II. LES OBSERVATIONS DE VOTRE RAPPORTEUR SPÉCIAL MICHEL BERSON

1. La stabilité des crédits doit être à la fois saluée et fortement relativisée

Votre rapporteur spécial note tout d'abord que le budget des programmes « Recherche » n'a pas connu de réduction majeure depuis le début du quinquennat, malgré le contexte budgétaire très tendu que la France connaît depuis plusieurs années et l'apparition récente de nouvelles priorités, notamment en matière de sécurité et de défense, au regard des évènement survenus sur le sol français en janvier et en novembre cette année. C'est évidemment un effort qu'il s'agit de saluer, d'autant plus que les crédits alloués dans le cadre du deuxième programme d'investissement d'avenir ont permis de renforcer le financement de certains programmes et d'en lancer de nouveaux qui prépareront l'excellence scientifique et technologique de demain.

Cependant, plusieurs éléments amènent à nuancer le constat d'une préservation du budget de la recherche publique.

a) La part des programmes « Recherche » dans le PIB a connu, hors PIA, une diminution de 6 % de 2011 à 2014

L'examen des crédits exécutés depuis 2010 fait apparaître une diminution de la part des programmes « Recherche » dans le produit intérieur brut (PIB) français. Cette réduction peut, il est vrai, sembler légère au regard des ordres de grandeur considérés (0,53 % en 2011, 0,50% en 2014), mais elle correspond en réalité à une baisse de 6 %. En d'autres termes, le budget de la recherche en 2014 ne correspondait, au regard du PIB, qu'à 94 % du budget de 2011.

Évolution de la part de la mission et des programmes « Recherche » dans le PIB

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et l'Insee

Cette diminution est perceptible dans les inquiétudes exprimées au sein de nombreux organismes de recherche , comme votre rapporteur spécial a pu le constater au cours des auditions menées dans le cadre de la préparation du présent rapport. S'ils ne subissent pas une baisse drastique, la diminution des financements année après année, même légère, produit des effets cumulés tant sur le plan de la capacité d'investissement des organismes que sur leurs recrutements.

b) La dynamique des dépenses de fonctionnement et de personnel menace, à crédits constants, la capacité d'investissement de certains organismes

En effet, comme le Gouvernement lui-même le reconnaît dans une des réponses envoyées au questionnaire de votre rapporteur spécial, « la stabilisation de la dotation des opérateurs de recherche à périmètre constant constitue en elle-même une contribution à l'effort de redressement des comptes publics, compte tenu des contraintes qu'ils sont ainsi amenés à internaliser , ne serait-ce qu'en termes de progression mécanique de la masse salariale (glissement vieillesse technicité) ». Les organismes de recherche -auxquels 95 % des crédits des programmes sont consacrés - n'ont que peu de marges de manoeuvre budgétaire en raison de la rigidité de la plus grande part de leurs dépenses , qui sont principalement composées de dépenses de personnel et de dépenses de fonctionnement (relatives par exemple à l'entretien d'une plateforme de recherche).

Dans ce cadre, le retard d'un programme de recherche - inévitable dans certains projets au regard de la complexité des enjeux scientifiques et du nombre d'acteurs impliqués - peut entraîner d'importantes difficultés budgétaires pour l'organisme considéré , comme en témoigne l'exemple du Commissariat à l'énergie atomique (CEA) qui fait face à une situation budgétaire délicate en raison des surcoûts constatés dans la construction du réacteur nucléaire de recherche « Jules Horowitz ».

c) Des diminutions de crédits en cours d'année

À cette relative fragilité budgétaire des opérateurs de recherche s'ajoutent des diminutions de crédits en cours d'année , difficiles à anticiper pour les gestionnaires et à comprendre pour le personnel de recherche, qui se voit demander de nouveaux efforts alors même que le budget de l'année a été voté par le Parlement. Les crédits peuvent être rendus indisponibles par la mise en réserve d'une partie des fonds, destinée à faire face à d'éventuels aléas de gestion : si le « gel » des crédits, dont les taux sont en général arbitrés en fin d'année, peut être anticipé par les organismes dans leurs budgets prévisionnels, ce n'est pas le cas des nouveaux « surgels » qui interviennent pendant l'exercice et qui exigent un ajustement immédiat des organismes .

En outre, contrairement à ce que le terme même de « réserve » pourrait laisser penser, les crédits gelés ne sont que rarement rendus aux gestionnaires en fin d'année et font, la plupart du temps, l'objet d'annulations afin de compenser les dérapages intervenus sur d'autres missions. L'écart entre les crédits votés par le Parlement et les fonds publics réellement alloués aux organismes est donc réel et tend à s'accroître : comme le montre le graphique ci-après, le taux d'exécution des programmes « Recherche » est passé de près de 100 % (99,9 %) à un peu plus de 98 %. Cette évolution, si elle reste modeste, n'en exige pas moins une adaptation des pratiques budgétaires des organismes, ce d'autant plus que la sous-exécution des crédits n'est pas répartie uniformément sur l'ensemble des programmes et que certains contribuent davantage que d'autres.

Évolution du taux d'exécution des programmes
« Recherche » (hors PIA) de 2010 à 2014

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

d) Une diminution significative des crédits alloués à la recherche dans le cadre des contrats de projet État-région (CPER)

Un dernier point de vigilance doit être signalé : le volet dédié à la recherche et l'innovation des contrats de projet État-région (CPER) pour les années 2015 à 2020 connaît une diminution notable par rapport aux dernières générations de CPER .

Les volets « recherche et innovation » dans les CPER 2015-2020

Les investissements réalisés par l'État, les régions, les autres collectivités territoriales et l'Union européenne dans les domaines de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation (ESRI) doivent oeuvrer à un rapprochement des trois piliers « Formation-Recherche-Innovation » et participer ainsi, au sein d'une société de la connaissance, au renforcement de la compétitivité et de l'attractivité des territoires. (...)

La réflexion stratégique lancée dans le cadre du CPER 2015-2020 a associé les différents partenaires financeurs et acteurs académiques, scientifiques et socio-économiques. Elle a dégagé des priorités en cohérence avec : la stratégie européenne (Horizon 2020, « Smart specialisation » et accord de partenariat sur le FEDER) ; les stratégies nationales d'enseignement supérieur et de recherche (France Europe 2020) prévues par la loi du 22 juillet 2013 ; les schémas régionaux pour l'enseignement supérieur, la recherche et l'innovation (SRESRI) également prévus par la loi et les politiques publiques connexes.

27 contrats CPER doivent être signés en 2015. Sur le volet « Recherche et Innovation », environ 300 projets, construits à l'échelle des sites, sont retenus dans le cadre de la contractualisation.

Un contrat de plan interrégional état région (CPIER) « Vallée de la Seine » est également contractualisé. Ce CPIER concerne, entre autres, des opérations de recherche interrégionales impliquant les régions Haute et Basse Normandie et l'Île-de-France.

Source : réponse du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche à votre rapporteur spécial

En effet, d'après les réponses adressées par le ministère de la recherche à votre rapporteur spécial, « une enveloppe recherche et innovation de 204 millions d'euros au titre du programme 172 est contractualisée . La participation des organismes de recherche est évaluée à 140 millions d'euros. Les autorisations d'engagement (AE) 2015 au titre du programme 172 se montent à 20,7 millions d'euros » .

À titre de comparaison, les contrats de plan État-région pour les années 2000-2006 prévoyaient un total de 632 millions d'euros en direction de la recherche et de l'innovation . Ce montant comprenait une contribution des organismes nationaux de recherche à hauteur de 168 millions d'euros. L'engagement du ministère chargé de la recherche était donc de 464 millions d'euros sur ses crédits. De même, le volet « recherche et innovation » du CPER 2007-2013 s'établissait à 638,3 millions d'euros .

Les CPER 2015-2020 sont donc inférieurs de moitié aux contrats précédents ce qui signifie que les organismes de recherche peuvent probablement s'attendre à une diminution des ressources issues des régions, pourtant importantes pourvoyeuses de financements. En effet, les conseils régionaux métropolitains représentent près des deux tiers des crédits alloués à la recherche par les collectivités territoriales : d'après une des réponses du ministère de la recherche à votre rapporteur spécial, « le budget que les collectivités territoriales déclarent affecter aux opérations de recherche et de transfert de technologie (R&T) est estimé à 1 300 millions d'euros en 2014, dont 800 millions d'euros pour les seuls conseils régionaux de France métropolitaine ».

e) Une réduction de 119 millions d'euros en seconde délibération qui n'est acceptable ni sur le fond, si sur la forme

En seconde délibération, à l'initiative du Gouvernement, l'Assemblée nationale a adopté une réduction des crédits de la mission à hauteur de 119 millions d'euros qui porte essentiellement sur les programmes « Recherche » et plus particulièrement sur le programme 193 « Recherche spatiale » qui voit ses crédits réduits de près de 5 % (en AE=CP). Ces diminutions sur le périmètre des programmes « Recherche » s'accompagnent d'une augmentation de 100 millions d'euros sur le périmètre « Enseignement supérieur ».

Évolution des crédits de la mission après adoption du budget par
l'Assemblée nationale

(en millions d'euros)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires

Certes, une augmentation de 321 millions d'euros est intervenue sur le programme 192 « Recherche et enseignement supérieur en matière économique et industrielle », mais celle-ci constitue une mesure de périmètre qui n'a pas d'impact réel sur les crédits disponibles pour les gestionnaires puisqu'il s'agit de modifier le mode de financement - et non le montant - du démantèlement des installations nucléaires du CEA.

Depuis plusieurs années, les crédits alloués à la recherche servent de variable d'ajustement aux augmentations décidées dans d'autres domaines . Ce « coup de rabot » n'est pas acceptable sur le fond , car il remet en cause l'engagement d'une sanctuarisation des crédits de la recherche : à périmètre constant, ces réductions de crédits correspondent à une diminution de 1 % des crédits de paiement accordés aux programmes « Recherche ». Il ne l'est pas non plus sur la forme : la seconde délibération, procédure par laquelle le Gouvernement demande à une chambre parlementaire de réitérer son vote sur des articles déjà adoptés et de les modifier, le cas échéant, par des amendements que seul le Gouvernement a le droit de déposer, ne donne pas le temps nécessaire aux parlementaires pour examiner l'opportunité et la portée des modifications demandées .

Notre commission avait ainsi décidé, l'année dernière, de rejeter les crédits de la mission après une diminution de 136 millions d'euros décidée, là aussi, en seconde délibération à l'Assemblée nationale. Votre rapporteur spécial considère que l'adoption des crédits doit être privilégiée sans pour autant renoncer à donner à la recherche de réels moyens d'action : c'est pourquoi il propose de rétablir les 119 millions d'euros supprimés par l'Assemblée nationale.

2. L'heure du choix en matière de recherche par projet : au niveau national, une baisse des crédits et des taux de succès qui touche ses limites
a) La recherche par projet : deux niveaux de financement

Le financement par projet intervient à deux échelles : au niveau national, c'est l'Agence nationale de recherche (ANR), créée en 2005, qui a pour mission la mise en oeuvre du financement de la recherche sur projets en France. Depuis 2010, l'agence est aussi le principal opérateur des investissements d'avenir dans le domaine de l'enseignement supérieur et de la recherche. Dans ce cadre, elle assure la sélection, le financement et le suivi des projets.

Au niveau international, l'Union européenne propose également de tels financements dont les modalités étaient d'abord définies par les programmes-cadres de recherche et développement technologique (PCRDT) qui se sont succédé de façon quadriennale de 1984 jusqu'en 2013, et le sont désormais par le programme de recherche « Horizon 2020 » qui a pris la suite du septième programme-cadre.

b) Au niveau européen : de premiers résultats encourageants mais très contrastés selon les programmes considérés

D'après les éléments fournis à votre rapporteur spécial par le ministère de l'enseignement supérieur, les premiers résultats consolidés 24 ( * ) obtenus par les participants français à Horizon 2020 sont plutôt encourageants dans la mesure où la France obtiendrait un taux de succès de 11,2 %. Ce chiffre est comparable à celui constaté sur l'ensemble du 7 ème programme-cadre (11, 3%) mais correspond à une forte hausse par rapport l'année 2013 (plus de 2 points).

Taux de succès par euro et par projet des dix principaux pays bénéficiaires

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses au questionnaire de votre rapporteur spécial

Il faut noter en particulier que le taux de participation des équipes françaises s'inscrit en forte augmentation par rapport à l'année 2013 (9,2 % du total des financements demandés au niveau européen contre 7,2% en 2013). Ces premières tendances restent évidemment à confirmer dans la durée mais conduisent à penser que l'effort de sensibilisation, d'ailleurs souligné par votre rapporteur spécial dans son rapport relatif au projet de loi de finances pour 2015, a porté ses fruits.

Taux de participation des dix principaux pays participants (crédits demandés)

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du MESR au questionnaire de votre rapporteur spécial

c) Au niveau national, des évolutions positives concernant l'organisation des appels à projet, des enveloppes budgétaires qui ne sauraient être davantage diminuées

Le financement de la recherche par projet se heurte à deux principales difficultés qui ont chacune trait au caractère incitatif des appels à projet : la complexité des procédures et le montant des crédits alloués.

Sur le plan de l'organisation des appels à projet , force est de constater que des efforts ont été faits afin de réduire la durée entre le dépôt du dossier et la décision de l'ANR d'une part et de simplifier les modalités de candidature d'autre part (sélection en deux temps, mise en oeuvre d'un dossier de candidature unifié pour plusieurs types d'appel à projet...).

L'évolution de l'orientation et de la mise en oeuvre des appels à projets
menés par l'Agence nationale de la recherche à partir de 2014

Au plan de la méthodologie de programmation et de la mise en oeuvre de celle-ci par appels à projets compétitifs, l'ANR a modifié trois aspects principaux à partir du millésime 2014.

D'une part, pour remplacer les documents triennaux de programmation qui orientaient les appels à projets, l'ANR élabore désormais un plan d'action annuel destiné à présenter à l'ensemble des communautés scientifiques les priorités de recherche et les instruments de financement mobilisables ; élaboré en étroite interaction avec les alliances thématiques de recherche, ce plan d'action est en cohérence avec l'agenda stratégique « France-Europe 2020 » pour la recherche, le transfert et l'innovation dont la proposition de Stratégie nationale de recherche publiée en mars 2015 est une composante majeure ;

D'autre part, l'essentiel des appels à projets est maintenant réuni au sein d'un appel à projets générique unique complété d'appels correspondant à des instruments spécifiques ; la lisibilité des modes de financement est ainsi renforcée ;

Enfin, principale attente de la communauté scientifique, un processus de sélection des projets en deux étapes a été mis en place ; les porteurs de projets soumettent d'abord une pré-proposition de 5 pages. Puis, à l'issue d'une première phase d'évaluation, seuls les porteurs de projets retenus constituent un dossier complet de 40 pages environ (auparavant, tous les candidats devaient rédiger une proposition complète).

Source : réponse du ministère de la recherche et de l'enseignement supérieur au questionnaire de votre rapporteur spécial

Au plan budgétaire, après une croissance progressive, depuis la création de l'ANR en 2005, des crédits lui étant alloués, la mesure de rééquilibrage budgétaire opérée à partir de 2013 depuis l'ANR vers les organismes de recherche se traduit par une diminution des crédits d'intervention de l'agence et plus particulièrement de ceux dévolus aux appels à projets qui ont été réduits de près de 40 % entre 2010 et 2014.

Évolution des crédits d'intervention de l'ANR entre 2012 et 2016

(en millions d'euros)

2012

2013

2014

2015

PLF 2016

Crédits d'intervention LFI (AE)

728,9

656,2

575,2

575,1

555,1

Variation en valeur

-22,9

- 72,7

- 81,0

-0,1

-20

Variation en pourcentage

-3,1%

- 10,0 %

-12,3 %

-3,5 %

Source : réponse du ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche au questionnaire de votre rapporteur spécial

Cette baisse se poursuit en 2016 alors même que votre rapporteur spécial avait déjà souligné l'année dernière que les crédits alloués à l'agence atteignaient un plancher en-dessous duquel le caractère incitatif des appels à projet serait remis en cause : ainsi, les crédits d'intervention de l'ANR passent de 575,1 millions d'euros en 2015 à 555 millions d'euros en 2016 .

Évolution du nombre de projets financés et des engagements sur appels à projet de l'Agence nationale de recherche de 2010 à 2015

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du MESR au questionnaire de votre rapporteur spécial

Il en résulte une érosion progressive du taux de projets financés amplifiée par l'augmentation du nombre de projets soumis qui a cru de 9 % entre 2010 et 2013 (à modalités constantes) et de 50 % en 2014 compte-tenu de l'allégement de la soumission initiale par le processus de sélection à deux étapes 25 ( * ) . Un taux de succès à 10 % est évidemment problématique en ce qu'il est peu incitatif pour les équipes de recherche . De nombreux interlocuteurs nous ont fait part d'une certaine résignation des équipes de chercheurs , se voyant refuser l'octroi de financement sans que les projets ne reçoivent de critique claire et détaillée sur le fond.

Évolution du taux de projets financés (part des candidatures
qui reçoivent un financement)

(en %)

Source : commission des finances du Sénat, d'après les réponses du MESR au questionnaire de votre rapporteur spécial

Certes, comme le souligne le Gouvernement dans les réponses apportées au questionnaire de votre rapporteur spécial, « il convient de noter que, parallèlement, des financements sur projets ont été alloués dans le cadre de différentes actions des programmes d'investissements d'avenir , avec une durée de réalisation de 9 à 10 ans. La plupart de ces actions sont également opérées par l'ANR ». Cependant, outre l'absence de données chiffrées précises et convaincantes permettant de conclure à la stabilité des financements par projet, votre rapporteur général observe que les PIA ne constituent pas, par définition, des ressources récurrentes tandis que les crédits d'intervention de l'ANR ont vocation à être reconduits d'année en année , permettant de donner davantage de visibilité aux chercheurs.

Si votre rapporteur spécial s'accorde avec le Gouvernement pour affirmer qu'« un facteur important d'évolution est celui de la place prise par les financements de la recherche sur projets dans le cadre des investissements d'avenir », il ne considère pas que cette évolution soit dénuée d'ambigüité : quid de la fin du PIA 2 ? La mise en oeuvre annoncée d'un PIA 3 est loin de répondre à l'ampleur des enjeux : son montant (10 milliards d'euros) ne permettra pas de donner durablement un nouveau souffle à la recherche sur projet. En outre, votre rapporteur spécial souligne que le financement extra-budgétaire de la recherche par l'État pose plus de questions (notamment en termes de régularité budgétaire) qu'elle n'apporte de réponses : le meilleur moyen de protéger le budget de la recherche est de lui accorder des ressources pérennes, lisibles et incitatives .

3. Le développement des ressources propres des organismes de recherche exige la mise en oeuvre de la facturation à coûts complets et de préciputs réalistes
a) L'incitation au développement des ressources propres : une garantie de responsabilisation budgétaire des opérateurs ?

Le développement de la recherche par projet va de pair avec l'incitation par l'État au développement des ressources propres des organismes . Afin d'assurer l'efficacité de la dépense publique, il s'agit d'encourager les opérateurs de recherche - notamment par une diminution de la subvention récurrente - à trouver des financements extérieurs, qu'ils soient privés (contrats avec des entreprises innovantes, des groupes industriels...) ou publics (les financements octroyés par l'ANR ou alloués dans le cadre du programme Horizon 2020 sont ainsi inclus au sein des « ressources propres » des opérateurs).

Une première limite est relative aux coûts dits de contrat : le temps passé par les équipes à démarcher des entreprises ou à répondre à des appels à projet, souvent infructueux au regard des taux de succès, peut être considérable. La simplification des modalités de candidature permet cependant de résoudre une partie du problème. Votre rapporteur spécial considère que le problème ne réside pas tant dans la difficulté pour les opérateurs d'augmenter le volume de ressources propres - nombre d'entre eux l'ont d'ailleurs fait - que dans l'accompagnement de ce mouvement par l'État. Paraît particulièrement incertaine l'idée selon laquelle les ressources propres peuvent se substituer au financement par subvention budgétaire publique récurrente, en raison de la faiblesse du préciput et de l'absence de facturation à coût complet des organismes de recherche publics.

b) Un préciput qui, dans le cadre des appels à projet de l'ANR, reste faible

L'article L. 329-5 du code de la recherche dispose qu'« une partie du montant des aides allouées par l'Agence nationale de la recherche dans le cadre des procédures d'appel d'offres revient à l'établissement public ou à la fondation reconnue d'utilité publique dans lequel le porteur du projet exerce ses fonctions ». Ainsi, l'Agence nationale de la recherche verse, pour les projets sélectionnés dans le cadre de sa programmation 2012, un « préciput » aux établissements hébergeant les équipes qui opèrent les projets . Ce préciput est versé l'année suivant l'attribution de la subvention.

Le montant de ce préciput ne semble cependant pas, dans bien des cas, couvrir l'intégralité des frais de fonctionnement pris en charge par la structure. L'opérateur doit alors procéder à une réallocation de ses crédits , ce qui ne favorise pas une exécution budgétaire maîtrisée et constitue un contexte faiblement incitatif à de nouvelles candidatures.

Aussi votre rapporteur spécial s'était-il félicité de l'augmentation substantielle du préciput de l'ANR qui devait passer de 11 % à 15 %. Cependant, certains de ses interlocuteurs lui ont indiqué que la mise en oeuvre effective de cette augmentation se faisait attendre et force est de constater que le règlement financier de l'ANR ne prévoit aucune évolution sur ce point . Le préciput reste fixé à 11 %. Le seul changement constaté en 2015 concerne les frais de gestion (qui passent de 4 % à 8 %), évolution louable mais loin d'être suffisante. Il faut rappeler que le taux de préciput des programmes européens « Horizon 2020 » s'élève à 25 % : c'est vers cet objectif qu'il faut avancer.

La faiblesse du préciput ne constitue pas qu'un problème de principe ou de bonne gestion budgétaire : elle remet en cause l'idée même selon laquelle les ressources propres peuvent permettre aux organismes de recherche de trouver un nouveau souffle. En effet, dans la mesure où les contrats de recherche peuvent ne pas financer l'intégralité des coûts engagés, l'augmentation des ressources propres dans le budget de l'opérateur peut se traduire par des difficultés de financement des coûts fixes et en particulier des coûts de personnel liés aux projets en question. Le problème est d'autant plus aigu que l'État a eu tendance à diminuer les subventions des organismes réussissant à développer de façon significative leur financement par projet, alors même qu'un euro de financement par projet n'est pas équivalent à un euro de financement par subvention : l'un s'accompagne de coûts supplémentaires, l'autre doit permettre de les financer.

c) La facturation à coûts complets n'est que rarement mise en oeuvre

Un problème similaire se pose dans le cas de contrats de recherche conclus avec un « donneur d'ordre » public ou parapublic . Les financeurs des programmes de recherche peuvent en effet admettre, ou imposer, diverses modalités de calcul du coût des programmes qu'ils contribuent à financer.

Coût marginal et coût complet

Le coût marginal comprend toutes les dépenses directement rattachées à la réalisation du projet sauf la rémunération des personnels permanents et les frais d'environnement (à l'exception de leurs frais de déplacements). Ce coût inclut tous les moyens complémentaires nécessaires à la réalisation du projet et les frais généraux de gestion. Les dépenses de rémunérations versées à des personnes recrutées en contrat temporaire et affectées au projet sont toutefois prises en compte , dans la limite de la durée du projet.

Le coût complet inclut l'ensemble des coûts liés au projet, y compris les frais de structure forfaitisés (en particulier rémunération des personnels permanents).

Les organismes publics de recherche (ou assimilés) sont financés à coût marginal par l'ANR au motif que les coûts relatifs aux personnels permanents affectés à la réalisation du projet sont déjà majoritairement financés par le budget de l'État (par voie de subvention ou par imputation directe). Seuls les EPIC (établissements publics à caractère industriel et commercial) peuvent être financés à coût complet, mais seulement dans le cas où la recherche est menée en partenariat avec une entreprise au moins.

Source : commission des finances du Sénat, d'après le règlement financier 2015 de l'Agence nationale de la recherche

D'après nos interlocuteurs, nombre de ministères, de collectivités territoriales et même certaines entreprises industrielles n'acceptent que le calcul au coût marginal, c'est-à-dire le surcroît de dépenses lié à la mise en place du programme . Or, le calcul au coût marginal ne fait pas apparaître le coût en personnel permanent , alors que celui-ci constitue la principale composante du coût d'un programme de recherche : faire financer à 100 % le surcoût peut donc se révéler moins avantageux que de faire financer à 50 % la totalité du coût d'une opération de recherche .

L'absence de facturation à coût complet condamne, une fois de plus, la logique selon laquelle le développement des ressources propres permettra aux opérateurs de retrouver des marges de manoeuvre budgétaires : si le paiement de la prestation ne recouvre que l'exact surcoût lié au programme, les retombées budgétaires du contrat conclu sont au mieux inexistantes, au pire négatives - dans le cas où le coût réel des opérations de recherche excède le coût marginal contractuel.

L'exemple de l'Irstea : des ressources propres importantes mais insuffisantes
pour compenser la diminution relative de la SCSP

L'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (Irstea) connaît ainsi une situation budgétaire très délicate : sa masse salariale (dont les facteurs d'évolution ne sont pas réellement pilotables par l'opérateur) a augmenté à un rythme beaucoup plus soutenu que la subvention pour charges de service public (SCSP) qui lui est allouée et représente plus de 92 % de celle-ci. La SCSP ne couvre donc pas l'intégralité des dépenses de fonctionnement et ne permet pas à l'Irstea de dégager des fonds disponibles pour investir.

Le développement des ressources propres pourrait lui permettre de compenser le défaut de financement des charges structurelles si les contrats étaient financés à coût complet , mais le financement à coût marginal n'offre aucune marge de manoeuvre supplémentaire à l'Institut.

Un audit stratégique missionné par le ministère de la recherche et celui de l'agriculture devrait rendre ses conclusions dans les semaines à venir.

Source : commission des finances du Sénat, d'après les documents budgétaires et les éléments complémentaires fournis par l'Irstea à votre rapporteur spécial

Votre rapporteur spécial note que ce problème, important et même grave pour certains opérateurs, ne peut recevoir que deux solutions : ou bien l'État augmente le préciput et généralise la facturation à coûts complets , ou bien il renonce à utiliser le développement des ressources propres (et la stabilisation associée des subventions budgétaires) comme levier de dynamisation des opérateurs de recherche .

4. La situation préoccupante de l'emploi scientifique, tant public que privé, appelle des mesures fiscales ciblées
a) Face à la baisse des départs à la retraite, certains organismes de recherche ne disposent d'aucune marge de manoeuvre

Votre rapporteur spécial a déjà eu l'occasion de souligner la situation critique de l'emploi scientifique . Depuis quelques années, celle-ci est encore aggravée par la diminution progressive du nombre de départs en retraite , qui devrait se poursuivre dans les années à venir. La baisse du nombre de départs réduit mécaniquement le nombre d'embauches de chercheurs, d'ingénieurs et techniciens, quand bien même les remplacements de ces départs se feraient à un taux de un pour un . Dans les universités, le nombre des enseignants chercheurs partant en retraite devrait ainsi baisser de 1 957 à 1 389, soit une diminution de 30 %, entre 2012 et 2017. Au CNRS, sur la même période, la baisse des départs devrait être comparable, de 760 à 472, soit une diminution de 38 %.

Les opérateurs les plus importants, comme l'Inserm, ont expliqué essayer de lisser les recrutements sur une période pluriannuelle , leur permettant ainsi de ne pas procéder à une réduction trop brusque des embauches dans un contexte déjà très difficile pour les jeunes scientifiques - sans pour autant parvenir tout à fait à résorber le mouvement à la baisse. Les plus petites structures , qui peinent parfois déjà à absorber le glissement vieillesse technicité (GVT) de leur personnel, ne disposent évidemment pas de ces marges de manoeuvre . En outre, la stricte stabilisation voire la diminution des budgets alloués aux opérateurs les conduit, pour certains d'entre eux, à ne pas remplacer la totalité des départs en retraite .

b) Des difficultés d'insertion dans le secteur privé qui pourraient être réduites par des mesures d'incitation fiscale ciblées

Les docteurs, pourtant issus d'une formation d'excellence d'ailleurs largement reconnue à l'étranger, rencontrent de réelles difficultés d'insertion professionnelle en France . Ainsi, dans une enquête consacrée à l'insertion professionnelle des docteurs publiée en décembre 2013, le Centre d'études et de recherches sur les qualifications (CÉREQ) démontre que « l'accès à l'emploi, et notamment à l'emploi stable, des diplômés de doctorat ne va pas de soi ». En particulier, « malgré le rapprochement université/entreprise mis en oeuvre depuis plusieurs années, leur accès aux emplois du privé est limité . » En effet, les docteurs se dirigent très largement vers la recherche publique et académique (établissements publics de recherche et universités), à hauteur de 52 % en 2012, contre seulement 25 % d'entre eux qui poursuivent des activités de recherche dans le secteur privé.

Au vu de la faiblesse persistante du nombre de docteurs recrutés en entreprise , la modulation actuelle de l'assiette du crédit impôt recherche (CIR) en faveur de l'embauche de jeunes docteurs (les dépenses de personnel afférentes sont prises en compte pour le double de leur montant pendant deux ans) ne semble pas parvenir pas à renverser les difficultés que rencontrent traditionnellement les docteurs pour s'insérer dans le secteur de la recherche privée.

C'est pourquoi votre rapporteur spécial proposera, dans le cadre du projet de loi de finances rectificative pour 2015, de conditionner l'application du seuil de 5 % à l'embauche de docteurs ou à un effectif important de docteurs au sein du personnel de recherche salarié . Ce seuil ne concerne pas beaucoup plus d'une vingtaine d'entreprises, parmi les plus grandes, qui ont tous les leviers juridiques et financiers nécessaires pour débloquer les freins à l'embauche de docteurs. Cette réforme n'introduirait pas de coût supplémentaire pour l'État dans la mesure où elle ne ferait pas entrer de nouveaux bénéficiaires dans le dispositif ni n'élargirait la base du crédit d'impôt mais enverrait un signal fort au monde scientifique et aux jeunes doctorants. Le CIR, avec 5 milliards d'euros prévus en 2016, représente près de la moitié des crédits du budget de la recherche : il ne paraît ni illégitime ni illogique qu'il soit, pour partie, mis au service de l'emploi scientifique.

5. Le traitement différencié des opérateurs selon leur ministère de rattachement traduit les limites de la logique lolfienne : vers un budget de la recherche unifié ?

Plusieurs interlocuteurs ont indiqué à votre rapporteur spécial que le taux de mise en réserve, d'une importance cruciale au regard de l'ampleur des annulations de crédits gelés, différait selon le ministère de rattachement de l'organisme de recherche . En effet, si, d'après le ministère de l'enseignement supérieur et de la recherche « s'agissant des EPST et EPIC de la recherche, la reconduction des taux de mise en réserve appliqués en 2015, à savoir 0,35 % pour la part de la subvention pour charges de service public (SCSP) destinée à la couverture de dépenses de masse salariale et 4,85 % pour la part destinée à la couverture des autres dépenses de fonctionnement , est acquise » , il semble que les opérateurs qui ne sont pas rattachés au ministère de la recherche connaissent un taux de mise en réserve plus important. Ainsi, un même opérateur financé par plusieurs programmes relevant de ministères différents peut connaître plusieurs taux de mise en réserve s'appliquant chacun à la subvention portée par le ministère considéré.

Cette situation, qui est injuste dans la mesure où le taux de mise en réserve doit être modulé au regard des contraintes effectives des opérateurs et non selon un critère purement formel qui dépend essentiellement du hasard et de l'histoire de l'organisme de recherche, traduit les limites de la mise en oeuvre de la logique par « mission » prévue par la loi organique relative aux lois de finances (LOLF) de 2001. Les missions budgétaires, correspondant chacune à une politique publique de l'État, sont incontestablement un facteur de plus grande lisibilité du budget mais ne paraissent pas s'être imposées en matière d'arbitrages budgétaires , ceux-ci continuant d'être pris au niveau du ministère. De la même façon, le suivi des programmes est strictement ministériel et ne semble pas associer de façon très étroite les différents services ; les programmes concourent pourtant à la même politique et financent parfois les mêmes opérateurs .

Votre rapporteur spécial considère donc que des travaux devraient être engagés quant à la constitution d'un budget unifié de la recherche : sans pour autant rattacher l'ensemble des opérateurs au ministère de la recherche, il s'agit de réfléchir aux modalités selon lesquelles l'ensemble des crédits de la recherche pourraient être rassemblés dans un instrument budgétaire qui permettrait la prise d'arbitrages globaux et équitables .


* 24 Qui portent sur la quasi-totalité des appels 2014 à l'exception de l'initiative « IMI » sur les médicaments ainsi que sur plusieurs appels du premier semestre 2015.

* 25 Comme indiqué supra , à compter de 2014, la sélection en deux étapes a conduit à une augmentation du nombre de soumissions, sous forme de pré-projets. D'après les informations transmises à votre rapporteur spécial, 30 à 35 % des porteurs sont invités à soumettre un projet complet et le taux de sélection de ces derniers est compris entre 25 et 30 %.

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