EXPOSÉ GÉNÉRAL
Mesdames, Messieurs,
L'article 6 de la loi n° 2013-1168 du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 (LPM) prévoit que cette programmation fasse l'objet d'actualisations, « dont la première interviendra avant la fin de l'année 2015 ».
Depuis l'adoption par le Parlement de la LPM, le contexte stratégique a rapidement et sensiblement changé, les menaces allant croissant ; cette évolution a suscité un important niveau d'engagement pour les forces françaises, sur des théâtres extérieurs, avec les opérations « Sangaris » (menée en République centrafricaine depuis décembre 2013), « Barkhane » (qui a pris la suite de l'opération « Serval », au Mali, depuis l'été 2014) et « Chammal (conduite en Irak depuis septembre 2014). Les besoins de sécurité du territoire national se sont également accrus, comme l'ont fait apparaître de façon dramatique les attentats des 7 et 9 janvier 2015, à la suite desquels l'opération « Sentinelle » a été mise en place.
Ces modifications du contexte de mise en oeuvre de la programmation militaire ont conduit le Gouvernement à annoncer, dès le mois de janvier dernier, une actualisation « avant l'été ». Le présent projet de loi a été déposé à cet effet, à l'Assemblée nationale, le 20 mai, son examen faisant l'objet de la procédure accélérée.
Loi du 18 décembre 2013 relative à la programmation militaire pour les années 2014 à 2019 - article 6 « La présente programmation fera l'objet d'actualisations, dont la première interviendra avant la fin de l'année 2015. Ces actualisations permettront de vérifier, avec la représentation nationale, la bonne adéquation entre les objectifs fixés dans la présente loi et les réalisations. Elles seront l'occasion d'affiner certaines des prévisions qui y sont inscrites, notamment dans le domaine de l'activité des forces et des capacités opérationnelles, de l'acquisition des équipements majeurs, du rythme de réalisation de la diminution des effectifs et des conséquences de l'engagement des réformes au sein du ministère de la défense. « Ces actualisations devront également tenir compte de l'éventuelle amélioration de la situation économique et de celle des finances publiques afin de permettre le nécessaire redressement de l'effort de la Nation en faveur de la défense et tendre vers l'objectif d'un budget de la défense représentant 2 % du produit intérieur brut. « Elles seront l'occasion d'examiner le report de charges du ministère de la défense, afin de le réduire dans l'objectif de le solder et de procéder au réexamen en priorité de certaines capacités critiques, telles que le ravitaillement en vol et les drones, ainsi que la livraison des avions Rafale, à la lumière des résultats à l'export . » Source : Légifrance |
Ce projet de loi traduit avant tout les décisions prises par le Président de la République à l'issue du conseil de défense qui s'est tenu le 29 avril 2015. Visant à répondre aux tensions qui s'exercent actuellement sur notre outil de défense, il n'a pas pour objet de redéfinir entièrement la programmation militaire, mais ajuste les prévisions initiales à l'état des besoins constaté. Aucun des fondements stratégiques de la LPM de 2013 n'est donc remis en cause.
L'actualisation tend à dégager de nouvelles marges dans un modèle de défense qui a été « taillé au plus juste » en 2013, et menaçait de craquer sous l'effet des nouveaux engagements demandés à nos armées. Elle comporte à cet effet une révision à la baisse des prévisions initiales de diminutions d'effectifs du ministère de la défense, cette « moindre réduction » concernant 18 750 postes sur la période de la programmation. Elle procède également à une augmentation du budget de la défense, à hauteur de 3,8 milliards d'euros au total entre 2016 et 2019, et à sa sécurisation dès 2015, en mettant fin à la prévision de recettes exceptionnelles (REX), hors produits de cessions immobilières et de matériels militaires, et renforce ainsi la trajectoire d'équipement. Enfin, elle tient compte des succès d'export récemment enregistrés par notre industrie d'armement, en particulier les ventes de l'avion Rafale , dont l'exportation constituait une lourde hypothèse dans l'équilibre de la LPM de 2013.
L'actualisation proposée comporte toutefois un certain nombre d'incertitudes ou de risques pour le respect de la programmation proposée, que votre commission s'est attachée à réduire par l'adoption d'une vingtaine d'amendements.
I. LA NÉCESSITÉ D'UN AJUSTEMENT DE NOTRE OUTIL DE DÉFENSE EN RÉPONSE À DES BESOINS ACCRUS
A. L'AGGRAVATION DU CONTEXTE STRATÉGIQUE ET SÉCURITAIRE DEPUIS 2013
1. Une dégradation du contexte international
Le Livre blanc de 2013 mettait en évidence un large spectre de risques et de menaces pour la sécurité de la France et celle de l'Europe. Il articulait ceux-ci autour d'une ambivalence montrant à la fois « les menaces de la force » et « les risques de la faiblesse » tout en soulignant les effets multiplicateurs de la mondialisation sur ces facteurs de risques et de menaces.
Le rapport annexé à la loi de programmation militaire était une synthèse de ces développements. Le rapport annexé au présent projet de loi d'actualisation retrace donc la « dégradation de la situation internationale » observée au cours des années 2014 et 2015 avec une « augmentation durable » des menaces et des risques se traduisant d'ores et déjà par un niveau d'engagement jamais atteints de nos armées dans des opérations extérieures comme sur le territoire national. Cette évolution justifie à elle seule l'actualisation de la loi de programmation militaire.
a) Les menaces de la force : de la virtualité à la réalité
Dans le Livre blanc de 2013, les menaces de la force recouvrent les tensions géopolitiques entre Etats et la déstabilisation dans certaines régions que peuvent induire tant l'exacerbation du sentiment national que l'augmentation rapide des dépenses militaires et des arsenaux conventionnels. Le Livre blanc axait fortement cette menace sur la montée en puissance de l'économie de certains Etats notamment en Asie (9 paragraphes) dans une moindre mesure en Russie (4 paragraphes).
« Le budget militaire de la Russie est en croissance rapide. Ce pays modernise son arsenal nucléaire et veut donner à ses forces conventionnelles une capacité accrue d'intervention. Ce réarmement russe intervient alors que, depuis 2006, s'amplifient ses manifestations de puissance - utilisation de la ressource énergétique, pressions sur l'environnement proche et, en Géorgie, reconnaissance d'entités sécessionnistes. Dans le même temps, le réchauffement des relations avec les États-Unis et les autres pays occidentaux n'a pas encore atteint tous ses objectifs, comme en témoignent les différends persistants relatifs à l'OTAN, au désarmement et au règlement de la crise syrienne au Conseil de sécurité des Nations unies. La question énergétique est désormais un enjeu majeur de la politique étrangère russe. La Russie s'efforce d'établir un monopole sur les routes d'approvisionnement, ce qui complique les efforts des pays européens pour diversifier leurs importations. En 2010, le tiers du pétrole brut et du gaz naturel importés par les pays de l'Union européenne provenait des pays de l'ex-URSS. Ces évolutions attestent que la Russie se donne les moyens économiques et militaires d'une politique de puissance. La mise en oeuvre de ce projet reste cependant incertaine. La crise de 2008 et aujourd'hui l'essor des hydrocarbures non-conventionnels soumettent la Russie aux aléas du marché de l'énergie, alors que les exportations énergétiques et de matières premières continuent de représenter une part importante de l'économie russe. Dans un tel contexte, les relations avec les pays de l'Union européenne ne peuvent qu'être contrastées. Avec la France, les relations conjuguent des dimensions de coopération (équipements militaires, appui logistique lors du retrait d'Afghanistan), des convergences (Mali, Afghanistan) et des divergences (Syrie). Le difficile équilibre qui prévaut aujourd'hui, pour la France comme pour l'Europe, entre toutes ces dimensions de la relation avec la Russie est probablement appelé à durer. La France a fait de la coopération étroite avec Moscou un de ses objectifs politiques pour la déclaration du Sommet de Chicago de l'OTAN. » Livre blanc de 2013 (p. 36 et 37) |
Il mettait également en évidence la prolifération nucléaire soulignant l'augmentation des risques entraînés par le développement des technologies de la matière et des vecteurs (Iran, Corée du Nord), l'existence d'arsenaux chimiques (Syrie), les programmes de recherche biologique dont les résultats pourraient être détournés et les capacités informatiques offensives mises en place par certains États.
Le rapport annexé apporte à cette analyse quelques correctifs fondés sur une réévaluation de la stratégie de la Russie et sur la réalité des risques découlant de la crise ukrainienne dont les signaux étaient assez très faibles en 2012-2013 pour ne pas avoir suscité une mention particulière dans le Livre blanc.
« Depuis le printemps 2014, la crise russo-ukrainienne a marqué le retour d'une politique de puissance de la Russie et de conflits aux frontières de l'Union européenne (...). « L'évolution, depuis 2013, de la situation à l'est de l'Europe et en Asie confirme que la France ne peut ignorer la possibilité de conflits entre États, y compris aux frontières de l'Union européenne. La crise ukrainienne, en particulier, remet en cause le statu quo politique et juridique en Europe. » Rapport annexé au présent projet de loi, article 2 alinéa 23 et 26 |
Cette affirmation de puissance de la Russie, dans les intentions comme dans les faits, a conduit la France à participer, avec ses alliés de l'OTAN, à la mise en oeuvre de mesures de réassurance au profit des Etats membres les plus proches de la Russie, à la réaffirmation de l'unité de l'Alliance au sommet de l'OTAN de Newport (en septembre 2014) et de l'objectif de mettre fin à la baisse des budgets de défense, ainsi qu'à une nouvelle, quoiqu'encore modeste, impulsion 1 ( * ) de l'Union européenne dans le domaine de la défense depuis le Conseil européen de décembre 2013, le premier dédié aux questions de défense depuis l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne.
b) Les risques de la faiblesse : de la définition du concept à l'épreuve du combat
Le Livre blanc de 2013 , s'appuyant sur l'analyse des crises survenues au cours des deux précédentes décennies, dans l'ex-Yougoslavie, en Afghanistan, mais aussi en Afrique et tout particulièrement en Somalie, développait une conception relativement nouvelle en matière d'évaluation des risques et menaces, en mettant en exergue, la faiblesse des Etats , la déliquescence de leurs structures et la vacuité de leur gouvernance comme une véritable menace pour la communauté internationale, dans un contexte de mondialisation. Les guerres civiles et l'effacement de l'autorité dans certaines régions laissent la place à des mouvements armés, qui se financent à travers des activités et trafics illégaux, engendrent des situations d'effondrement économique et de violence qui poussent à l'immigration les populations civiles et forment le terreau pour l'implantation de groupes terroristes susceptibles d'agir dans le monde entier.
Le rapport annexé au projet de loi d'actualisation de la loi de programmation constate, en 2015, la multiplication des États défaillants et l'intensification des risques, certains d'entre eux ayant rendu nécessaire une intervention militaire de la France :
• le Mali depuis l'offensive à la fin de 2013 de groupes djihadistes implantés au Nord, étendue depuis 2014 à l'ensemble de la bande saharo-sahélienne dans laquelle ils continuent d'être actif ;
• la Libye où depuis l'intervention de 2011, l'Etat s'est effondré, une guerre civile larvée se poursuit et les forces djihadistes s'implantent et prospèrent y compris désormais Daech, et dans les villes riveraines de la Méditerranée ;
• la Syrie où la guerre civile se prolonge depuis 3 ans opposant le régime dictatorial de Bachar Al-Assad et les forces d'opposition dont de puissantes fractions islamistes, certaines opérant à la fois en Syrie et en Irak voisin sous la bannière d'un Etat islamique auto-proclamé ( Daech ) ;
• l'Irak où l'offensive de Daech a u printemps 2014 a soustrait un tiers du territoire, à majorité sunnite, à l'autorité du gouvernement central, lui permettant de mettre la main sur les richesses économiques de ces régions et de se doter d'un arsenal militaire conséquent ;
• le Yemen où les groupes liés à Al Qaeda sont implantés de longue date et où la guerre civile entre fraction chiites et sunnites accentue le chaos ;
• le Nigéria où sévit la secte Boko Haram , combattue désormais plus activement par le gouvernement central et par une coalition des Etats voisins (Bénin, Cameroun, Niger, Tchad) ;
• la Somalie où la présence de Chebab continue de faire peser une menace y compris sur les Etats voisins notamment le Kenya, même si la situation de piraterie maritime semble s'être atténuée avec l'intervention des forces navales internationales ;
• l'Afghanistan où le gouvernement légitime peine à asseoir son autorité dans nombre de régions encore contrôlées par les Talibans et les seigneurs de la guerre.
Force est de constater l'existence effective d'un arc de crises qui couvre un large secteur de l'Afghanistan au Sahel, soit tout le flanc sud de l'Europe, avec un risque potentiel de décloisonnement des théâtres et de jonction entre les différents groupes terroristes.
Sur nombre de ces théâtres, une intensification de la lutte a été observée, avec une militarisation croissante des groupes terroristes lorsqu'ils peuvent s'appuyer sur des stocks d'armes (cas des armes libyennes au Sahel, mais dans une mesure bien plus forte en Irak et en Syrie), lorsqu'ils bénéficient du soutien tacite des populations (en jouant sur des rivalités tribales ou religieuses) 2 ( * ) ou en intégrant d'anciens militaires (cas en Irak de certains cadres des armées de Saddam Hussein). On assiste donc à une réduction dans ces cas de l'asymétrie entre les forces opérant sur ces théâtres et à une forme d'effacement du seuil de différenciation entre forces et faiblesses - ces groupes étant capables de mener des opérations terrestres de type conventionnel. Enfin, ces groupes ont montré une capacité d'adaptation tactique évidente aux modes opératoires des forces qui leur sont opposées.
En outre ceux-ci montrent leur volonté effective de restauration de structures étatiques viables ( Daech , Talibans...) en assurant des services à la population, en exploitant les richesses du territoire, en levant une forme d'imposition et en proclamant l'instauration d'un « califat ».
On observe également que ces groupes par leur capacité de formation et d'intégration de combattants étrangers sont en mesure d'allonger leur capacité d'action terroriste, jusque et y compris sur le sol des Etats qui les combattent. Les attentats de janvier dernier en France, ont montré les liens qui pouvaient exister entre la mouvance djihadiste islamiste au Moyen-Orient et les terroristes, avec un risque aggravé par la présence et éventuellement le retour de combattants français en Syrie.
Par ailleurs, à la différence des groupes qui opéraient dans une certaine clandestinité, Daech a développé une stratégie puissante sur l'internet, utilisant les réseaux sociaux pour recruter des combattants, les vidéos en ligne pour sa propagande et pour terroriser. On lui prête également des capacités d'opérer des cyberattaques 3 ( * ) .
Enfin la faiblesse des Etats entraine une porosité des frontières et une absence de contrôle de larges territoires où s'implantent trafiquants et groupes terroristes, avec des risques de régionalisation des conflits .
c) L'effet amplificateur de la mondialisation
Le rapport annexé et le Livre blanc de 2013, comme celui de 2008 avaient identifié les effets multiplicateurs de la mondialisation « qui rétrécit et unifie l'espace stratégique et rapproche les menaces de la forces come les risques de la faiblesse. C'est un accélérateur et un multiplicateur, pour le meilleur et pour le pire » . Ces documents listent les vulnérabilités et facteurs de déstabilisation engendrés :
• chute du cours des matières premières (dont le pétrole) qui a des conséquences sur la stabilité à moyen terme des États qui en sont fortement dépendants ;
• développement des activités criminelles de trafics (êtres humains, armes, hydrocarbures, stupéfiants...) ;
• développement de stratégie d'influence sur l'Internet et les réseaux sociaux et intensification de la menace cybernétique qui font du cyberespace une dimension spécifique de la confrontation ;
• déplacement massif de population des zones de conflits (Syrie, Corne de l'Afrique) qui s'ajoute à l'immigration économique et place certains pays face à des afflux de réfugiés qu'il faut accueillir, prendre en charge et contrôler, ce qui accroît les risques de déstabilisation lorsque les Etats voisins sont eux-mêmes en situation de faiblesse ; avec le risque d'une émigration plus lointaine vers l'Europe comme on l'observe actuellement depuis la Libye ou la Syrie, obligeant la mise en place d'opérations militaires de secours en mer et peut-être demain de lutte active contre les trafiquants ;
• difficulté dans un contexte de densification des flux à confiner les grandes crises sanitaires dans des pays fragiles : cas de la pandémie Ebola en Afrique de l'Ouest en 2014 qui rend nécessaire le déploiement d'opérations d'aide internationale souvent portées par les services de santé des armées ;
• prolifération des armements avec l'apparition de nouveaux producteurs et réduction des écarts liés à la diffusion rapide des technologies duales qui donnent à des États ou des groupes, la capacité d'utiliser plus rapidement et plus facilement des armements modernes.
On notera toutefois, et de façon un peu paradoxale, en cette année où la France préside et accueille la COP21, l'absence de référence au risque climatique qui faisait l'objet d'une mention dans le Livre blanc de 2013. La citation du changement climatique comme une menace et comme un facteur d'amplification des crises aurait été justifiée et cohérente par rapport au discours porté par la France. Elle traduit probablement une insuffisance de la réflexion stratégique française en ce domaine alors même que nos partenaires, notamment les Etats-Unis, en font un axe important dans leur stratégie de défense et ses déclinaisons opérationnelles.
Le monde est entré dans une nouvelle période d'incertitude et d'apparition de menaces multiples et diverses, qui entretient un sentiment diffus d'insécurité et une impression d'accumulation des menaces. Ces évolutions rapides expliquent le besoin d'une actualisation régulière des lois de programmation militaire. Ces exercices n'en rendent pas moins nécessaire la prolongation de la réflexion stratégique et son approfondissement pour intégrer les tendances longues, ce qui n'est pas toujours facile dans des exercices d'actualisation par construction proche des besoins immédiats et du contexte présent.
2. Une nouvelle donne pour la sécurité intérieure
a) L'aggravation de la menace terroriste
La menace terroriste sur notre territoire, et en particulier le risque d'attentats perpétrés par des groupes islamistes, est certes une réalité depuis de nombreuses années. En 1995 et 1996, notre pays fut ainsi victime d'une série d'attentats attribués au groupe islamique armé (GIA), dont le plus meurtrier fut celui du RER B à la station Saint-Michel (8 morts et 117 blessés). Le plan « vigipirate » est appliqué sans discontinuer depuis 1991, au niveau « rouge » depuis les attentats de Londres de 2005 puis au niveau « alerte attentat » depuis le 7 janvier 2015.
Depuis trois ans, la menace terroriste a toutefois pris une nouvelle ampleur.
En mars 2012, Mohammed Mérah tue ainsi sept personnes, parmi lesquelles trois militaires et quatre civils dont trois enfants.
En outre, depuis 2013, le contexte sécuritaire de notre pays est marqué par la crise des filières syriennes. Plusieurs centaines de nos concitoyens, après un parcours de radicalisation plus ou moins long, ont en effet décidé de partir en Syrie pour combattre aux côtés de groupes terroristes, au premier rang desquels le Front al-Nosra puis Daech.
Si un tel phénomène n'est pas inédit puisque quelques combattants quittaient déjà auparavant chaque année notre pays pour rejoindre des théâtres d'opération au Kossovo, en Afghanistan ou encore en Irak, il est sans précédent par son ampleur : début juin 2015, plus de 1 750 personnes étaient impliquées dans les filières djihadistes, dont plus de 450 combattants 4 ( * ) . Si certains sont morts en Syrie, d'autres sont revenus sur notre territoire. Lorsqu'ils ne sont pas sous écrou dans le cadre d'une procédure judiciaire, ils constituent, avec ceux qui ont participé à une filière sans quitter notre pays, une menace d'autant plus grande pour la sécurité intérieure qu'ils sont désormais aguerris et formés au combat.
L'ampleur de cette menace constitue un défi sans précédent pour les services de renseignement. En effet, ce sont des centaines de personnes qu'il s'agit désormais de surveiller étroitement aussi bien sur le territoire national qu'à l'étranger et sur la longue durée, puisque leur dangerosité peut brutalement s'aggraver après plusieurs années d'inactivité apparente.
Cette situation a été prise en compte par les pouvoirs publics avec l'élaboration d'un « plan anti-Jihad » comprenant la mise en place d'un numéro vert de signalement de la radicalisation, l'adoption de la loi du 13 novembre 2014 renforçant les dispositions relatives à la lutte contre le terrorisme puis la mise en oeuvre d'un plan de « mobilisation générale contre le terrorisme » à la suite des attentats de janvier 2015. L'adoption de la loi relative au renseignement, actuellement en cours d'examen, permettra également de donner aux services de renseignement les instruments nécessaires pour tenter de contenir ce phénomène. Enfin, la gravité de la situation a suscité la mise en place de deux commissions d'enquête au Sénat puis à l'Assemblée nationale, qui ont respectivement rendu leurs travaux en avril et en juin 2015.
b) Un continuum entre sécurité intérieure et défense extérieure
Le Livre blanc de 2013 a dûment insisté sur les risques de continuum entre États faillis et terrorisme en Europe : « Sur fond d'États fragiles ou faillis, des groupes terroristes sévissent dans des régions jusqu'alors préservées où ils parasitent des conflits locaux qu'ils tentent de radicaliser : zone sahélo-saharienne mais aussi nord du Nigeria, Somalie, Syrie, Irak, péninsule arabique et zone afghano-pakistanaise. Se réclamant d'Al-Qaïda, ils disposent d'une capacité opérationnelle indépendante et cherchent à avoir un impact global en visant directement les intérêts occidentaux. Ils peuvent inciter des individus radicalisés présents sur notre territoire à passer à l'acte et conjuguer leur action avec eux ». Ainsi, l'état délabré des institutions dans ces territoires favorise l'installation puis l'enracinement de groupes terroristes qui se réclamaient hier essentiellement d'Al Qaïda et désormais de Daech (en Lybie, dans le Nord du Nigéria, mais aussi en Algérie).
Ce continuum ne se limite plus aujourd'hui au risque d'attaques terroristes « classiques » mais s'étend également aux cyberattaques. Dans ce domaine, il s'avère en effet particulièrement difficile de distinguer les agressions purement criminelles de celles des groupes terroristes ou des États eux-mêmes.
Plus profondément, il existe aujourd'hui une imbrication croissante des missions de défense et des missions de sécurité. Les terroristes ont souvent connu un parcours ou se mêle délinquance et criminalité organisée et sont à la fois des ennemis sur les théâtres d'opération et des criminels qui relèvent de la justice lorsqu'ils agissent sur le territoire national.
L'une des conséquences les plus remarquables de cette imbrication croissante est le nouveau continuum du renseignement, avec un rapprochement entre les services du ministère de l'intérieur et ceux du ministère de la défense au sein d'une nouvelle « communauté du renseignement » sous l'égide d'une instance de coordination inédite - le coordonnateur national du renseignement. Ainsi, les agents de la direction générale du renseignement intérieur (DGSI) ne peuvent espérer surveiller et contrôler les groupes terroristes sans les analyses de la direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) et de la direction du renseignement militaire (DRM), l'inverse étant également vrai.
De même, les opérations extérieures empruntent de plus en plus aux modes d'action qui relèvent en principe de la sécurité extérieure, tels que les méthodes de la police technique et scientifique, tandis que les opérations menées par des militaires dans le golfe d'Aden contre les pirates sont des missions de sécurité voire de police judiciaire puisqu'elles peuvent aboutir au défèrement de pirates à la justice.
Depuis les attentats de janvier 2015, ce continuum défense-sécurité s'incarne de la manière la plus visible dans le déploiement des 10 000 militaires (désormais 7 000) de l'opération Sentinelle sur notre territoire, en petits détachements sur plus de 700 postes de surveillance. Le Président de la République a décidé que cette opération montée en quelques jours sous la pression des événements s'inscrirait désormais dans la durée, afin de continuer à assurer la protection de certains sites sensibles. La pérennisation de cette opération a toutefois des conséquences budgétaires lourdes et doit en outre conduire à une réflexion approfondie sur la doctrine d'emploi des forces militaires sur le territoire national.
* 1 Impulsion qui devra être confirmée lors du Conseil européen de juin 2015.
* 2 Daech n'est pas la seule organisation a avoir opté pour des stratégies d'alliance, on observe en Syrie comme au Yémen (et dans une moindre mesure au Mali), des stratégies d'alliances des filiales d'Al Qaeda avec des groupes locaux ou tribaux.
* 3 La question reste en discussion. L'attaque du système de diffusion de la chaîne internationale francophone TV5 Monde installé à France a été attribuée dans un premier temps à Daech. Les soupçons portent désormais semble-t-il sur des hackers russes. Il peut y avoir également dissociation entre opérateurs et commanditaires.
* 4 Selon le ministère de l'intérieur.