II. UN PROJET DE LOI SOUMIS AU SÉNAT À L'AMBITION LIMITÉE
A. UNE AMÉLIORATION DE L'ACCUEIL DES ÉTRANGERS
1. La création d'un titre pluriannuel de séjour
S'inspirant des préconisations du rapport précité de M. Matthias Fekl, l'article 11 du présent texte crée une carte de séjour pluriannuelle .
En effet, s'il existe aujourd'hui des titres pluriannuels, ils ne représentent que 16 % du total des admissions au séjour.
Le principe serait de délivrer un titre pluriannuel, d'une durée de quatre ans, lors du renouvellement du premier titre de séjour alors qu'aujourd'hui, la plupart des titres délivrés ont une durée limitée à un an.
Toutefois, certaines catégories d'étrangers seraient exclues de ce dispositif comme les travailleurs disposant d'un contrat de travail à durée déterminée (article 9) alors que d'autres verraient la durée de leur carte pluriannuelle raccourcie (étudiants et « étrangers malades » notamment).
La délivrance de la carte pluriannuelle serait subordonnée, d'une part, au fait que l'étranger continue à remplir les conditions pour bénéficier du titre de séjour dont il demande le renouvellement et, d'autre part, au respect de son contrat d'accueil et d'intégration (CAI). Cette disposition est particulièrement bienvenue, en ce qu'elle renforce la crédibilité du CAI.
L'extension de la durée du titre nécessite des contrôles renforcés pendant sa période de validité. L'article 8 du projet de loi prévoit ainsi que le titulaire d'une carte pluriannuelle qui s'oppose aux contrôles se verrait retirer le titre. En outre, le texte tend à créer un droit de communication très large au bénéfice de la préfecture, pour procéder à ces contrôles (article 25).
Si votre rapporteur partage le souhait d'une simplification des procédures de délivrance des titres de séjour, il regrette que le présent texte ne revoie pas leur nomenclature générale mais la complique, le nombre de titres permettant l'admission au séjour passant de quatorze à vingt.
2. La réforme du contrat d'accueil et d'intégration
Le contrat d'accueil et d'intégration ayant montré ses limites, malgré un coût annuel de 50 millions d'euros, l'article 1 er du texte le simplifierait en en le recentrant sur une formation linguistique au niveau relevé, doublé d'une formation civique.
B. LE RENFORCEMENT DE L'EFFECTIVITÉ DES DISPOSITIFS D'ÉLOIGNEMENT
1. La recherche de l'amélioration du taux d'exécution des OQTF
Le projet de loi a également pour but d'améliorer le taux d'exécution des obligations de quitter le territoire français (OQTF).
Outre des simplifications du régime de l'OQTF, l'article 14 crée un régime contentieux particulier , aux délais raccourcis - une semaine pour contester et un mois pour statuer - et à la procédure simplifiée - procédure à juge unique et dispensée de conclusions du rapporteur public - pour contester les OQTF assorties d'un délai de départ volontaire prises sur certains fondements. En séance publique, à l'Assemblée nationale, les délais ont été portés à quinze jours pour contester cette décision à compter de la notification, le juge disposant de six semaines pour statuer 11 ( * ) .
En outre, la procédure applicable aux personnes détenues pour contester l'OQTF sans délai qui leur a été signifiée serait alignée sur le délai applicable en cas de rétention ou d'assignation à résidence, soit 48 heures pour contester la mesure, le juge disposant de 72 heures pour statuer 12 ( * ) .
Enfin, le régime de l'interdiction de retour serait sensiblement amélioré par le présent texte qui prévoirait, en conformité avec la directive « Retour », des cas dans lesquels cette mesure devrait systématiquement assortir l'OQTF, notamment en l'absence de délai de départ volontaire.
Par ailleurs, l'article 15 du projet de loi créerait une nouvelle mesure d'interdiction de circulation , à l'encontre des ressortissants de l'Union européenne, sur le modèle de l'interdiction de retour. Elle aurait pour effet d'interdire l'accès au territoire national pendant une période donnée 13 ( * ) . Toutefois, seul un motif d'ordre public ou un abus de droit pourrait la motiver.
2. Un réaménagement substantiel des mesures d'éloignement
a) La priorité accordée à l'assignation à résidence sur la rétention administrative
Le chapitre II du titre II du projet de loi relatif aux conditions de mise en oeuvre des décisions d'éloignement se propose de revoir l'articulation entre assignation à résidence et rétention administrative .
En réponse aux critiques dénonçant le non-respect par la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011 de l'esprit de la directive « Retour » qui institue une gradation dans les mesures d'éloignement, le projet de loi prétend inverser la logique du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile (CESEDA) en faisant de l'assignation à résidence le principe et la rétention l'exception . Les articles 19 et 22 procèdent ainsi à la réécriture des dispositions correspondantes du CESEDA (articles L. 551-1 et L. 561-2), ainsi qu'à des coordinations (articles 19 bis et 21).
Pour permettre un éloignement effectif des personnes assignées à résidence , ce chapitre confère de nouveaux moyens aux autorités en charge de préparer et mettre en oeuvre le départ contraint : la faculté de requérir la force publique pour escorter ces personnes auprès des autorités consulaires (article 18) et celle de pénétrer à leur domicile pour procéder à l'éloignement (article 22). Ces nouveaux outils ont pour but de pallier le défaut de coopération d'une personne assignée à résidence qui utiliserait l'inviolabilité du domicile pour faire échec à son éloignement, que ce soit lors des préparatifs à l'éloignement ou lors de l'exécution proprement dite de la mesure. Le projet de loi, par ailleurs, prévoit les sanctions pénales en cas de non-respect des prescriptions liées à l'assignation à résidence (article 27).
Enfin, le projet de loi crée un « chaînage » explicite entre les deux mesures d'éloignement . L'article 19 prohibant le renouvellement d'un placement en rétention avant l'expiration d'un délai de sept jours à compter du terme d'un précédent placement, l'article 20 prévoit la faculté d'assigner à résidence à la fin de la rétention. À l'inverse, l'article 22 prévoit explicitement la faculté pour l'autorité administrative de placer en rétention une personne assignée à résidence qui ne présenterait plus les conditions de l'assignation à résidence ou aurait fait obstacle à son éloignement.
b) La modification du régime de la rétention à l'initiative des députés
Lors de l'examen en séance publique à l'Assemblée nationale, des modifications substantielles ont été apportées au régime de la rétention issu de la loi n° 2011-672 du 16 juin 2011.
En premier lieu, les députés ont avancé à quarante-huit heures au lieu de cinq jours l'intervention du juge des libertés et de la détention pour la prolongation de la mesure de rétention (article 19). Ils lui ont, en outre, confier compétence pour apprécier la légalité de la décision de placement en rétention (article 15) qui relève aujourd'hui du juge administratif.
En deuxième lieu, ils ont modifié le séquençage de la rétention : décidée par l'autorité administrative pour quarante-huit heures, la rétention serait prolongée par le juge des libertés et de la détention pour vingt-huit jours, et non plus vingt jours, avant d'être, le cas échéant, à nouveau prolongée pour une période de quinze jours - contre vingt jours actuellement. La durée totale de la rétention resterait donc de quarante-cinq jours (article 19 bis A).
En dernier lieu, les députés ont consacré dans la loi l'interdiction du placement en rétention d'un mineur accompagnant son représentant légal, donc également de ce dernier, conformément à la jurisprudence européenne. Ce principe est toutefois assorti de trois exceptions : un étranger accompagné d'un mineur pourrait être placé en rétention s'il n'a pas respecté l'une des prescriptions d'une précédente mesure d'assignation à résidence, s'il a fait obstacle à la mise en oeuvre de son éloignement ou si un placement en rétention, limité à quarante-huit heures, permet d'épargner au mineur des contraintes liées aux nécessités de transfert en vue d'un éloignement programmé (article 19).
* 11 En l'état du droit, les OQTF avec délai de départ volontaire peuvent être contestées dans les 30 jours suivant la notification, le juge administratif disposant de trois mois pour statuer.
* 12 Actuellement, le régime qui leur est applicable est celui des OQTF sans délai soit quarante-huit heures pour contester la décision, le juge disposant de trois mois pour statuer.
* 13 Alors que l'interdiction de retour applicable aux ressortissants des pays tiers a pour effet de lui interdire l'accès à l'espace Schengen tout entier ( cf. commentaire de l'article 14).