstruction des magasins de stockage de munitions et de renforcement des capacités de détection des sites. Leur réalisation débutera dès 2016 et entraînera un surcoût d'environ 60 millions d'euros sur cette annuité. »

Dans ce cadre, l'ensemble des dépôts de munitions seront progressivement pourvus d' « igloos » destinés à protéger les personnels en cas d'intrusion ou d'explosion de munitions.

Au-delà de 2016, les dépenses liées à la mise en oeuvre de ce plan, « qui s'étaleront sur plusieurs années, pourraient approcher 400 millions d'euros », comme l'a expliqué Jean-Paul Bodin, secrétaire général pour l'administration lors de son audition du 13 octobre 2015 par la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale.

3. Les besoins des opérateurs : l'exemple de l'Onera

Établissement public créé en 1946 et placé sous la tutelle du ministère de la défense, l'Office national d'études et de recherches aérospatiales (Onera) est aujourd'hui le premier acteur français de la recherche aéronautique, spatiale et de défense avec 25 % de l'effort de recherche national. Ses ressources reposent pour moitié sur la subvention pour charges de service public (SCSP) versée par le ministère de la défense depuis le programme 144 « Environnement et prospective de la politique de défense » et dont le montant s'établit dans le présent projet de loi de finances à 105 millions d'euros, comme l'an dernier.

L'Onera possède le plus grand parc européen de souffleries de grandes dimensions. La soufflerie S1, installée à Modane (Savoie), est la plus grande soufflerie sonique du monde : elle peut souffler un vent à presque Mach 1, soit la vitesse du son, dans un conduit de 8 m de diamètre. Elle représente ainsi une installation essentielle pour l'industrie aéronautique française, y compris de défense.

Or la soufflerie S1 subit depuis plusieurs années l'affaissement du terrain sur lequel elle est construite. Ce phénomène s'est brutalement aggravé à la suite de l'épisode caniculaire de juillet 2015 et réclame des travaux urgents que l'Onera n'est financièrement pas capable d'assumer.

Plus généralement, la Cour des comptes estime, dans un rapport particulier de mars 2015 sur les comptes et la gestion de l'Onera, que « la mise à niveau des souffleries industrielles impliquera des investissements conséquents dans les années à venir » et avertit que « la trajectoire des nécessaires dépenses d'investissement et corrélativement des financements requis pourrait constituer, dans les années à venir, un effet de ciseau difficilement soutenable ».

Nommé en mai 2014, Bruno Sainjon, président directeur général (PDG) de l'Onera, signale qu' « en 2012 les industriels de l'aéronautique en Europe, interrogés sur le sujet des outils indispensables pour le futur d'une industrie aéronautique européenne innovante et compétitive, ont déclaré comme essentielles à leur développement 12 souffleries en Europe dont 8 des grandes souffleries de l'Onera ». Aussi, « pour répondre à ce besoin stratégique pour notre industrie aéronautique et spatiale européenne, une remise à niveau durable de ces souffleries devra être entreprise, avec le double objectif de maintenir leur état opérationnel et fournir aux utilisateurs des résultats d'essai et des mesures de plus en plus précis et à forte valeur ajoutée. Mais cette remise à niveau ne pourra être assumée seule par l'Onera. C'est pourquoi, l'Onera a identifié pour ses 8 souffleries stratégiques, 51 projets d'investissements. Regroupés dans un plan de soutien d'un montant total de 218 millions d'euros sur une période de onze ans, qui a reçu le soutien du Gifas, il sera soumis très prochainement pour évaluation aux autorités étatiques. »

Votre rapporteur spécial a interrogé le ministère de la défense sur la contribution que celui-ci était susceptible d'apporter au financement des travaux urgents de sécurisation de la soufflerie S1 de Modane et du plan de mise à niveau des souffleries stratégiques.

Cette question est pour l'instant restée sans réponse.

Néanmoins, le 7 octobre dernier 15 ( * ) , Laurent Collet-Billon, délégué général pour l'armement, a déclaré devant la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale : « L'Onera, qui est sous tutelle de la DGA, est confronté à plusieurs types de problèmes : un problème d'infrastructure globale - il occupe un immeuble de grande hauteur à Châtillon qu'il faudra évacuer, le coût de cette opération étant initialement estimé à 70 millions d'euros - ainsi que des problèmes sur les bancs d'essai, comme celui de Modane, affecté par un glissement de terrain et d'affaissement de plusieurs centimètres par an, qui met en cause la viabilité de l'installation - des estimations seront produites sur le coût de sa sécurisation. Nous sommes attentifs à la soufflerie S1, que nous utilisons pour nos programmes d'armement, mais la réparation entraîne une charge importante, qui ne peut être assumée dans le cadre de la subvention à l'Onera ou des recettes de celui-ci. En ce qui concerne plus globalement les perspectives de l'Office, nous avons demandé des travaux à différentes personnalités de manière à pouvoir disposer rapidement d'un plan stratégique tenant compte des contraintes d'infrastructure et de ce que doit faire l'Onera en matière de recherche. Cela devrait nous permettre de disposer d'une vue d'ensemble d'ici la fin de l'année. Les travaux menés doivent notamment vérifier que le lien entre cet organisme et le monde industriel se fait bien, sachant que nous souhaitons que le rôle du premier se place très en amont et que les travaux puissent être transférés de façon fluide vers l'industrie lorsqu'ils s'approchent de la réalisation, ce qui n'a pas toujours été le cas. »

Le 21 octobre dernier, le ministre de la défense s'est, quant à lui, dit « très sensible au sort de l'Onera, et notamment aux questions qui touchent à la soufflerie de Modane » et a confirmé qu'un plan stratégique était en cours d'élaboration, à partir duquel il « espère pouvoir établir un contrat d'objectifs avant la fin de l'année » afin « d'assurer le développement de ce très bel outil, qu'il faut quelque peu réorienter ». Jean-Yves Le Drian signale par ailleurs « avoir réabondé le budget de l'Onera de 9 millions d'euros en 2015 ».

Votre rapporteur spécial partage la préoccupation que suscite l'état des infrastructures de l'Onera. Il considère qu'effectivement un plan de remise à niveau est nécessaire et que la situation de la soufflerie S1 appelle une action urgente.

Toutefois, plusieurs questions nécessitent d'être traitées au préalable.

L'Onera a vocation à mener une activité de recherche tant militaire que civile et ses souffleries bénéficient également au secteur de l'aéronautique civile. L'activité contractuelle financée par la direction générale de l'aviation civile (DGAC) est passée de 24 millions d'euros en 2010 à moins de 0,3 million d'euros en 2014. La subvention versée par la DGAC représentait quant à elle environ 3,7 millions d'euros par an, avant qu'elle ne soit supprimée en 2011. Cette évolution est, selon la Cour des comptes, liée à des raisons multiples : « réduction du budget de la DGAC, volonté de la DGAC de cibler son soutien et d'encadrer l'utilisation de sa subvention afin d'éviter une contrariété potentielle aux règles du commerce international et du droit de la concurrence, perte de pertinence de l'ONERA aux yeux de la DGAC et dégradation des relations ». Ces relations semblent s'être améliorées depuis l'entrée en fonction du nouveau PDG de l'Onera. Le 15 septembre dernier, celui-ci s'est ainsi vu notifier par la DGAC trois programmes de recherche pour un montant de 7 millions d'euros sur cinq ans. En tout état de cause, d'autres sources de financement que la seule subvention du ministère de la défense peuvent certainement être trouvées ou développées 16 ( * ) pour faire face aux besoins importants auxquels l'Onera est confronté du fait de l'état de ses infrastructures.

De même, il semble indispensable que les investissements à venir s'inscrivent dans un plan stratégique et un contrat d'objectifs et de performance qui n'ont que trop tardé à être mis en place. À cet égard, il faut signaler les défaillances de la DGA dans l'exercice de sa tutelle.

« Une tutelle effacée qui n'a pas utilisé les moyens mis à sa disposition pour assurer le contrôle de l'État sur l'ONERA »

(extrait du rapport particulier de la Cour des comptes sur la gestion
et les comptes de l'Onera)

« De nombreux éléments traduisent le manque d'implication de la tutelle au sens large (DGA et autres acteurs étatiques disposant de pouvoirs particuliers). Le conseil d'administration et en particulier la tutelle technique (DGA) ne semblent pas avoir été suffisamment associés à la programmation des travaux de l'Office 17 ( * ) . Par ailleurs, aucun suivi de l'utilisation de la subvention versée par la DGA n'a été présenté en conseil, alors même que l'information budgétaire et financière y était insuffisante. Plus généralement, l'ONERA est le seul opérateur du ministère de la défense à ne pas avoir de contrat d'objectifs et de moyens (COM) depuis 2009. »

« Certains administrateurs (représentant de la DGAC et de la direction du budget) ont pris l'habitude de ne plus assister au conseil d'administration. De manière tardive et imprécise, la DGA a alerté, en juin 2012, le ministre de la défense sur le fait que « la tutelle se heurte à des difficultés dans la mise en place d'une concertation efficace avec l'Office afin de réformer le pilotage de la SCSP » et que « le niveau de concertation est très en deçà » du nécessaire . »

« Enfin, le délai écoulé entre le décès de l'ancien président-directeur général (8 août 2013) et la nomination d'un nouveau dirigeant (fin mai 2014) - soit dix mois - est particulièrement long, notamment au regard des règles que se donne le ministère de la défense. L'action du président par intérim pendant ce laps de temps a permis une certaine normalisation de la situation. Néanmoins, l'absence de dirigeant a bloqué pendant près d'un an de nombreuses évolutions nécessaires et urgentes (stratégie, immobilier, organisation interne, gouvernance, nominations). »

Source : rapport particulier de la Cour des comptes sur la gestion et les comptes de l'Onera

Pour votre rapporteur spécial, le plan stratégique, et le contrat d'objectifs et de performance qui en résultera, devront également permettre d'arrêter une position définitive concernant le regroupement des sites francilien de l'Onera (Palaiseau, Meudon et Châtillon). La Cour des compte observe ainsi que le « le dossier est gelé, en attente d'une réponse » et qu'en conséquence « la perspective d'un regroupement des sites franciliens reste lointaine ». À cet égard, l'Onera précise que « la démarche d'accompagnement renforcé de France Domaine vise notamment à faciliter ce regroupement ». L'office indique également que s'il « a lancé en fin d'année 2014 une étude permettant d'identifier les conditions de regroupement des installations franciliennes, cette démarche ne peut être déconnectée ni de la réflexion sur la stratégie scientifique, ni des objectifs qui seront assignés à l'Onera dans le futur COP qui, d'une manière générale, abordera les chantiers de réorganisation évoqués par la Cour, ni des moyens financiers qui pourront y être consacrés ». Ainsi, pour l'Onera, « l'aboutissement d'une rationalisation du parc immobilier en Île-de-France ressortit plus d'une question de moyens que de principe, auquel toutes les parties prenantes semblent désormais acquises ».

Interrogé sur sa position, le ministère de la défense n'a pas répondu à votre rapporteur spécial.


* 13 Audition devant la commission de la défense et des forces armées de l'Assemblée nationale, 13 octobre 2015.

* 14 Lors de son audition par la commission élargie de l'Assemblée nationale.

* 15 Au cours de son audition sur le projet de loi de finances 2016 en commission élargie à l'Assemblée nationale.

* 16 La Cour des comptes soulève ainsi la question de l'« implication financière de la direction générale de l'aviation civile - DGAC et de la direction générale de la recherche et de l'innovation - DGRI » et souligne la nécessité d' « augmenter significativement les ressources issues de la valorisation de la recherche ». Dans sa réponse au rapport de la Cour des comptes, Bruno Sainjon souligne d'ailleurs que l'Onera « vient de remporter trois appel d'offres lancés au titre du programma Cleansky 2 », pour un montant total de 30,4 millions d'euros.

* 17 L'évaluation du président pour 2012 par la DGA fait ainsi ressortir l'absence totale de participation de la DGA à l'élaboration du programme annuel.

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