B. UNE ARCHITECTURE DES TITRES DE SÉJOUR COMPLIQUÉE
1. Une mosaïque illisible de titres
L'architecture des titres de séjour est particulièrement complexe .
Les motifs de délivrance se sont multipliés au fil des ans sans faire l'objet d'une approche globale. Il existe aujourd'hui quatorze titres justifiant un droit au séjour. Certains titres comportent plusieurs motifs de délivrance. Ainsi, le seul titre « vie privée et familiale » compte onze motifs.
Le système est donc devenu illisible . Pourtant, en pratique, certains titres ne sont délivrés qu'à un nombre très réduit de personnes.
Tel est le cas des cartes de séjour destinées aux « talents étrangers » : six catégories de titres existent mais seules 6 626 personnes en ont bénéficié en 2014. La carte « compétences et talents » et la carte de résident pour contribution économique exceptionnelle n'ont respectivement concerné que 231 et 3 personnes. Ce manque de lisibilité déstabilise les étrangers, qui ont du mal à déterminer quel titre demander, et entraîne d' importants coûts de gestion et de formation pour les personnels des préfectures.
Toutefois, cette dispersion est atténuée par l'importance du titre « vie privée et familiale » qui concerne environ la moitié des titres délivrés.
2. Une complexité alimentant un contentieux important
La complexité de ce droit alimente un contentieux important. Devant les juridictions administratives, le taux d'annulation des décisions de l'administration est assez élevé , puisqu'il atteint 28,2 % devant les tribunaux administratifs et 8 % devant les cours administratives d'appel 2 ( * ) .
En particulier, trois titres de séjour font l'objet d'un contentieux important : les cartes de séjour « vie privée et familiale », « étrangers malades » et « étudiant ».
Les causes d'annulation au fond des décisions préfectorales sont principalement liées à l'atteinte à une vie familiale normale et l'erreur manifeste d'appréciation pour le renouvellement de la carte de séjour « étudiant » ou pour la délivrance de la carte « étrangers malades »
Pour l'année 2014, le coût pour l'État des prestations d'avocat au titre du contentieux des étrangers a représenté 5,8 millions euros et ses frais irrépétibles se sont élevés à 8 433 366 euros, pour 8 348 jugements condamnant l'État.
Plusieurs personnes entendues par votre rapporteur ont fait part de la qualité très variable de la défense assurée par les préfectures devant les juridictions administratives ou devant le juge des libertés et de la détention.
3. Un accueil des étrangers perfectible
Le rapport de M. Matthias Fekl du 14 mai 2013, consacré à la sécurisation des parcours des ressortissants étrangers en France 3 ( * ) , a conclu au caractère insatisfaisant de l'accueil des étrangers en France.
Le nombre de passages des étrangers en préfecture pour l'année 2013 a atteint 5,4 millions 4 ( * ) dont la moitié est imputable aux 760 000 renouvellements annuels de titres .
Les contrôles réalisés par les préfectures à l'occasion de ces différents passages sont de deux ordres : la vérification du bien-fondé de la demande sur la base des pièces présentées par l'étranger et un contrôle de l'authenticité des pièces produites. Toutefois, l'efficacité de ces contrôles pose question dans la mesure où moins de 1 % des demandes de renouvellement de titres de séjour se soldent par un refus .
Ce nombre très élevé de passages a nécessité pour les préfectures la mise en place de systèmes pour rationaliser l'accueil. Lors de ses déplacements aux préfectures de Metz et de Créteil, votre rapporteur a pu constater les effets de ces efforts de rationalisation. En particulier, une politique d'accueil sur rendez-vous et la mise en place d'un accueil actif ont sensiblement amélioré le dispositif, au bénéfice des étrangers mais aussi des agents des préfectures.
Les procédures d'accueil en préfectures : l'exemple de Metz et de Créteil À la préfecture de Metz où votre rapporteur s'est rendu le 9 septembre 2015, l'accueil des étrangers se fait exclusivement sur rendez-vous depuis le mois de décembre 2014. Lors de sa visite, le délai pour avoir un rendez-vous était de l'ordre de deux mois . Celui-ci dure 25 minutes. S'il existe encore un fort taux de non-présentation, de l'ordre de 20 à 25%, le système montre indéniablement son efficacité : ainsi, en août 2014, 33 000 étrangers avaient été reçus à la préfecture depuis le 1 er janvier. À la même période, en 2015, 19 500 personnes ont été reçues, pour un nombre de titres délivrés équivalent. Outre le gain d'efficacité procuré par cette organisation, puisqu'elle évite des reports en raison d'un dossier incomplet, ce système a permis d'améliorer sensiblement les conditions de travail des agents d'accueil. La préfecture de Créteil, où votre rapporteur s'est rendu le 23 septembre dernier, recense près de 350 000 à 400 000 passages annuels, pour une délivrance de près de 100 000 titres, concernant à 80 % des renouvellements. Une organisation particulière a été mise en place, permettant là encore de rationaliser l'accueil des étrangers 5 ( * ) . |
* 2 Source : Direction des libertés publiques et des affaires juridiques du ministère de l'Intérieur.
* 3 Rapport de M. Matthias Fekl au Premier ministre, Sécuriser les parcours des ressortissants étrangers en France, mai 2013.
* 4 Rapport de l'inspection générale de l'administration relatif à l'accueil des ressortissants étrangers par les préfectures et sous-préfectures, décembre 2014, p. 41.
* 5 Voir l'annexe 1, consacrée à l'accueil des étrangers à la préfecture de Créteil.