CHAPITRE II
DISPOSITIONS VISANT À ASSURER LE PRONONCÉ DE PEINES INDIVIDUALISÉES
SECTION 1 - DISPOSITIONS FAVORISANT L'AJOURNEMENT DE LA PEINE AFIN D'AMÉLIORER LA CONNAISSANCE DE LA PERSONNALITÉ OU DE LA SITUATION MATÉRIELLE, FAMILIALE OU SOCIALE DU PRÉVENU

Article 4 (art. 132-70-1 [nouveau] du code pénal) - Création d'une procédure d'ajournement aux fins d'investigations sur la personnalité

Le présent article introduit dans le code pénal une nouvelle procédure d'ajournement du procès pénal aux fins d'investigations sur la personnalité afin de permettre à la juridiction de jugement de prononcer une sanction pénale adaptée et efficace.

1. Les possibilités de « césure » du procès pénal actuellement en vigueur

La procédure d'ajournement du procès pénal permet à la juridiction de jugement de se prononcer en deux temps :

- dans un premier temps, elle statue sur la culpabilité de la personne et prononce, si besoin, un certain nombre de mesures conservatoires (confiscation des objets dangereux ou nuisibles, etc.). Elle peut également statuer, s'il y a lieu, sur l'attribution de dommages et intérêts à la victime ;

- dans un second temps, elle se réunit à nouveau pour statuer exclusivement sur la nature de la peine qui sera infligée à la personne condamnée.

Cette procédure est possible pour tout délit et, dans certains cas, en matière contraventionnelle ; elle est en revanche exclue pour les crimes (article 132-58 du code pénal).

En l'état du droit, le code pénal prévoit trois procédures d'ajournement :

- l'ajournement simple (articles 132-60 à 132-62 du code pénal) permet à la juridiction d'ajourner le prononcé de la peine lorsqu'il apparaît que le reclassement du coupable est en voie d'être acquis, que le dommage causé est en voie d'être réparé et que le trouble résultant de l'infraction va cesser. La décision sur la peine intervient au plus tard un an après la première décision d'ajournement ;

- l'ajournement avec mise à l'épreuve (articles 132-63 à 132-65 du code pénal) permet à la juridiction de jugement de placer l'intéressé sous le régime de la mise à l'épreuve pendant un délai maximal d'un an. A l'audience de renvoi, la juridiction peut, en tenant compte de la conduite du coupable au cours du délai d'épreuve, soit le dispenser de peine, soit prononcer la peine prévue par la loi, soit ajourner une nouvelle fois la peine ;

- enfin, la procédure de l'ajournement avec injonction (articles 132-66 à 132-70 du code pénal) permet à la juridiction de jugement, dans les cas prévus par les lois ou les règlements qui répriment des manquements à des obligations déterminées, d'enjoindre à la personne déclarée coupable de se conformer à une ou plusieurs des prescriptions prévues par ces lois ou règlements, le cas échéant sous astreinte.

Ces procédures, à l'exception de l'ajournement avec injonction, sont applicables aux mineurs délinquants.

En outre, l'article 24-5 de l'ordonnance du 2 février 1945 relative à l'enfance délinquante prévoit que l'ajournement du prononcé de la mesure éducative, de la sanction éducative ou de la peine peut être également ordonné lorsque le juge des enfants statuant en chambre du conseil, le tribunal pour enfants ou le tribunal correctionnel pour mineurs considère, soit que les perspectives d'évolution de la personnalité du mineur le justifient, soit que des investigations supplémentaires sur la personnalité du mineur sont nécessaires. L'affaire est alors renvoyée à une audience qui doit avoir lieu au plus tard dans les six mois.

2.  La création d'une nouvelle procédure de « césure » pour investigations sur la personnalité de l'auteur des faits

S'inspirant de ces dispositions, créées par la loi n° 2011-939 du 10 août 2011 sur la participation des citoyens au fonctionnement de la justice pénale et le jugement des mineurs, le présent article propose de créer une nouvelle procédure d'ajournement du procès pénal aux fins d'investigations sur la personnalité ou la situation matérielle, familiale ou sociale de la personne condamnée .

Le I du présent article introduit à cette fin dans le code pénal un nouvel article 132-70-1 permettant à la juridiction d'ajourner le prononcé de la peine à l'égard d'une personne physique dès lors qu'il apparaît nécessaire d'ordonner à son égard des investigations complémentaires sur sa personnalité ou sa situation matérielle, familiale et sociale .

Dans ce cas, il lui appartiendrait de fixer dans sa décision la date à laquelle il sera statué sur la peine. En tout état de cause, cette décision devrait intervenir au plus tard dans un délai de quatre mois après la décision d'ajournement - sauf si l'intéressé a été placé en détention provisoire : dans ce cas, l'audience devrait avoir lieu, selon les cas, dans un délai de deux à quatre mois.

Sur proposition de M. Philippe Vigier, les députés ont prévu que ce délai pourrait être prolongé pour une nouvelle durée maximale de quatre mois , ce que les représentantes de l'USM ont salué lors de leur audition, compte tenu des délais dans lesquels, dans certains ressorts, les investigations sur la personnalité peuvent être réalisées.

En commission des lois, les députés ont également adopté deux amendements identiques de Mme Colette Capdevielle et de M. Eric Ciotti introduisant dans le code pénal un nouvel article 132-70-2 afin de permettre à la juridiction, lorsqu'elle ajourne le prononcé de la peine, d'octroyer immédiatement à la victime des dommages et intérêts, soit à titre provisionnel, soit à titre définitif . Ces nouvelles dispositions font ainsi écho à celles de l'article 132-58 du code pénal, aux termes duquel, « en même temps qu'elle se prononce sur la culpabilité du prévenu, la juridiction statue, s'il y a lieu, sur l'action civile ».

Enfin, au terme d'un long débat, ils ont adopté en séance publique un amendement de Mme Colette Capdevielle précisant que ces investigations sur la personnalité pourraient être confiées, suivant le cas, aux services pénitentiaires d'insertion et de probation ou à des personnes morales habilitées .

De telles dispositions soulèvent la question de l'intervention concurrente des SPIP et des associations en matière d'investigations sur la personnalité.

S'inscrivant dans la perspective d'un recentrage des SPIP sur leur « coeur de métier », c'est-à-dire le suivi et la prise en charge des personnes condamnées, l'article 4 de la loi n°2012-409 du 27 mars 2012 de programmation relative à l'exécution des peines a en effet confié prioritairement au secteur associatif la réalisation des enquêtes présententielles de personnalité, le SPIP n'étant saisi qu'en cas « d'impossibilité matérielle » (articles 41 et 81 du code de procédure pénale).

Si les associations présentent indéniablement un savoir-faire en la matière, cette orientation a néanmoins soulevé des critiques. Comme l'indiquait notre ancienne collègue Nicole Borvo Cohen-Seat, rapporteure de cette loi pour le Sénat, « l'attention de votre rapporteure a été attirée sur les difficultés financières des personnes habilitées pour mener ces enquêtes sociales compte tenu des retards dans le remboursement de leurs prestations au titre de frais de justice. [...] La nouvelle rédaction proposée pour l'article 41 du code de procédure pénale introduit des rigidités procédurales par rapport au droit en vigueur. Ainsi, comme l'ont relevé plusieurs des magistrats rencontrés par votre rapporteure, elle aura pour effet d'obliger le parquet à saisir par principe les personnes privées même si celles-ci ne sont pas en mesure -malgré leur habilitation- de fournir un service de qualité. En outre, certains prévenus sont déjà suivis en post-sentenciel par le SPIP, dès lors plus à même d'informer rapidement le tribunal et d'éclairer l'enquête de personnalité à la lumière du suivi en cours » 51 ( * ) .

A cet égard, il est regrettable que l'étude d'impact annexée au présent projet de loi ne comporte pas d'évaluation de l'impact budgétaire que le recours à cette nouvelle procédure d'ajournement pourrait entraîner, en particulier sur les frais de justice.

En tout état de cause, votre commission estime préférable, à ce stade de la procédure où la culpabilité de l'auteur est établie et où il s'agit de définir la peine la plus adaptée, de laisser à la juridiction de jugement le soin, en fonction des spécificités du ressort et des compétences qu'elle est en mesure de mobiliser, le service ou l'association le mieux à même de réaliser, dans un délai bref, des investigations lui permettant de prononcer une peine adaptée en pleine connaissance de cause.

Elle a adopté un amendement rédactionnel de son rapporteur.

3. Situation de la personne reconnue coupable en cas d'ajournement du prononcé de la peine

Le II du présent article définit la situation de la personne condamnée lorsque la juridiction a décidé d'ajourner sa décision sur le prononcé de la peine.

Aux termes d'un nouvel article 397-3-1 du code de procédure pénale , le tribunal correctionnel aurait la possibilité, quand il prononce l'ajournement de la peine aux fins d'investigations sur la personnalité :

- soit de placer ou de maintenir la personne déclarée coupable sous contrôle judiciaire ;

- soit de la placer ou de la maintenir sous assignation à résidence avec surveillance électronique ;

- soit de la placer ou de la maintenir en détention provisoire, mais uniquement dans le cas où la personne a été renvoyée devant lui dans le cadre d'une comparution immédiate. En outre, aux termes d'un amendement adopté à l'initiative de M. Alain Tourret, la détention provisoire ne pourrait être décidée que pour l'un des motifs suivants : empêcher une pression sur les témoins ou les victimes ainsi que sur la famille, empêcher une concertation frauduleuse entre la personne condamnée et ses coauteurs ou complices, prévenir le renouvellement de l'infraction.

Votre commission a adopté un amendement rédactionnel de son rapporteur tendant à se référer directement aux motifs possibles de la détention provisoire visés à l'article 144 du code de procédure pénale.

4. Une procédure qui montrera toute son utilité dans le cadre des comparutions immédiates

Au total, votre commission approuve très largement la création de cette nouvelle procédure d'ajournement, qui donnera à l'autorité judiciaire la possibilité de statuer rapidement sur la culpabilité de la personne ainsi que sur l'indemnisation de la victime, tout en lui accordant le temps nécessaire pour adapter la peine prononcée à la personnalité de l'auteur, afin de prévenir le renouvellement de l'infraction.

Evoquée dès 1954 dans la promotion de la défense sociale nouvelle de Marc Ancel, inspirée des systèmes de Common law, la création d'une « césure » du procès pénal pour permettre de plus amples investigations sur la personnalité de l'auteur des faits a notamment été préconisée en 1991 par le rapport de la commission « justice pénale et droits de l'homme » présidée par Mme Mireille Delmas-Marty 52 ( * ) .

Cette procédure aura en particulier tout son intérêt dans le cadre des comparutions immédiates.

Comme le montre une étude réalisée par le pôle d'évaluation des politiques pénales du ministère de la justice en octobre 2012 53 ( * ) , le recours à la procédure de comparution immédiate a en effet connu une croissance importante au cours des années 2000 avant de se stabiliser à environ 40 000 procédures par an depuis cinq ans . La majorité de ces comparutions immédiates fait suite à une enquête de flagrance, et 70 % d'entre elles donnent lieu à une comparution devant la juridiction de jugement le jour même du défèrement.

Une analyse des données extraites du casier judiciaire national montre que si, depuis 1995, la structure des peines prononcées hors comparutions immédiates est restée relativement stable, en revanche, le recours à la comparution immédiate est de plus en plus lié au prononcé d'une peine d'emprisonnement , avec l'augmentation des peines assorties d'un sursis total et des peines d'emprisonnement ferme d'un an ou plus.

Si la réalisation d'une enquête sociale rapide est obligatoire préalablement à la mise en oeuvre d'une comparution immédiate (article 41 du code de procédure pénale), son contenu est souvent indigent, en particulier en cas de comparution de plusieurs auteurs ou lors de défèrements le week-end (ne permettant la vérification d'aucune information concernant notamment l'emploi, le logement, etc. de la personne déférée).

L'intérêt des dispositions proposées par le présent article a été unanimement souligné par les personnes entendues par votre rapporteur, qui ont toutefois observé que leur mise en oeuvre reposerait sur la capacité des juridictions à organiser une seconde audience pour statuer sur la peine.

Votre commission a adopté l'article 4 ainsi modifié .

Article 4 bis (art. 132-70-3 [nouveau] du code pénal) - Création d'une procédure d'ajournement aux fins de consignation d'une somme d'argent

Le présent article, issu d'un amendement de M. Dominique Raimbourg, rapporteur, adopté par la commission des lois de l'Assemblée nationale, vise à créer une nouvelle procédure d'ajournement aux fins de consignation d'une somme d'argent.

En l'état du droit, le code pénal connaît trois procédures permettant à la juridiction de jugement, après avoir déclaré le prévenu coupable, de renvoyer la détermination de la sanction pénale à une audience ultérieure :

- l'ajournement simple (articles 132-60 à 132-62 du code pénal) ;

- l'ajournement avec mise à l'épreuve (articles 132-63 à 132-65 du code pénal) ;

- enfin, l'ajournement avec injonction (articles 132-66 à 132-70 du code pénal).

L'article 4 du projet de loi propose par ailleurs de créer une procédure d'ajournement aux fins d'investigations sur la personnalité de l'auteur de l'infraction (voir supra - commentaire de l'article 4).

Le présent article propose quant à lui de créer une procédure d'ajournement aux fins de consignation d'une somme d'argent .

Aux termes d'un nouvel article 132-70-3 du code pénal, la juridiction de jugement pourrait ainsi ajourner le prononcé de la peine à l'égard d'une personne en la soumettant à l'obligation de consigner une somme d'argent en vue de garantir le paiement d'une éventuelle peine d'amende .

Dans ce cas, il lui appartiendrait de déterminer le montant de cette consignation et le délai dans lequel celle-ci doit être déposée au greffe - délai qui ne saurait être supérieur à un an.

Elle pourrait prévoir que cette consignation est effectuée en plusieurs versements, selon un échéancier qu'elle détermine.

Enfin, elle fixerait dans sa décision la date à laquelle il sera statué sur la peine. En tout état de cause, la décision sur la peine devrait intervenir au plus tard dans un délai d'un an après la décision d'ajournement.

Plusieurs personnes entendues par votre rapporteur se sont interrogées sur l'intérêt d'une telle procédure, compte tenu de la possibilité d'imposer à une personne de consigner une somme d'argent dans le cadre d'un contrôle judiciaire (article 138, 11°, du code de procédure pénale).

M. Dominique Raimbourg a quant à lui fait valoir qu' « une telle disposition permettra d'améliorer le taux de recouvrement des peines d'amende, qui demeure aujourd'hui encore trop faible. En effet, si des progrès ont certainement été accomplis dans le taux de paiement volontaire, grâce à la possibilité de payer les amendes auprès du BEX, le taux de recouvrement contentieux a, en revanche, fortement reculé au cours des dernières années, passant de 38,2 % à 29,7 % entre 2007 et 2012, selon les informations transmises à votre rapporteur par le ministère de la justice » 54 ( * ) .

Votre commission a approuvé ces dispositions qui offriront aux magistrats un outil supplémentaire permettant d'inciter l'auteur d'une infraction à s'acquitter de ses obligations. Cette nouvelle procédure présentera notamment un intérêt lorsque la personne n'a pas été préalablement placée sous contrôle judiciaire.

Votre commission a adopté l'article 4 bis sans modification .


* 51 Rapport n° 302 (2011-2012) de Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, fait au nom de la commission des lois, déposé le 26 janvier 2012, pages 60-61. Ce rapport peut être consulté à l'adresse suivante : http://www.senat.fr/rap/l11-302/l11-302.html .

* 52 « La Mise en état des affaires pénales » : rapports / Ministère de la justice, Commission justice pénale et droits de l'homme présidée par Mireille Delmas-Marty ; Serge Lasvignes, (et al.).

* 53 Qui peut être consultée à l'adresse suivante : http://conference-consensus.justice.gouv.fr/wp-content/uploads/2013/02/evolution_ci_synthese2012.pdf .

* 54 Rapport précité, page 171.

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