B. UNE SÉDIMENTATION DE MESURES APPELANT À ÊTRE CLARIFIÉE

C'est à partir du milieu des années 2000 que la nécessité d'un encadrement législatif et réglementaire des stages est apparue indispensable. Il s'est construit en plusieurs étapes, entre 2006 et 2013, cherchant à concilier la définition d'un statut protecteur du stagiaire et le développement d'une offre de stages insérés dans les cursus pédagogiques en direction des élèves et des étudiants.

L'article 9 de la loi du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances 7 ( * ) constitue la première tentative de réglementation des stages. Il a :

- conditionné tout stage à la signature d'une convention entre le stagiaire, l'entreprise d'accueil et l'établissement d'enseignement ;

- fixé à six mois la durée maximale des stages, « à l'exception de ceux qui sont intégrés dans un cursus pédagogique » ;

- rendu obligatoire le versement par l'entreprise d'une gratification pour les stages d'une durée supérieure à trois mois consécutifs.

L'article 10 de cette même loi a institué une exonération de charges sociales pour les gratifications dont le montant est fixé au minimum légal.

Le pouvoir réglementaire est venu en préciser les modalités d'application. Le décret du 29 août 2006 8 ( * ) a défini les clauses obligatoires des conventions de stage (définition des activités du stagiaire, durée du stage, horaires de présence dans l'entreprise, gratification, etc.) et a imposé que leur soit annexé la « charte des stages étudiants en entreprise », signée le 26 avril 2006 sous l'égide du Gouvernement par les organisations représentatives des employeurs (Medef, CGPME, UPA, UNAPL), certains syndicats étudiants (Fage, Uni, PDE) et les représentants des établissements d'enseignement supérieur (Conférence des présidents d'université (CPU), des grandes écoles (CGE) et des directeurs des écoles françaises d'ingénieurs (CDEFI)).

Il a également posé le principe selon lequel aucune convention de stage ne peut être conclue pour « remplacer un salarié en cas d'absence, de suspension de son contrat de travail ou de licenciement, pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent, pour faire face à un accroissement temporaire de l'activité de l'entreprise ou pour occuper un emploi saisonnier ».

Le décret du 31 janvier 2008 9 ( * ) a quant à lui établi le régime de la gratification versée aux stagiaires, qui n'a pas le caractère d'un salaire. Sauf si une convention de branche ou un accord professionnel étendu s'applique, son montant est de 12,5 % du plafond horaire de la sécurité sociale 10 ( * ) . Elle est due à compter du premier jour du premier mois de stage et est versée mensuellement. Ce même décret a demandé aux entreprises de tenir une liste des conventions de stage qu'elles ont conclues et a étendu l'ensemble de ces règles aux stages réalisés dans des associations, des entreprises publiques et des établissements publics à caractère industriel et commercial (Epic).

La proposition de loi du groupe socialiste visant à organiser
le recours aux stages
, examinée par le Sénat en février 2007

Déposée le 18 mai 2006 , la proposition de loi (PPL) dont votre rapporteur était l'auteur proposait d'insérer dans le code de l'éducation, et par parallélisme dans le code du travail, les dispositions relatives à l'encadrement des stages et de renforcer la protection des stagiaires.

La PPL fixait ainsi leur rémunération minimale à 50 % du Smic pour tout stage d'une durée supérieure à un mois . Elle améliorait la prise en compte des arrêts maladie et prévoyait la prise en charge des frais de transport, d'hébergement et de restauration par l'organisme d'accueil. Elle associait davantage les établissements d'enseignement au suivi des stages, en particulier pour prévenir les ruptures. En cas de recrutement à l'issue du stage, elle déduisait sa durée de la période d'essai et la prenait en compte dans le calcul de l'ancienneté.

Elle définissait également l'abus de stage , puni de 1 500 euros d'amende, comme le recours à un stagiaire pour, notamment, remplacer un salarié absent ou occuper un emploi permanent 11 ( * ) ou bien comme le fait de recruter en stage un diplômé qui aurait vocation, par sa formation, à occuper ce poste de travail en tant que salarié à part entière.

Elle visait enfin à offrir aux stagiaires la même protection qu'aux salariés en matière d'accidents du travail et de santé au travail, prévoyant ainsi que l'organisme d'accueil souscrive une assurance en responsabilité civile pour les dommages occasionnés par le stagiaire, et instituait une information des institutions représentatives du personnel (IRP) sur la politique de l'entreprise en matière de stages.

L'accord national interprofessionnel (Ani) du 11 janvier 2008 sur la modernisation du marché du travail constitue la première prise en compte des stagiaires par les partenaires sociaux puisqu'il propose, à son article 3, qu'en cas d'embauche à la fin d'un stage « intégré à un cursus pédagogique réalisé lors de la dernière année d'études » sa durée soit prise en compte dans la période d'essai, sans que cela puisse la réduire de plus de moitié, sauf accord collectif plus favorable. L'article 2 de la loi du 25 juin 2008 12 ( * ) a introduit cette disposition à l'article L. 1221-24 du code du travail.

Le décret du 21 juillet 2009 13 ( * ) a défini les règles relatives aux stages réalisés dans les administrations de l'Etat et dans ses établissements publics , hormis les Epic déjà pris en compte par le décret du 31 janvier 2008. Il transpose les règles applicables dans le secteur privé (convention de stage obligatoire, modalités de versement et montant minimal de la gratification, etc.) tout en prévoyant la possibilité d'une prise en charge des frais de transport et de déplacement au même titre que les autres agents publics. Toutefois, contrairement au droit alors en vigueur pour les entreprises, la gratification est rendue obligatoire pour les stages d'une durée minimale de deux mois et non de trois mois.

La prime à l'embauche de jeunes stagiaires

Dans le cadre du plan d'urgence pour l'emploi des jeunes mis en place en 2009 par le gouvernement Fillon, une prime à l'embauche des stagiaires avait été instituée 14 ( * ) au bénéfice des employeurs recrutant en CDI un jeune de moins de 26 ans ayant effectué un stage d'au moins deux mois dans leur organisme. Initialement réservée aux embauches effectuées entre le 24 avril 2009 et le 30 septembre 2009 , elle a été prolongée 15 ( * ) jusqu'au 30 juin 2010 .

Cette prime, d'un montant de 3 000 euros , était versée en deux temps : une première moitié dans le mois suivant la demande, une seconde moitié dès lors que le contrat du jeune avait duré plus de six mois. En étaient exclus les employeurs en retard dans leurs obligations en matière de sécurité sociale, qu'elles soient déclaratives ou de paiement, ainsi que ceux ayant procédé à un licenciement économique, sur le poste concerné, moins de six mois avant l'embauche en CDI du stagiaire.

La Dares a procédé à l'évaluation 16 ( * ) de cette mesure, qui a concerné 7 245 personnes pour un coût de 20 millions d'euros . Plus de la moitié des embauches ont eu lieu dans le secteur des services aux entreprises, notamment le conseil sous toutes ses formes (gestion, informatique, etc.). Ce sont les jeunes au niveau de formation le plus élevé qui en ont bénéficié : 85 % d'entre eux avaient au moins un bac + 3 et 60 % étaient en troisième cycle ou en école d'ingénieur. Les stages longs ont été privilégiés, tandis que les femmes ont été défavorisées ( 37 % du total) en raison des secteurs concernés. Au final, le recrutement s'est parfois fait sur des postes pour lesquels le jeune était trop qualifié . Surtout, ce dispositif a très peu concerné les filières professionnelles courtes (IUT, etc.) et l'enseignement secondaire. Il est donc permis de s'interroger sur l'effet d'aubaine qu'elle a pu susciter.

C'est la loi du 24 novembre 2009 17 ( * ) qui, en modifiant la loi de 2006, abaisse le seuil de gratification à deux mois pour les entreprises . Elle a également interdit, à la suite de l'adoption d'un amendement sénatorial, les stages se situant en dehors d'un cursus pédagogique.

Le décret du 25 août 2010 18 ( * ) en a tiré les conséquences et a défini les conditions dans lesquelles un stage peut être considéré comme intégré à un cursus pédagogique : ses finalités et ses modalités doivent être définies dans l'organisation de la formation et l'étudiant doit en faire une restitution évaluée par l'établissement. Sont également acceptés, dès lors qu'ils respectent ces deux conditions, les années de césure et les stages réalisés dans le cadre de formations de réorientation ou de formations complémentaires visant à favoriser l'insertion professionnelle.

Les partenaires sociaux se sont à nouveau saisis de la question des stages lors la négociation sur l'emploi des jeunes qu'ils ont conduite au premier semestre 2011. Celle-ci s'est traduite par quatre Ani, dont l'Ani du 7 juin 2011 sur l'accès des jeunes aux formations en alternance et aux stages en entreprise . Rappelant les principes généraux des stages, c'est-à-dire leur insertion dans un cursus pédagogique et leur différence par rapport aux postes de travail permanents de l'entreprise, il vise à améliorer leur qualité et la situation des stagiaires dans leur structure d'accueil.

La loi du 28 juillet 2011 19 ( * ) en a assuré la transposition législative. Elle a regroupé dans le code de l'éducation les dispositions relatives aux stages et a institué, comme le recommandait l'Ani :

- une période de carence entre deux stages dans un même poste égale au tiers de la durée du stage précédent ;

- une durée maximale de stage de six mois par an pour une personne dans une même entreprise ;

- l'accès des stagiaires aux activités sociales et culturelles du comité d'entreprise ;

- l'information du comité d'entreprise, une fois par trimestre, sur le nombre de stagiaires accueillis dans l'entreprise et les conditions de leur accueil ;

- un registre des conventions de stage dans chaque entreprise, distinct du registre unique du personnel.

Cette loi a également étendu l'obligation de gratification aux stages d'une durée de deux mois non consécutifs au cours d'une même année et a rendu plus favorables les règles relatives à la prise en compte, en cas d'embauche, de la durée du stage dans la période d'essai et dans l'ancienneté. Le stage peut être déduit de la période d'essai, dans la limite de la moitié de celle-ci, si le recrutement intervient dans les trois mois suivant l'issue du stage. Par ailleurs, lorsque cette embauche est effectuée dans un emploi en correspondance avec les activités qui avaient été confiées au stagiaire, la durée du stage est déduite intégralement de la période d'essai. Enfin, la durée de tout stage de plus de deux mois est prise en compte pour l'ouverture et le calcul des droits liés à l'ancienneté.

La loi relative à l'enseignement supérieur et à la recherche (ESR) du 22 juillet 2013 20 ( * ) a, pour la première fois, apporté une définition du stage : il s'agit d'une « période temporaire de mise en situation en milieu professionnel au cours de laquelle l'étudiant acquiert des compétences professionnelles qui mettent en oeuvre les acquis de sa formation en vue de l'obtention d'un diplôme ou d'une certification » (art. L. 612-8 du code de l'éducation). Elle a institué un volume pédagogique minimal de formation, qui doit accompagner le stage et être fixé par décret. Elle a également étendu l'obligation de gratification des stages de plus de deux mois à toutes les personnes publiques , collectivités territoriales comprises.

Ce texte a également reconnu aux stagiaires la même protection qu'aux salariés en matière de harcèlement moral ou sexuel et dans l'exercice de leurs droits et libertés dans l'organisme qui les accueille. Il a confirmé que les stages réalisés dans le cadre des formations sanitaires conduisant aux carrières d'auxiliaire médical (infirmier, kinésithérapeute, pédicure-podologue, orthophoniste, etc.) sont exonérés de l'obligation de gratification 21 ( * ) . Il a également prévu une évaluation par les étudiants de la qualité de leur accueil en stage. Enfin, il a limité les dérogations à la durée maximale de six mois , la limitant à des formations fixées par décret « compte tenu des spécificités des professions nécessitant une durée de pratique supérieure auxquelles préparent ces formations ».

A la suite de l'adoption de cette loi, le décret du 19 août 2013 22 ( * ) a codifié, aux articles D. 612-48 à D. 612-60 du code de l'éducation, les dispositions réglementaires relatives aux stages en entreprise ou dans les administrations issues des décrets de 2006, 2008, 2009 et 2010 précités.

Enfin, la récente réforme des retraites 23 ( * ) a ouvert aux étudiants la possibilité d'obtenir la prise en compte de deux trimestres de stage au titre de leur durée d'assurance vieillesse . Ils devront pour cela verser des cotisations, qui pourront être échelonnées. La demande devra être faite dans un délai de deux ans. Un décret doit encore venir en définir les modalités d'application.


* 7 Loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances.

* 8 Décret n° 2006-1093 du 29 août 2006 pris pour l'application de l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances.

* 9 Décret n° 2008-96 du 31 janvier 2008 relatif à la gratification et au suivi des stages en entreprise.

* 10 Soit, en 2014, 436,05 euros par mois pour la durée légale de travail.

* 11 Ces différents cas de figure seront repris dans le décret du 29 août 2006.

* 12 Loi n° 2008-596 du 25 juin 2008 portant modernisation du marché du travail.

* 13 Décret n° 2009-885 du 21 juillet 2009 relatif aux modalités d'accueil des étudiants de l'enseignement supérieur en stage dans les administrations et établissements publics de l'Etat ne présentant pas un caractère industriel et commercial.

* 14 Par le décret n° 2009-692 du 15 juin 2009 instituant une prime à l'embauche de jeunes stagiaires en contrat à durée indéterminée.

* 15 Par le décret n° 2009-1457 du 27 novembre 2009 modifiant le décret n° 2009-692 du 15 juin 2009 instituant une prime à l'embauche de jeunes stagiaires en contrat à durée indéterminée.

* 16 Dares Analyses n° 9, La prime à l'embauche d'un jeune stagiaire : environ 7 000 jeunes embauchés en contrat à durée indéterminée entre mai 2009 et juin 2010, février 2012.

* 17 Loi n° 2009-1437 du 24 novembre 2009 relative à l'orientation et à la formation professionnelle tout au long de la vie, art. 30.

* 18 Décret n° 2010-956 du 25 août 2010 modifiant le décret n° 2006-1093 du 29 août 2006 pris pour l'application de l'article 9 de la loi n° 2006-396 du 31 mars 2006 pour l'égalité des chances.

* 19 Loi n° 2011-893 du 28 juillet 2011 pour le développement de l'alternance et la sécurisation des parcours professionnels, art. 27 à 29.

* 20 Loi n° 2013-660 du 22 juillet 2013 relative à l'enseignement supérieur et à la recherche, art. 26, 27, 28 et 36.

* 21 Article L. 4381-1 du code de la santé publique.

* 22 Décret n° 2013-756 du 19 août 2013 relatif aux dispositions réglementaires des livres VI et VII du code de l'éducation.

* 23 Loi n° 2014-40 du 20 janvier 2014 garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.

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