II. AUDITIONS
Audition de Mme Yannick MOREAU, présidente de la commission pour l'avenir des retraites
Réunie le mercredi 3 juillet 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission entend Mme Yannick Moreau, présidente de la commission pour l'avenir des retraites.
Mme Annie David, présidente . - Je remercie Mme Yannick Moreau d'avoir bien voulu venir devant notre commission évoquer avec nous la situation et les perspectives des régimes de retraite.
Mme Moreau, vous avez présidé la commission pour l'avenir des retraites qui a été mise en place à la demande du Premier ministre à la fin du mois de février dernier et qui a rendu ses travaux trois mois et demi plus tard, le 14 juin.
Je précise que vous aviez présidé le Conseil d'orientation des retraites (COR) de 2000 à 2006 et qu'étaient réunis autour de vous, au sein de la commission pour l'avenir des retraites, neuf autres personnalités désignées par le Premier ministre. Vous êtes accompagnée de M. Philippe Laffon, rapporteur général de la commission.
Le Gouvernement a indiqué son intention de présenter mi-septembre son projet de loi portant réforme des retraites et on évoque pour ce texte un calendrier d'examen parlementaire particulièrement serré, avec une première lecture à l'Assemblée nationale début octobre puis au Sénat dans la foulée, avant l'examen du PLFSS mi-novembre.
Le rapport de la commission pour l'avenir des retraites fait suite à de nombreux travaux du COR. Il comporte une analyse des perspectives financières, mais également des principales caractéristiques de nos régimes de retraite et des conséquences qui en découlent sur les situations individuelles, dans leur grande variété.
Le rapport dresse également une liste de mesures envisageables aux yeux de la commission, sans nécessairement trancher parmi elles. Les décisions finales relèveront bien sûr du Gouvernement et du Parlement.
Pourriez-vous nous présenter les principales conclusions auxquelles vous avez abouti et les axes qui vous paraissent devoir être privilégiés ?
Vous avez participé les 20 et 21 juin derniers à la table ronde consacrée aux retraites présidée par Marisol Touraine lors de la Grande conférence sociale. Nous souhaiterions connaître vos impressions à l'issue du débat qui s'est engagé, à cette occasion, entre le Gouvernement et les partenaires sociaux.
Je vous passe la parole pour un exposé introductif.
Mme Yannick Moreau, présidente de la commission pour l'avenir des retraites . - Le rapport de la commission pour l'avenir des retraites s'appuie sur les nombreux travaux qui l'ont précédé, en particulier ceux du COR, dont il a notamment repris à son compte les projections financières. Je souhaiterais donc commencer par vous rappeler les principaux constats que nous avons effectués avant d'en venir aux pistes de réforme que nous avons formulées.
La situation démographique de notre pays constitue le premier point que la commission a considéré comme central pour mener à bien sa réflexion. Le défi est double. D'une part, les générations du baby-boom arrivent à l'âge de la retraite. D'autre part, la durée de la vie s'allonge. La conjugaison de ces deux facteurs engendre une baisse tendancielle du nombre d'actifs cotisants par rapport au nombre de retraités. A son maximum, ce ratio démographique était de quatre cotisants pour un retraité tandis qu'il est d'un peu moins de trois cotisants pour un retraité aujourd'hui. A l'horizon 2035, il se stabilisera autour de 1,5 cotisant pour un retraité. La baisse est donc rapide et nous avons devant nous vingt-deux années difficiles pour s'adapter au nouveau cours démographique. Mais il ne faut surtout pas faire croire aux jeunes générations que la situation est sans espoir.
Deuxième constat : la succession des réformes (1993, 2003, 2008 et 2010) à un rythme accéléré a produit des effets anxiogènes mais, bien que l'équilibre financier n'ait pas été atteint, on ne peut laisser croire qu'elles n'ont servi à rien. En effet, si elles n'avaient pas été réalisées, nous aurions 3,5 points de PIB de retraites de plus à financer aujourd'hui et, toutes choses égales par ailleurs, plus de 6 points de PIB de retraites supplémentaires à financer en 2035.
Les projections financières montrent que notre système de retraite évoluera selon deux phases distinctes. D'ici à 2020, un déséquilibre relativement grave prédominera. Il appelle des mesures rapides. Son ampleur s'explique par les deux crises économiques et financières successives que nous avons traversées et dont les effets n'ont pu suffisamment être compensés par les mesures adoptées dans le cadre de la réforme de 2010. En revanche, en prenant pour acquis que l'équilibre sera retrouvé en 2020, l'équilibre durable est possible à moyen-long terme pour l'ensemble du système à la condition, conformément au scénario B du COR, que la croissance annuelle de la productivité du travail soit d'au moins 1,5 %.
Il convient toutefois de garder à l'esprit que notre système de retraite est extrêmement sensible à la croissance. En effet, le mode de calcul des pensions dans le régime général, qui est le régime de retraite le plus important du point de vue de la masse des prestations servies, se base depuis 1993 sur une indexation sur les prix et non plus sur les salaires, tant des salaires portés au compte que des pensions. Par conséquent, le rythme de croissance des ressources est proche de celui de la croissance économique, tandis que les pensions ne suivent cette évolution que de manière plus diffuse et avec un effet différé. S'il contribue au financement du baby-boom, ce différentiel de croissance engendre une baisse certaine des taux de remplacement au cours du temps. Tant que les cotisations augmentent au rythme de la croissance des salaires, le système peut s'équilibrer. Mais en-deçà de ce niveau, les déficits se creusent.
Or, le troisième constat, particulièrement sensible, est celui de l'incertitude et de l'instabilité économiques, personne n'étant en mesure de garantir une croissance de la productivité des salaires de 1,5 point comme cela est prévu dans le scénario B du COR. La question est la suivante : comment faire face à la nouvelle donne démographique dans une situation économique incertaine et un système de retraite qui ne peut se maintenir à l'équilibre qu'à la condition d'un certain niveau de croissance ?
Parallèlement, la lisibilité et l'équité du système de retraite font l'objet de demandes multiples. Nous pensons que l'urgence principale n'est pas de procéder à une réforme systémique mais d'assurer la stabilisation financière, laquelle ne dépend pas d'un changement de système. Par exemple, il n'est pas nécessaire de passer à un régime par points pour piloter les régimes de retraite.
Quant à l'emploi des seniors, il a nettement progressé, même dans une période d'accroissement du chômage. Dans le même temps, la question de la pénibilité reste posée malgré la réforme de 2010.
En résumé, les trois enjeux qui se posent pour l'avenir sont d'assurer l'équilibre et la pérennité financière du système, de garantir son équité et d'agir sur emploi des seniors et la pénibilité.
S'agissant de l'équilibre financier à court terme, les prévisions établies par le COR en 2011 indiquent un besoin de financement de 20 milliards d'euros en 2020 pour l'ensemble des régimes de retraite. Dans les faits, ces 20 milliards d'euros se décomposent en trois grandes masses.
La première d'entre elles concerne les régimes complémentaires des salariés. Leur besoin de financement, estimé à 8,3 milliards d'euros à l'horizon 2020, sera réduit de plus de la moitié grâce aux mesures qu'ils ont adoptées au printemps dernier. Il reviendra aux partenaires sociaux de définir les autres mesures qui permettront de faire la seconde moitié du chemin.
La seconde masse concerne le régime de la fonction publique d'Etat, les régimes spéciaux et ceux qui sont équilibrés par des subventions de l'Etat. Les prévisions du COR prévoyaient un besoin de financement de 8,6 milliards d'euros en 2020. Dans l'intervalle, l'Etat a prévu de dégager 4,5 milliards au cours des budgets successifs. Il reste donc à trouver des ressources complémentaires qui pourront provenir de la transposition des mesures adoptées pour le régime général et les régimes alignés dans le cadre de la prochaine réforme ou bien de la contribution de l'Etat.
A cet égard, je rappelle que les déséquilibres démographiques des régimes n'atteignent pas tous leur pic au même moment. S'agissant de la fonction publique d'Etat, le déséquilibre démographique est aujourd'hui quasiment maximal car les personnes entrées dans la fonction publique au cours de la période de recrutements massifs sont en train de partir en retraite. En revanche, pour le régime général et les régimes alignés, les ratios démographiques vont se dégrader au cours du temps et la situation démographique est plutôt meilleure aujourd'hui. Au total, les besoins de financement qui seront nécessaires en 2020 pourront se révéler très importants si la croissance de la productivité des salaires n'était pas assez forte.
Avec un besoin de financement de 7 milliards d'euros en 2020, le régime général et les régimes alignés représentent justement la troisième masse financière, celle qui sera concernée au premier chef par la réforme.
A cet égard, la partie de notre rapport consacrée aux mesures qui pourraient être mises en oeuvre ne se veut pas prescriptive. Nous proposons deux scénarios qui se distinguent par la manière de répartir les efforts entre actifs et retraités. Le choix final appartiendra bien sûr aux partenaires sociaux et aux responsables politiques.
Parmi l'ensemble des mesures proposées, je remarque que, par rapport aux recettes nouvelles, ce sont les économies sur les dépenses qui sont les moins populaires auprès des partenaires sociaux.
S'agissant des retraités, nous pouvons prévoir des mesures de sous-indexation des pensions auxquelles échapperaient les plus petites retraites. Aujourd'hui, pour les jeunes retraités, les niveaux de pension sont assez bons. En d'autres termes, le taux de remplacement est historiquement haut. Ce niveau moyen cache cependant des disparités : les retraités les plus anciens, dont les pensions ont été calculées selon des modalités moins favorables, avec une longue période d'indexation sur les prix, ont un taux de remplacement plutôt moins élevé. De même, les pensions de retraite des femmes continuent de se caractériser par un niveau plus faible que la moyenne.
Nous pouvons également réviser les niches fiscales. Il s'agirait de remettre en cause en tout ou partie l'abattement fiscal de 10 % sur les pensions, de fiscaliser les majorations de pension pour enfants ou bien de procéder à une hausse ciblée des taux de CSG.
S'agissant des mesures de recettes, il peut être envisagé de procéder à une hausse de cotisations sociales - sachant qu'une hausse annuelle de 0,1 point a déjà un impact important - à une sous-indexation des salaires portés au compte pendant deux ou trois ans ou encore à une accélération de la montée en charge de l'augmentation de la durée de cotisation prévue par la réforme de 2003, voire à un recul de l'âge légal de départ en retraite.
Cependant, d'ici 2020, les mesures portant sur la durée d'assurance ou l'âge de départ ne rapporteraient pas beaucoup de recettes nouvelles car il ne pourrait s'agir que d'accélérer le calendrier de montée en charge de la réforme de 2003 tel qu'il est prévu par décret jusqu'en 2017, ce qui paraît difficilement envisageable. De plus, un passage de la durée de cotisation à quarante-trois ans dès 2020 ne rapporterait que 600 millions d'euros, une somme non négligeable mais qui ne permettrait pas à elle seule de rétablir l'équilibre financier du système.
J'ai néanmoins toujours considéré que la durée de la vie active allait devoir s'allonger compte tenu de l'augmentation de l'espérance de vie. A moyen-long terme, il ne fait d'ailleurs pas de doute qu'il faudra augmenter la durée ou l'âge, quel que soit le scénario retenu. Cependant, en France, contrairement à ce qui se passe dans d'autres pays comme l'Allemagne par exemple, une augmentation drastique de l'âge ou la durée ne sera pas nécessairement bénéfique aux comptes sociaux en raison du niveau de chômage élevé. C'est pourquoi, la commission a indiqué qu'elle n'était pas favorable à des mesures d'âge à court terme. Quoi qu'il en soit, nous privilégierions un peu plus les mesures portant sur la durée par rapport à celles portant sur l'âge car nous considérons que les premières permettent de mieux prendre en compte les différentes catégories d'assurés.
De surcroît, nous estimons qu'il faut être cohérent avec les autres dispositifs économiques mis en oeuvre par ailleurs comme par exemple le crédit d'impôt compétitivité emploi (Cice) qu'il ne faudrait pas contrecarrer par un alourdissement des charges.
S'agissant de la trajectoire de long terme, la commission a considéré que la crédibilité de ses propositions serait nulle si elle se basait sur un scénario donné, trop tributaire de l'environnement macro-économique. Elle a plutôt cherché à répondre à ce contexte porteur d'incertitudes en proposant deux types de mesures.
En premier lieu, ainsi que cela a été dit, dans une perspective de moyen-long terme, il pourrait s'agir de mesures portant sur l'âge de départ en retraite ou sur la durée d'assurance. A cet égard, la commission a considéré qu'il était raisonnable, dans un pays où la hausse de l'espérance de vie augmente et quel que soit le rythme de la croissance, de continuer à augmenter l'âge ou la durée après 2020. Même si nous nous situions dans le cadre du scénario B, cette augmentation pourrait suivre jusqu'en 2040, voire 2060, le rythme de la montée en charge aujourd'hui prévue par la réforme de 2003, soit un partage de l'espérance de vie à hauteur de deux tiers pour l'activité et un tiers pour la retraite. Mais nous pouvons également agir sur le niveau des retraites et le taux de remplacement. Je rappelle que nous partons aujourd'hui d'un bon niveau de retraite global (quatorze points de PIB).
En second lieu, des mesures de pilotage pourraient être mises en oeuvre. Dans le cadre du scénario B, nous sommes à l'équilibre mais le taux de remplacement connaît une baisse de l'ordre de dix à quinze points. Cette baisse ne s'est pas encore pleinement manifestée dans les régimes de retraite privés. On l'observe quelque peu pour les pensions des hommes au régime général mais elle est surcompensée par une hausse du taux de remplacement dans les régimes complémentaires. Je rappelle que la généralisation du taux de cotisation sociale maximum de 6 % dans le champ des retraites complémentaires date de 1999. Pour l'instant, l'effet de cette montée en charge est plus puissant que les baisses de rendement qui ont pu être décidées à d'autres moments. Mais l'incidence de ces baisses de rendement se fera sentir à compter de 2018. Leurs conséquences sur le taux de remplacement seront d'autant plus fortes que la croissance est élevée.
Comment faire pour assurer la pérennité financière dans les deux autres scénarios ? Nous proposons de mettre en place un pilotage annuel non automatique. Comme je l'ai indiqué précédemment, si la croissance de la productivité s'élève à au moins 1,5 %, l'équilibre financier est assuré. En-dessous de ce niveau, nous risquons de tirer périodiquement la sonnette d'alarme, ainsi que cela a été fait environ tous les cinq ans au cours des dernières décennies.
S'agissant des salaires portés au compte, nous considérons qu'il faudrait partir de l'indexation sur les salaires sur la base d'une moyenne sur plusieurs années. Ce mode de calcul reflète beaucoup mieux l'évolution de la situation économique. Mais au lieu de partir d'une indexation fixe sur les prix comme en 1993, nous proposons une indexation qui parte des salaires réels moins 1,5 % ou 1,3 %, afin d'absorber automatiquement les variations économiques.
Si les effets de l'indexation des salaires portés au compte sont beaucoup moins violents que les effets de l'indexation des pensions elles-mêmes, le nouveau mode d'indexation proposé peut apparaître assez brutal et il ne serait pas acceptable en l'état dans un pays comme le nôtre. En effet, il fait peser tout l'effort sur les futures générations de retraités et son automaticité fait peu de cas de la forte culture politique qui caractérise la France.
C'est la raison pour laquelle nous proposons que le mécanisme soit semi-automatique : nous partirions d'un calcul réalisé par un comité d'experts selon les modalités fixées dans la loi. Cet indicateur financier serait ensuite mis en regard d'indicateurs sociaux comme le niveau du taux de remplacement à la liquidation ou encore le niveau moyen des pensions de retraite par rapport aux revenus moyens.
L'Allemagne a adopté un système similaire à celui-ci. Elle dispose en effet d'un coefficient économique et d'un coefficient démographique pour ses salaires portés au compte et pour ses retraites, et assure parallèlement un suivi des taux de remplacement.
En France, l'indicateur financier établi par le groupe d'experts pourrait être présenté à une instance de débat comme le COR, ce qui permettra une sorte d'authentification des chiffres dans le cadre d'un diagnostic partagé. La décision finale appartiendrait, après consultation des partenaires sociaux, au Gouvernement et au Parlement. Elle serait prise dans la loi de financement de la sécurité sociale et consisterait soit à retenir le mode de référence prévu dans la loi, soit à faire des mesures d'effet équivalent, quelles qu'elles soient.
Cette piste d'un pilotage a été progressivement approfondie par le COR ; elle permettrait d'éviter les crispations sociales graves qui touchent périodiquement notre pays à l'occasion des réformes qui se succèdent.
Faut-il transformer notre système ? Sur ce point, nous avons voulu relativiser le débat un peu caricatural sur les intérêts respectifs des régimes par répartition, des régimes en comptes notionnels, des régimes par points et des régimes en annuités. Ces différentes techniques permettent d'atteindre à peu près les mêmes objectifs : elles permettent toutes de moduler les taux de remplacement par exemple. Or ce sont justement les objectifs assignés au régime de retraite qui importent. Il est vrai que la difficulté de piloter le système de retraite est accrue par l'existence d'une multiplicité de régimes. Mais le système de pilotage que nous préconisons est sans incidence sur la question de savoir s'il faut conduire ou non une réforme systémique.
Il n'est pas opportun d'opposer trop frontalement réforme paramétrique et réforme systémique. L'idée qu'il y aurait de « vraies réformes », comme celle du pilotage ou un rapprochement des régimes, par opposition à de « fausses réformes », est trop simplificatrice. Garantir la pérennité de notre système de retraite, premier volet de notre rapport, est indispensable pour mettre en oeuvre les deux autres priorités que celui-ci identifie.
Quelles sont-elles ? Tout d'abord l'équité. Nous avons proposé des mesures qui apparaissent indispensable pour remédier à des situations particulières peu équitables, comme celles des polypensionnés ou des apprentis. Un autre point a également fait l'objet d'importants débats : les différences entre régimes privés et publics ainsi que les régimes spéciaux. Ces derniers ont déjà fait l'objet de deux réformes, en 2003 puis en 2008. Nous allons vers l'égalité de la durée de cotisation, la généralisation de la décote et de la surcote et l'égalité de l'effort de cotisation. La possibilité offerte, pour les catégories actives et certains régimes spéciaux, de partir à la retraite de manière précoce, ce qui choque nos concitoyens, est de plus en plus théorique. L'allongement de la durée de cotisation et la décote aboutissent en effet à un amenuisement sensible de la pension de retraite dans ce cas. Il faut trop souvent le rappeler aux acteurs politiques qui, pourtant, ont conduit ces réformes difficiles mais semblent les avoir oubliées. Les réformes, si elles ne sont pas totalement faites, le sont donc très largement.
Un malentendu très important persiste avec les Français, alimenté par certains : c'est celui du mode de calcul des pensions. Il n'est pas le même entre les régimes et paraît a priori beaucoup plus favorable dans le public, où la règle est celle des 75 % du salaire des six derniers mois, que dans le privé, où le calcul est fait sur la base de 50 % du salaire des vingt-cinq dernières années, avec une indexation sur les prix. La comparaison des taux de remplacement ne confirme pas cette première impression : ils sont similaires et augmentent dans le privé alors qu'ils diminuent pour les fonctionnaires. Cette baisse s'explique par le gel du point d'indice de la fonction publique et la hausse constante de la part des primes dans la rémunération des fonctionnaires, liée notamment à l'augmentation de la part d'emplois qualifiés. Peut-on dire d'un régime où le taux de remplacement baisse sans que les intéressés ne s'en rendent compte qu'il est bien piloté ? Je ne le crois pas, car il ne produit pas de consensus.
Nous proposons de rapprocher autant que possible les modes de calcul entre la fonction publique et le régime général, dans la mesure où c'est techniquement réalisable, car il y a parfois trop de disparités entre les modes de rémunération. Il est possible d'aboutir à des règles qui ne désavantagent pas les fonctionnaires, y compris les enseignants qui ne touchent pas de primes. Cela permettrait en outre d'intégrer le public au système de pilotage proposé pour le régime général et les régimes alignés. Alors que la population ne comprend pas le mode de calcul retenu dans la fonction publique, il ne serait pas acceptable de laisser ce régime à l'écart de la réforme du pilotage. Notre rapport prône donc une mesure de double lisibilité, que le Gouvernement est libre de reprendre, selon la conjoncture sociale. C'est en effet une question très délicate aux yeux des syndicats de fonctionnaires, car elle est étrangère au système tel qu'il existe à l'heure actuelle. Quelles qu'en soient les suites, je ne regrette absolument pas de l'avoir posée.
Les mesures de la loi de 2010 concernant la pénibilité ont été critiquées car elles reposaient sur l'incapacité de l'intéressé lors du départ en retraite. Or des situations de baisse d'espérance de vie liées uniquement à l'activité professionnelle ont été établies par de nombreuses études sans pour autant qu'elles puissent être médicalement constatées lorsque les intéressés font valoir leurs droits à la retraite. Nous proposons donc que les salariés en situation de pénibilité se voient attribuer des points alimentant un compte ouvrant droit à une formation professionnelle, à un emploi à temps partiel en fin de carrière ou à un départ à la retraite précoce. L'accent doit être mis sur la formation professionnelle et la reconversion en cours de carrière : l'objectif n'est pas de pousser les salariés à poursuivre une activité pénible pour partir plus tôt à la retraite.
M. René-Paul Savary . - Il y a bien deux facteurs importants : la démographie et l'incertitude économique, les retraites étant liées à la croissance. Je n'ai toutefois pas l'impression que vos propositions soient suffisantes pour atténuer ce lien ou corriger les difficultés rencontrées. Vous nous avez également confirmé que plus une personne part tôt à la retraite, plus le niveau relatif de sa pension se dégrade avec les années. Ce n'est donc pas lui rendre un service que de favoriser les départs précoces. Plutôt que d'allonger la durée de cotisation, avez-vous réfléchi à une augmentation de la durée de travail hebdomadaire ?
L'âge de la retraite est très théorique, car nombreux sont ceux qui, lorsqu'ils l'atteignent, n'ont pas cotisé suffisamment longtemps. Ne faudrait-il pas généraliser la décote et la surcote à tous les régimes spéciaux ?
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Je me réjouis que ce rapport contribue au débat souhaité en 2013 lors de l'examen de la réforme de 2010. Il ne peut pas en être l'unique manifestation, contrairement aux propos que Marisol Touraine a tenus au Sénat récemment. J'espère donc que ce débat va se poursuivre avec les Français. Vos travaux font des propositions et nous disposons désormais de tous les éléments du puzzle que nous devons assembler pour parvenir à l'équilibre financier.
Je n'ai pas apprécié la façon dont vous avez traité la réforme systémique dans une réponse donnée à un journaliste du Monde, en estimant qu'elle ne correspond pas à la demande des Français et que ceux-ci n'en saisissent pas le sens. Je peux vous dire que les Français ont une exigence forte de justice, de transparence et d'équité concernant le système de retraite. On ne peut pas le nier. La question de l'équilibre financier est très importante.
J'avais participé en 2010, notamment avec Christiane Demontès, aux travaux de la mission d'évaluation et de contrôle de la sécurité sociale (Mecss) sur les retraites. Outre certaines des recommandations que vous formulez, celle-ci préconisait de fixer un horizon pour une réforme systémique, vers un système par points ou de comptes notionnels. Des mesures à court terme sont bien sûr indispensables, mais la détermination d'un tel objectif donne un sens précis à l'action visant à rapprocher tous les régimes. Sans horizon, on risque de décevoir les Français. Quant à ceux qui croient bénéficier d'un régime plus avantageux, le statu quo, à terme, les décevra. Il ne s'agit pas de revenir brutalement sur les avantages acquis, mais je regrette de ne pas avoir trouvé dans ce rapport d'horizon clairement exprimé.
Mme Christiane Demontès . - Le rapport de la Mecss de 2010 demandait l'organisation d'un rendez-vous en 2013 pour faire le bilan de la réforme de 2010 et précisait que la question d'une réforme systémique devait être posée. Il s'agissait d'une hypothèse à discuter, mais nous n'avions pas tranché le débat.
Je salue la clarté et l'exhaustivité de l'exposé qui vient de nous être fait, ainsi que la qualité du travail d'analyse de notre système de retraite réalisé par la commission pour l'avenir des retraites.
De nombreuses réformes ont été conduites depuis 1993 : elles ont eu pour effet d'inquiéter les Français. Ils sont d'ailleurs surtout inquiets pour leurs enfants. En quoi la réforme de 2010 a-t-elle été insuffisante, selon l'expression que vous venez d'utiliser ?
La sous-indexation des retraites constitue une piste envisagée, tout en préservant les petites retraites. A quel niveau les situez-vous ?
L'hypothèse de l'augmentation des cotisations est présente dans votre rapport, pour les salariés comme pour les employeurs. Vous suggérez une hausse de 0,1 point pendant quatre ans. Quel serait le gain financier ?
Les pensions de réversion jouent un rôle dans la réduction des écarts de pension entre les hommes et les femmes. Les règles d'application sont très hétérogènes selon les régimes. Comment instaurer davantage d'équité ?
En matière de pénibilité, les critères posés par les dispositions de la loi de 2010 sont très restrictifs pour les personnes qui voudraient pouvoir en bénéficier. Vous proposez la création d'un compte individuel pénibilité. Pourriez-vous nous en dire plus ?
Le débat est loin d'être terminé, il va débuter avec les partenaires sociaux ; nous disposons désormais grâce à ce rapport des éléments d'analyse. Ensuite, ce sera au Gouvernement et au Parlement de prendre les décisions qui s'imposent.
M. René Teulade . - Ce rapport contribue à l'effort pédagogique actuellement à l'oeuvre dans notre pays afin de démontrer que le problème des retraites est lié très étroitement aux réalités économiques et aux évolutions démographiques.
J'avais réalisé en 2000 pour le Conseil économique et social un rapport sur les retraites. C'est un choix politique, de société. Il faut donc voir comment adapter la société que nous voulons construire à ces réalités économiques et sociales. Nous ne sommes plus dans le modèle patriarcal s'étendant sur trois générations mais bien dans une société où cohabitent cinq générations et dont la clé de voûte est l'actif en fin de carrière qui doit encore s'occuper d'un parent très âgé mais aussi aider ses enfants et petits-enfants.
Il faut donc poursuivre le débat public. En 2000, j'avais suggéré de maintenir l'âge d'ouverture des droits à soixante ans, chacun pouvant choisir de partir ou non à cet âge en fonction de sa situation actuarielle. Dans un couple, cette opportunité peut être privilégiée pour débuter sa troisième vie, quand bien même la pension obtenue serait plus faible. Peut-on mesurer le coût d'une telle hypothèse ?
Mme Michelle Meunier . - J'aurais aimé avoir des précisions sur les retraites des femmes. Les constats sont connus : emplois précaires, souvent à durée déterminée ou à temps partiel et de nombreuses interruptions tout au long de la vie professionnelle font que les pensions touchées par les femmes restent inférieures à celles des hommes. Qu'en dit votre rapport ?
Mme Isabelle Debré . - Vous préconisez la suppression de l'exonération fiscale de la majoration de pension de 10 % pour les retraités ayant eu trois enfants ou plus. Ce serait une atteinte supplémentaire à la politique familiale. Les femmes, dont les pensions sont déjà faibles, devraient perdre le bénéfice de cette mesure alors que ce sont nos enfants qui financeront nos retraites. Quelle a été la réaction du Gouvernement à cette proposition ?
Mme Yannick Moreau . - Le Gouvernement, en 2008, n'a pas souhaité remettre en cause, pour des raisons symboliques, la possibilité d'un départ précoce dans les régimes spéciaux. Quels sont les inconvénients de ces règles, auxquelles s'appliquent la décote et la surcote ? Permettre aux gens de liquider leur pension très tôt, moyennant décote, ne leur donne droit qu'à une retraite faible. Au bout de trente ans, ces personnes constituent la majorité des pauvres retraités.
C'est une question de mesure : on peut laisser une liberté de choix tant qu'elle reste raisonnable. Le critère de durée est plus fluide que celui de l'âge. Il faut toutefois réfléchir au degré de complexité du système et ne pas l'accentuer au travers des trois facteurs que sont l'âge, la durée et la décote. Le critère d'âge obéit d'ailleurs à une double borne : soixante-deux ans, âge minimal du départ en retraite, mais avec une décote si l'on n'atteint pas la durée de cotisation pour le taux plein, et soixante-sept ans, âge à partir duquel la décote ne s'applique plus. Toutefois, durant nos travaux, nous n'avons pas pu obtenir de chiffrage sur l'impact financier qu'aurait eu le maintien à soixante-cinq ans de l'âge de départ sans décote. Il faut donc trouver un point de compromis entre âge et durée afin d'éviter qu'il y ait trop de retraites faibles. Plusieurs pays sont confrontés à un tel cas de figure. Ainsi la Suède qui combine un âge de départ de soixante et un ans et l'existence d'une décote, réfléchit à donner plus d'importance à la durée de cotisation car le niveau des pensions liquidées est trop faible.
Nous n'avons pas travaillé sur l'hypothèse d'une augmentation de la durée de travail hebdomadaire ; cela n'entrait pas dans notre mandat. Est-ce pertinent ? Les actifs souhaitent avant tout une garantie sur le taux de remplacement assuré par leur retraite. Il serait très compliqué d'évaluer l'efficacité de cette solution, alors que le gain social et économique serait faible. Je ne pense pas qu'il faille lier la question des retraites à celle de la durée du travail en France.
Je regrette que mes propos dans Le Monde aient pu être mal interprétés. J'ai surtout voulu souligner que les problèmes actuels de nos régimes de retraite appelaient des réponses d'une autre nature qu'une réforme systémique. Il ne faut pas laisser croire qu'une réforme qui ne serait pas systémique serait une mauvaise réforme. C'est pourtant le sens de nombreux articles de journaux. Les Français veulent plus de lisibilité et mieux comprendre les différences entre régimes...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Et plus de justice !
Mme Yannick Moreau . - Notre rapport ne ferme pas la porte à une possible réforme systémique, qui passerait par des rapprochements entre les régimes. Sur les avantages familiaux et les pensions de réversion, nous sommes favorables à l'unification des systèmes, que ce soit pour les régimes de base ou complémentaires. Mais c'est un sujet sensible. Les régimes complémentaires ne sont pas forcément ouverts à une unification avec les régimes de base.
Un travail particulier, qui ne peut de toute évidence être achevé avant la fin de l'année, doit être réalisé pour les pensions de réversion. Il faut unifier leurs principes. C'est une source d'incompréhension pour les Français, qui trop souvent ne connaissent que les règles de leur régime de base et pas celles de leur régime complémentaire. Des conditions de ressources peuvent s'appliquer dans certains régimes et pas dans d'autres, les taux peuvent être différents, tout comme les conséquences d'un remariage.
Les pensions de réversion pour les générations actuelles sont particulièrement élevées, compte tenu du niveau de la retraite des femmes. Toutefois, la situation sera différente dans vingt ans, lorsque la moitié d'une génération ne sera pas mariée. Deux réformes sont donc nécessaires : l'unification aujourd'hui et ensuite la préparation du futur.
Seule une organisation syndicale est porteuse d'une réforme systémique : la CFDT, avec ardeur et constance. La demande des Français est ambigüe. Qui est réellement prêt à abandonner son propre régime ? Cela ne me semble pas être le cas des fonctionnaires, ni des professions libérales. Un seul point d'appui chez les partenaires sociaux est insuffisant, tandis que je ne vois pas d'empressement de la part des partis politiques. Beaucoup d'argent est dépensé pour les retraites, d'une manière qui ne rapproche pas assez les Français. Il faut aller vers plus de cohésion et de force du système social. La branche retraites est celle qui est la source de plus de crispations inutiles.
Il est incontestable que la réforme de 2010 a permis d'importants gains financiers et a aidé les régimes complémentaires. Elle a été présentée comme une réforme équilibrée, sur la base d'un scénario pour 2020 moins dégradé qu'actuellement et de compléments apportés par des ponctions non pérennes sur le Fonds de réserve des retraites (FRR). Il n'est pas interdit de faire appel à celui-ci. Mais en comptant en partie sur des mesures non durables, la réforme de 2010 n'a pas permis d'atteindre un équilibrage sincère en 2020. C'est en cela que je la juge insuffisante.
On peut qualifier de petite retraite des revenus inférieurs à 1 000 euros par mois. Le minimum de pension dans le régime général est d'environ 800 euros, l'allocation de solidarité aux personnes âgées (Aspa) étant actuellement de 787,26 euros. L'objectif fixé en 2003 était de la porter à 85 % du Smic. Ce n'est pas encore le cas, mais il faut poursuivre en ce sens. La revalorisation des pensions avec l'inflation fait que celles-ci progressent moins vite que le niveau de vie, et les plus faibles d'entre elles vont être rattrapées par le minimum vieillesse. Il faut donc tenir le taux de remplacement, qui reste malgré tout historiquement très bon. Le niveau de vie des retraités est à parité avec celui des actifs par unité de consommation. Mais la période de grand rattrapage des retraites, lorsque la pauvreté touchait essentiellement les retraités, est derrière nous.
Mme Colette Giudicelli . - Qui ne connaît pas des personnes touchant une petite pension de réversion mais devant en consacrer une grande partie pour payer leur loyer ? C'est une situation malheureusement banale.
Mme Yannick Moreau . - C'est la raison pour laquelle il faut refuser leur sous-indexation. Les petites retraites seront malgré tout touchées par la sous-indexation des régimes complémentaires, qui ne distinguent pas selon le niveau de la pension.
L'augmentation de 0,1 point des cotisations, pendant quatre ans, rapporterait au total 3 milliards d'euros. On ne peut bien sûr pas indéfiniment les augmenter mais il était impossible d'exclure une telle mesure a priori de nos scénarios, bien que cela ait beaucoup déplu au Medef.
Lors de la conférence sociale, durant laquelle j'étais facilitateur de la table ronde présidée par Marisol Touraine, j'ai présenté les conclusions du rapport. Les propos ont été moins vifs que ceux exprimés dans la presse, mais ce n'est pas pour autant qu'un seul euro supplémentaire a été dégagé pour 2020. Le Gouvernement tranchera, car aucun syndicat n'acceptera de signer un accord.
Nous ne proposons pas de diminution des moyens consacrés aux avantages familiaux pour la retraite. L'enveloppe doit rester constante. Toutefois, la bonification actuelle pour trois enfants et plus nous paraît mal ciblée car elle profite surtout aux hommes, dont la pension est plus élevée. L'idée serait de forfaitiser cet outil. Il faut également redéployer les avantages familiaux pour qu'ils bénéficient davantage aux femmes. En revanche, les pensions de réversion ne sont bien sûr pas concernées. Ce nouveau mécanisme reposerait sur le versement d'une somme fixe par enfant. Ainsi, les femmes, dont les niveaux de pensions sont plus faibles, bénéficieraient d'un avantage supérieur à la majoration actuelle de 10 %.
Mme Isabelle Debré . - C'est une idée qui paraît intéressante, mais l'enveloppe globale va-t-elle changer tous les ans ? Comment serait calculée la somme forfaitaire par enfant ?
Mme Yannick Moreau . - Des projections sont réalisées par des experts, afin de calculer le niveau d'équilibre des avantages familiaux à moyen terme. Un niveau de majoration est ensuite fixé, ainsi que les règles d'évolution de celle-ci.
Mme Catherine Deroche . - Vos explications montrent la complexité du système actuel et la pertinence croissante d'une réflexion sur la création d'un régime universel.
Concernant les régimes spéciaux, quel est l'intérêt de maintenir un âge d'ouverture des droits artificiellement bas alors qu'en pratique les affiliés poursuivent leur carrière plus longtemps ? Alors qu'il concentre les suspicions et les critiques, voilà bien un débat dont on pourrait se passer.
La fiscalisation de certains avantages fait partie de vos hypothèses de travail. Cela doit s'intégrer dans une réflexion globale, avec les autres branches de la sécurité sociale. La fiscalisation de tous les revenus d'un ménage, et pas seulement de certaines catégories, doit être discutée. C'est une question de justice.
Mme Laurence Cohen . - Si elles étaient mises en oeuvre, les propositions de votre commission rapprocheraient le système de retraite français du modèle suédois qui n'a pas spécialement fait ses preuves.
Comme l'a dit Christiane Demontès, votre commission a ouvert des pistes de travail dont il reviendra aux responsables politiques de débattre avant de trancher. A cette occasion, des solutions qui n'ont pas été explorées par votre commission pourront être évoquées. Je pense par exemple à la hausse des cotisations patronales. Votre rapport n'évoque que la possibilité d'une augmentation de 0,3 % de ces cotisations. Or, si nous mettions fin aux exonérations de charges sociales patronales, nous gagnerions 20 milliards d'euros, ce qui est loin d'être négligeable. Sans aller jusqu'à l'exonération totale, nous pourrions moduler les exonérations patronales en tenant compte des efforts réalisés par les entreprises.
Ensuite, je pense que le rapport de votre commission fait la part belle à l'idée selon laquelle l'allongement de la durée de vie induirait nécessairement l'allongement de la durée d'activité. Mais c'est l'espérance de vie en bonne santé qu'il faut prendre en compte. Or, si l'on en croit les chiffres de l'Insee pour la France métropolitaine, l'espérance de vie en bonne santé s'élève à 63,5 ans pour les femmes et 61,9 ans pour les hommes.
Je reviens par ailleurs sur la situation des femmes qui souffrent d'un faible taux de remplacement dans un contexte de carrières morcelées, fortement empreintes par le travail à temps partiel et un moindre niveau de salaire que les hommes. Si l'égalité salariale était véritablement appliquée, la branche vieillesse de la sécurité sociale bénéficierait de 5 milliards d'euros de recettes supplémentaires en 2015 et de 10 milliards d'euros en 2020. Pour l'ensemble des branches, l'apport serait même de 50 milliards d'euros.
Plus généralement, je relève la baisse d'ambition reflétée par l'emploi privilégié du mot « équité » par rapport à celui d'« égalité ». Ils ne sont pas synonymes !
Je serais également très intéressée par vos réponses sur les questions déjà posées relatives à la pénibilité.
Enfin, je partage l'idée d'indexer les retraites sur les salaires et non sur les prix. J'espère qu'elle trouvera à s'appliquer.
M. Jean-Noël Cardoux . - Je vous remercie, Madame Moreau, d'avoir fait référence aux réformes de 2003 et 2010, d'autant plus courageuses qu'elles ont été mises en oeuvre dans un contexte de fortes contestations qui a empêché les gouvernements de l'époque d'aller jusqu'au bout de leur démarche.
Je rappelle que si ces réformes n'ont pas produit tous les effets escomptés, c'est parce que le monde a été confronté à une crise sans précédent. Les produits des cotisations n'ont pas été à la hauteur de ce que nous attendions. Dans le contexte économique que nous connaissons, je crains que l'hypothèse d'une croissance de la productivité de 1,5 % soit quelque peu optimiste et que nous soyons contraints de revoir la copie plus tôt que vous ne l'envisagez.
Comme plusieurs de mes collègues, je regrette les appels à relever les cotisations sociales, les entreprises étant déjà bien mal loties actuellement. Je regrette également vos propositions consistant à dégager des recettes nouvelles par le biais de la fiscalité. A cet égard, je rappelle d'ailleurs que l'abattement de 10 % pour les retraités est plafonné à hauteur de 3 600 euros et que ce sont donc encore les classes moyennes qui risquent d'être mises à contribution.
Ma question est la suivante : comment concevez-vous la passerelle entre la création de recettes fiscales supplémentaires dans le budget de l'Etat ou de celui de la caisse nationale de solidarité pour l'autonomie (CNSA) et leur affectation durable aux régimes de retraite ?
Mme Muguette Dini . - Lorsque nous avons voté la réforme de 2010, les personnes de bonne foi savaient que nous ne serions pas à l'équilibre en 2018. Nous avions néanmoins demandé à ce qu'un travail soit effectué à compter de 2013 sur l'éventualité d'une réforme systémique. Vous nous indiquez aujourd'hui que celle-ci ne constitue pas l'urgence principale, à l'inverse du rétablissement de l'équilibre financier. J'en conviens. Mais je m'étonne que vous n'ayez pas insisté sur le fait que si nous voulons une réforme systémique, quelle qu'elle soit, elle nécessiterait environ deux décennies pour être mise en oeuvre. On dit aujourd'hui que nous ne sommes pas prêts à l'évoquer ; ces ajournements successifs me semblent extrêmement inquiétants car je suis sûre que nous serons obligés, dans cinq ans ou même avant, de revenir sur les décisions qui seront prises à l'automne, et il faudra de nouveau négocier avec de nombreux partenaires pour déboucher sur des modifications a minima.
S'agissant des régimes spéciaux, vous avez rappelé que ceux-ci allaient progressivement s'aligner sur le régime général. Actuellement, les actifs du régime général doivent cotiser 41,5 annuités pour pouvoir partir en retraite à taux plein avant l'âge d'annulation de la décote. Dans combien de temps les retraités du régime de la SNCF, où l'âge légal de départ en retraite est aujourd'hui fixé à cinquante-deux ans pour les catégories actives, devront-ils remplir la même condition d'annuités que dans le régime général ?
Mme Yannick Moreau. - Ils le pourront à compter de 2017 pour la génération née en 1955. Dans le passé, la direction de la SNCF avait le droit de mettre à la retraite d'office les agents de la SNCF à cinquante ans, donc même sans leur accord.
Cela n'est plus possible aujourd'hui. Actuellement, les comportements de départ en retraite se modifient sensiblement. Il en va de même dans la fonction publique. La culture particulièrement catégorielle et corporatiste de notre pays contribue à expliquer pourquoi l'âge légal de départ en retraite n'a pas été modifié en 2010 pour les régimes spéciaux.
M. Philippe Laffon, rapporteur général de la commission pour l'avenir des retraites. - Le relèvement des bornes d'âge pour les régimes spéciaux, c'est-à-dire le passage de cinquante à cinquante-deux et de cinquante-cinq à cinquante-sept ans, se met en place graduellement jusqu'en 2024. Notre commission a considéré que si nous revenions sur la question du report des âges de départ en retraite, cela remettrait en cause des évolutions déjà engagées et décidées dans la concertation.
Mme Yannick Moreau. - En 2010, la situation était assez difficile pour les régimes spéciaux et il n'a pas été possible d'aller jusqu'au bout de ce qui était théoriquement envisageable. Je vois néanmoins que les régimes spéciaux sont en train de se réformer, ce qui est une bonne chose. Mais l'importance symbolique qui y est donnée me gêne.
Mme Annie David , présidente . - Le jour où des passerelles existeront entre les métiers à la SNCF, certains conducteurs pourraient certainement, s'ils le souhaitent, poursuivre leur carrière dans l'entreprise. Ce serait sans doute plus difficile pour d'autres métiers, comme les aides-soignants. Aujourd'hui, c'est uniquement en se basant sur l'âge, la fonction et la personne que les possibilités de départ à la retraite sont calculées. La stigmatisation des « privilégiés » qui peuvent partir plus tôt à la retraite ne prend pas en compte le fait qu'il n'y a pas assez de solutions qui leur sont offertes pour rester dans l'emploi.
Mme Yannick Moreau . - L'adaptation de la société française à l'augmentation moyenne de l'âge des salariés et à l'allongement de la durée de vie se joue sur l'emploi des seniors. Sur ce point, la fonction publique a beaucoup de travail à faire et pourrait utilement s'inspirer des Pays-Bas où, pour certaines professions comme les pompiers, des mesures de reconversion sont prévues dès le début de la carrière. C'est un exemple qui peut être intéressant pour les catégories actives, même si on ne peut pas demander aux administrations d'avoir des postes administratifs pour tous leurs agents.
Concernant la pénibilité, les aides-soignants de la fonction publique font partie des catégories actives, qui pouvaient partir à la retraite dès cinquante-cinq ans et à l'avenir à cinquante-sept ans. Dans la fonction publique hospitalière, la plupart des métiers sont classés en catégorie active.
Mme Catherine Génisson . - Ce n'est plus le cas des infirmières, ce sont désormais surtout les aides-soignants et les agents des services hospitaliers.
Mme Yannick Moreau . - Il y a bien évidemment des métiers pour lesquels, du fait de leur pénibilité, il est justifié de partir plus tôt à la retraite. Un effort généralisé d'amélioration des conditions de travail et d'adaptation des équipements doit être réalisé. De nombreux métiers peuvent encore être exercés à soixante ans dès lors que les équipements sont adaptés. Sur ce point, plusieurs pays sont très en avance sur le nôtre.
Certains métiers sont très fatigants. Il faut donc prévoir une reconversion en cours de carrière. Le compte individuel pénibilité tel que proposé par le rapport va dans ce sens, au bénéfice des salariés comme des entreprises. Pour d'autres professions enfin, la solution repose sur un départ précoce à la retraite.
En Suède, au Canada, en Allemagne ou au Japon, c'est-à-dire dans des régimes par annuités, par points ou par comptes notionnels, le pilotage tient compte, dans la revalorisation des droits, de la situation économique. C'est tout à fait faisable. En France, la difficulté tient dans la transposition des mesures prises pour le régime général aux régimes spéciaux ou à la fonction publique. Il faudra procéder par ajustements successifs.
La réponse à la question suivante ne peut être que politique : faut-il mettre en place un pilotage économique et social annuel des régimes de retraite ? Nous le proposons, mais je ne connais pas la position du Gouvernement à ce sujet.
Je ne suis pas certaine que l'égalité salariale soit la réponse définitive au problème des pensions de retraite des femmes. Cette mesure serait évidemment positive, mais il faudrait en examiner toutes les conséquences, c'est-à-dire l'impact sur les dépenses de pension, et pas seulement sur les rentrées de cotisations. Le champ de cette question dépasse cependant celui de notre mission.
La suppression des exonérations patronales relève plutôt d'une réflexion sur le financement de la protection sociale. Il ne faut pas détricoter celui-ci à partir des retraites.
On peut ne plus être en très bonne santé et continuer à travailler : j'en suis l'exemple. Ce n'est pas antinomique du travail. Il n'en reste pas moins que parmi les indicateurs à regarder de près dans le pilotage social des régimes de retraite figure l'évolution de l'espérance de vie en bonne santé. L'observatoire des fins de carrières professionnelles, dont la création est préconisée par le rapport, doit permettre de remédier à la situation actuelle car on ne sait pas ce qui se passe dans les cinq années qui précèdent la retraite. Que font les entreprises de leurs salariés âgés ? Quels sont les stratagèmes utilisés pour les sortir de l'emploi ? Ce n'est pas satisfaisant. Alors que l'Europe se fait l'apôtre de l'allongement de la durée de la vie active à un tel point que j'en suis parfois circonspecte, il n'en reste pas moins qu'une société s'enrichit lorsque sa population active augmente.
Enfin, s'agissant du financement des régimes de retraite, la compensation est critiquée par tous les régimes. Sa suppression procurerait au régime général un gain immédiat de 3,5 milliards d'euros. Une clarification est nécessaire, mais elle ne peut pas se faire d'un trait de plume. Il faut aussi présenter autrement les concours de l'Etat au financement des régimes de retraite, car l'incompréhension est trop grande aujourd'hui.
Mme Annie David , présidente . - C'est un point que notre rapporteur général Yves Daudigny ainsi que la Cour des comptes ont relevé : ces relations financières doivent être simplifiées.
Table ronde relative à la pénibilité : MM. Christian JACQUES, président du cabinet Emergences, Hervé LANOUZIÈRE, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et Serge VOLKOFF, statisticien et ergonome au Centre de recherche et d'étude sur l'âge et les populations au travail (Creapt)
Réunie le mercredi 2 octobre 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à une table ronde relative à la pénibilité, dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 1376 (AN-XIV e ) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Mme Annie David , présidente . - Nous entamons nos travaux relatifs au projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites, qui sera examiné en séance publique à l'Assemblée nationale du 7 au 15 octobre. Nous l'examinerons en commission le 23 octobre, avant la discussion en séance publique prévue du lundi 28 octobre au 5 novembre.
La réforme de 2010 comportait déjà un volet pénibilité, mais retenait une définition strictement médicale, ce qui a fortement réduit son impact. Les mesures visant à prévenir la pénibilité au travail ont, elles aussi, produit des effets limités.
Le nouveau projet de loi crée un compte personnel de prévention de la pénibilité, financé par des cotisations des employeurs, grâce auquel le salarié pourra acquérir, à compter de 2015, des droits en termes de formation, de compensation d'un passage à temps partiel ou d'acquisition de trimestres supplémentaires pour la retraite ; le départ pourrait être anticipé de deux ans au plus. On peut regretter l'absence d'un véritable volet prévention et que ce départ anticipé n'intervienne qu'à soixante ans.
Pour évoquer ce sujet, qui est au coeur des inégalités face à la retraite, nous recevons Christian Jacques, président du cabinet Emergences, Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) et Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Centre de recherche et d'études sur l'âge et les populations au travail (Creapt).
M. Serge Volkoff, statisticien et ergonome au Creapt . - Je suis en effet statisticien et ergonome au Creapt et directeur de recherches retraité - mais actif - au Centre d'études de l'emploi (CEE). En tant que spécialiste du vieillissement au travail, je suis membre du Conseil d'orientation des retraites (COR). J'ai également participé à la commission Moreau pour l'avenir des retraites, et je me suis particulièrement impliqué dans le volet pénibilité de son rapport.
Le retour de la pénibilité dans le débat social et politique est une bonne nouvelle, tant les occasions de s'emparer des questions de santé au travail sont peu nombreuses, mais le terme demeure flottant, faute de définition scientifique précise. Nous distinguons trois notions. D'abord, la pénibilité au sens courant du terme : est pénible ce qui est vécu comme tel, y compris les trajets domicile-travail, la saleté du poste de travail ou les mauvaises relations avec les supérieurs hiérarchiques. Autant de nuisances qui rendent le travail pénible mais n'ont pas pour autant vocation à être prises en compte sous la forme d'un départ anticipé à la retraite.
Deuxième forme de pénibilité, celle qui est due à l'état de santé. Avec l'âge, les troubles de santé augmentent, ce qui n'est pas compatible avec certains emplois. Dans ce cas, s'il doit y avoir départ anticipé, ce ne peut être qu'en raison de l'état de santé, non du travail. Les dispositifs existants - comme le licenciement pour inaptitude ou invalidité - seront de plus en plus sollicités : si l'on augmente le nombre d'années de cotisation requises, on trouvera de plus en plus de personnes de cinquante-neuf, soixante ou soixante et un ans au travail, d'où un accroissement mécanique du nombre de personnes dans une telle situation.
Troisième définition, celle que donne la loi de 2010 : les contraintes, nuisances et rythmes de travail « susceptibles de laisser des traces durables identifiables et irréversibles sur la santé ». S'agissant de l'impact à long terme du travail, sur l'espérance de vie et sur la santé au grand âge, il est légitime d'envisager, comme le faisait le rapport Struillou de 2003, une compensation par la possibilité de gagner quelques années de retraite en bonne santé.
Le rapport Lasfargues de 2005 fait la synthèse des connaissances scientifiques sur les liens établis entre certaines caractéristiques du travail et l'espérance de vie ainsi que la santé au grand âge. Sont notamment en cause le travail de nuit, qui laisse potentiellement des traces à long terme sur l'appareil cardiovasculaire et l'exposition aux produits toxiques professionnels cancérogènes - amiante, mais aussi goudrons ou pesticides - à laquelle est attribuée la moitié des disparités sociales en matière de cancer du poumon. Les grands efforts physiques dans le travail ont un lien avec la qualité de vie au grand âge : si leur impact sur l'espérance de vie n'est pas avéré, la probabilité est grande pour celui qui en a réalisé de devenir un retraité en mauvaise santé.
Je me retrouve volontiers dans la réforme aujourd'hui sur la table avec la création du compte personnel de prévention de la pénibilité qui associe formation, possibilité de passage à temps partiel et départ anticipé. En l'état, sans doute pour des raisons de coût et de charge administrative, le texte ne traite pas de la pénibilité passée, au risque de poser un problème d'équité entre générations et, surtout, d'inciter les quinquagénaires à accomplir un travail pénible pendant les dernières années de leur vie professionnelle afin d'accumuler des points ! C'est exactement l'inverse de la démarche de prévention que préconise le texte...
M. Hervé Lanouzière, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). - J'ai travaillé sur la prévention de la pénibilité aussi bien comme fonctionnaire de la Direction générale du travail qu'en entreprise, Toute personne cherchant à prévenir la pénibilité privilégie la prévention primaire plutôt que la compensation ; en rémunérant la pénibilité, on incite au contraire les personnes à y rester. Ainsi, des salariés peuvent souhaiter travailler de nuit pour la rémunération qui en découle. Cela vaut également pour les primes d'insalubrité. Difficile dès lors d'inciter véritablement à la prévention. Reste que le compte personnel de prévention de la pénibilité peut, à mon sens, devenir un vrai compte de prévention.
On distingue trois populations dans l'entreprise : le stock, soit les personnes longtemps exposées à des facteurs de pénibilité et éprouvant en conséquence des difficultés ; le flux, soit les populations qui ont d'ores et déjà été exposées, ne manifestent pas encore d'inaptitude mais vont se retrouver en difficulté avec l'allongement de la vie au travail, car l'on ne pourra pas travailler plus longtemps à conditions de travail constantes ; enfin, les nouveaux entrants. La pénibilité doit être appréhendée sous l'angle d'un parcours et non à un instant précis. Il faut étudier la démographie au travail et éviter que des populations ne se retrouvent prisonnières des postes pénibles, condamnées à reconstituer le stock.
La fiche individuelle d'exposition à la pénibilité incite dans une certaine mesure à la prévention de par la tâche supplémentaire qu'elle représente pour les entreprises. Plus elles font de la prévention, et moins elles doivent faire de fiches d'exposition. De même, le compte de prévention peut être utilisé dans une logique de compensation, avec pour but d'accumuler des points, ou dans une logique de prévention, avec pour but de l'alléger au maximum. Il ne faut pas bien sûr s'orienter vers la première possibilité mais au contraire chercher à tendre vers la non-exposition.
Il faut distinguer la pénibilité ressentie par les salariés de la pénibilité reconnue par la loi, la grande pénibilité. Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) ne se retrouvent pas complètement dans cette définition. J'ai ainsi été amené à apprécier la pénibilité découlant de la manutention manuelle dans une grande entreprise de métallurgie. Etant donné la présence de ponts élévateurs et l'absence de travaux répétitifs, les critères légaux ne s'appliquaient pas. Difficile toutefois de nier que le travail des salariés à la sortie du laminoir était pénible... Il en serait de même pour les vendeurs des grands magasins, debout, dans le bruit, face à des clients désagréables. Il faudra faire preuve de pédagogie, distinguer la grande pénibilité de l'exposition à un risque : ce n'est pas la même chose d'être exposé, en hiver, au froid extérieur et de travailler dans la température négative d'une chambre froide. La détermination des seuils ouvrant droit au dispositif est un exercice compliqué qui relève souvent d'un compromis social dans l'entreprise ; celle-ci ne sera pas pour autant dispensée de mener en amont une politique volontariste de prévention.
Le compte personnel de prévention de la pénibilité peut devenir un outil de prévention s'il incite à anticiper, à former les employés, en s'inscrivant dans une logique de parcours. Il ne doit pas seulement permettre l'adaptation du poste de travail des salariés déjà exposés.
M. Christian Jacques, président du cabinet Emergences. - Je partage ces analyses. Le projet de loi marque un progrès par rapport à la réforme de 2010 et à son approche médicalisée. Les fiches individuelles d'exposition à la pénibilité serviront de support au compte personnel de prévention. Les accords et les plans d'action de prévention de la pénibilité mis en place dans les entreprises n'ont pas à ce jour fait l'objet d'un vrai bilan.
S'il parle du salarié et de l'employeur, le texte de 2010 oublie la dimension collective du diagnostic. Un certain nombre de salariés, à commencer par les plus jeunes, ont du mal à reconnaître et à exprimer la pénibilité. Cela posera la question du suivi des fiches individuelles, sachant qu'à ce jour les CHSCT n'interviennent pas pour vérifier l'existence et le suivi des plans d'action. Or le salarié doit être soutenu et accompagné pour vérifier sa fiche individuelle, qui déterminera le contenu de son compte personnel, et le cas échéant la contester. Le délai de contestation prévu par le texte n'est que de deux ans. Ne pourrait-on pas dès lors associer les CHSCT au diagnostic et leur confier le soutien aux salariés ?
La réponse à la pénibilité doit avant tout passer par la prévention. Il ne s'agit pas uniquement d'organiser l'exfiltration de salariés en situation de travail difficile, d'où l'intérêt d'un dispositif en deux volets, comportant une dimension formation pour faciliter les reconversions. Il faut d'abord mieux garantir une véritable prévention réduisant partout les situations de pénibilité. Il serait judicieux d'articuler la contribution complémentaire de l'entreprise avec les efforts, réalisés et mesurés, de celle-ci en matière de prévention. Le texte n'en tient pas suffisamment compte. Or, c'est au plus près des postes de travail, avec les salariés, que l'on devrait enrichir ce concept de pénibilité. Ainsi, les critères de pénibilité actuels ne prennent pas en compte les grands déplacements professionnels, les troubles musculo-squelettiques ni l'exposition aux rayonnements ionisants. Avançons sur le chemin ouvert en 2003 et en 2010.
Mme Christiane Demontès, rapporteure . - Ce débat a rappelé la dimension individuelle mais aussi collective de la pénibilité au travail, ainsi que le rôle des instances de l'entreprise et des employeurs pour réduire celle-ci. Les facteurs d'exposition aux risques tels qu'ils ont été définis par les partenaires sociaux vous semblent-ils convenir ? Quid des risques psychosociaux, que vous n'avez pas abordés ?
Les trois modalités d'utilisation prévues par le compte personnel de prévention de la pénibilité - formation, temps partiel et départ anticipé - vous paraissent-elles pertinentes et suffisantes ? La cotisation additionnelle des entreprises vous semble-t-elle de nature à faire baisser l'exposition à la pénibilité et à inciter les entreprises à agir en faveur de la prévention ?
Enfin, le projet de loi prévoit une application au 1 er janvier 2015 : cela vous paraît-il réaliste ? Pour ma part, je doute que les salariés les plus âgés aient envie de se précipiter sur les emplois les plus pénibles, comme M. Volkoff semble le craindre...
M. Hervé Lanouzière - La définition actuelle de la pénibilité est cohérente, car elle a été pensée dans une logique de compensation, et non de prévention. Les dix critères couvrent un spectre très large, conduisant les entreprises à évaluer des risques jusque-là occultés parce que difficiles à évaluer, comme les vibrations, les gestes répétitifs ou les postures pénibles. Il ne faut pas négliger le travail nécessaire pour tenir compte de ces critères.
Les risques psychosociaux sont une réalité pour les salariés, dont il ne faut pas négliger le ressenti. En application du principe général de prévention des risques posé par le code du travail, les entreprises ont obligation de travailler sur cette question. Reste que le compte personnel de prévention de la pénibilité ne peut englober tous les risques, ne le surchargeons pas. N'oublions pas non plus la question de l'attractivité : une personne - ou un secteur - ne doit pas se voir stigmatisé à cause de son compte : gare à la logique de compteur !
M. Serge Volkoff . - Je ne saurais vous répondre sur la mise en oeuvre au 1 er janvier 2015 mais en général, mieux vaut commencer tôt et avancer tranquillement, sans prendre de décision à la hâte.
Les trois modalités d'utilisation du compte sont cohérentes. Si la compensation est légitime, il faut également tout faire pour éviter de reconstituer le stock. L'obligation de formation ne doit pas être assortie d'une obligation de changer de poste : certains peuvent avoir des raisons de vouloir travailler de nuit, par exemple à l'hôpital, ce qui n'ôte rien au risque sur la santé à long terme du travail de nuit.
Je rejoins M. Lanouzière sur les dix critères comme sur les risques psychosociaux. La littérature scientifique sur les rayonnements ionisants mériterait d'être étudiée. Cela dit, il ne faut pas faire jouer aux connaissances scientifiques plus que leur rôle : il revient in fine au débat social de trancher et de définir les seuils d'exposition.
Le rapport Struillou légitimait une triple source de financement. Il est normal que les entreprises créatrices de pénibilité et de risques à long terme participent au financement du dispositif, d'autant que cela peut favoriser la prévention. Il paraît également normal que l'ensemble des employeurs y contribuent, dans la mesure où toutes les entreprises bénéficient, en tant que clientes, du travail « pénible » de certaines. Troisième source de financement, l'argent public. Toute la société profite en effet de la pénibilité du travail de quelques-uns, qui rendent accessibles quotidiennement biens et services : nous avons besoin que l'industrie sidérurgique fonctionne de nuit, et nous ne savons pas la faire marcher autrement qu'en exposant les fondeurs à la chaleur.
Mme Catherine Génisson . - Le travail de nuit est obligatoire dans certaines professions, mais les partenaires sociaux préfèrent les compensations salariales au repos compensateur par exemple. Notez que dans les hôpitaux, les personnels soignants tournent sur tous les postes, de sorte que tous ou presque travaillent la nuit.
M. Serge Volkoff . - Sauf en consultation.
Mme Catherine Génisson . - Ne faut-il pas restreindre les possibilités de compensation pécuniaire, et inciter les entreprises à se pencher davantage sur la qualité de l'organisation du travail ?
M. Jean-Pierre Godefroy . - Le rapport sénatorial sur le mal-être au travail insistait sur l'importance de la souffrance liée au trajet : la crainte d'être en retard, de perdre en salaire, a souvent des incidences sur les conditions de travail, les risques psychosociaux et l'état de santé. Nous avions pensé qu'il fallait prendre ces éléments en compte dans la mesure de la pénibilité.
Si le compte pénibilité consiste à cumuler des points afin de partir plus vite à la retraite, alors c'est le contraire de ce qu'il faut faire. Cela suppose une véritable révolution culturelle : dans l'entreprise où je travaillais, il n'était pas rare de revendiquer, avec le soutien des syndicats, le fait d'occuper un travail difficile ou insalubre pour obtenir des primes. Il faut au contraire s'efforcer de rendre le travail moins pénible.
Toutes les entreprises doivent participer à cet effort - rappelez-vous que nous avons dû revenir sur la participation au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Fiva) et au Fonds de cessation anticipé d'activité des travailleurs de l'amiante (Fcaata) des seules entreprises ayant exposé leurs salariés à l'amiante. Comment le compte de prévention de la pénibilité s'articulera-t-il avec les financements déjà engagés par les entreprises en matière de prévention dans le cadre de la branche AT-MP ?
Mme Isabelle Debré . - Certains critères de pénibilité sont correctement définis : c'est le cas du bruit, à partir de quatre-vingt-cinq décibels. Les autres critères sont-ils aussi précis et suffisamment uniformisés ? Quand les kinésithérapeutes revendiquent la pénibilité de leur travail, ne risque-t-on pas d'ouvrir une brèche dangereuse pour les finances de l'Etat ? Les personnes polyexposées - comment les définir ? - cumulent-elles les points ? Enfin, une première estimation du coût du dispositif l'a chiffré à 500 millions d'euros en 2020, et 2,5 milliards d'euros en 2040. Or depuis, de nombreuses professions se sont manifestées...
M. Jacky Le Menn . - J'ai présidé des CHSCT d'hôpitaux et d'établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) pendant de nombreuses années. Prodiguer des soins à des personnes gravement atteintes est une tâche pénible. Les aides-soignants travaillent de nuit, et sont souvent victimes de lombalgies et de troubles musculo-squelettiques. Confrontés à la maladie et à la mort en permanence, certains tombent en dépression. Je vois mal dans ces conditions comment fonctionnera le système de décompte des points.
M. René-Paul Savary . - Le compte personnel de prévention de la pénibilité est une idée intéressante, mais potentiellement stigmatisante, par exemple pour ceux qui ont accumulé des points et sont à la recherche d'un emploi. Quel est précisément son champ d'application ? Le décompte serait fonction du nombre d'heures travaillées : il devrait donc être différent pour les salariés ou fonctionnaires d'une part, et pour les travailleurs indépendants d'autre part, qui choisissent leur volume de travail.
En tant que président de conseil général, je sais que le travail sur les routes est pénible et dangereux, que les travailleurs sociaux sont confrontés à l'agressivité de certains usagers, que le personnel des collèges fait face à l'indiscipline des collégiens, que les fonctionnaires subissent la pression de la réduction des dépenses... A l'échelle d'un département, tout le monde a un travail pénible. Comment va-t-on faire évoluer le dispositif ?
M. Jean-Noël Cardoux . - La sécurité sociale envisagerait d'accorder une prime de 5 000 euros aux artisans coiffeurs pour les aider à aménager leurs postes de travail. Trouvez-vous normal que la sécurité sociale, censée couvrir des risques et bien qu'elle ait déjà diversifié ses missions, s'empare de questions sur lesquelles nous nous apprêtons à légiférer ?
M. Claude Domeizel . - Quelle différence faites-vous entre un travail pénible et un emploi dangereux ?
Mme Annie David , présidente . - Dans le dispositif, l'accumulation des points donnera droit à une formation. N'y a-t-il pas là transfert de responsabilité de l'entreprise sur le salarié ?
M. Serge Volkoff . - Ce dispositif n'a pas vocation à traiter exhaustivement la pénibilité au travail. Il ne concerne que les pénibilités qui ont un impact sur la santé au grand âge et la longévité. Les facteurs de risques psychosociaux ou les trajets pénibles ont un impact indéniable sur la santé à court terme, mais ils n'influent qu'exceptionnellement sur l'espérance de vie.
Le mécanisme qui nous est présenté incite sinon à rentrer dans la pénibilité, du moins à ne pas en sortir. Le doublement des points offerts aux personnes proches de la retraite est à cet égard éclairant : un fondeur ayant le choix entre une promotion à un poste de chef d'équipe et un départ anticipé n'hésitera pas une seconde.
Sur les seuils d'exposition, toutes les cartes ne sont pas sur la table. J'avais compris qu'ils seraient fixés par décret. Or le Gouvernement travaille sur des hypothèses précises puisque l'étude d'impact indique le pourcentage de salariés exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité. Vous pourriez l'interroger sur ce point.
M. Serge Volkoff . - L'incertitude qui entoure la définition des seuils empêche d'être plus précis sur l'évaluation financière du dispositif. A quel niveau faut-il fixer la barre ? Il ne s'agit pas de cibler des métiers, car un métier n'est en rien un indicateur de pénibilité - c'est en cela un progrès par rapport aux régimes spéciaux. Partir des conditions de travail est une démarche plus intelligente. Préciser ces critères est à présent du ressort de la négociation. Elle sera plus complexe pour certains facteurs, comme les postures pénibles, que pour d'autres, mais toujours intéressante.
M. Christian Jacques . - La pénibilité est ce qui empêche de rester en bonne santé le plus longtemps possible après le départ à la retraite. Parmi les dix critères retenus, il manque les rayonnements ionisants et les travaux extérieurs soumis aux intempéries.
Pour répondre à la présidente Annie David, la formation est toujours a priori positive. Il faudrait inciter l'employeur à proposer au salarié une reconversion professionnelle bien en amont au lieu de laisser le soin à ce dernier d'en faire la demande. On peut s'interroger sur l'efficacité du mécanisme proposé : les points accumulés offriront-ils de véritables opportunités de formation aux travailleurs titulaires de métiers pénibles, qui sont souvent les moins qualifiés ?
J'ai récemment rencontré des représentants syndicaux qui se réjouissaient d'avoir obtenu une prime de bruit - de surdité, ai-je rectifié. Ce n'est en effet pas la même chose. Les salariés sont souvent demandeurs de postes exposés à la pénibilité car les compensations financières ne sont pas négligeables, surtout au regard des niveaux actuels de pouvoir d'achat. Il faut un large débat sur ces questions, comme celui auquel a donné lieu le problème de l'amiante. Rappelons-nous qu'a longtemps perduré un consensus social sur son utilisation. La contribution complémentaire des entreprises pourrait être mieux articulée avec les mesures décidées pour lutter contre la pénibilité du travail, afin non pas d'interdire les compensations financières, mais d'en rendre la négociation moins aisée.
M. Hervé Lanouzière . - Le système de cotisation doit en effet être vertueux. Un mécanisme incitatif de type bonus-malus, favorisant la prévention, sans exclure la compensation, est une bonne idée. Le passage du travail de nuit au travail de jour peut être accompagné financièrement de manière dégressive. Les conventions collectives affichent parfois ce principe sans qu'il soit mis en oeuvre.
Je me réjouis que la sécurité sociale ne soit pas qu'un guichet et s'attaque à la prévention. Après avoir rencontré la commission Moreau, nous avons fait, conjointement avec la direction des risques professionnels de la Caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés (Cnamts), une offre de service aux entreprises afin que les caisses nationales vieillesse et maladie, les caisses régionales et nous-mêmes les aidions à réaliser un diagnostic organisationnel et technique de la pénibilité. Conditionner la cotisation à la branche AT-MP aux efforts de prévention va dans le bon sens. J'ai travaillé dans le privé, où rien n'est plus convaincant que le coût de la non-prévention : dire à un chef d'atelier que la compensation d'un trouble musculo-squelettique coûtera 97 000 euros, soit la totalité de sa production mensuelle, c'est l'inciter à faire de la prévention.
Nous pourrions débattre des heures de l'uniformisation des critères. En toute hypothèse, ils conserveront une part d'arbitraire. En matière de bruit, l'employeur est en infraction au-delà de quatre-vingt-cinq décibels, et le seuil d'action, à partir duquel on considère qu'il faut commencer à se protéger, est fixé à quatre-vingts décibels. Fixer le seuil de pénibilité en deçà n'a guère de justification : on ne peut le situer qu'entre quatre-vingts et quatre-vingt-cinq décibels. Autre exemple : selon la position du corps, la déclivité du sol, la température et mille autres facteurs, porter une charge de cinq kilos sera plus ou moins pénible. Nous avons d'ailleurs mesuré les efforts accomplis par les ouvriers d'une entreprise agro-alimentaire : mettre des olives sur des pizzas revient à porter plus de trois tonnes en une journée. Est-ce moins pénible que de soulever 25 kilos par jour en une seule fois ?
Dans le même ordre d'idées, la polyexposition ne se mesure pas. La notion peut en revanche favoriser le débat dans l'entreprise et aider à établir des priorités. Mais l'appropriation de ces sujets prend du temps et il y aura nécessairement des mécontents. Bref, le consensus sur un seuil est impossible.
La question des équivalences n'est pas simple : les points accumulés par un fondeur valent-ils ceux du salarié de l'usine de pizzas ? A nouveau, il ne peut y avoir de fondement scientifique aux critères de distinction.
Les notions de dangerosité, de pénibilité, de risque et d'usure ne sont pas interchangeables, ni même superposables. Le danger, c'est la capacité intrinsèque d'un objet, d'une situation ou d'un produit à provoquer des nuisances. Le risque est l'exposition de l'homme au danger. Une mer démontée est un danger, mais le risque n'apparaît que lorsque vous allez surfer. La pénibilité suppose que les nuisances ont un effet différé dans le temps : c'est pourquoi l'on raisonne sur l'espérance de vie à partir de la retraite. Soyons clairs, ne créons pas la confusion !
Enfin, les comptes de prévention de la pénibilité devraient être, autant que possible, des comptes vides. Il convient pour cela que les entreprises préviennent l'usure au travail, ce qui suppose une gestion prévisionnelle des emplois et des compétences qui n'est pas toujours facile à mettre en oeuvre.
Mme Isabelle Debré . - Avez-vous eu une étude sur le coût ?
M. Serge Volkoff . - Tant que les seuils ne sont pas sur la table, le chiffrage est difficile. J'imagine toutefois que les estimations du Gouvernement sont cohérentes avec les pourcentages de personnes concernées qu'il indique. Je fais confiance aux statisticiens des ministères pour cela.
M. Georges Labazée . - J'ai assisté hier à la réunion de la Commission consultative d'évaluation des normes. Comment allons-nous concilier toutes ces questions avec la volonté de simplification ?
M. Serge Volkoff . - Le rapport Moreau avait fait deux propositions intéressantes. La première consiste à créer un observatoire des fins de carrière. Nous avons une grande quantité d'informations, mais aucune synthèse ne nous décrit exactement la situation des 55-61 ans en matière d'emploi, de santé ou de retraite. Un dispositif de veille est nécessaire.
La seconde proposition consiste à améliorer les dispositifs d'accompagnement des entreprises en matière de lutte contre la pénibilité. De nombreuses petites et moyennes entreprises rechignent à se lancer dans ces chantiers, faute d'un diagnostic technique solidement établi.
M. Hervé Lanouzière . - La Commission consultative d'évaluation des normes ne concerne que les collectivités territoriales, qui ne sont pas concernées par la création du compte personnel de prévention de la pénibilité.
Table ronde avec les partenaires sociaux (organisations patronales) : M. Pierre BURBAN, secrétaire général et Mme Caroline DUC, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement de l'Union professionnelle artisanale (UPA) ; M. Frédéric AGENET, vice-président de la commission protection sociale du Mouvement des entreprises de France (Medef) ; Mme Geneviève ROY, vice-présidente chargée des affaires sociales et M. Georges TISSIÉ, directeur des affaires sociales, de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME)
Réunie le jeudi 3 octobre 2013 sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à une table ronde avec les organisations patronales dans le cadre de l'examen du projet de loi n° 1376 (AN-XIV e ) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Mme Annie David , présidente . - Nous poursuivons nos auditions sur le projet de loi garantissant l'avenir et la justice du système de retraites en recevant les organisations représentatives des employeurs, avant les organisations syndicales de salariés le 9 octobre prochain. Le Medef est représenté par M. Frédéric Agenet, vice-président de sa commission Protection sociale, Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale et M. Guillaume Ressot, directeur des affaires publiques. La Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) est représentée par Mme Geneviève Roy, vice-présidente chargée des affaires sociales et M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales. L'Union professionnelle artisanale (UPA) est représentée par M. Pierre Burban, secrétaire général, et Mme Caroline Duc, conseillère technique chargée des relations avec le Parlement.
M. Frédéric Agenet, vice-président de la commission Protection sociale du Medef . - Ce projet de réforme suscite bien des interrogations. Il ignore le besoin de financement du régime de retraite de la fonction publique, des régimes spéciaux, tout comme celui des régimes complémentaires du secteur privé. Faire reposer l'objectif de retour à l'équilibre du régime général sur une hypothèse de croissance de 1,6 % entre 2011 et 2020 est très hasardeux : il faudrait que la croissance s'établisse durablement à un niveau que nous avons rarement connu, a fortiori de manière prolongée. De quoi hypothéquer le retour à l'équilibre...
Comment le compte personnel de prévention de la pénibilité sera-t-il financé ? Le rapport Moreau est très prudent sur les hypothèses de montée en puissance du dispositif. Le Gouvernement estime à trois millions le nombre de comptes qui seront ouverts à partir de 2015. Les données de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares) semblent indiquer que ce chiffre est sous-estimé. Pour les entreprises, c'est une bombe à retardement. L'expérience montre que, dans un contexte d'allongement de la durée d'activité, ouvrir une possibilité de départ anticipé crée un puissant appel d'air.
Loin d'encourager la prévention, ce dispositif risque au contraire d'accentuer les phénomènes de trappe à pénibilité. Nous ne partons pas de rien : les conventions collectives prévoient déjà, pour la plupart des travaux pénibles, des majorations de salaire qui peuvent aller, dans certains cas, jusqu'à 40 %. Cela rend difficile les reclassements, nul ne renonçant aisément à un tel avantage financier. Si nous ajoutons encore des incitations, la prévention passera au second plan. Ce dispositif sera, de surcroît, fort complexe à mettre en oeuvre pour les grandes entreprises et plus encore pour les petites.
Quant aux dispositions concernant les jeunes ou les femmes, bien que socialement légitimes, elles doivent inspirer la plus grande prudence étant donné les incertitudes qui pèsent sur leur financement. Soyons pragmatiques !
Mme Geneviève Roy, vice-présidente de la CGPME, chargée des affaires sociales . - Loin de résoudre les problèmes, cette réforme complexifie et met en péril les régimes complémentaires sur lesquels les partenaires sociaux avaient pourtant trouvé un accord l'an dernier. Elle annulera les efforts consentis pour sauver le régime Agirc-Arrco, le patronat ayant accepté une hausse des cotisations vieillesse et les syndicats de salariés une moindre revalorisation des pensions. Dès 2018, ce régime se trouvera de nouveau sans ressources. Le régime des retraites sera plombé plutôt que sauvé.
Ne pas reporter l'âge d'ouverture des droits, c'est dire aux jeunes actifs qui ont fait des études qu'ils ne prendront pas leur retraite à soixante-deux ans mais à soixante-six ans. Il aurait mieux valu que nos générations acceptent de reporter l'âge d'ouverture afin de ne pas faire porter sur les jeunes l'intégralité de l'effort. Il sera possible de racheter des trimestres, dans la limite de quatre. Il est extrêmement important d'envoyer un signal aux jeunes, notamment les apprentis.
Rien non plus sur la convergence des régimes de la fonction publique et du privé, qui est loin d'être effective : 9 milliards d'euros de déficit pour le régime de la fonction publique et les régimes spéciaux, 5 milliards d'euros pour le privé, qui compte quatre fois plus de salariés ! Les chefs d'entreprise ne comprennent pas cette absence d'harmonisation.
Le compte de prévention de la pénibilité porte bien mal son nom, puisqu'il ne fait que réparer. La cotisation augmentera pour toutes les entreprises, avec une surcote pour celles qui ont des postes estampillés pénibles - alors que la France a déjà un taux de prélèvement obligatoire parmi les plus élevés au monde. Le coût du travail n'est certes pas le seul responsable de notre manque de compétitivité, mais il y contribue substantiellement. Loin de le contenir, nous l'accroissons ! Les cotisations au régime de base ont déjà été augmentées avec l'élargissement du dispositif carrières longues ; une nouvelle hausse interviendra au 1 er janvier 2014. Le crédit d'impôt pour la compétitivité et l'emploi (Cice) compensera, dit-on, mais les très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME) n'auront rien avant l'an prochain.
Indépendamment de son coût, ce compte de prévention de la pénibilité sera source de complexité administrative pour les petites entreprises. C'est tout sauf un choc de simplification ! Le chef d'entreprise devra-t-il, chaque matin, comptabiliser le nombre de minutes pendant lesquelles chaque salarié aura été exposé à la chaleur, au froid ? C'est kafkaïen ! Je suis chef d'entreprise dans un secteur qui compte des métiers relevant des dix critères de pénibilité. Pour certains critères, je fais de la prévention, mais pour le travail de nuit, je ne sais que faire. Devoir apposer ma signature sur une fiche de poste estampillé « pénible », tout en ayant une obligation de résultat dans la protection de la santé de mes salariés, me pose problème.
Pour la CGPME, la pénibilité doit être traitée avant tout sous l'angle de la prévention. Quelle réponse faire au salarié d'une TPE ou PME qui demanderait à changer de poste après avoir suivi une formation s'il n'y a pas de poste à lui proposer ? Ce sera un licenciement à la charge de l'entreprise, qui devra de toute façon recruter un remplaçant : on ne fait que déplacer le problème. Il sera encore plus difficile pour le chef d'entreprise de traiter l'inaptitude au travail par le reclassement. Le travail de nuit est déjà compensé par du temps de repos et des majorations de salaire. Allons-nous passer de la double peine à la triple peine ? Les chefs d'entreprises refuseront des marchés les obligeant à recourir à du travail pénible, et vous verrez qu'après 22 heures tout sera fermé : plus de restaurants, plus de cinémas, la vie sera très calme ! La Ville lumière risque de s'éteindre...
Vous allez nous exposer à la concurrence européenne : la France sera la seule en Europe à avoir un tel dispositif, au moment où la directive « détachement » va nous autoriser à recruter des travailleurs d'Europe de l'Est, payés au Smic français mais sans les charges et sans compte de prévention de la pénibilité ! La CGPME est fermement opposée à ce compte : c'est une question de survie des entreprises et de l'emploi. Nous ne recruterons plus, et nous recourrons à des travailleurs extérieurs dès que possible.
Nous voulons être associés à l'élaboration des critères qui seront établis par décret. Il faudrait au moins reporter l'entrée en vigueur du dispositif : il sera techniquement impossible d'être prêts en 2015. Plus les critères seront assouplis, plus le public concerné sera nombreux, ce qui posera problème aux entreprises mais aussi au régime lui-même. Si l'on cumule les carrières longues avec le compte de prévention de la pénibilité, c'est 40 % d'une classe d'âge qui pourra déroger aux règles de droit commun en matière de départ en retraite. Aucun régime ne peut supporter cela.
M. Pierre Burban, secrétaire général de l'Union professionnelle artisanale . - Je rejoins les positions du Medef et de la CGPME. Nous avons émis un avis défavorable sur ce projet de loi. Cette réforme n'est pas structurelle, elle ne règle pas le problème des déficits. Les réformes se succèdent : 1993, puis 2003, 2010, 2013... A ce rythme, la prochaine viendra dans dix-huit mois ! Nous sommes très attachés au régime de retraite par répartition, qui met les consommateurs en confiance, ce qui est bon pour l'économie. Mais cette réforme accroît encore les prélèvements obligatoires. Le régime des travailleurs indépendants a déjà vu ses charges sociales augmenter de 1,1 milliard d'euros l'an dernier. Les cotisations vieillesse vont être déplafonnées, sous prétexte d'alignement avec le régime général. Or l'augmentation ne sera pas intégralement compensée : il n'y a donc pas d'alignement. Les cotisations des travailleurs indépendants sont calculées sur le bénéfice, qui comprend non seulement la rémunération de l'exploitant mais aussi celle du capital et la part réinvestie dans l'entreprise. Où est la pause fiscale pour les entreprises ? La plupart des chefs de petites entreprises ont le statut de travailleur indépendant et sont donc traités, fiscalement et socialement, comme les ménages. On aggrave en outre les distorsions avec le régime de l'auto-entrepreneur.
Les branches professionnelles se soucient de la pénibilité : quel serait l'intérêt pour l'entreprise de faire travailler ses salariés dans de mauvaises conditions ? Cela est d'autant plus vrai que dans les petites entreprises, le chef d'entreprise participe également à l'acte de production. L'objectif est de travailler sur la prévention, d'abord en réduisant la pénibilité. Dans le bâtiment, la taille des sacs de ciment ou de plâtre a été divisée par deux ; dans la coiffure, des solutions peuvent être trouvées pour limiter la position debout. Cela suppose d'agir de manière collective, or la récente décision du Conseil constitutionnel sur les actions mutualisées nous bloque...
Il est curieux de demander au Parlement de voter le principe du compte de prévention de la pénibilité, et d'en renvoyer la mise en oeuvre à des décisions ultérieures. Il faudra préciser les dix facteurs de pénibilité définis dans le cadre de négociations en fixant des seuils. Le code du travail et le code de la sécurité sociale deviennent de plus en plus virtuels. Un chef d'entreprise qui a deux salariés dans la maçonnerie devra faire des fiches individuelles journalières, puisque chaque salarié exerce l'intégralité du métier. Or l'exposition à un marteau-piqueur peut ne durer qu'une heure... Où est le choc de simplification ? Ce compte pénibilité nous inquiète, qu'il s'agisse de sa faisabilité ou du risque de contentieux qu'il fait naître. Ce qu'il faut, c'est mener des actions de prévention pour améliorer les conditions d'activité.
Mme Christiane Demontès , rapporteure . - J'ai entendu vos points de vue, qui ne nous surprennent guère. Chacun sait que nous ne sommes pas égaux face à l'espérance de vie. Les travaux exécutés pendant la vie professionnelle pèsent sur l'espérance de vie. Je réfute l'idée selon laquelle les conditions de vie personnelle seraient les seules à jouer, étant donné le temps passé au travail. Nul ne conteste que certains métiers, par ailleurs utiles et nécessaires, dégradent la santé. Ne pensez-vous pas que la création de ce compte personnel de prévention de la pénibilité peut inciter les entreprises à améliorer les conditions et l'organisation du travail ? M. Burban a évoqué des actions collectives. Comment envisagez-vous les choses ?
M. Agenet a parlé de trappe à pénibilité. Mais le compte pénibilité a aussi un objectif de formation et offre à un salarié exposé la possibilité d'envisager des orientations professionnelles nouvelles. En quarante-trois ans de travail, il y a place pour des changements !
Les dix facteurs de la pénibilité ont été définis par les partenaires sociaux. Faut-il les remettre en question, ou sont-ils pertinents ?
M. Frédéric Agenet . - Nous devrions être tous d'accord sur un objectif : réduire la durée d'exposition à la pénibilité. Pour cela, il faut travailler en priorité sur le reclassement. La loi prévoit que les points accumulés peuvent être utilisés pour se former ou obtenir un temps partiel avant la retraite. Mais on voit sur le terrain que la possibilité d'un départ anticipé occulte les autres options : c'est un véritable appel d'air, d'autant que les salariés savent que la durée d'activité va s'allonger. Les publications syndicales, très prudentes sur la réforme, ne mettent en avant que ce seul élément. Dès lors, comment inciter à solliciter un reclassement ? Il faut travailler avec les partenaires sociaux sur le terrain pour remettre à plat l'ensemble du dispositif de lutte contre la pénibilité dans les entreprises et utiliser les enveloppes disponibles pour inciter au reclassement plutôt qu'au départ anticipé. Parmi les trois options ouvertes par le compte pénibilité, il faudrait faire en sorte que les salariés soient incités à opter pour le reclassement. Sinon, la prévention n'intéressera plus personne.
Mme Geneviève Roy . - Je ne nie pas le lien entre conditions de travail et espérance de vie en bonne santé, mais chacun a aussi une responsabilité individuelle : nos salariés travaillent 35 heures, ils ont une vie en dehors du travail qui a aussi un impact sur leur santé ! La négociation sur les dix critères instaurait un filtre médical, sans lequel nous compensons un risque qui ne surviendra peut-être pas. Nous sommes inégaux face aux tâches pénibles, ne serait-ce que physiquement. Sans filtre médical, comment évaluer le risque ?
Comment compenser le travail de nuit ? Je l'ignore. Encore faut-il distinguer entre le travail en trois-huit, avec des changements de rythme physiologiquement difficiles à supporter, et un travail pendant trois nuits de 12 heures par semaine, qui plus est compensé par du temps de repos. Faut-il remplacer les travailleurs de nuit par des digicodes ?
Pour le reclassement, il faut d'abord que les salariés manifestent une appétence pour la formation. Que faire des personnels non qualifiés, qui ne sont pas toujours susceptibles de recevoir une formation qualifiante ? Pôle emploi est-il la solution ? Pour moi, le plus pénible à supporter, c'est de ne pas avoir de travail. Il faut retravailler sur les seuils et rétablir un filtre médical.
M. Pierre Burban . - Certains métiers pénibles, comme celui des infirmières de nuit, sont nécessaires à la société. N'ayant aucun intérêt à maintenir les personnes dans des situations pénibles nous faisons tout pour réduire la pénibilité. N'oublions pas que 95 % des entreprises françaises comptent moins de cinquante salariés, que 53 % des salariés y travaillent et que 37 % des salariés travaillent dans des entreprises de moins de vingt salariés. Il est compliqué de mener des actions en interne dans ces entreprises-là. Il faut donc des actions collectives, mutualisées. Les branches qui avaient mis en place des complémentaires-santé obligatoires, comme la boulangerie ou la coiffure, ont également développé des actions concrètes de prévention des risques. Pour nous, la pénibilité n'est pas un problème de retraite mais de santé au travail. Dans la boulangerie, les poussières de farine peuvent générer de l'asthme : des actions collectives ont été menées pour diminuer ces poussières dans les fournils. Travailler dans une ambiance sucrée peut donner des caries dentaires : une action collective a instauré des consultations et des soins dentaires gratuits.
Le reclassement n'étant pas toujours possible, il faut des actions collectives concrètes pour réduire la pénibilité. Il y a trente ans, les bouchers portaient sur leur dos des demi-boeufs ; aujourd'hui, les abattoirs découpent davantage, et certains artisans-bouchers ont des systèmes mécanisés de réception de la viande. Ce compte n'arrive-t-il pas trop tard ? L'objectif, c'est de prévenir. Définir des facteurs de pénibilité permettait notamment d'éviter de qualifier certains métiers de pénibles, et donc de décourager les jeunes d'y recourir.
M. Jean-Pierre Godefroy . - Je partage les préoccupations de M. Agenet. Je soutiens ce texte, mais la conjonction avec l'allongement de la durée du travail risque d'inciter les travailleurs à s'orienter vers le départ anticipé plutôt que vers la reconversion dans des postes moins pénibles. Je travaille depuis cinquante ans, mais je serais incapable de faire aujourd'hui le travail que je faisais à vingt-cinq ans. Traditionnellement, la négociation dans l'entreprise prévoyait des compensations salariales à la réalisation des travaux pénibles ou insalubres : il y avait donc concurrence pour les exécuter !
Comment le compte de prévention de la pénibilité s'articulera-t-il avec les mécanismes déjà mis en place dans le cadre de la branche accidents du travail-maladies professionnelles (AT-MP), dont la vocation est de lutter contre la pénibilité ? Je suis par ailleurs sensible aux efforts réalisés l'an dernier par le régime social des indépendants.
Mme Catherine Procaccia . - M. Burban a évoqué une décision du Conseil constitutionnel. Laquelle ?
Il faudra aménager le compte de prévention de la pénibilité pour les PME et TPE si l'on ne veut pas accentuer les difficultés de recrutement dans certaines filières comme les métiers de bouche ou la menuiserie. A estampiller certains métiers comme « pénibles », on risque de dissuader les jeunes et de démolir l'apprentissage.
Le reclassement est sans doute possible dans de grandes entreprises, mais comment faire dans les TPE ? J'étais responsable d'une équipe de logistique de cinquante personnes dans une grande entreprise. Aux caristes, je proposais une formation en posture ou en informatique, mais il n'est pas toujours aisé, même avec la meilleure volonté, de transformer en employés de bureaux ou en agents d'accueil des personnes qui n'ont souvent pas de formation. A cela s'ajoutent les problèmes de santé éventuels. Et la reconversion est encore plus dure à cinquante ou cinquante-cinq ans.
Ne pourrait-on pas réintroduire un minimum de filtre médical ? Les jeunes travaillent désormais tous sur écran et se plaignent de fatigue visuelle ou de mal de dos. Ces emplois seront-ils bientôt considérés comme pénibles ? Tout travail va-t-il devenir pénible ?
Mme Catherine Génisson . - La prévention de la pénibilité, ce n'est pas seulement une problématique de santé au travail, c'est aussi la possibilité de vivre sa retraite en meilleure santé possible. Les entreprises font déjà des efforts en matière de prévention. Le travail de nuit est certes indispensable, dans le secteur public comme dans l'entreprise. Cela ne doit pas pour autant interdire toute réflexion sur le sujet : faut-il privilégier le confort ou le développement économique ? Les salariés concernés préfèrent souvent la compensation pécuniaire aux repos compensateurs, d'ailleurs parfois reportables et cumulables. La loi ne devrait-elle pas encadrer davantage les choses et orienter clairement les salariés vers la prévention ?
Remplir le compte individuel de pénibilité sera certainement complexe, notamment pour les PME. Il apparaît en effet kafkaïen de consigner chaque jour, heure par heure, les travaux pénibles effectués. Ne pourrait-on procéder par statistiques, selon les métiers, pour établir un quota mensuel ou annuel ?
M. Dominique Watrin . - Je vois une certaine contradiction dans vos interventions. D'un côté, vous regrettez que le texte fasse primer la compensation sur la prévention ; de l'autre, vous craignez qu'en l'absence de filtre médical, les compensations ne soient pas toujours justifiées. C'est oublier que la pénibilité a des effets différés ! Les entreprises tardent à agir, les accords et les plans d'action ont pris beaucoup de retard.
Le compte de prévention de la pénibilité ne règle pas tout. Tous les salariés n'en profiteront pas, notamment ceux qui sont en fin de carrière. Mais l'injustice fondamentale, c'est que l'espérance de vie d'un ouvrier est inférieure de sept ans à celle d'un cadre !
Nous avons eu droit au couplet habituel sur la hausse des prélèvements sociaux. Cette réforme générera 16 milliards d'euros d'économie d'ici 2040. L'effort sera supporté à plus de 20 % par les retraités, avec le gel des pensions et la fiscalisation des majorations pour les personnes ayant plus de trois enfants, à 60 % par les salariés, avec la hausse des cotisations ou l'allongement de la durée de cotisation, et à 20 % à peine par les entreprises. Et le Gouvernement a annoncé que la légère hausse de leurs cotisations serait entièrement compensée ! Pourtant, les cotisations sociales ont augmenté quatre fois moins vite que le PIB ; il ne serait pas illogique de leur demander un effort supplémentaire...
En tant que parlementaire communiste, je fais bien la différence entre les TPE-PME et les grands groupes du CAC 40. C'est pourquoi dès 2010 nous avions déposé une proposition de loi soumettant aux cotisations sociales les revenus financiers des entreprises. La mesure rapporterait 30 milliards d'euros à la sécurité sociale et endiguerait la financiarisation de l'économie qui joue contre l'emploi. En France, les dividendes sont deux fois plus élevés que l'ensemble des cotisations sociales versées par les entreprises !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Je pense moi aussi que notre système de retraite doit tenir compte de la pénibilité. Lors de la réforme de 2010, mon groupe avait déposé des amendements en ce sens qui n'ont pu être examinés au Sénat, le débat ayant été écourté. Statistiquement, ceux qui ont exercé un métier pénible profiteront moins de leur retraite. Toutefois, le dispositif proposé par le projet de loi est d'une complexité insondable, sans doute pour avoir voulu associer prévention et réparation. Bien sûr qu'il faut supprimer les postes pénibles ! Il y a cinquante ans, le thème majeur était l'ergonomie du poste de travail ; des progrès considérables ont été réalisés en matière de santé au travail. Néanmoins, ceux qui travaillaient à l'époque - et j'en suis - voient leur espérance de vie en bonne santé réduite. Améliorer ce texte ne sera pas chose aisée. Ne nous laissons pas impressionner par les petits messieurs qui entourent les ministres et ignorent tout de l'entreprise !
Mme Catherine Procaccia . - C'est bien vrai !
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Il ne sera pas simple de reconstruire une carrière, notamment pour les polypensionnés. La tâche administrative des chefs d'entreprise sera alourdie. Quant au coût, il risque de dépasser les estimations.
Comme les précédentes, cette réforme ne va pas au bout et n'est pas structurelle. Mme Roy préfèrerait reporter l'âge d'ouverture des droits à la retraite pour éviter de faire porter aux jeunes le poids de la réforme. Certes, les jeunes ont été sacrifiés, mais en reportant l'âge de départ, on ne favorise pas leur entrée sur le marché du travail... En ce domaine, j'admire ceux qui ont des certitudes, car la réalité n'est peut-être pas aussi simple !
Mme Laurence Cohen . - Il est indispensable de légiférer. Les conditions de travail restent pénibles pour nombre de salariés en dépit des progrès techniques et médicaux ou de la prise de conscience de certains chefs d'entreprise. Nous avons besoin de la loi pour accélérer les choses et obliger à modifier les pratiques, car trop de salariés souffrent.
Il faut définir les critères de la pénibilité : les facteurs qui diminuent l'espérance de vie, ceux qui diminuent la durée de vie en bonne santé, ceux qui aggravent les risques psychosociaux, souvent négligés. Les conséquences de la pénibilité pèsent sur les salariés mais aussi sur la société tout entière. Il faut travailler sur la prévention, mais aussi sur la formation, la qualification et la valorisation de certains métiers. Les métiers du commerce, des services à la personne ou de l'hôtellerie, par exemple, sont dévalorisés et mal reconnus. Comme ils sont souvent occupés par des femmes, la formation est négligée - sans doute considère-t-on qu'elles sont « naturellement » douées des qualités requises... Ces facteurs aggravent la pénibilité. Les mécanismes de réparation ne doivent pas se limiter à une compensation salariale ou une possibilité de départ en retraite anticipé. Elles doivent aussi inclure un effort de prévention et de formation. Les salariés sont souvent volontaires pour évoluer. Enfin, parmi les facteurs de pénibilité, n'oublions pas le travail à temps partiel, morcelé, avec une forte amplitude horaire qui accroît les temps de trajets.
Mme Annie David, présidente . - Madame Roy, ceux qui commencent leur journée à l'aube seront bien contents qu'elle s'arrête à 22 heures !
M. Frédéric Agenet . - La loi peut être nécessaire pour faire évoluer les mentalités, mais pour être efficace, elle doit être adaptée à la réalité. Il importe de redonner une marge de manoeuvre aux partenaires sociaux. Plus le texte sera général, moins il sera applicable. Simplifions, ne créons pas un système kafkaïen. Plutôt qu'un décompte d'apothicaire de l'exposition à la pénibilité, laissons les partenaires sociaux définir, grâce à la négociation, des modèles statistiques de pénibilité selon les branches et les métiers.
Les entreprises sont constituées d'êtres humains, faits d'émotion. Si trois mécanismes sont proposés, il n'est pas surprenant que l'un d'entre eux soit privilégié. C'est pourquoi il faut favoriser le reclassement, ce qui est certes plus facile dans les grandes entreprises que dans les petites. Cela suppose d'établir des plans pluriannuels, une cartographie des métiers pour mettre en place des passerelles, de renoncer à sous-traiter certaines fonctions pour garder ouvertes des possibilités de mobilité... Tout le monde doit tirer dans le même sens. A ce prix, la formation entrera dans les moeurs. Si le dispositif reste en l'état, l'immense majorité des salariés ne retiendra que la possibilité de départ anticipé, compromettant les efforts accomplis pendant des années.
Mme Annie David, présidente . - La décision du Conseil constitutionnel évoquée était celle relative à la clause de désignation prévue par la loi de sécurisation de l'emploi.
M. Pierre Burban. - Absolument. L'article L. 912-1 du code de la sécurité sociale a été jugé inconstitutionnel. Cela interdit aux branches professionnelles de mettre en place des mécanismes mutualisés et remet en cause tous les dispositifs de prévoyance qui couvrent aujourd'hui 13 millions de salariés.
M. Jean-Pierre Godefroy . - Quid de la complémentarité entre le compte pénibilité et la branche AT-MP ?
Mme Valérie Corman, directrice de la protection sociale au Medef . - La branche AT-MP a largement contribué à l'amélioration des conditions de travail et à la baisse de la sinistralité. Le nombre d'accidents du travail est historiquement bas, grâce à une meilleure maîtrise des risques professionnels et de la pénibilité. Le système a fait la preuve de son efficacité, même si la tarification incite moins à la prévention en raison de la hausse de la part mutualisée et cible moins les entreprises à risque. Le dispositif reste orienté vers la prévention ; les interlocuteurs sont connus, ils travaillent ensemble. Ne perturbons pas un fonctionnement clair et lisible en introduisant ce compte de prévention de la pénibilité qui est d'une telle complexité. Comment articuler les deux, demandiez-vous ? Je ne sais pas !
M. Georges Tissié, directeur des affaires sociales de la Confédération générale des petites et moyennes entreprises (CGPME) . - Le texte ne crée pas seulement un compte de pénibilité ; il généralise la fiche d'exposition à tous les salariés de tous les secteurs ! Mécanique déjà lourde et complexe. Il faudra ensuite remplir le compte personnel, selon un barème par points dont l'Assemblée nationale vient d'accentuer encore la complexité. Le décompte, qui n'est pas fondé sur un avis médical objectif, pourra être contesté par le salarié devant les caisses d'assurance retraite et de la santé au travail (Carsat), et des commissions ad hoc statueront. Kafkaïen, en effet !
La réforme de 2010 a créé un dispositif pénibilité, avec un filtre médical, qui monte lentement en charge. Comment les deux seront-ils articulés ?
L'évaluation du coût du dispositif à l'horizon 2040 est pour le moins hasardeuse. Ce qui est certain, c'est que le montant cumulé des hausses de cotisations employeurs et salariés prévues par le décret du 2 juillet 2012, qui élargit le dispositif de retraite anticipée pour les carrières longues, représente déjà 10 milliards d'euros sur trois ans. Le présent projet de loi prévoit une hausse cumulée de cotisations de 12 milliards d'euros, sur quatre ans. Les prélèvements nouveaux en faveur des retraites auront ainsi augmenté de 22 milliards d'euros entre 2012 à 2017.
Mme Catherine Génisson . - La part employeurs sera en principe compensée.
M. Georges Tissié . - En partie seulement. Et pas pour l'instant.
Mme Geneviève Roy . - Reculer l'âge d'ouverture des droits ne freine pas l'entrée des jeunes sur le marché du travail, car le remplacement n'est jamais automatique. Nombre de salariés en fin de carrière sont licenciés avant l'âge légal de départ à la retraite. A la représentation nationale de créer un climat favorable à l'emploi. Ne vous en déplaise, le montant cumulé des hausses de charges est élevé, notre taux de marge historiquement bas. Nous plaidons non pas pour une compensation mais pour une baisse des charges, afin que nos entreprises redeviennent compétitives par rapport à nos concurrents européens - Allemagne, Italie, Espagne - et puissent embaucher. Diminuer le coût du travail sert l'emploi. Nous ne demandons pas de cadeau : seules les entreprises privées peuvent créer des emplois !
Mme Annie David, présidente. - En Allemagne, 16 % de la population vit sous le seuil de pauvreté. En Espagne, le taux de chômage est considérable. Quelle société voulons-nous ? Les richesses créées doivent-elles profiter à tous ou bien seulement à quelques-uns tandis qu'une frange croissante de la population s'appauvrit ? Lorsque nous légiférons, nous devons aussi penser aux seniors au chômage qui partent en retraite avec les 500 euros de l'allocation équivalent retraite, aux jeunes qui enchaînent les CDD, aux femmes qui font le ménage à l'aube dans les grandes entreprises...
M. Pierre Burban . - Vous légiférez pour tous, c'est légitime. Mais attention à la faisabilité de ce que vous votez. Il ne faut pas décourager l'initiative. Collectivement, nous avons tout intérêt à créer de l'emploi. Dans le cas contraire, les gens préféreront rester auto-entrepreneurs plutôt que de prendre le risque d'embaucher. Favorisons plutôt la création d'entreprise et ne créons pas un droit virtuel qui se retournera collectivement contre nous.
M. Frédéric Agenet . - La compétitivité est une préoccupation constante des entreprises. Ne faisons pas de ce projet de loi un handicap de plus pour les entreprises françaises. Aucun de nos voisins ne possède de dispositif de prévention de la pénibilité de ce type. Soyons pragmatiques. Ainsi, pourquoi ne pas réintroduire un filtre médical, quitte à s'en dispenser par exemple pour les travaux en équipe de nuit ? Cela objectiverait le problème, éviterait les effets de masse et limiterait les contentieux.
M. Georges Tissié . - A défaut de réintroduire le filtre médical pour les trois facteurs organisationnels, faisons-le au moins pour les sept facteurs techniques.
Mme Geneviève Roy . - Les compensations horaires du travail de nuit ne pourraient-elles être inscrites dans le compte de pénibilité ?
La CGPME est attachée au régime par répartition. Comme vous, Madame la présidente, nous ne voulons surtout pas du modèle allemand. Mais en ne traitant pas le fond du problème, cette réforme met en cause notre régime et ouvre la porte à la capitalisation et à l'assurance privée. De même, nous sommes attachés à un Smic plancher ; aux branches et aux entreprises de décider ensuite de la politique salariale. Ne créez pas un monstre que les entreprises ne pourront mettre en oeuvre, et qui les conduirait à ne plus embaucher ou à recourir au travail dissimulé.
Mme Annie David, présidente . - Nous entendons votre plaidoyer pour plus de simplification. Le compte personnel de prévention de la pénibilité est un élément important de la réforme des retraites et il tient à coeur d'un grand nombre d'entre nous. Nous allons tenter de simplifier un peu ce texte, même s'il nous faut tenir compte de bien des facteurs. A mes yeux, une société compétitive est celle qui permet à chacun de vivre dignement.
Table ronde avec les partenaires sociaux (syndicats de salariés) : MM. Gérard RODRIGUEZ, conseiller confédéral en charge des retraites de la Confédération générale du travail (CGT), Pierre ROGER, délégué national du secteur protection sociale de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC), Jean-Louis MALYS, secrétaire national à la Confédération française démocratique du travail (CFDT), Philippe PIHET, secrétaire confédéral chargé du dossier retraites, de Force ouvrière (FO) et Patrick POIZAT, secrétaire confédéral en charge des retraites de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC)
Réunie le mercredi 9 octobre 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à une table ronde avec les organisations syndicales de salariés sur le projet de loi n° 1376 (AN XIV e ) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Mme Annie David, présidente . - Nous recevons MM. Gérard Rodriguez, conseiller confédéral en charge des retraites de la Confédération générale du travail (CGT) ; Jean-Louis Malys, secrétaire national de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) ; Philippe Pihet, secrétaire confédéral chargé du dossier retraites de Force ouvrière (FO) ; Patrick Poizat, secrétaire confédéral en charge des retraites de la Confédération française des travailleurs chrétiens (CFTC) ; Pierre Roger, délégué national du secteur protection sociale et Gilles Castre, juriste du secteur protection sociale, de la Confédération française de l'encadrement - Confédération générale des cadres (CFE-CGC).
Messieurs, nous aimerions recueillir votre avis sur l'ensemble de ce projet de loi.
M. Gérard Rodriguez, conseiller confédéral en charge des retraites de la CGT . - Notre appréciation globale sur le projet de loi n'a pas évolué au regard des débats engagés à l'Assemblée nationale. Ce projet s'inscrit dans la continuité des réformes précédentes. La mesure emblématique de cette réforme réside dans l'allongement de la durée de cotisation requise pour l'obtention de la retraite à taux plein.
Cet allongement nous posait déjà problème lors des réformes précédentes, et d'autant plus aujourd'hui lorsque nous considérons la situation de l'emploi. Par ailleurs, la durée d'activité sur une vie ayant tendance à baisser depuis déjà plusieurs décennies, on se demande comment, à l'âge d'ouverture des droits - si tant est qu'il demeure le même qu'aujourd'hui - les salariés, notamment les plus jeunes, obtiendront les durées de cotisation requises.
Compte tenu de la dégradation de l'emploi, on peut penser que les quarante-trois années nécessaires, à partir des générations 1973, ne seront pas atteintes, ce qui abaissera très sérieusement les niveaux des pensions. La conjugaison des deux facteurs pris en compte pour le calcul des pensions - la durée requise pour le taux plein et le coefficient de proratisation - entraînera des pensions beaucoup plus faibles à l'avenir, si les choses continuent à évoluer ainsi. C'est la raison de notre hostilité à ce projet.
Si l'allongement de la durée est conséquent, il n'a pour le moment pas encore produit tous ses effets. Les générations qui partent aujourd'hui à la retraite, notamment les hommes, ont des durées d'activité relativement longues. Elles le sont toutefois moins que celles de leurs ainés : il y a une vingtaine d'années, il était commun de rencontrer des salariés ayant quarante-trois, quarante-quatre, quarante-cinq ans d'activité. A l'époque, on leur demandait 150 trimestres.
Les générations actuelles, lorsqu'elles arriveront à la retraite, auront des durées de cotisation plus courtes du fait de la progression de la précarité et d'un facteur quant à lui plus positif, à savoir l'allongement de la formation initiale, et donc l'entrée plus tardive dans une activité professionnelle.
Nous pensons que si ce mouvement d'allongement de la durée de cotisation requise se poursuit, nous assisterons à un abaissement massif du niveau des retraites.
D'autres phénomènes viennent concourir à cette détérioration, parmi lesquels la dégradation salariale. Pour faire de bonnes retraites, il faut en effet de bons salaires. Vous connaissez position de la CGT sur ce point... On doit donc travailler à améliorer les droits, mais aussi les salaires. On le voit de manière évidente s'agissant des femmes, dont la situation salariale est extrêmement défavorable. Si l'on oeuvrait en faveur de l'égalité salariale, on améliorerait les retraites des femmes de manière conséquente, ainsi que la situation des comptes des régimes : mieux on est payé, plus on cotise !
C'est notre principal point d'opposition à cette réforme...
D'autres éléments sont, selon nous, contestables, comme le report de la revalorisation des pensions au 1er octobre. J'entends dire que cette mesure sera transparente et sans aucun effet sur les pensions des futurs retraités. C'est faux ! Selon nos calculs, un tel report représenterait un manque à gagner de neuf mois, soit, pour une prévision d'inflation de 1,75 % en 2016, 170 euros sur l'année pour une pension de 1 000 euros. Ceci peut engendrer des difficultés importantes chez des retraités dont la situation est précaire.
Quelques dispositions paraissent aller dans le bon sens, comme sur la pénibilité, mais en réalité, on reste loin du compte.
Les salariés concernés ne vivent d'ailleurs pas très bien ces annonces. Lorsqu'ils ont entendu que la pénibilité allait enfin être prise en compte, certains ont pu penser que cela allait leur permettre d'améliorer leur situation. Les plus âgés pensaient qu'ils allaient pouvoir partir plus tôt. Or, ceux qui vont pouvoir se constituer un compte pénibilité vont le faire pour une échéance à dix, vingt, ou trente ans. Ceux qui ont la cinquantaine, et qui commencent à voir leur santé se dégrader, ne pourront, dans le meilleur des cas, bénéficier d'un départ anticipé que d'un ou deux trimestres. C'est quasiment insultant !
Le fait que l'on ne soit plus dans un dispositif médicalisé est une très bonne chose, mais il faut des mesures conséquentes ! La CGT propose qu'un salarié exposé à une pénibilité durant plus de vingt ans puisse bénéficier d'une anticipation de cinq ans, sur la base de la retraite à soixante ans. Nous sommes toujours restés attachés à cet âge. Cela représente un départ à cinquante-cinq ans, voire moins dans certains métiers, comme les égoutiers, qui cumulent pénibilité et insalubrité, et qui ont des espérances de vie très courtes.
Certaines dispositions sont intéressantes dans leur philosophie, mais demandent à être sérieusement améliorées.
Nous déplorons de sérieuses insuffisances en matière de financement. Ce n'est pas l'augmentation des cotisations de 0,3 point pour les salariés qui va régler les problèmes, d'autant qu'elle pèse sur eux seuls ! Il a en effet été immédiatement annoncé que, s'agissant des employeurs, l'augmentation des cotisations seraient compensée par une baisse des cotisations d'allocations familiales. Pour les employeurs, il s'agit donc d'une opération blanche ! On nous parle de projet équilibré, d'un financement qui passe par l'effort de tous, mais ce n'est pas le cas !
Une augmentation des cotisations de 0,3 point est, de notre point de vue, totalement insuffisante. Il faudrait, selon la CGT, y associer bien d'autres mesures, comme la modulation des cotisations patronales et la mise à contribution des revenus financiers.
M. Philippe Pihet, secrétaire confédéral chargé du dossier retraites de FO . - Je ne serai guère original par rapport à mon camarade de la CGT, en particulier concernant l'allongement de la durée d'activité, à laquelle nous sommes totalement opposés.
Cela fait quarante ans cette année que, quelle que soit la couleur des gouvernements, cette durée d'activité a été allongée ; avant 1971, on était à 120 trimestres ; puis on est passé à 150, mais la pension du régime de base a alors été portée de 40 % à 50 % du plafond, ce qui constituait une compensation positive.
Depuis 1993, on ne fait qu'augmenter la durée d'activité. On était, à cette époque, à 37,5 ans. Si la loi est votée en l'état, on ira jusqu'à quarante-trois ans, ce qui, pour FO, est un signal totalement négatif vis à vis des générations déjà sur le marché du travail.
La génération 1974 étant rentrée sur le marché du travail à 23,5 ans en moyenne, l'âge de la retraite à taux plein sera donc plus près de soixante-sept ans que de soixante-deux ans. Il s'agit là d'une double peine et d'une hypocrisie majeure : si l'on conserve le taux de l'âge légal à soixante-deux ans, de moins en moins de salariés pourront réunir leur nombre de trimestres. Il aurait fallu entrer dans la vie active, pour la génération 1973, à dix-neuf ans en moyenne, ce qui est loin de refléter la réalité. J'ajoute que plus d'un salarié du privé sur deux qui demande aujourd'hui la liquidation de sa pension n'est plus sur le marché du travail. L'allongement de la durée de cotisation s'inscrit dans une construction intellectuelle à laquelle nous nous opposons. L'exécutif donne l'impression que les salariés peuvent être acteurs de leur retraite, et partir quand ils le décident. Or, la moitié ne sont acteurs de rien du tout : ils sont soit au chômage, soit en invalidité ou en incapacité, soit, pour les cas extrêmes, aux minima sociaux.
C'est ce qui motive notre opposition sur le fond. Quant à la forme, je rappelle que le Gouvernement, par la voix de Mme Marisol Touraine, en juillet 2012, avait annoncé une concertation renforcée. La ministre avait cru bon d'ajouter que la concertation n'était pas la négociation. Nous lui avions répondu que nous faisions fort bien la différence entre les deux et que, jusqu'à preuve du contraire, un syndicat ne négocie pas avec les pouvoirs publics. Il peut être consulté, ce qui a été le cas, sauf à propos de la mesure phare, objet d'une déclaration liminaire du Président de République, à l'occasion de la seconde conférence sociale, fin juin 2013, à l'issue de laquelle il a annoncé que l'allongement de la durée d'activité était déjà acté et n'était pas soumis à discussion.
Nous resterons extrêmement vigilants à propos du pilotage. Il est en effet question d'un conseil de surveillance, et l'on découvre qu'un décret va fixer un taux maximum de cotisation. On est là dans un changement fondamental de mécanisme. La répartition n'est pas touchée ; en revanche, on sort du système à prestations définies, le régime de base versant 50 % dans la limite du plafond, pour passer, si le législateur l'accepte, à un système à taux défini. Le conseil de surveillance devra faire des observations, qui seront suivies ou non par l'exécutif. Le conseil de surveillance n'étant pas instance élue, nous avons au moins obtenu que ce ne soit pas lui qui dicte les prochaines réformes, car nous sommes intimement convaincus que ce n'est pas la dernière. Sur ce sujet, le Gouvernement a toutefois été plus prudent que ses prédécesseurs...
Ce conseil de surveillance laisse la possibilité à l'exécutif et au législatif de prendre ses décisions et d'en rendre compte ensuite aux citoyens, ce qui nous semble un élément de base de la démocratie. Les compétences du conseil de surveillance ne se limitent pas aux régimes de base et portent aussi sur les régimes complémentaires. Je veux principalement parler de l'Association générale des institutions de retraite des cadres (Agirc) et de l'Association pour le régime de retraite complémentaire des salariés (Arrco). Cet empiétement de compétences nous inquiète, s'agissant d'un des derniers monuments du vrai paritarisme. En effet, la puissance publique n'intervient pas, ou éventuellement en second rideau, lorsqu'il s'agit d'étendre un accord signé majoritairement par les partenaires sociaux. Il nous semble qu'il s'agit d'une tentative de reprise en mains, à propos de laquelle nous faisons le lien avec les derniers articles du projet de loi relatifs à l'union des institutions et services de retraite. Nous additionnons les premiers et les derniers articles et obtenons une indication sur une réforme systémique, qui porte en elle, à terme, les bases d'un régime dit unique...
L'approche collective concernant la pénibilité nous convient, par opposition à l'approche médicalisée et individuelle de la réforme de 2010. Il faudra bien évidemment étudier les décrets. Nous ne faisons pas de procès d'intention mais nous resterons vigilants.
Je me permets de soulever ici la question de l'intitulé de l'article 6. Nous souhaiterions que le « compte personnel de prévention de la pénibilité » porte le titre de « compte personnel de pénibilité ». Les accidents du travail et les maladies professionnelles sont en effet uniquement financés par l'employeur. Il ne faudrait pas que l'on bascule les cotisations patronales, comme c'est la tendance actuellement, sur les cotisations salariales, sous quelque forme que ce soit. Nous y veillerons particulièrement...
Parmi les autres points intéressants, nous relevons l'abaissement du seuil de validation du trimestre dans le régime de base, de 200 à 150 fois le salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic). Cette mesure est particulièrement favorable pour les salariés à temps partiel, dont 80 % sont des femmes.
J'attire votre attention sur le fait qu'il ne faudrait pas que cela encourage des employeurs indélicats à recourir à la précarisation. En effet, avec douze heures par semaine, il est possible de valider quatre trimestres par an ; en revanche, le salaire annuel moyen qui servira au calcul de la pension ne sera pas très élevé.
La prise en compte de la totalité des trimestres pour la formation en alternance est également intéressante. Cela touche les apprentis, mais aussi les contrats de professionnalisation. Dans certains métiers, les apprentis ont un salaire si faible qu'ils ne peuvent valider la totalité de leurs trimestres. Avec un contrat de douze trimestres, la totalité de ceux-ci sera validée. Nous ignorons cependant comment cette mesure sera financée. Certaines formules du texte nous sont apparues assez curieuses, les termes : « l'Etat prend en charge » devant être remplacés par : « l'Etat est exonéré ». L'exécutif propose donc au législateur de continuer à creuser le déficit, ce qui paraît relativement peu raisonnable, pour employer des termes diplomatiques.
S'agissant du financement, la fiscalisation de majoration de 10 % des pensions pour avoir élevé trois enfants et plus nous semble sans lien avec les réformes des retraites. Le produit de cette mesure devrait abonder la Caisse nationale assurance vieillesse des travailleurs salariés (Cnavts), mais chacun ici sait que l'impôt n'est pas affecté, et que ce transfert pourra être remis en cause tous les ans. Il ne s'agit donc pas d'une ressource pérenne. C'est un sujet d'inquiétude.
Par ailleurs, - mais on est ici dans la communication gouvernementale les employeurs ont été rassurés par le fait que la réforme ne leur coûterait rien. Lavoisier disait : « rien ne se crée, tout se transforme ». Si cela ne coûte rien aux employeurs, il est probable que cela coûtera un peu plus aux salariés, à travers la contribution sociale généralisée (CSG) ou la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) !
Enfin, quel que soit le mode de calcul, la retraite par répartition ne peut avoir pour objet de gommer toutes les inégalités que rencontrent les salariés, particulièrement les femmes, au cours de leur vie active. C'est en réglant les problématiques au cours de la carrière temps partiel obligé, reprise difficile après avoir élevé des enfants, etc. que l'on traitera le sujet, et non en essayant de faire de la retraite une sorte de nirvana social !
M. Jean Louis Malys, secrétaire national de la CFDT . - Je remercie la commission des affaires sociales du Sénat pour son invitation.
Nous considérons globalement que la réforme a atteint un certain équilibre, mais il existe des améliorations importantes à y apporter.
L'ambition du syndicalisme, selon la CFDT, est d'améliorer concrètement la situation des salariés et des retraités. Nous dépassons ainsi les postures et les slogans rarement efficaces, et essayons d'obtenir des résultats. C'est pourquoi nous sommes pleinement engagés depuis longtemps dans la concertation qui, selon nous, a démarré à l'issue de la conférence sociale de 2012.
Au cours de celle-ci, nous avons pesé sur plusieurs aspects et en sommes fiers. Nous sommes tout d'abord intervenus à propos de mesures de justice prévues par ce texte qui, pour certaines, ont été demandées depuis longtemps et sont, d'après nous, significatives.
En second lieu, nous avons souhaité que les mesures de financement soient limitées, notamment concernant l'allongement de la durée de cotisation.
Je l'ai dit à d'autres occasions : si une réforme des retraites était indolore et incolore, cela fait longtemps qu'on le saurait ! Une telle réforme est forcément douloureuse, et réclame des efforts. Le problème est de savoir qui les fournit, la façon dont ils sont répartis et s'ils sont justes.
Nous considérons que le mode de pilotage doit sortir de la vision exclusivement financière des grands équilibres. Il faut porter un regard qualitatif, et savoir qui finance. De ce point de vue, la question des prestations définies est d'une grande hypocrisie. On parle de 50 % du salaire plafonné, alors que tout le monde sait que c'est 43 % et que certaines mesures, introduites depuis des années, ont déjà modifié ce niveau !
La dimension systémique des évolutions contenues dans ce projet de loi est réelle, même si nous pensons qu'elle ne va pas suffisamment loin pour rapprocher les régimes des assurés concernés. Un des grands problèmes de notre système de retraite réside aujourd'hui dans le nombre croissant de polypensionnés : plus de 40 % des salariés qui liquident leur retraite ont déjà cotisé à plusieurs régimes et ce phénomène va continuer à s'accroître. Or, il est anormal que des dispositifs de retraite pénalisent les mobilités. On ne peut effacer toutes les inégalités, mais il est scandaleux que le système aggrave la situation de certains salariés, en particulier les femmes !
En 2010, la CFDT a tenu un congrès, juste avant la réforme précédente. Nous avions à l'époque défendu trois axes...
Le premier concernait les conditions de l'harmonisation des régimes, qui passe par un examen en profondeur des carrières et des rémunérations dans les fonctions publiques intégration des primes, etc. Il est illusoire de parler d'unification des régimes si on n'aborde pas ces questions avec les agents concernés. C'est un peu la même chose en matière de pénibilité, le système actuel ne traite pas de tous les facteurs de pénibilité, ni du cas de tous les fonctionnaires.
Le deuxième axe concernait la durée de cotisation. La CFDT ne demande pas d'allongement, mais si des efforts sont à faire sur les carrières, nous pensons qu'agir sur la durée de cotisation est plus juste que de décaler l'âge de la retraite, puisque ce sont les salariés les plus modestes qui sont dans ce cas pénalisés, ceux qui ont commencé à travailler jeunes ou qui ont des carrières plates.
Si nous considérons la durée de cotisation comme le critère le plus juste, nous sommes en revanche opposés à toute accélération de l'allongement de la durée de cotisation. Cela signifie que la règle de 2003, qui estimait que deux tiers de la vie devait être consacrés au travail et un tiers à la retraite, doit être maintenue. Il nous paraît juste que les futures générations passent plus de temps à la retraite que leurs aînés. On peut espérer qu'ils passeront également plus de temps au travail !
Aujourd'hui, la fin des études est en moyenne comprise entre vingt et un et vingt-deux ans. Le premier emploi débute en moyenne à 22-23 ans. Deux phénomènes arrivent ensuite en même temps, et sont souvent confondus. Le premier concerne les contrats à durée indéterminée (CDI) : beaucoup de jeunes traversent en effet des périodes de précarité avant de trouver un premier emploi stable, et il faut le combattre. Le second phénomène n'a rien à voir avec le premier ; il s'agit des jeunes qui poursuivent des études longues grandes écoles, etc. jusqu'à 28-29 ans. Or, on parle des jeunes, comme si tous les parcours étaient identiques. Selon nous, un système de retraite intelligent et juste doit tenir compte de cette diversité !
Le troisième axe est relatif au financement de la protection sociale. Nous considérons qu'il faut être cohérent par rapport aux risques couverts. Nous sommes donc favorables au fait que les droits qui portent principalement sur une logique contributive et assurantielle soient basés sur une cotisation sur le travail. D'autres droits, dits universels, comme la famille, la maladie et la perte d'autonomie, nécessitent un financement plus large. Nous estimons qu'il convient que tous les revenus, dont ceux du capital et du patrimoine, financent ces aspects.
C'est pourquoi nous sommes opposés à une augmentation de la CSG en vue de financer l'assurance vieillesse, même si le système de retraite comporte des éléments de solidarité.
Nous revendiquons le fait d'avoir réclamé depuis de nombreuses années un certain nombre de mesures de justice qui ont été prises. La première a trait à la question du compte de prévention de la pénibilité. Nous insistons sur la dimension de prévention que comporte ce compte, ne serait-ce que grâce aux six premiers mois consacrés à la formation. Il faut éviter que les salariés ne soient prisonniers de la pénibilité, ou qu'un dispositif ne les contraignent ou ne les incitent à y demeurer. On doit à la fois reconnaître les périodes de pénibilité, en réduisant la carrière de ces salariés, mais également mettre en place des dispositifs permettant aux salariés d'en sortir.
La CFDT se bat depuis 2003 pour qu'un dispositif prenne en compte cette situation. C'est une conquête sociale majeure. Nous pensons que ce système, lorsqu'il connaîtra son rythme de croisière, sera très proche de ce que nous espérions.
La question de la transition pour les salariés les plus âgés particulièrement exposés pose cependant un problème sur lequel je reviendrai...
La validation des périodes d'apprentissage constitue une demande fort ancienne de la CFDT et de plusieurs organisations de jeunesse. Le fait que les temps d'apprentissage et d'alternance soient pris en compte constitue pour nous une avancée sociale majeure...
La réduction de 200 à 150 Smic horaires du seuil de validation d'un trimestre, même si elle est techniquement compliquée à expliquer, est une mesure de justice, qui va en direction des salariés précaires ou à temps partiel. Cette mesure bénéficiera principalement aux jeunes et aux femmes, catégories aujourd'hui les plus touchées par le temps partiel et les emplois précaires.
L'accord national interprofessionnel que nous avons signé en début d'année, et qui a été transposé dans la loi, comportait des mesures destinées à augmenter le minimum d'heures de temps partiel. Nous pensons que tout ceci est assez cohérent.
Les carrières longues sont globalement maintenues et améliorées, alors que la loi de 2010 sonnait leur extinction. La CFDT a également été à l'origine du dispositif pour carrières longues, ce qui est une excellente chose !
Enfin, une amélioration du minimum contributif a été mise en place pour les retraités les plus modestes. Nous nous en félicitons. Les droits des personnes handicapées et de leurs aidants sont également renforcés.
Nous considérons toutefois que le financement de la réforme des retraites est déséquilibré depuis la présentation du projet de loi de financement de la sécurité sociale. La CFDT était opposée à une augmentation de la CSG, qui doit être réservée aux risques universels famille, maladie, perte d'autonomie.
Cependant, le Gouvernement a fait le choix d'une hausse de cotisations salariales et patronales qui aurait pu être équilibrée, sans la compensation intégrale de l'effort des employeurs annoncée récemment. Cette compensation se traduira par une baisse de la cotisation famille, elle-même compensée par le budget de l'Etat qui repose principalement sur des prélèvements sur les ménages. Ce transfert a été décidé alors même que les travaux du Haut conseil du financement de la protection sociale ne sont pas terminés. Ils avaient pourtant été annoncés par le Premier Ministre.
Nous considérons qu'il s'agit là d'une politique de gribouille. Tout ceci manque de clarté et de visibilité.
Nous souhaitons des améliorations significatives lors du débat parlementaire, notamment sur les basses pensions, la pénibilité, la prise en compte des périodes de stages et les droits familiaux de retraite. Nous continuons à affirmer la nécessité d'une réforme systémique de nos systèmes de retraite.
La CFDT considère par ailleurs qu'il est d'autant plus important de préserver les retraités modestes que les retraites de base constituent une part majeure de leur pension.
Le projet de loi prévoit un recul de six mois de la revalorisation des pensions au 1er octobre, sauf pour les bénéficiaires du minimum vieillesse. Cette mesure ne protège qu'un tiers des retraités qui vivent sous le seuil de pauvreté. Nous considérons que tous ceux-ci devraient être exonérés de cet effort. Nous demandons que les bénéficiaires de l'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) soient protégés, ainsi que tous ceux qui bénéficient du minimum contributif ou du minimum garanti dans les fonctions publiques.
Nous demandons également la prise en compte effective de la situation des salariés en fin de carrière toujours exposés à la pénibilité, ainsi que diverses améliorations du compte pénibilité. Le compte pénibilité sera ouvert à partir du 1 er janvier 2015 à tous les salariés du privé exposés à un ou plusieurs facteurs de risque. Il leur permettra d'acquérir des droits nouveaux, pour se former en vue d'une reconversion, ou partir à la retraite plus tôt. Le projet de loi prévoit la possibilité d'un dispositif transitoire pour certains salariés en fin de carrière, âgés d'au moins cinquante-deux ans au 1 er janvier 2015. Le texte renvoie à des décrets pour définir l'acquisition des droits pour les personnes concernées. Le barème prévu par le Gouvernement est très restrictif et laisserait de nombreux salariés exposés dans le passé sans compensation.
La CFDT demande le maintien d'un dispositif transitoire à partir de cinquante-deux ans, et surtout l'amélioration du barème d'acquisition des droits dans le dispositif transitoire jusqu'à quatre trimestres pour les salariés nés en 1954. Les droits doivent être d'autant plus importants que l'exposition à la pénibilité a été longue et que les salariés concernés sont âgés.
Les autres demandes d'amélioration du compte pénibilité concernent les salariés non titulaires de la fonction publique, qui ne bénéficient ni du service actif, ni du compte de prévention de la pénibilité.
Enfin, nous pensons que ceux qui bénéficieront du compte pénibilité devraient pouvoir disposer d'une pension à taux plein, avec une durée de carrière minimum de trente ans, afin d'éviter les effets d'aubaine, se rapprochant ainsi du dispositif pour carrières longues.
Nous pensons également qu'il faut élargir le compte pénibilité pour compenser tout ou partie des éventuels différentiels de rémunération des salariés qui quittent l'activité concernée.
S'agissant des stages rémunérés, la gratification minimale de 436 euros par mois fait l'objet d'une exonération de cotisations sociales. Les jeunes qui effectuent ces stages ne bénéficient donc d'aucun trimestre pour la retraite, contrairement à ceux dont les stages sont rémunérés de plus de 1 000 euros, qui sont souvent les étudiants des filières les plus nobles. C'est un paradoxe qu'il faudrait réexaminer.
L'amendement du Gouvernement introduit à l'Assemblée nationale permet de constituer des droits, avec un rachat de 300 euros par trimestre, dans la limite de deux trimestres rachetés. C'est un premier pas intéressant, mais il nous semble qu'il faut aller plus loin, en particulier pour ceux qui enchaînent stage sur stage avant de signer un contrat de travail.
Pour permettre aux stagiaires rémunérés de valider au moins un trimestre pour quatre mois de cotisation, nous demandons la suppression de l'exonération de cotisation vieillesse jusqu'à la gratification minimale. Il faut également prévoir des modalités spécifiques pour les stages à l'étranger, de plus en plus nombreux chez les jeunes.
Enfin, nous souhaitons l'inscription dans la loi d'une date de lancement de la refonte des droits familiaux de retraite, avant 2020. On parle beaucoup des retraites des femmes. La question de la redistribution des droits familiaux est centrale. Actuellement, le système profite principalement aux hommes et aux familles aisées. Il faut le redéployer. Le Premier ministre, dans son intervention, a repris cette idée. Elle l'est également dans l'exposé des motifs du projet de loi, mais elle n'est pas inscrite dans le projet de loi et ne comporte aucune date. Il faut enclencher cette mesure avant 2020, et que la loi le précise.
Enfin, c'est le Sénat qui avait, en 2010, introduit l'idée d'un rendez-vous pour engager cette année une réflexion sur la réforme systémique. La loi, en creux, a été respectée. Tous les syndicats, même ceux qui ne partagent pas cette idée, abordent le sujet. Nous pensons que ce point mérite d'être travaillé. Dans quelques années, il sera insupportable qu'il existe des régimes aussi différents et aussi peu lisibles pour les citoyens et les salariés. Cela doit se faire dans le cadre d'une vraie concertation, en prenant en compte l'intérêt de tous, sans stigmatiser personne. Nous souhaitons donc que cette réflexion soit actée dans la loi.
Seule la question du financement de la protection sociale, qui nous paraît essentielle, semble ne pas avoir été assez approfondie. Il faut clarifier les choses. En cas de compensation des cotisations retraite des employeurs, nous souhaitons que les salariés soient également protégés !
M. Patrick Poizat, secrétaire confédéral en charge des retraites de la CFTC . - En premier lieu, je tiens à dire que nous avons apprécié la démarche de concertation...
Les organisations syndicales sont parfois critiques, il faut le dire, à propos d'un certain nombre de points. Nous voulons nous inscrire dans une logique de construction sociale, et cette démarche, qui a consisté à passer par différentes étapes de dialogue, d'échanges entre partenaires sociaux et décideurs, a été particulièrement intéressante pour nous. Elle a été l'occasion de faire avancer un certain nombre d'idées. Le recours au Conseil d'orientation des retraites (COR) et à des structures créées pour l'occasion a également été un complément intéressant pour le dialogue.
La CFTC était également persuadée de la nécessité de cette nouvelle réforme, même si la précédente remontait à trois ans, et ce pour différentes raisons...
Nous avions dit, en 2010, qu'il nous semblait que la réforme proposée n'était pas complètement financée. Entre temps, d'autres éléments liés aux crises successives ont péjoré les espérances. Il nous paraissait donc assez évident qu'il était nécessaire de mettre en place une réforme complémentaire, qui vise à la fois le court et le long terme.
Il faut toujours garder à l'esprit que l'emploi est finalement le point d'équilibre des retraites et du financement des régimes sociaux. Ceci doit s'inscrire dans une priorité pour les différents acteurs qui interviennent sur le financement de ces régimes.
Nous sommes particulièrement satisfaits de la réaffirmation de la répartition comme choix d'organisation de la retraite. Nous sommes sensibles à la logique contributive que l'on constate dans nos régimes, et que nous souhaitons voir conforter.
Je voudrais d'abord insister sur le problème de l'inégalité entre les femmes et les hommes, qui correspond, bien sûr, au reflet des carrières, les différences constatées portant également sur les choix de vie, voulus ou souvent subis, avec des parcours peu valorisés et pénalisés par les arrêts et les différents problèmes que l'on peut rencontrer au cours de la vie.
Il est pour nous nécessaire de prendre des mesures allant jusqu'à pénaliser les entreprises qui ne reprennent pas les prescriptions de la loi, ou ne respectent pas les demandes destinées à évaluer les inégalités salariales et les corriger. Nous estimons que les entreprises qui ne sont pas dans cette logique doivent être rappelées à l'ordre.
La pénibilité figure parmi les mesures qui nous intéressent particulièrement, avec le volet prévention. Il nous semble anormal de se satisfaire d'un dispositif où les salariés travaillant en situation pénible seraient simplement pris en compte au moment de la retraite. La démarche qui consiste à considérer la situation des salariés, à leur proposer de la formation pour changer de poste ou, s'ils le souhaitent, pour changer d'emploi, est une bonne démarche.
Nous estimons que la compensation d'un passage à temps partiel est également une démarche intéressante.
En matière de pénibilité, il fallait entrer dans une démarche collective. Nous sommes satisfaits sur ce point. La démarche médicalisée précédente subsiste, sauf mesure de suppression que je n'ai pas vu apparaître dans le texte. C'est un point qui a finalement concerné peu de salariés. Je crois qu'il faut en tirer enseignement, mais la laisser cependant subsister, ceci répondant à un besoin complémentaire.
Pour ce qui est de la question des apprentis, les stages constituent une mesure intéressante. Elle permet d'envoyer un signe positif à ces salariés, en les intégrant dans la communauté du travail.
Nous éprouvons une certaine frustration concernant les cotisations. Mettre en place un Haut conseil du financement, lui confier une mission et prendre des mesures, sans attendre la fin des travaux, fait quelque peu désordre. C'est un regret que nous exprimons : il y a certainement une envie de concrétiser des décisions mais, à partir du moment où l'on s'est donné la chance du dialogue, il faut aller au bout chaque fois que c'est possible.
Grâce à un travail de réflexion interne, la CFTC a mis en évidence la nécessité que les contributions des salariés, des retraités et des entreprises soient à un niveau équitable, et qu'elles soient équilibrées. Elles ne sont bien sûr pas de même forme, mais c'est un point important selon nous.
Nous avons également relevé des mesures de court et de long terme. Il faut faire savoir que les mesures de court terme relèvent de cotisations, mais qu'il n'y a pas de changements fondamentaux quant aux conditions de retraite des salariés dans les années qui viennent. Ceci est important, car la retraite se prépare, s'espère pour certains, et il convient de passer un message de pérennisation des mesures.
Enfin, les deux réformes précédentes ont contribué à la lisibilité de sujets qui ne sont pas très faciles à appréhender. La législation sur l'information des actifs a été une bonne mesure. Il faut la compléter, consolider ce qui a été fait à cette occasion. Lorsqu'on s'intéresse aux organismes de retraite, ou qu'on est amené à participer à leur gestion, on prend conscience de la quantité de demandes qui sont exprimées régulièrement, et on a besoin d'aller plus loin. Il faut un certain temps pour mettre en oeuvre les mesures envisagées. Cela représente un coût, mais il est nécessaire.
M. Pierre Roger, délégué national du secteur protection sociale de la CFE CGC . - Nous considérons que la réforme des retraites était effectivement nécessaire. La protection sociale est un secteur éminemment structurant pour la société française. Dès lors que l'on touche à cet élément, on envoie des signaux à la population sur de nouveaux repères, dans une société qui en perd beaucoup.
Il s'agit de la quatrième réforme ; imprudemment, certains gouvernements ont assuré qu'il s'agirait de la dernière. Or, on sait aujourd'hui que ce ne sera pas le cas, et ceci provoque dans la population un sentiment d'inquiétude et de méfiance vis à vis de ceux qui ont en charge le traitement de ces dossiers, rendant plus difficile l'acceptation d'une telle réforme.
Pour qu'une réforme soit acceptée, il faut qu'elle génère un sentiment de justice et d'équité, même si on a toujours tendance à penser que c'est à l'autre d'accomplir les efforts. Un des premiers reproches que l'on peut adresser à cette réforme est qu'elle n'est pas juste, toutes les catégories n'étant pas touchées de la même manière. Si on peut constater quelques avancées, elle ne va cependant pas au fond des choses.
Si ce projet de loi est accepté en l'état, l'équilibre du régime est prévu pour 2017, avec un taux de chômage de 7 %. Or, celui-ci dépasse aujourd'hui les 10 % ! On peut donc être méfiant...
Un jeune de trente ans a, en moyenne, huit à dix trimestres de cotisations de moins aujourd'hui qu'il y a dix ans. Certaines avancées ont été réalisées, notamment en matière de stage et d'apprentissage, mais cela ne touche pas toutes les catégories socioprofessionnelles.
On sait que la performance des entreprises et la compétitivité de notre pays passent désormais par des jeunes formés, encadrés. Avec un taux de cotisations de quarante-trois ans, beaucoup de jeunes qui constitueront demain les cadres de nos futures entreprises n'auront pas les annuités nécessaires pour prendre leur retraite. Cette réforme ne le dit pas, mais elle entérine une baisse des pensions à terme. Beaucoup de salariés qui partent aujourd'hui à la retraite ont connu les Trente Glorieuses et ont des carrières relativement complètes. On compte parmi elles relativement peu de décotes. Dans le futur, on est certain qu'il n'y aura plus de surcotes, et on peut craindre des baisses de pension importantes, toutes catégories sociales confondues.
Le Gouvernement avait envisagé la possibilité d'un rachat d'un certain nombre de trimestres sur cinq à dix ans, cette durée correspondant aux périodes d'études. Nous souhaitons que cette capacité soit portée à huit trimestres sur quinze ans, au prix du SMIC, soit 1 000 euros environ, ce rachat étant dans les conditions actuelles matériellement impossible pour un jeune. La mesure est donc marginale, et n'atteint pas sa cible : la population qui aura fait des études est donc lésée.
Injuste, ce projet l'est également pour les seniors. Parmi eux, un certain nombre souhaite continuer à travailler pour obtenir une surcote. A l'inverse, les entreprises se séparent plus tôt des seniors. Passé cinquante ans, le parcours professionnel devient aujourd'hui extrêmement compliqué. On est vite mis sur la touche, et incité au départ. Nombre de ruptures conventionnelles se font avec la complicité des seniors, qui ont souvent la chance d'avoir tous leurs trimestres, sans pour autant donner lieu à l'embauche de jeunes. Le problème ne peut que s'accélérer, car on imagine mal les entreprises proposer des parcours professionnels, des mobilités et des formations à des salariés ayant dépassé soixante ans à moins d'un véritable changement de culture.
On se dirige vers une baisse du niveau de vie des retraités, même si les plus basses pensions sont pondérées. Globalement, les retraités de la classe moyenne vont subir une profonde attaque. Rappelons que les retraités acquittent un supplément de cotisation de 0,3 % au titre de la dépendance depuis le 1 er avril dernier. Pour ce qui est des retraites complémentaires, une désindexation des pensions a été entérinée pour trois ans. On reporte en outre la revalorisation des retraites de base d'avril à octobre.
On connaît le poids des retraités dans la consommation et l'économie française, ainsi que leur rôle d'aide à la famille quand ils n'ont pas eux-mêmes des ascendants à charge. On prend là le risque de paupériser une population qui constitue un socle important de notre société.
La pénibilité est, par ailleurs, un sujet et important. Nous regrettons que son champ n'ait pas été étendu aux risques psychosociaux. Plus personne ne peut nier qu'un certain nombre de facteurs sont liés à la pénibilité : travail de nuit, travaux physiques, etc. On entend régulièrement parler de burn out, et le suicide n'est plus un sujet tabou. Malheureusement, ce critère n'a pas été pris en compte, malgré le fait qu'il concerne beaucoup de monde, toutes catégories sociales confondues.
Selon le texte, c'est l'employeur qui définit le niveau de pénibilité de chaque poste. Il me semble que ceci devrait plutôt être réalisé en commun avec des organismes comme les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT). C'est un domaine où la concertation est nécessaire, afin qu'un seul acteur ne soit pas tenté de définir des critères minimums.
On n'a pas évoqué le problème, quelque peu pervers, du cumul emploi retraite. Les pensions de réversion sont aujourd'hui conditionnées par les plafonds de ressources et concernent surtout les femmes. Les textes prévoient l'impossibilité du cumul. Nous demandons un déplafonnement des réversions, afin d'éviter toutes difficultés en ce domaine.
Quant au financement, celui-ci ne correspond pas aux ambitions que devrait afficher un texte de cette nature. Mes collègues l'ont déjà évoqué : contrairement aux salariés, les entreprises sont exonérées de tout effort, au titre de la compétitivité. Même si on peut le comprendre, la compensation va nécessairement devoir être réalisée via l'impôt ou au travers de cotisations salariées supplémentaires.
On ne peut espérer relancer ainsi l'économie et le pouvoir d'achat. On ne traite aujourd'hui que des conséquences d'une situation économique. La véritable solution consiste à fournir du travail à un plus grand nombre de salariés, qui pourront ainsi davantage cotiser. C'est la raison pour laquelle nous avions proposé une cotisation sociale sur la consommation. Nous sommes en effet persuadés qu'on ne peut plus raisonner sur des taxations ou des cotisations basées uniquement sur le salaire. La mondialisation oblige nos entreprises à être compétitives. Nous souhaiterions que cette cotisation fasse l'objet d'une réforme ambitieuse ; elle permet d'augmenter les cotisations vieillesse, d'abaisser les cotisations des entreprises et des salariés, et faire en sorte que les importations supportent une partie des charges imputables aux salariés et aux entreprises.
Mme Annie David, présidente . - Notre rapporteure a des questions à vous poser.
Mme Christiane Demontès, rapporteure . - Il existe aujourd'hui un système d'exposition au risque qui comporte dix facteurs, mis au point par les partenaires sociaux. Or, de nouveaux risques ont émergé, comme les risques psychosociaux. On sait qu'on ne peut les prendre en compte immédiatement, mais comment les mesurer ? Quelle est la place des CHSCT à propos de cette question ?
On a par ailleurs peu parlé du pilotage et de l'information. Le groupement d'intérêt public (GIP) info retraite a permis la mise en place d'un système d'information accessible à tous les futurs retraités. A partir de trente-cinq ans, les salariés peuvent recevoir une information sur ce que sera leur retraite, toutes choses égales par ailleurs.
Le dispositif prévu dans la loi crée un nouveau groupement d'intérêt public, le GIP union des institutions et services de retraite. Comment voyez-vous cette évolution ? Pensez-vous qu'elle soit nécessaire ? Quel est enfin votre avis à propos de la mise en place du conseil de surveillance des retraites ?
M. Gérard Rodriguez . - Les risques psychosociaux s'invitent souvent dans les discussions ; cette question est légitime.
Nous ne nions pas le fait que la pénibilité revête plusieurs aspects. On parle pour le moment de la pénibilité qui a une incidence sur l'espérance de vie tout court, ou sur l'espérance de vie en bonne santé. Des critères ont été identifiés et l'on sait que, dans un certain nombre de situations, les conséquences peuvent être lourdes sur l'espérance de vie.
Le sujet des risques psychosociaux n'a toutefois pas été suffisamment mûri pour que l'on puisse affirmer qu'il existe un impact avéré sur l'espérance de vie, et que ce phénomène doit être pris en compte en matière de retraite et de réparation.
Les dispositions associées à la pénibilité, permettant de valider un certain nombre de trimestres, n'ouvrent pas droit en tant que telles à un départ anticipé, sauf si elles permettent à l'intéressé de devenir éligible au dispositif sur les carrières longues qui offre la possibilité d'un départ à soixante ans.
On a dit que les salariés qui commençaient à travailler jeunes étaient les plus exposés en matière de pénibilité. Ce n'est pas faux, mais ce n'est pas vrai pour tout le monde ! Certains salariés de l'industrie ou de la santé, dans le secteur public ou privé, ont des niveaux de qualification élevés et sont exposés à la pénibilité, par exemple en cas de travail de nuit. Les dispositions qui sont proposées aujourd'hui ne donneront aucun droit de plus. Les trimestres supplémentaires serviront éventuellement à abonder la pension au moment du départ à la retraite, mais ne permettront en aucun cas des départs anticipés. Nous avons proposé des départs anticipés dès cinquante-cinq ans, mais il n'existe pas de mesures de ce type.
En ce qui concerne l'information, nous pensons que tout ce qui peut permettre une meilleure information des assurés sociaux va dans le bon sens. Encore faut-il étudier comment cela fonctionne.
Nous sommes cependant hostiles au comité de surveillance. En effet, le rôle confié à ce comité, composé de « sages », laisse supposer que les retraites sont une question plus technique que politique. On se focalise sur les équilibres financiers et, plutôt que de laisser cette question aux élus, on s'en remet à des sages pour élaborer les bonnes recommandations. Nous ne sommes pas d'accord ! Nous croyons que la question des retraites est une question éminemment politique - et on en a une fois de plus la preuve avec la nouvelle réforme qui s'annonce. Pour la CGT, c'est dans le cadre d'un rapport de force qu'elle doit être abordée.
La partie patronale, qui fait valoir ses exigences, est visiblement entendue, contrairement aux salariés -et je le déplore ! S'en remettre à des sages ne permettra certainement pas de régler le problème. Les Etats qui ont choisi cette philosophie n'ont rien résolu du tout ! On nous dit que, dans certains pays, l'âge de la retraite est bien plus tardif qu'en France, et qu'on devrait s'en inspirer. En Allemagne, en 2010, seuls 17 % des salariés arrivés à l'âge légal de la retraite avaient un emploi ! Tous les autres étaient dans un dispositif d'invalidité ou de maladie.
Nier cet état de fait pourrait avoir des conséquences négatives. Il faut donc que l'on entende les salariés et les retraités beaucoup plus qu'on ne l'a fait, la réforme qui nous est présentée répondant davantage aux exigences des employeurs qu'à celles des autres catégories.
M. Philippe Pihet . - Les risques psychosociaux ne sont en effet pas pris en compte, mais cela fait huit ans que l'on a commencé la négociation avec le patronat. Après avoir mis trois ans à s'entendre sur dix critères physiques, ceux-ci sont maintenant actés.
Le ministre du travail a évoqué la possibilité de renvoyer l'application pratique de cette mesure à la négociation de branche. Il ne s'agit pas de repartir au point où nous en étions en 2005, mais il convient, selon nous, que la loi en fixe le cadre, la négociation de branche permettant de connaître les métiers concernés par la pénibilité, avant de se préoccuper des risques psychosociaux.
S'agissant de l'information, le travail du GIP info retraite est intéressant. Que cette instance soit absorbée par l'union des institutions et services de retraite nous paraît assez discutable, le futur GIP devant se voir attribuer une convention d'objectifs et de gestion, qui annonce sa prochaine étatisation. Aujourd'hui, ce sont la Cnavts, l'Agirc et l'Arrco qui en constituent les trois principaux décideurs, ce qui ne paraît pas choquant. Nous éprouvons donc une très forte réticence à voir l'actuel GIP disparaître. Il peut certes s'améliorer, mais si on en fabrique un nouveau, on s'engage dans une dérive étatiste qui ne nous convient pas !
Nous nous sommes déclarés, lors de la concertation, favorables à ce que les différents régimes mettent en commun leur savoir-faire pour offrir aux cotisants et aux pensionnés un portail d'entrée abondé par chaque régime. Cela ne représente pas pour autant la première pierre d'un guichet unique !
Quant au pilotage, Jean Claude Mailly a indiqué au Premier ministre que nous ne siégerions pas au comité de surveillance. Ce dernier ressemble au fameux comité de pilotage des régimes de retraite (Copilor) ! Il a certes subi une cure d'amaigrissement en passant de quarante-neuf à cinq représentants, mais il conserve le même objet.
En revanche, nous trouvons bon que ce comité n'émette qu'un avis. Le politique reste décisionnaire ! La problématique des retraites réside dans la répartition des richesses à l'intérieur du pays, qui intéresse les salariés, et aussi les employeurs, mais doit rester dans la main du politique, qui est là pour défendre l'intérêt général. Il en va de la survie de la démocratie ! Ne faire appel qu'aux techniciens et aux enjeux comptables nous paraît dangereux.
M. Jean Louis Malys . - S'agissant du stress et des risques psychosociaux, nous considérons qu'il faut en rester aux dix critères qui ont été définis, les données scientifiques ne permettant pas d'évaluer réellement leur impact sur l'espérance de vie. Il existe d'autre part des indications contradictoires. Ainsi, les enseignants sont parmi ceux qui ont un des métiers les plus stressants. Pourtant, les instituteurs ont l'espérance de vie en bonne santé la plus longue !
En second lieu, le stress constitue, dans la plupart des cas, une situation anormale. Reconnaître le stress comme une méthode de gestion qui donne lieu à compensation reviendrait à le considérer normal. Le stress existe, dans le travail comme ailleurs, mais nous pensons qu'on peut l'éviter, à la différence du travail de nuit, par exemple, qui existera encore durant très longtemps.
Par ailleurs, nous sommes extrêmement réservés quant à la renégociation avec les branches professionnelles. En 2008, les négociations avec le Mouvement des entreprises de France (Medef) et les organisations patronales n'avaient pas permis d'aboutir à un accord. Les remettre dans le jeu aujourd'hui nous paraîtrait extrêmement dangereux, le Medef n'ayant guère été entendu en matière de pénibilité.
S'agissant du pilotage, nous pensons qu'il faut sortir de ces rendez-vous qui ont lieu tous les trois à quatre ans, qui sont destinés à réaliser de grandes réformes, et qui plombent la confiance de toutes les générations. Le pilotage doit se faire annuellement, au rythme des évolutions quantitatives et qualitatives. Une sorte de suivi longitudinal nous semble donc nécessaire. Il nous paraît intéressant que le COR dresse un diagnostic. Qu'il existe des avis et des préconisations ne nous dérange pas, pourvu que la décision reste politique, bien entendu après concertation avec les organisations syndicales.
L'incapacité à repérer les basses pensions nous paraît hallucinante. Personne n'est capable de dire ce que les gens touchent réellement. Comment agir sur les inégalités sans données centralisées ?
M. Patrick Poizat . - En matière de pilotage, une évaluation régulière nous paraît nécessaire. Tout pilotage amène par ailleurs une décision politique. C'est là le sens des choses.
Concernant l'information, il nous semble que le dispositif doit respecter les régimes et leur identité. L'exemple des réalisations de la Cnavts, de l'Agirc et de l'Arrco, en 2005, a été assez remarquable, démontrant la capacité des diverses structures à mobiliser les efforts. Cela a fonctionné de manière relativement harmonieuse. Essayons donc de réunir des entités qui se complètent, mais ne les fusionnons pas trop brutalement. Certaines sont gérées par les partenaires sociaux ; d'autres sont proches du régime de base. Elles se complètent bien.
M. Pierre Roger . - Les études ont démontré que le stress avait une incidence sur les maladies cardiovasculaires, le diabète, l'hypertension. Nous souhaitons que ceci soit reconnu comme maladie professionnelle, ce qui obligera l'ensemble des partenaires à négocier sur les conditions de travail dans l'entreprise, au sens large.
Aujourd'hui, le financement du compte pénibilité est du ressort des entreprises, mais n'est pas davantage défini. Il faudra être vigilant à propos de cet aspect des choses. Ce genre de mesure aura également une incidence sur les retraites complémentaires, dans un système aujourd'hui très fragile.
Je regrette par ailleurs le procès que l'on intente au GIP info retraite. C'est un outil qui a fait ses preuves. Il faut du temps pour que les salariés concernés se l'approprient. Il commence à faire partie du paysage pour les futurs retraités Les habitudes, dans ce domaine, sont toujours très longues à acquérir. Or, on veut changer le système au moment où celui-ci commence à porter ses fruits ! Rien ne justifie de changer ce qui existe. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas l'améliorer, notamment en étant plus précis à propos du taux de remplacement, etc. ... Je ne suis pas certain que repartir à zéro améliorera l'information des salariés.
Concernant le pilotage, je rejoins l'avis général. On est toujours preneur d'avis techniques dans un domaine aussi complexe que celui des retraites, tant que ceux-ci restent des avis techniques et que la décision revient aux politiques.
Nous ne sommes toutefois pas favorables à un pilotage automatique. Un examen très pointu des évolutions doit avoir lieu. On sait que des avis tranchés sur le long terme sont certainement la meilleure façon de se tromper. Les évolutions à venir méritent un regard adapté à la situation. Tout ce qui est automatique me semble dangereux dans ce domaine.
Mme Annie David, présidente . - La parole est aux commissaires...
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - Toutes ces analyses constituent une bonne contribution au travail que nous devons réaliser.
Je voudrais revenir sur ce projet censé garantir l'avenir et la justice du système de retraite...
Plusieurs d'entre vous, notamment M. Roger, ont estimé que les bases de calcul paraissent improbables. Je ne vous ai pas trop entendu le dire, mais je crois que c'est capital ! Le COR a estimé qu'il manquait 20,7 milliards d'euros à l'horizon 2020. Or, il n'est question, dans ce projet de réforme, que des 7 milliards qui concernent le régime général. Il en manque beaucoup ! On ne parle absolument pas du financement des régimes spéciaux. On sait pourtant qu'il faut trouver 8 milliards jusqu'en 2020 pour les financer, et personne ne l'évoque sauf, timidement, la CFDT ! J'aimerais vous entendre sur ce point important...
Certains se préoccupent des régimes complémentaires, parce que vous en avez la gestion et qu'il existe un impact évident des mesures qui sont prises dans le régime général sur celles-ci, à qui il manque environ 5 milliards !
Il me semble donc nécessaire que nous puissions vous entendre sur le financement.
S'agissant de la pénibilité, j'avais regretté, lors de la précédente réforme, que les amendements déposés par notre groupe au Sénat n'aient pu être discutés, du fait du raccourcissement du débat. Je suis donc heureux qu'on puisse le faire aujourd'hui, même si le système n'est pas parfait. Il y aura forcément des ajustements à réaliser ! Nous avons entendu des spécialistes, ainsi que les représentants patronaux sur ce point...
Ce système vous paraît-il adapté pour les très petites entreprises (TPE) et les petites et moyennes entreprises (PME), notamment avec une reconstitution des carrières qui aille dans le sens de la concertation que vous préconisez, en l'établissant sur des bases gérables dans le temps ? Ne faut-il pas distinguer ce qui est à la portée des directions des ressources humaines des grandes entreprises ou d'entreprises moyennes de bonne taille, et la situation des toutes petites entreprises ?
Nous trouvons également très bénéfique le système de comptabilisation de trimestres d'apprentissage des formations en alternance. J'ai bien noté ce que disait M. Roger à propos de la possibilité de rachat d'années d'études, que l'on peut combiner avec le rachat d'années de stage de longue durée, comme on peut par exemple l'expérimenter dans toutes les grandes écoles d'ingénieurs.
Quant à l'unification des régimes, mis à part la CFDT, dont le programme contient la mesure, on a peu parlé de la convergence des systèmes et la refonte totale en un système unique. 73 % des Français y sont favorables, alors que 62 % ne croient plus beaucoup à l'avenir du système par répartition actuel. Je crois qu'on ne peut échapper à cette question, et j'ai hâte de vous entendre à ce propos. Certains ont totalement fermé la porte à cette refonte, mais je crois qu'il s'agit là d'une question éminente de justice !
Par ailleurs, vous avez beaucoup insisté sur le pilotage à juste titre d'ailleurs. J'ai le sentiment qu'il y a là un loup... Le COR évalue l'évolution de cette question tout au de long de l'année. Vous en faites d'ailleurs partie, tout comme nous. On va créer un autre comité, qui devra émettre des recommandations. Il me semble que c'est au COR qu'incombait cette tâche ! Je ne comprends plus ! J'ai le sentiment que l'on crée une instance supplémentaire, qui va venir compliquer la concertation et empêcher les politiques d'arrêter les mesures qu'ils doivent prendre !
M. Dominique Watrin . - Je salue la qualité des interventions des différentes organisations syndicales.
L'une d'elles a souligné la contradiction entre l'augmentation de la durée de cotisation et le fait que nombre de salariés de plus de cinquante ans sont aujourd'hui évincés des entreprises avant d'arriver à la retraite. La baisse programmée du niveau des pensions, à laquelle s'ajoutent des contraintes nouvelle prévues par la réforme, pousse naturellement le système vers une part de capitalisation.
Il est certain que les banques et les assurances vont être conduites à vendre leurs produits de capitalisation. On risque également - ce qui a été souligné dans le rapport Moreau, et timidement énoncé ici - de voir les jeunes se détacher du système de répartition. On ne doit pas sous-estimer ce point. Cela ne peut que s'accentuer si l'on continue à augmenter la durée de cotisation et à diminuer le montant des pensions !
On est là dans une logique vicieuse. Dans une interview à la revue Hémicycle, Xavier Bertrand propose d'aller plus loin dans la durée de cotisation, mais débouche sur l'idée qu'il faudrait accélérer la mise en place de systèmes d'épargne. Que le terme est bien choisi pour parler de capitalisation !
Comment mesurez-vous ce risque par rapport à l'effritement, voire à l'affaissement de notre système par répartition ? Dans quelle mesure la réforme proposée par le Gouvernement amplifie-t-elle ce risque ? Quelle est la position de fond des différents syndicats à propos des systèmes de capitalisation ?
Avez-vous des propositions alternatives pour éviter une augmentation de la durée de cotisation ou un appauvrissement des retraites, et couvrir les besoins de financement ?
M. René Teulade . - Les problèmes que l'on doit résoudre ne sont pas de nature démographique ou économique. Cela a été dit et je l'approuve totalement ! Il s'agit d'un problème politique. Cet équilibre et la justice entre générations ne sont pas faciles à atteindre.
Le problème vient du fait qu'on n'a pas présenté suffisamment et positivement cette période du temps libéré qui s'appelle la retraite. La fin de l'activité professionnelle n'est pas nécessairement la fin de l'activité économique et sociale ! Il n'est qu'à voir nos communes où, grâce aux retraités, on arrive à faire vivre beaucoup de structures de façon bénévole.
Comment financer cette période difficile que nous allons connaître particulièrement à partir de 2020 ? Des propositions ont été faites comme un fonds de réserve avec des cessions d'actifs d'entreprises nationalisées, non soumises à concurrence. Quelles sont vos observations à ce sujet ?
Merci de votre participation, qu'il va falloir continuer à apporter si nous voulons des textes législatifs qui tiennent la route...
Mme Isabelle Debré . - On voit bien que la pénibilité est très difficile à évaluer. Je n'ai pas entendu parler, mis à part par la CFDT, de la possibilité d'aller vers un système à points. C'est un choix de société et un choix individuel. On le voit dans certains pays : quelques personnes ont envie de partir tôt à la retraite, d'autres ne le souhaitent pas, comme ce médecin de quatre-vingt-douze ans, dont le cabinet ne désemplit pas, qui a été cité dans un reportage...
Je pense qu'il faut faire preuve de pragmatisme et de bons sens, et laisser un peu de liberté à nos concitoyens. Ceux qui veulent partir tôt à la retraite doivent pouvoir le faire ; ceux qui désirent partir plus tard doivent également en avoir la possibilité. Or, avec le système actuel, les choses sont extrêmement complexes. Que pensez-vous, en tant que représentants des salariés, d'une éventuelle réforme systémique ?
Je ne reviendrai pas sur les régimes spéciaux, qui n'ont pas été évoqués ici, pas plus qu'au sein du COR, ce que je regrette en tant que membre de celui-ci.
M. Gérard Rodriguez. D'une manière générale, il nous semble qu'il existe un problème central de financement. De ce point de vue, nous ne sommes pas satisfaits des propositions qui ont été faites dans le cadre de la réforme.
Il faudrait en particulier revoir la participation des employeurs. Or, le Medef est vent debout contre toute augmentation des cotisations patronales ; il a fait en sorte que leur hausse de 0,3 point pour la branche vieillesse soit compensée. Ce n'est pas ainsi, selon nous, que l'on va régler la question ! Il faut évaluer les besoins de financement en matière de retraite, dans une logique d'amélioration car certaines pensions sont plutôt basses. Nous avons proposé de moduler les cotisations patronales : nous n'avons visiblement pas été entendus ! Par ailleurs, certains revenus du travail ne sont pas soumis aux cotisations sociales, comme l'intéressement et la participation. Si on continue ainsi, les déficits sont appelés à devenir chroniques !
Cela vaut pour l'ensemble des régimes, avec des spécificités pour la fonction publique et certains régimes spéciaux. La question est de se mettre d'accord sur la part des richesses produites qui doit être allouée à la protection sociale et aux retraites.
En matière de pénibilité, il faut réfléchir afin que les dispositions - qui devraient être améliorées de notre point de vue - puissent être appliquées à l'ensemble des salariés. Nous ne nous inscrivons pas dans une logique où seuls les salariés des grands groupes, ou des grandes entreprises, pourraient en bénéficier. Ceci rejoint la question du financement. Dans certaines TPE, il n'existe pas d'opposition de principe à la reconnaissance de la pénibilité, mais un problème de financement.
Quant à l'unification des régimes, l'état de l'opinion en la matière tient à une certaine ignorance de la situation. Le rapporteur l'a souligné à plusieurs reprises, hier, à l'Assemblée nationale, et je souscris à ces propos. Dans certains cas, les salariés du privé peuvent obtenir des retraites plus importantes que ceux du public ; dans d'autres, ce seront les fonctionnaires, mais en aucun cas on ne peut considérer que certains sont des nantis et d'autres sont désavantagés de façon outrancière. Il est vrai que la dégradation est générale et que certains régimes spéciaux, en dehors de la fonction publique, qui ont connu des modifications moins importantes que le régime général, apparaissent aujourd'hui comme des régimes que certains n'hésitent pas à qualifier de privilégiés. Mais cette situation est plutôt liée à une dégradation extraordinaire des conditions offertes par les grands régimes en matière de retraite. Il ne faut donc pas s'attaquer aux régimes spéciaux pour les passer sous la toise mais, au contraire, améliorer la situation du financement, sans niveler l'ensemble des régimes par le bas...
Les régimes par points sont-ils gages de liberté ? Je ne partage pas cette idée. Lorsqu'on avait une retraite complète à soixante ans - cas de la plupart des hommes, mais non des femmes - la décision des salariés ne constituait pas vraiment un choix. Elle relevait de la situation dans laquelle ils se trouvaient et de la bonne volonté de leur employeur. Si l'on veut une véritable faculté de choix, ce n'est pas sur les retraites qu'il faut agir, mais sur la situation de l'emploi. Dans un système par annuité, rien n'empêche, lorsqu'on a obtenu l'ouverture de ses droits, de continuer à travailler ! Or, aujourd'hui, c'est bien avant soixante ans qu'on est poussé à quitter les entreprises, avec tous les problèmes que cela peut poser par ailleurs.
S'agissant du comité de surveillance, on dispose déjà du COR, qui joue un rôle extrêmement important du point de vue de l'expertise, et dont tout le monde est plutôt satisfait. Ce n'est pas le centre de nos préoccupations, mais nous attirons l'attention sur le fait que la création d'un comité de surveillance ou de suivi ne règle aucun problème. Si cela peut amener une meilleure connaissance de la situation, pourquoi pas, mais ce n'est pas là que les choses vont se jouer.
Cependant, je partage l'avis de Philippe Pihet concernant les futurs décrets relatifs aux taux de cotisation maximum. L'air de rien, les compétences seraient transférées, et ce ne serait pas une bonne chose.
M. Philippe Pihet . - Les régimes spéciaux sont sous le coup d'une réforme votée en 2007, qui a démarré en 2008 et qui va produire ses effets jusqu'en 2020. Réformer aujourd'hui la réforme paraît pour le moins compliqué. Les agents des régimes spéciaux sont dans une mécanique de rattrapage, notamment pour ce qui est de la durée d'activité.
Concernant le système unique, je serais tenté de dire, selon la formule des étudiants en droit : système unique, système inique ! Objectivement, je n'ai pas encore compris comment le fait d'additionner des déficits créerait un équilibre ! Aujourd'hui, sur une carrière d'environ quarante ans, on a la possibilité d'effacer des périodes défectueuses. Dans un système par points, toute la carrière est prise en compte. Il faudrait donc inventer un nouveau mécanisme, dans lequel la transparence n'y gagnerait rien !
Le choix de la répartition a été réaffirmé, lors de la première conférence sociale, par l'ensemble des partenaires et par le Gouvernement. Je ne suis pas persuadé qu'il existe un risque véritable pour les cotisants. Aujourd'hui, le rendement des régimes complémentaires est de 6,5 %, contre 3 % pour l'assurance vie !
S'agissant du financement, FO explique depuis longtemps qu'il s'agit d'une question de répartition des richesses qui relève d'une décision politique. En l'espace de trente ans, la rémunération du capital, par rapport à la rémunération du travail, a enregistré une augmentation de dix points de PIB, soit 200 milliards. Cela représente des gisements !
Je pense que le temps politique n'est pas forcément le temps de la construction de la retraite par répartition. Aujourd'hui, une retraite par répartition, c'est soixante-dix ans : quarante ans de cotisation, vingt de droits propres, dix ans de droits dérivés. Ce temps n'est pas forcément compatible avec le temps politique.
Le gouvernement Balladur, en 1993, a créé le Fonds de solidarité vieillesse (FSV), essayant enfin de déconnecter le contributif de la solidarité nationale. Le FSV était à l'époque abondé par 1,3 point de contribution sociale généralisée (CSG). Aujourd'hui, on est à 0,8 point, le politique ayant pris la décision d'enlever un demi-point. La transparence n'y a franchement pas gagné !
Le Fonds de réserve des retraites (FRR), quant à lui, remonte à 2000. Il est né d'une idée simple : on sait que l'on va se trouver devant un mur en 2020 ; le politique décide à l'époque de vendre une partie du patrimoine de la Nation, et de mettre l'argent de côté pour amortir le choc des retraites de 2020. Ce fonds n'a pas été forcément abondé comme il aurait dû l'être au fil des années. Il représente actuellement 36 milliards d'euros, dont environ 24 milliards d'euros ont été affectés à l'avance lors de la réforme de 2010, à raison de 2,1 milliards d'euros pendant douze ans, qui vont aller à la Caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades).
Aujourd'hui, la Cnavts et le FSV sont moins déficitaires que prévu. Or, les 2,1 milliards d'euros du FRR vont néanmoins aller à la Cades ! Non seulement le FRR n'a pas été suffisamment abondé, non seulement il a été détourné de son objet premier, mais il va en outre servir à rembourser une partie du déficit des branches maladie et famille ! On marche sur la tête... Ces systèmes ont besoin de stabilité, et celle-ci, selon nous, ne viendra pas des experts du conseil de surveillance !
M. Jean Louis Malys . - Il est vrai que cette réforme ne règle pas le problème général, mais aucune n'aurait été capable de le faire, sauf en détruisant certaines choses. Or, il vaut mieux réformer de façon progressive que créer d'autres problèmes.
Un accord a été signé avec le patronat sur les régimes complémentaires, en particulier en matière de désindexation. L'ensemble des mesures s'appliquent à tout le monde et ne rapportent donc pas qu'au régime général.
Sur la comparaison public/privé, je rappelle que la réforme Balladur de 1993 a creusé l'écart d'une façon extrêmement violente entre l'un et l'autre. C'est un peu cruel, mais c'est la vérité ! Cela étant, nous ne sommes pas pour le « big bang ». Si l'on devait aujourd'hui créer un nouveau système de retraite, on ne s'amuserait pas à faire des régimes spéciaux, ou un système par annuité, extrêmement difficile à comprendre en termes d'acquisitions des droits ! On aurait plutôt un système qui montrerait aux jeunes générations ce que chaque cotisation rapporte en temps réel...
On veut faire croire que le système par annuité serait solidaire, contrairement au régime par points. Ce régime existe en Angleterre et aux Etats Unis. Il ne comporte aucune correction des inégalités. En Allemagne, en Suède ou dans les pays nordiques, le système par points permet un financement solidaire jusqu'à 28 % !
On ne va évidemment pas créer demain un nouveau système en faisant abstraction du passé. Ce serait du bricolage. Nous pensons qu'il faut une vision à long terme. Je crois que c'est ce que le public attend...
D'autre part, le Copilor a été mis en place par la réforme précédente ; c'est une instance de plus ! Il n'a toutefois pas fonctionné. Il s'est réuni une fois, et est mort le lendemain de sa mise en place.
Pour ce qui est du COR, il ne faut pas le confondre avec un comité stratégique. Le COR est dans une logique d'expertise et de consensus. Il ne faut donc pas lui demander d'établir des préconisations à destination du pouvoir politique, sous peine de lui ôter toute légitimité.
Il faut également cesser de considérer que les PME et les TPE sont toujours perdantes. A la CFDT, nous pensons que les petites entreprises ne doivent pas avoir de petits droits ! Si un dispositif se met en place, il doit évidemment les concerner. Une vraie question subsiste en matière de dialogue social. On ne peut copier celui qui existe dans les grandes entreprises. Il faut des logiques territoriales, qui commencent à exister. L'UAP a ainsi signé avec toutes les organisations syndicales des dispositifs de suivis territoriaux. C'est sur ces questions qu'il faut agir, en offrant aux salariés et aux employeurs des PME TPE des outils de dialogue social, sans les considérer comme définitivement hors-jeu. Il en va de l'intérêt des employeurs et de l'attractivité des entreprises.
Enfin, promettre aux jeunes qu'ils partiront à la retraite à soixante ans, si l'on n'est pas capable de démontrer que le système est solide, c'est se moquer d'eux ! Il faut démontrer que le système est solide si l'on veut éviter que les jeunes ne se retournent vers la capitalisation et ils ne nous attendent pas ! Prétendre que l'allongement de la durée de cotisation est la raison principale des problèmes est une erreur.
Notre système de retraite est extrêmement généreux et représente 13 % à 14 % du PIB ! C'est l'un des records européens. A combien faut-il monter pour considérer que le système est stabilisé ? Avec une telle croissance, où va-t-on faire des économies ? Sur les jeunes ? Sur la formation ? Sur l'innovation ? Il faut donc maîtriser le système. Les nouveaux retraités, ces dernières années, ont des retraites supérieures à leurs aînés. Il convient donc d'éviter tout retournement de situation. La logique d'amélioration des droits et de correction de la pénibilité doit précisément permettre que l'allongement de la durée de cotisation se fasse selon des termes équitables.
Le meilleur moyen de tuer le système par répartition est de prétendre qu'il ne faut rien faire, sauf trouver de l'argent. On sait que ce sera impossible ! On va laisser le système se dégrader, et les jeunes vont très vite comprendre qu'on les a définitivement sacrifiés !
M. Patrick Poizat . - La notion de liberté de choix a été l'un des premiers éléments que nous avons voulu mettre en avant, considérant qu'une certaine durée d'assurance était requise pour pouvoir partir sans abattement. Je n'ai pas repris cet argument, celui-ci ne figurant pas dans le schéma de la loi, mais c'est un point que nous avons exploré à la demande d'un certain nombre de salariés, et qui sera sûrement à reprendre ultérieurement.
Concernant les retraites complémentaires, les partenaires sociaux ont signé un accord, mis en place le 13 mars, qui ne couvre pas la totalité du besoin mais ils étaient dans l'attente des propositions du Gouvernement et des décisions du Parlement. En cas d'écart, il est probable qu'un nouveau rendez-vous sera nécessaire. Ceci me paraît relever de la responsabilité des partenaires sociaux. Vous savez que nous avons, tout au long de ces décennies, chaque fois que nécessaire, pris la responsabilité de convoquer une négociation, de poser le problème, de signer ou non. Je pense que c'est une démarche exemplaire.
Ceci m'amène aux régimes spéciaux, qui font partie du chantier que nous voulions mettre en place. Des engagements ayant toutefois été consentis par voie d'accord jusqu'en 2017, j'imagine qu'il est apparu difficile de les intégrer. Pour ce qui nous concerne, nous considérons que nous devons rechercher l'équité entre toutes les catégories de salariés, qu'ils relèvent des régimes spéciaux, de la fonction publique ou du secteur privé. C'est une des conditions de l'acceptation par nos concitoyens de régimes qui peuvent les interroger parce qu'ils ne les connaissent pas suffisamment, mais c'est par une approche intégrant la totalité des salariés que l'on doit pouvoir progresser.
S'agissant de l'unification des régimes, on ne peut que regrouper ceux ayant une nature semblable. En 1999, le secteur privé a créé le régime unique. Ce n'est toutefois pas ainsi que l'on va faire évoluer le niveau des réserves dans les caisses. Il faut d'abord restructurer avant de penser au rapprochement. Si ce choix était arrêté, il faudrait commencer par rapprocher les régimes de même nature. Ce sont là des réformes à très long terme...
Pour ce qui est du pilotage, je partage le propos tenu à l'instant par Jean Louis Malys concernant le rôle du COR. La crédibilité de cette institution plaide pour qu'on le laisse travailler, afin de mieux utiliser ses travaux.
Concernant la réforme systémique, nous ne sommes pas forcément contre le système par points, qui n'est ni plus ni moins qu'une manière d'évaluer les droits reconnus aux futurs retraités. On le pratique depuis 1947 dans les régimes complémentaires. Il ne nous effraie donc pas. Il faut cependant avoir conscience, comme le disait Philippe Pihet, qu'il peut être le reflet de toute la carrière. Il faut savoir ce que l'on veut. C'est un choix. La distinction entre contributif et non contributif serait dans ces cas-là à évaluer pour savoir le rôle que l'on veut donner à nos régimes. Je vous invite toutefois à la plus grande prudence en la matière et à une concertation qui sera longue, ces sujets étant complexes et traumatisants.
Quant à la baisse du niveau des pensions - mes collègues en ont parlé - elle a commencé en 1993. Tous les observateurs ont constaté que c'était le point de départ d'une décroissance programmée. Les législations successives ont ensuite continué dans le même sens...
La situation des basses pensions ou de ceux dont les droits sont extrêmement faibles doit aussi être prise en compte. Ce texte prévoit des dispositions concernant l'Aspa et le seuil d'écrêtement du minimum contributif. Il faut vraiment faire évoluer les choses dans ce domaine.
M. Pierre Roger . - Les questions qui ont été posées touchent à des problèmes de fond. Le projet qui est actuellement en débat répond à deux objectifs, des mesures à court terme et des mesures à moyen terme. Pourquoi ce point n'a-t-il pas été abordé ? Je l'ai dit dans mon propos liminaire : toute réforme, pour être comprise et acceptée, doit paraître juste. Aborder le problème des régimes spéciaux et des régimes de fonctionnaires ne présentait pas de caractère d'urgence.
Le projet de loi vise à trouver les financements d'ici 2017 pour répondre aux injonctions de l'Europe, qui exige de la France qu'elle fournisse un certain nombre de réformes, et à celles des marchés qui nous financent.
On a fait le choix le plus facile pour ce faire, celui de l'allongement de la durée de cotisation. Il manque effectivement un volet. On considère qu'on aurait pu aborder la question de la convergence des trente-cinq régimes existants. C'est un sujet qui mérite clarification, afin de paraître plus équitable aux yeux de tous. Il faut prendre le temps de travailler sur le taux de remplacement, et bien définir le montant des pensions. Je regrette qu'on n'ait pas abordé plus clairement ce sujet dans le projet de loi. Nous souhaitons que l'on étudie cette convergence, mais avons bien conscience que cela nécessite un peu de temps.
Je rejoins sur ce plan ce qu'ont dit mes collègues : la réforme n'a pas pour autant exonéré totalement l'ensemble des régimes. Les cotisations, l'allongement de la durée, touchent les régimes de fonctionnaires, et les régimes spéciaux sont depuis 2008 en phase de rattrapage.
Comme on l'a déjà souligné, l'écart vient en partie de la réforme Balladur, qui portait sur le secteur privé, mais la situation est aujourd'hui telle qu'il y a urgence à clarifier ce point. C'est, selon moi, une des conditions pour que les jeunes et les moins jeunes demeurent attachés au système de répartition. Il faut démontrer que ce régime est un choix de société, qui répond aux exigences des différentes catégories sociales. Je vous engage à aborder rapidement ce sujet.
Ne risque-t-on pas, de ce fait, de se tourner vers la capitalisation ? Il suffit d'étudier ce qui se passe dans les pays qui ont choisi ce système. Cela n'a jamais empêché ces populations de voir leur pension baisser en cas de crise économique. Cela n'empêche pas non plus les choix individuels. Les Français l'ont déjà largement entériné : l'assurance vie, de mémoire, représente environ l'équivalent, en en cours, de la dette de la France ! Moins le système sera transparent, plus la méfiance s'installera. L'argent ainsi capitalisé n'ira pas vers la consommation, ni vers l'investissement, faute d'avoir su garantir la pérennité des décisions prises. Or, certaines personnes peuvent capitaliser ; d'autres ne le peuvent pas. Il y a donc effectivement là un véritable hiatus.
Faut-il changer le système ? Ce changement - qui prendra du temps - résoudra-t-il les problèmes de financement ? Le système suédois, où l'on ajuste les pensions en fonction de l'évolution du PIB, avec une incertitude sur le montant, est envisageable. Les Suédois ont mis très longtemps pour le mettre en oeuvre. Est-ce souhaitable ? Les Français le souhaitent-ils, compte tenu du régime qui est aujourd'hui le leur ?
Pourquoi pas un régime par points ? Mes collègues l'ont dit : le régime par points s'entend sur toute la carrière. Cela suppose un certain nombre de précautions, afin de ne pas risquer de facto une baisse des pensions, que l'on redoute.
Quels que soient les choix, ils ne peuvent se faire que sur le long terme. Or, notre problème porte sur 2017 et sur le mur de 2020. Changer de système résout il nos difficultés de financement à court et moyen termes ? Je n'en suis pas certain. Cela ne veut pas dire qu'il ne faut pas s'y attacher - mais l'urgence est ailleurs.
Pour le reste, je ne reviendrai pas sur ce qu'ont dit mes collègues s'agissant du COR et autres instances. Chacun doit être dans son rôle. Si ces rôles sont bien définis, la gouvernance aura des chances de fonctionner.
En ce qui concerne les TPE, les salariés doivent être défendus avec les mêmes droits, mais en la matière, on ne pourra faire autrement que par la régionalisation ou la mutualisation. On ne peut en effet reproduire, dans une TPE, ce qui existe dans les grandes entreprises. Ce n'est même pas envisageable.
M. Jacky Le Menn, président . - Je vous remercie très chaleureusement pour vos réflexions, qui vont enrichir le travail de la commission.
Table ronde d'économistes : M. Henry STERDYNIAK, directeur du département économie de la mondialisation de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE), Mmes Catherine MILLS, maître de conférences en sciences économiques à l'Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Anne LAVIGNE, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans
Réunie le mercredi 9 octobre 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission organise une table ronde avec des économistes sur le projet de loi n° 1376 (AN-XIV e ) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Mme Annie David , présidente . - Jean-Hervé Lorenzi, qui devait initialement participer à cette table-ronde, a eu un empêchement de dernière minute. Nous recevons donc Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) ; Catherine Mills, maître de conférences en sciences économiques à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne et Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans.
Recueillir le point de vue d'économistes d'horizons différents a semblé, à notre rapporteure Christiane Demontès et à moi-même, pouvoir éclairer notre réflexion sur la réforme des retraites que nous examinerons bientôt.
Mme Anne Lavigne, professeur de sciences économiques à l'université d'Orléans . - Le préambule du projet de loi présente une réforme structurante avec trois objectifs essentiels : assurer la pérennité des régimes de retraite, rendre le système plus juste et le simplifier tout en renforçant sa gouvernance. Je pense que le texte contient de réelles avancées sur le deuxième point, mais j'ai un avis plus mitigé sur le premier et le troisième.
A mes yeux, il ne s'agit ni d'une réforme structurelle ni, pour utiliser un langage économique, d'une réforme systémique. Alors qu'on oppose habituellement capitalisation et répartition dans l'organisation des systèmes de retraites, le projet concerne la répartition et ne déplace pas le curseur vers la capitalisation.
Toute réforme structurelle se doit d'aborder deux perspectives : la méthode d'acquisition des droits, c'est-à-dire le caractère contributif ou non du système, et la façon dont les droits sont traduits, où il faut distinguer régimes en annuités comme les régimes de base aujourd'hui, régimes par points comme pour les retraites complémentaires, et les comptes notionnels tels qu'ils existent à l'étranger.
Au contraire, le projet de loi constitue un ajustement paramétrique qui porte essentiellement sur la durée de cotisation, de manière directe par son allongement et de manière incidente par la prise en compte de la pénibilité. Il y a également un ajustement des taux de cotisation ainsi que le décalage d'avril à octobre de la revalorisation des pensions, qui joue sur la générosité du système.
Pour les économistes, la distinction entre le taux de cotisation patronal et le taux de cotisation salarial n'est pas essentielle. Ce qui importe pour le salarié est le salaire net, tandis que ce qui importe pour l'employeur est le coût global du travail. On cherche toujours à présenter un partage des efforts entre ces deux parties, mais au final le poids de la réforme est porté par celui qui n'a pas les moyens de répercuter la hausse des cotisations.
Un point positif de cette réforme est qu'elle prévoit suffisamment longtemps à l'avance l'allongement de la durée de cotisation, en anticipant la hausse de l'espérance de vie pour les générations à venir.
La question de la pénibilité est apparue en France au début des années 2000, avec notamment le rapport Struillou de 2003, puis des négociations entre partenaires sociaux qui n'ont pas abouti. Je suis réservée sur la prise en compte de la pénibilité dans le système de retraites. Le projet de loi comporte un mécanisme de prévention de la pénibilité : le droit social doit le prévoir, mais son articulation avec la retraite me semble délicate. Dix-sept pays de l'OCDE ont des dispositions similaires qui concernent principalement les régimes spéciaux tandis que certains d'entre eux comme le Japon, l'Allemagne et la Finlande ont abandonné, dans leurs régimes généraux, cette prise en compte.
Dans une perspective historique, il faut rappeler que la création des régimes spéciaux est liée à l'exercice de métiers pénibles. Aujourd'hui, on peut se demander si la prise en compte de la pénibilité dans le régime général justifie encore le maintien de ces régimes spéciaux.
Les mesures de justice sociale vont dans le bon sens, notamment celles qui concernent les femmes et qui portent sur les carrières heurtées et les bas niveaux de salaire. Toutefois, les régimes de retraites ne peuvent pas résoudre toutes les inégalités. Leurs causes sont plus profondes et ne disparaîtront pas avec ce texte.
En matière de lisibilité et de pilotage, l'annonce précoce des réformes alors que leurs effets se feront sentir à long terme est une avancée. Le développement de l'évaluation comble une lacune traditionnelle française, tout comme l'information des polypensionnés.
Selon moi, il n'y avait pas d'urgence à faire cette réforme aujourd'hui. Les deux principaux problèmes de notre système de retraites sont le passage à la retraite de la génération du baby-boom et l'augmentation de l'espérance de vie. Pour surmonter le premier, un instrument spécifique avait été créé : le fonds de réserve des retraites (FRR). Quant à la hausse tendancielle de l'espérance de vie, je pense qu'il faut la gérer par une réforme systémique instaurant des comptes notionnels, comme l'ont fait plusieurs pays étrangers, parmi lesquels la Suède et l'Italie.
M. Henri Sterdyniak, directeur du département économie de la mondialisation à l'OFCE . - Nous n'avons heureusement pas affaire à une réforme des retraites, mais simplement à un ajustement paramétrique d'importance limitée. On peut le déplorer, pour ma part je m'en réjouis. Le système français est l'un des plus généreux du monde. Il est très dangereux de vouloir le bouleverser, au risque de mettre en place un nouveau régime qui apporterait moins de garanties aux salariés et aux retraités et serait sans doute plus injuste. Un système par points s'équilibrerait automatiquement par la baisse du niveau des retraites tandis que les comptes notionnels demanderaient à chacun d'arbitrer entre l'âge de son départ à la retraite et le niveau de sa pension sans tenir compte des disparités professionnelles et des différences d'espérance de vie.
La question des retraites est secondaire en France : il faut plutôt s'interroger sur les moyens de retrouver la croissance et une industrie forte. Elle n'est pas urgente, grâce à notre démographie et à la générosité du système, et n'appelle que des ajustements. Le déficit actuel est important, mais est essentiellement la conséquence de la crise. C'est la raison pour laquelle il est au niveau qu'il aurait dû atteindre dans dix ans. Pour le combler, il faut diminuer les dépenses publiques ou promouvoir, à l'échelle européenne, une politique de croissance. Cette réforme vise essentiellement à rassurer les marchés financiers et la commission européenne.
Des points demeurent préoccupants. Le Gouvernement compte combler en partie le déficit prévisionnel de 20 milliards d'euros en 2020 en retardant l'indexation des retraites. C'est un tour de passe-passe étrange. Par ailleurs, alors que les majorations familiales de retraite vont être fiscalisées, il faut rappeler qu'elles sont financées par la caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) : il serait donc légitime que le produit de cette fiscalisation aille à la branche famille et non à l'assurance vieillesse.
Sur un déficit de 12 milliards d'euros, quatre proviennent de l'Agirc-Arrco. Le Gouvernement laisse les partenaires sociaux le résorber. Ils négocieront donc dans quelques années pour réduire le niveau des retraites. En parallèle, les régimes que l'Etat équilibre sont en déficit à hauteur de 8 milliards d'euros. Il y a donc une disparité de traitement choquante entre le public et le privé. Les salariés du privé subiront, à travers la baisse de leur retraite complémentaire, une diminution de leur pouvoir d'achat alors que les fonctionnaires seront épargnés. Il serait équitable que le Gouvernement aide l'Agirc-Arrco à faire face à ses déficits conjoncturels.
Les conséquences néfastes des réformes précédentes ne sont pas corrigées. L'âge de la retraite à taux plein passera bien à soixante-sept ans au lieu de soixante-cinq. Cette mesure touche particulièrement les femmes, dont les carrières sont courtes et qui ont peu de chances de retrouver un emploi après soixante-cinq ans. Le report du relèvement de l'âge du taux plein aurait été une mesure de justice.
Le point central de la réforme est la fixation de la durée de cotisation requise à pour la retraite à taux plein, à compter de la génération née en 1973. A trente ans, les personnes nées en 1950 avaient accumulé, en moyenne, onze années de cotisation. La génération née en 1978 n'a plus, au même âge, que sept années de cotisation derrière elle. Cette mesure qui s'appliquera dans vingt ans les pénalisera grandement par rapport à leurs ainés. J'espère qu'il s'agit avant tout d'une mesure d'affichage et qu'elle ne sera pas mise en oeuvre, après un réexamen de la situation et des droits acquis par ceux arrivant à la retraite en 2030. Il faudra tenir compte de la situation du marché du travail et de l'état de santé de la population : il est difficile de dire si le plein emploi sera atteint ou si le chômage de masse aura persisté.
Les marchés financiers ont été rassurés, mais pas les jeunes. Il faudrait prendre en compte les difficultés qu'ils rencontrent pour s'insérer et, dans l'idéal, créer une allocation d'insertion qui leur donnerait des droits pour la retraite. Comme dans certains pays scandinaves, la retraite à taux plein pourrait leur être donnée même s'ils n'ont pas soixante-sept ans sur la base de critères reposant sur leur activité professionnelle passée ou les difficultés qu'ils rencontrent pour se maintenir en emploi. La distinction doit être faite entre les cadres et les ouvriers dont l'espérance de vie est plus courte.
Les inégalités de genre doivent être combattues, par exemple en concentrant les majorations familiales de traitement sur les mères et de les rendre forfaitaires. Cela permettrait de combler une partie des écarts de pension entre les femmes et les hommes.
Je suis très favorable aux dispositions concernant la pénibilité. Les entreprises devront identifier les emplois pénibles, négocier et chercher à les faire disparaître. On peut regretter que ces mesures ne vaillent que pour l'avenir et qu'un mécanisme rétroactif permettant la reconstitution des carrières n'ait pas été prévu.
Le comité de surveillance des retraites peut être la meilleure comme la pire des choses. Il est inquiétant de constater qu'il ne sera composé que de cinq experts, sans doute des hauts fonctionnaires. C'est un recul de la démocratie sociale, qui ne donne pas l'élan souhaitable aux mesures à prendre pour aller vers la convergence des régimes.
Mme Catherine Mills, maître de conférences en sciences économiques à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne . - Ce projet de loi est examiné au pas de course au Parlement, sans permettre qu'un véritable débat public ait lieu. Il se présente comme étant inoffensif, alors qu'il constitue la première étape de la marche vers une réforme systémique de grande ampleur. Il se concentre sur la réduction des dépenses sans le dire explicitement et fuit les questions de financement, qui sont reléguées au projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014.
Alors que ce texte prétend garantir l'avenir et la justice du système de retraites, il demande aux retraités et aux salariés de contribuer entre 2020 et 2035 à hauteur de 10 milliards d'euros contre seulement trois milliards pour les entreprises. Il augure d'un nouveau modèle social qui tourne le dos à celui issu de la Résistance et à notre système de sécurité sociale. Il met en place un plan de réforme extrêmement brutal de la politique familiale en réalisant le vieux rêve du patronat : réduire la part patronale des cotisations familiales en transférant son financement sur l'impôt des ménages. Les mesures envisagées traduisent une profonde méconnaissance de cette politique.
Je suis bien sûr d'accord pour corriger les inégalités entre les femmes et les hommes. Elles sont d'abord salariales, puisque le salaire des hommes est en moyenne 27 % plus élevé que celui des femmes. Les pensions des femmes ne représentent que 42 % de celles des hommes. L'augmentation du salaire des femmes et le développement de leur taux d'activité généreraient d'ailleurs d'importantes ressources supplémentaires pour la sécurité sociale. Toutefois, je ne pense pas que le rôle du système de retraites soit de corriger les inégalités fondamentales qui se situent en amont.
La politique familiale, sur la base du consensus de toutes les forces politiques à la Libération, bénéficie à toutes les familles, quelles qu'elles soient. Elle doit être universelle et venir en aide aux enfants, y compris dans les familles aisées. Les mesures envisagées vont remettre en cause le travail des femmes : ce sont les familles où chaque membre du couple touche un salaire qui vont être touchées.
Le texte du Gouvernement est injuste et inefficace. La question du financement va se reposer dans le futur. Plusieurs pistes existent : soumettre à cotisation les revenus financiers des entreprises rapporterait 30 milliards d'euros par an aux caisses de retraite ; la modulation des taux des cotisations patronales en fonction du rapport entre les salaires et la valeur ajoutée permettrait de sanctionner les entreprises qui le diminuent, licencient et ne mettent pas l'accent sur la formation. Il faut mettre en place une nouvelle forme de progression de la productivité du travail, qui s'appuierait sur le développement des ressources humaines.
J'ai malheureusement constaté de nombreuses similitudes et même une continuité troublante entre ce projet de loi et la réforme de 2010. Il reprend certains de ses dogmes, notamment le lien qui est fait entre la progression de l'espérance de vie et l'allongement de la carrière professionnelle. La réduction du temps de travail est un processus historique. Le développement économique peut le permettre pendant toute la vie et favoriser les activités personnelles. Par ailleurs, les cotisations sociales sont considérées comme une charge qui pénalise l'emploi et il faudrait baisser le coût du travail à tout prix en diminuant les cotisations patronales. Elles ont pourtant un rôle : financer des prestations sociales qui créent des débouchés pour les entreprises par la consommation et développer la productivité du travail par la formation. Elles sont à l'origine d'une nouvelle dynamique économique.
Faisons-nous face à un choc démographique ? L'élévation de l'espérance de vie est une très bonne nouvelle, mais elle est très inégalitaire selon les catégories professionnelles. La pénibilité doit donc être reconnue. Sur ce point le projet de loi comporte quelques avancées, mais il renvoie leur mise en oeuvre à des décrets, excluant de fait les partenaires sociaux et le Parlement.
La création du comité de surveillance me semble dangereuse. Ces experts nommés par le pouvoir pourront empiéter sur le rôle du conseil d'orientation des retraites (COR) et faire des recommandations sur l'évolution de tous les paramètres sans qu'il y ait débat.
Grâce à la politique familiale, notre taux de fécondité est largement supérieur à celui de nos voisins européens et garantit le remplacement des générations. Il y aura donc demain plus d'actifs cotisants. La question de l'emploi et des salaires est donc centrale : une hausse de la masse salariale de 1 % augmente de 2,5 milliards d'euros les cotisations sociales. Le problème des retraites se résout donc par une nouvelle gestion des entreprises et par un nouveau type de politique économique développant l'emploi et les salaires. Une réforme de progrès des cotisations patronales est nécessaire.
Les retraites ne constituent pas seulement un coût mais un véritable enjeu de civilisation, pour lequel on ne peut se passer d'un débat public. Chaque article du projet de loi doit donc être amendé afin de promouvoir des solutions alternatives, notamment en matière de financement.
Mme Christiane Demontès, rapporteure . - Je tiens à apporter plusieurs précisions : les salariés du public sont bien concernés par l'augmentation des cotisations. En ce qui concerne la politique familiale, les familles ne sont plus les mêmes qu'à l'issue de la Seconde Guerre mondiale ou des Trente Glorieuses. La majoration de 10 % des pensions défiscalisée ne me semble plus convenir à la réalité de notre société.
Sur le pilotage, il n'a jamais été question de demander au COR de faire des préconisations. C'est un outil d'analyse. Le futur comité de surveillance ne sera pas appelé à prendre des décisions mais à faire des propositions, sur la base notamment des travaux du COR. L'Etat ne se défausse donc pas de ses responsabilités.
Alors que 50 % des personnes qui liquident leur pension de retraite ne sont plus en activité, comment développer l'emploi des seniors ? Il ne suffit pas de retarder l'âge légal de départ à retraite.
Quel est votre point de vue sur la prise en compte de la pénibilité dans le projet de loi ?
Mme Anne Lavigne . - Le comité de surveillance touche à la question de la lisibilité et de la gouvernance des systèmes de retraites, dont la complexité est avérée. Toutefois, on ne peut pas dire qu'ils soient réellement plus simples à l'étranger, notamment au Royaume-Uni en ce qui concerne les conditions de ressources.
Pour moi, la retraite est un dispositif assuranciel dont l'objet est de couvrir des risques sociaux : la longévité, l'incapacité à générer des ressources avec l'âge et des risques associés au travail comme les interruptions de carrière. Je suis donc opposée à l'idée de financer les retraites par autre chose que des cotisations assises sur les revenus du travail. Le recours à l'impôt ou à des taxes sur des produits financiers ne correspond pas à ma vision de la retraite. Je trouve quelque peu paradoxal d'être contre la capitalisation tout en soutenant l'idée que le produit du capital va financer les retraites.
Il faut aller vers l'unification des régimes, et le faire à travers les comptes notionnels me semble être une idée intéressante car elle préserve l'aspect assuranciel et la contributivité tout en permettant aux individus de choisir la durée de cotisation, l'âge de départ ou la combinaison de ces deux facteurs. Ce n'est d'ailleurs pas forcément un progrès social, comme l'a souligné Henri Sterdyniak. On ne peut pas dans tous les cas laisser les salariés choisir leur âge de départ à la retraite car ils ne disposent pas de toutes les informations nécessaires. Néanmoins, les comptes notionnels permettent d'assurer un pilotage par génération et de s'affranchir des difficultés actuelles liées aux polypensionnés, qui représentent 40 % des liquidations. Il n'y aurait ni gagnants, ni perdants et pas d'opposition entre public et privé. A côté de ce bloc assuranciel, des mesures redistributives en direction de certaines catégories de travailleurs peuvent être mises en place.
Le comité de surveillance ne m'apparait pas comme une structure politique mais plutôt comme une instance d'expertise. La France a besoin de développer l'évaluation des politiques publiques afin d'éclairer la décision publique à travers des études précises et chiffrées. Elles permettent d'affiner les constats qui reposent sur des données anciennes et qu'on entend encore trop souvent et de confronter données objectives et subjectives. Je n'ai pas de défiance vis-à-vis des experts dès lors qu'ils apportent des éléments de réflexion.
Concernant l'emploi des seniors, on observe une corrélation entre l'augmentation de l'âge légal de départ à la retraite et le maintien en activité de ces salariés. C'est le pari fait par la réforme de 2010, mais le recul est encore insuffisant pour en mesurer pleinement l'impact. On constate toutefois un frémissement du taux d'activité des jeunes seniors.
Le marché du travail n'est pas un gâteau à partager. Le maintien en activité des seniors n'empêche pas les jeunes d'y entrer. La période actuelle n'est propice ni à l'emploi des jeunes, ni à celui des seniors. Lorsque la croissance redémarrera, leur taux d'activité progressera.
Je comprends l'argument de bon sens sur la pénibilité : dès lors qu'un salarié a été longtemps exposé à des facteurs de risques, il doit pouvoir bénéficier d'un départ anticipé à la retraite. Cela renvoie à la réduction de l'espérance de vie causée par cette situation. Ce raisonnement généreux s'accommode peu de la vision assurancielle. L'idée qu'il faut profiter de sa retraite va plus loin que le taux de remplacement ou même le niveau de vie à la retraite : cela revient à reconnaître à chacun le droit à une certaine durée de retraite. C'est alors un objectif social qui devrait être affirmé par la loi en tant que tel.
Cette intuition concerne essentiellement les hommes : l'écart d'espérance de vie entre les femmes ouvrières et les femmes cadres supérieures est compris entre deux et trois ans, tandis qu'il est beaucoup plus important pour les hommes. Existerait-il donc des travaux pénibles essentiellement masculins ? Il n'y a pas de raison qu'il y ait des travaux spécifiquement masculins ou féminins. Ce n'est donc pas uniquement une question de pénibilité du travail mais également d'inégalité devant la santé. Est-ce vraiment la mission des systèmes de retraites de les résoudre ?
M. Henri Sterdyniak . - En raison de l'accord négocié récemment par les partenaires sociaux sur les régimes complémentaires Agirc et Arrco, les retraités du secteur privé vont subir une perte de pouvoir d'achat qui devrait être comprise entre 2,5 % et 2,8 %. Un tel scénario pourrait se reproduire à nouveau dans un futur proche. L'Etat, de son côté, équilibre le régime des fonctionnaires. Il devrait également s'investir pour garantir le niveau des retraites complémentaires du privé.
Les familles nombreuses n'ont pas le niveau de vie des couples avec un ou deux enfants. Pour elles, le montant des allocations familiales est trop faible. Les économies réalisées sur les majorations de cotisations devraient leur être reversées. Ce dispositif ancien compensait le fait que les parents de plusieurs enfants épargnent moins pour leur retraite, il a ses justifications. Il peut être mieux ciblé sur les femmes car la retraite est un mécanisme rétributif d'assurance sociale. Il n'est donc pas illégitime de maintenir des majorations familiales de traitement forfaitaires.
Le COR réalise de très bons travaux techniques sur la question des retraites, en mobilisant des experts si nécessaire. Ensuite, la prise de décision relève du Gouvernement, après concertation avec les partenaires sociaux. Quelle pourrait donc être le rôle du nouveau comité de surveillance ? Par quelles compétences techniques spécifiques se distinguerait-il du COR ? Quelle serait sa légitimité politique et sociale ? Un choix social doit être fait non par de prétendus experts mais par le Gouvernement et les syndicats. Il est d'ailleurs étonnant que le Gouvernement ne cherche pas à mobiliser les partenaires sociaux sur un projet de convergence des régimes de retraites mais utilise ce comité à cette fin.
Il est normal que de meilleures conditions de retraite soient assurées à des personnes usées par des métiers pénibles et qui auront du mal à se maintenir en emploi à la fin de leur carrière. Cette question doit être l'objet d'une négociation sociale. L'idéal serait d'avoir un âge de départ à la retraite qui varierait entre cinquante-huit et soixante-cinq ans suivant les caractéristiques de l'activité professionnelle.
Le taux d'emploi des seniors s'est amélioré depuis cinq ans, malgré la crise. Les jeunes ont supporté le poids de l'ajustement et ont vu leur taux de chômage augmenter. Néanmoins, lorsque la situation de l'emploi sera meilleure, il sera possible de demander aux entreprises de négocier une réforme des carrières et des conditions de travail visant à concilier pénibilité et travail et à permettre la reconversion des salariés en seconde partie de carrière pour qu'ils restent en emploi jusqu'à l'âge de la retraite. Les entreprises doivent faire des efforts pour maintenir l'employabilité de leur personnel. Mais, face aux contraintes écologiques qui seront les nôtres en 2035, aura-t-on besoin d'autant d'emplois marchands ? On peut accepter, dans une société riche, des départs à la retraite relativement jeunes.
Mme Catherine Mills . - La politique familiale doit poursuivre sa modernisation pour tenir compte de nouveaux phénomènes : familles monoparentales, conciliation entre vie professionnelle et vie familiale, demande accrue de modes de garde. Elle ne doit toutefois pas mettre de côté l'existant pour devenir une politique de réduction des inégalités de revenu : cette confusion doit être évitée.
Je ne peux être favorable au comité de surveillance dès lors que les partenaires sociaux en sont absents. L'objectif semble également être, en jouant sur la durée de cotisation ou le taux de remplacement, de repousser la mise en place de comptes notionnels. La souplesse du mécanisme permettrait d'éviter les conflits sociaux. Je trouve cela grave : un grand débat public est indispensable.
L'emploi des seniors est un problème très inquiétant, mais aussi une priorité depuis plusieurs décennies : comme aujourd'hui, il était au coeur des réformes de 2003 et de 2010. Leur taux d'emploi a légèrement augmenté et se rapproche de la moyenne européenne, mais leur taux de chômage est très important. Seule une véritable politique de lutte contre le chômage pourrait améliorer cette situation, surtout quand on connaît la situation financière très dégradée de l'assurance chômage.
La pénibilité est mieux prise en compte dans cette réforme qu'en 2010 et en 2003. Néanmoins, le compte individuel de prévention de la pénibilité sera alimenté par des points reçus en fonction de l'exposition à des facteurs de risques. Il n'y a plus de métiers pénibles : c'est problématique. De plus, l'employeur gérera le compte. En cas de conflit, toute contestation sera soumise à une commission ad hoc dont les partenaires sociaux seront exclus. Est-ce vraiment acceptable ? Qui plus est, le projet de loi renvoie très largement à des décrets pour définir précisément cette reconnaissance de la pénibilité : nous sommes donc dans un flou le plus total.
Un salarié exposé à un risque pourra demander soit une formation pour se reconvertir, soit un passage à temps partiel, soit un départ anticipé à la retraite. L'ampleur de ces mesures reste à améliorer.
Il y a peu d'avancées pour les jeunes, hormis les apprentis et les stagiaires. Les organisations étudiantes demandent que soient prises en compte dans la durée cotisée les années d'études et d'insertion dans le monde du travail, ce qui est ici encore refusé. Seul le rachat est possible : une année revient à 32 000 euros, soit une somme évidemment inabordable.
Mme Annie David, présidente . - Il y a de nombreuses divergences parmi nos intervenants, ce qui confirme l'intérêt de cette table ronde. Ces points de vue vont enrichir la réflexion de chaque membre de la commission.
La pénibilité est un des sujets majeurs de ce texte. Il faut la prévenir autant que possible, mais certaines activités pour lesquelles l'exposition aux facteurs de risques est inévitable sont indispensables au bon fonctionnement de notre société. Nous bénéficions tous de la pénibilité de certains métiers : il faut donc développer la solidarité envers ceux qui les exercent.
Mme Muguette Dini . - Quel âge avez-vous M. Sterdyniak ?
M. Henri Sterdyniak . - Soixante-deux ans.
Mme Muguette Dini . - Vous auriez dû prendre votre retraite à soixante ans, car vous nous avez abreuvés d'affirmations ineptes et contradictoires sans faire aucune proposition. Je suis scandalisée.
M. Jean-Noël Cardoux . - J'ai également eu du mal à suivre le raisonnement de M. Sterdyniak. Vous nous dites qu'on peut se dispenser d'une réforme avant de souligner des problèmes graves, que ce soit pour l'Agirc-Arrco, la fiscalisation de la majoration familiale ou la situation des femmes. La situation est-elle donc véritablement si idyllique ?
Je regrette de ne pas avoir entendu, de la part des intervenants, de propositions sérieuses concernant des financements innovants. Il faut sortir de la dichotomie classique augmentation des impôts - augmentation des cotisations sociales.
La multiplicité des régimes est source de problèmes de gestion. Les frais de gestion de ces régimes paritaires sont de l'ordre de six milliards d'euros par an, soit le double de ce que connaissent les pays européens comparables. Il y a un différentiel de 3 milliards d'euros qui représente un gisement d'économies que la convergence permettrait d'exploiter.
Je suis surpris que la question de l'espérance de vie ait été balayée d'un revers de main. Depuis trente ans, au moins cinq ans, sans doute plus, ont été gagnés. En conséquence, serait-il anormal d'augmenter l'âge de départ à la retraite ? C'est arithmétique.
Certains syndicats sont prêts à étudier la mise en oeuvre d'une retraite par points, qui serait de nature à faciliter le choix de l'âge de départ à la retraite selon le souhait de chacun. Au contraire, on met en place une usine à gaz en matière de pénibilité. Tout le monde voudra en profiter. Ne risque-t-on pas de faire du travail en lui-même une forme de pénibilité ?
M. Marc Laménie . - Il me semble indispensable de prendre en compte le critère démographique et l'augmentation de l'espérance de vie. Un décalage a toujours existé entre les femmes et les hommes ; on le retrouve aujourd'hui sur le terrain de la pénibilité.
Les temps ont changé : les locomotives à vapeur, dans lesquelles les cheminots devaient faire des efforts physiques intenses, ont disparu. D'autres formes de risques professionnels sont apparues. Comment quantifier le stress ?
L'espérance de vie n'est pas uniquement liée aux conditions de travail : la consommation d'alcool ou de tabac, le mal-être sont aussi à prendre en compte.
Il y a trente ans, l'entrée dans la vie active était plus précoce : il était donc plus facile de cotiser longtemps. La durée des études réduit désormais la durée de cotisation.
La tâche reste immense, mais le critère démographique n'est pas une science exacte.
M. Yves Daudigny, rapporteur général . - Le FRR a été créé par le gouvernement Jospin : le dernier gouvernement de gauche avant 2012 n'était pas resté inactif pour assurer la pérennité de notre système de retraites.
Est-il possible d'évaluer la situation du FRR s'il avait été alimenté régulièrement et non pas détourné de son objectif par la réforme des retraites de 2010, appliquée à partir de 2011 avec le versement chaque année, au mois d'avril, de 2,1 milliards d'euros à la caisse d'amortissement de la dette sociale (Cades) ? Aurait-il pu apporter une solution aux problèmes que nous rencontrons aujourd'hui ?
L'article 3 du projet de loi prévoit que le comité de surveillance pourra préconiser le recours aux réserves du FRR afin de corriger des écarts de nature conjoncturelle par rapport à la trajectoire de redressement financier. Un nouvel rôle lui est confié : celui d'instrument de stabilisation conjoncturelle. La gestion du FRR sera beaucoup plus délicate. Alors qu'il gère très bien un actif sur lequel sa visibilité est bonne, il va se retrouver à gérer un actif plus aléatoire. Devra-t-il rester offensif dans ses placements, au risque de ne pas disposer des fonds nécessaires lorsque le besoin s'en fait sentir, ou bien adopter une attitude prudente, avec des gains plus limités ?
M. Jean-Noël Cardoux . - C'est exact !
M. Jacky Le Menn . - Je ne suis pas satisfait par l'économie d'ensemble des interventions que nous venons d'entendre et j'aimerais avoir des précisions. Selon Mme Lavigne, ce texte n'est pas une réforme systémique. Au contraire, pour Mme Mills, nous sommes à la première étape d'une réforme systémique de grande ampleur.
Je tiens à rappeler qu'il a fallu plusieurs années aux pays scandinaves pour mettre en place un système de comptes notionnels. En France, il faut trouver 20 milliards d'euros, soit un point de PIB d'ici sept ans pour combler les déficits. En 2040 ils atteindront 29 milliards d'euros. Quelles sont vos propositions pour passer ce cap ? Peut-on aller vers une réforme de fond tout en faisant face aux défis de moyen terme ?
Mme Mills, la réforme systémique que vous craignez implique-t-elle un basculement vers un système par capitalisation ?
M. Sterdyniak, cette réforme est-elle purement cosmétique ? Comment faire face à nos engagements financiers d'ici 2020 ?
M. Gilbert Barbier . - Je suis perplexe devant les exposés qui viennent d'être réalisés. J'attendais une vision précise de l'avenir du système de retraites.
Peut-on considérer, comme le Gouvernement l'affirme, que la retraite par répartition est immuable dans le temps et viable jusqu'en 2035 ? Ne faut-il pas plutôt que dès maintenant les plus jeunes s'orientent vers un autre modèle pour garantir leur retraite ?
L'avenir du FRR m'inquiète. Le prélèvement annuel qui lui est imposé le fait stagner, malgré sa gestion rigoureuse, autour de 35 milliards d'euros. Il sera donc insuffisant pour surmonter les difficultés financières des régimes dans les années à venir.
La pénibilité prend ici une autre forme par rapport à la loi de 2010. On passe d'une vision médicalisée à une forme collective et professionnelle. En fonction des capacités des individus, pour un même métier, dans les mêmes conditions et sur le même poste de travail, la pénibilité est-elle identique ?
M. Claude Domeizel . - Faut-il renoncer à créer le comité de surveillance ou bien plutôt modifier le fonctionnement et les objectifs du COR ? Pour en avoir été l'un des initiateurs et y avoir siégé, je tiens à rappeler que le COR est un outil qui peut faire des propositions, c'est un lieu de concertation mais non de négociation. Il fait des constats, qu'ils soient partagés ou non. Dans ce dernier cas, les désaccords sont clairement exprimés. Comme la commission Moreau, le comité de surveillance pourra faire des propositions, sans être un lieu de décision. Cette nouvelle structure vous semble-t-elle indispensable par rapport au COR ?
Mme Annie David, présidente . - Contrairement à certains de mes collègues, j'estime avoir entendu plusieurs propositions intéressantes de la part de nos invités. Le but de cette table-ronde n'était pas de recueillir un avis unique mais de confronter des points de vue divergents. Elle a très bien rempli son rôle. J'ai apprécié sa diversité, même si je ne suis bien sûr pas d'accord avec tout ce qui a été exprimé.
Les questions de financement sont absentes de ce texte, c'est la raison pour laquelle elles n'ont pas été au coeur de notre discussion. De nombreuses ressources nouvelles peuvent être exploitées. Le financement de notre protection sociale repose sur les revenus du travail, mais une part grandissante de l'assiette y échappe par le biais de la financiarisation. Il ne serait donc pas illogique de mettre à contribution les revenus du capital.
Mme Anne Lavigne . - La réforme vise à conforter le système de retraites par répartition à moyen et long termes. Je ne suis pas favorable à la capitalisation dans les régimes publics obligatoires, car elle revient à faire peser un risque financier pour se protéger d'un risque de longévité. Je suis attachée à la couverture collective du risque retraite. En revanche, il est déjà possible de recourir à la capitalisation, à titre individuel, pour financer un complément de retraite.
J'avais travaillé sur le FRR en 2003. Ma perspective était celle de son utilisation comme fonds de lissage. L'augmentation légère des taux de cotisation en période propice et le décaissement, à partir de 2003, d'un FRR mieux abondé aurait permis d'absorber la bosse démographique. D'après mes projections, il était possible d'attendre jusqu'en 2017 pour abonder le FRR, mais il aurait alors fallu augmenter de manière très significative les taux de cotisation entre 2017 et 2023 pour surmonter le choc démographique lié au baby-boom.
L'utilisation du FRR est une très bonne idée ; il pourrait même être adossé à des régimes en comptes notionnels. Je défends cette idée car elle fait disparaître les crispations sur les conditions d'âge. Il faut simplement fixer un âge minimal en deçà duquel le départ à la retraite serait impossible, afin que les droits à pension accumulés permettent dans tous les cas de vivre correctement.
Il était possible de réaliser des ajustements paramétriques sans parler de réforme et sans susciter des craintes quant aux déséquilibres financiers des régimes. Le FRR dispose des ressources nécessaires. Il faudrait commencer dès aujourd'hui à poser les fondements d'une réforme systémique dont les effets seraient différés dans le temps. L'Italie n'a pas pris de telles précautions, le résultat n'y est pas pleinement satisfaisant. Des ajustements à court terme et un nouveau régime, adossé au FRR, pour les départs à la retraite à partir de 2030 : voilà ce qui constituerait une réforme systémique.
M. Henri Sterdyniak . - J'ai souhaité rappeler que les prévisions établies par le COR ne faisaient pas apparaître un déficit si considérable à l'horizon 2040. Celui-ci représenterait 1 % du PIB, mais il serait possible de le couvrir en transférant vers l'assurance vieillesse des cotisations d'assurance chômage. En effet, le COR table sur une hypothèse de retour au plein emploi et donc d'une diminution sensible du taux de chômage à l'horizon 2040. Le COR intègre également une baisse de 15 % du niveau relatif des retraites, qui atteint aujourd'hui un montant historiquement haut. Si un tel choix n'était pas accepté, et que l'on souhaitait privilégier le maintien du niveau des pensions, il faudrait trouver des ressources représentant deux points de PIB, soit l'équivalent de quatre points de cotisations.
Il me paraît également nécessaire de souligner que la question des retraites est relativement secondaire par rapport à des enjeux beaucoup plus vastes dont elle est largement tributaire : le retour au plein emploi, la sortie de la gestion catastrophique de la zone euro et l'arrêt de la désindustrialisation.
A compter de 2035, le ratio démographique sera stable. L'équilibre peut être atteint par une politique économique privilégiant le retour au plein emploi, par un effort des employeurs pour maintenir leurs salariés dans l'emploi jusqu'à soixante-deux ans et par un arbitrage adéquat entre le niveau des cotisations et celui des retraites.
Le projet de loi actuel peut certes apparaître comme une « petite » réforme. Mais contrairement à Catherine Mills, je pense que cette petite réforme nous protège, et contrairement à Anne Lavigne, je me réjouis que l'on ne se lance pas dans une réforme structurelle qui réclamerait de très longues négociations sur de nombreux sujets et supposerait de faire coexister deux systèmes, l'ancien et le nouveau, durant toute la phase de transition. J'ajoute que le passage à un système en comptes notionnels serait très pénalisant pour les ouvriers qui sont de facto obligés de partir tôt en retraite.
S'agissant des instances de suivi et de pilotage, j'estime qu'à côté du COR, instance très importante du fait de son travail technique, il est nécessaire de mettre en place une « maison commune » des retraites. Elle devrait, de mon point de vue, associer les partenaires sociaux et les gestionnaires de l'ensemble des régimes de retraite, publics et privés, de base et complémentaires, et servir de cadre à des négociations sur l'évolution et la convergence des régimes. De tels sujets ne peuvent être laissés à des experts.
Lors de la création du FRR, on pensait qu'il permettrait d'accumuler des fonds très importants. Il n'en a rien été. Depuis 2004, les avoirs placés par le FRR ont produit un rendement annuel moyen de 1,8 % en termes réels. Son rapport n'est pas supérieur au coût de la dette publique. En réalité, le FRR n'aura servi à rien. C'est une opération blanche et il aurait été aussi simple d'affecter les ressources destinées au FRR aux besoins de financement immédiats des régimes.
Mme Catherine Mills . - Les questions démontrent qu'il y a véritablement nécessité d'un débat, et d'un temps suffisant pour le conduire. Pourquoi une telle précipitation dans cette réforme ? Cessons de considérer l'allongement de la durée de vie uniquement comme un problème. Pourquoi ériger en dogme intangible le principe posé en 2003 visant à affecter les deux tiers des gains d'espérance de vie à l'activité professionnelle et un tiers seulement à la retraite ? La retraite constitue un choix de société, un choix de civilisation. On ne peut la réduire à de simples équilibres comptables.
Comme en 2003 et en 2010, cette réforme est censée être la dernière. Mais comme les précédentes, elle conduira inéluctablement à réduire le niveau des pensions et de ce fait, elle jouera négativement sur le taux de croissance, entraînant de nouveaux problèmes de financement. Il faut sortir de cette logique. Notre système de retraites peut être pérennisé sans recourir à la capitalisation. Nous pouvons encore mobiliser les cotisations sociales, contrairement à ce dont on veut nous persuader.
Audition de MM. Gérard RIVIÈRE, président du conseil d'administration, et Pierre MAYEUR, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse (Cnav)
Réunie le mercredi 16 octobre 2013, sous la présidence de Mme Annie David, présidente, la commission procède à l'audition de MM. Gérard Rivière, président du conseil d'administration, et Pierre Mayeur, directeur, de la Caisse nationale d'assurance vieillesse sur le projet de loi n° 1412 (AN-XIV e ) de financement de la sécurité sociale pour 2014 et sur le projet de loi n° 1376 (AN-XIV e ) garantissant l'avenir et la justice du système de retraites.
Mme Annie David , présidente . - Bienvenue à MM. Gérard Rivière, président du conseil d'administration, et Pierre Mayeur, directeur de la Cnav. Nous souhaitons aborder avec vous à la fois le projet de loi de financement de la sécurité sociale (PLFSS) pour 2014 et la réforme des retraites, l'équilibre général de la branche étant conditionné par les mesures prévues dans le cadre de cette réforme.
M. Gérard Rivière , président du conseil d'administration de la Caisse nationale d'assurance vieillesse . - Saisi pour avis, le conseil d'administration de la Cnav a émis un avis majoritairement négatif sur ces deux textes. Notre débat du 2 octobre a d'ailleurs porté davantage sur la réforme des retraites que sur le PLFSS, ce dernier texte ne comportant pas de mesure spécifique vieillesse.
En 2012, le solde négatif de la CNAV s'établit à 4,8 milliards d'euros, contre 6 milliards en 2011 ; c'est donc une amélioration de 1,2 milliard. A réglementation constante, le déficit se réduirait en 2013 pour s'établir à 3,3 milliards d'euros, et se creuserait en 2014 pour atteindre 3,7 milliards. La réduction du déficit entre 2012 et 2013 découle de l'affectation de ressources nouvelles par la loi de finances rectificative de 2012 et le PLFSS pour 2013.
On estime qu'en 2017, l'incidence démographique et les mesures de retraite anticipée pèseront sur les comptes de la branche vieillesse pour plus de 17 milliards d'euros, soit l'équivalent de 18 % de la masse des pensions. Sur cette somme, 3,4 milliards d'euros seraient liés aux retraites anticipées, 11,8 milliards à l'effet papy-boom, partiellement anticipé avec la création du Fonds de réserve pour les retraites (FRR), les gains d'espérance de vie ne pesant que pour 1,9 milliard d'euros, soit un tiers de point de cotisation d'assurance retraite. N'imputons pas tout à la progression de l'espérance de vie : la dégradation des comptes est essentiellement due à l'effet papy-boom.
M. Pierre Mayeur , directeur de la Caisse nationale d'assurance vieillesse. - Au-delà de l'allongement de la durée de cotisation et des modifications en matière de gouvernance, la réforme des retraites aura d'importantes conséquences sur l'exercice de leur métier par les caisses de retraite : calcul unique de la retraite acquise dans les régimes alignés, à l'article 14 ; suppression du versement forfaitaire unique, à l'article 29 ; création de l'Union des institutions et services de retraite surtout. Cette réunion des différents régimes de retraite dans un groupement d'intérêt public supposera de mener des projets informatiques, mais aussi de mettre en commun les moyens des caisses. Le régime général, qui verse une pension à 90 % des retraités et regroupe 70 % des actifs, y jouera bien entendu un rôle majeur.
Mme Christiane Demontès, rapporteure . - Diverses mesures du projet de loi portant réforme des retraites auront des conséquences pour la Cnav en termes de gestion. Comment la caisse va-t-elle gérer le passage de 200 à 150 heures par trimestre pour valider un trimestre ? L'Union des institutions et services de retraite a pour vocation de remplacer le GIP Info-retraite. Quel poids cela représente-t-il pour vous, en termes de gestion ? Comment simplifier les choses pour les institutions, et pour la Cnav en particulier ?
M. Pierre Mayeur. - Le Gouvernement a annoncé vouloir réaliser des économies de gestion - 200 millions d'euros à l'horizon 2016, selon le dossier de presse du 27 août 2013. La simplification est essentielle, qu'elle bénéficie à l'assuré, à la caisse ou aux deux. Certaines mesures, comme le calcul unique, auront ce double dividende, pour l'assuré ainsi qu'à terme, pour les régimes de retraite.
Le passage de 200 à 150 heures Smic suppose une évolution de nos systèmes informatiques qui ne devrait pas poser problème. En revanche, les dispositions relatives au reliquat des cotisations et au plafonnement seront lourdes de conséquences en termes de gestion. Il nous faudra attendre d'avoir digéré la mise en place du système de déclaration sociale nominative avant de les intégrer dans nos systèmes informatiques. Nous nous fondons aujourd'hui sur la déclaration annuelle de données sociales ; la déclaration sociale nominative représente une vraie sophistication de notre réglementation.
M. Jean Desessard . - Il faut relativiser l'effet de l'allongement de l'espérance de vie par rapport aux effets du papy-boom, nous dit M. Rivière. Soit. Mais alors, quelle solution propose le conseil d'administration ? Réduire la pension des papy-boomers ? C'est que je suis concerné au premier chef !
M. Jacky Le Menn . - Le conseil d'administration de la Cnav a émis un avis négatif sur la réforme des retraites, nous dites-vous. Voilà qui est bien lapidaire. Nous aimerions savoir quels points précis ont suscité des oppositions. Certaines mesures ont bien dû être jugées positivement, par exemple celles relatives aux femmes, aux personnes handicapées, à l'apprentissage ou encore la possibilité de racheter des années d'études... Quels sont les éléments qui justifient cet avis négatif ?
M. Alain Milon . - Vous évaluez l'effet du gain d'espérance de vie à 1,9 milliard d'euros. Est-ce un chiffre annuel ?
M. Claude Jeannerot . - J'allais poser la même question. L'effet papy-boom est aussi lié à l'augmentation de l'espérance de vie ! Il me paraît difficile de dissocier les deux : le coût prévisible vient aussi du fait que ces personnes seront longtemps à la retraite.
M. Gérard Rivière . - Sans doute ai-je été un peu rapide. Bien entendu, les membres du conseil d'administration de la Cnav n'expriment pas tous le même vote négatif : les organisations d'employeurs auraient souhaité que l'on recule l'âge légal de départ à la retraite ; les organisations de salariés dénoncent l'allongement de la durée de cotisation.
Mme Christiane Demontès , rapporteure . - Des avis motivés par deux raisons diamétralement opposées, donc...
M. Jean-Noël Cardoux . - Moins par moins, cela fait plus...
M. Gérard Rivière . - Les organisations de salariés ne se sont pas prononcées sur la question de l'âge légal, qui ne figure pas dans le projet de loi. Le conseil d'administration de la Cnav émet un vote global, et non article par article. Nombreux sont ceux qui ont souligné l'intérêt des mesures en faveur des femmes ou des jeunes, non sans regretter parfois leur manque d'ambition ou leur faible portée...
La situation de l'emploi pèse lourd sur nos comptes : 100 000 affiliés au régime général, au salaire moyen de l'industrie et du commerce, c'est 400 millions d'euros de ressources nouvelles pour la Cnav.
Je qualifierais l'effet papy-boom de structurellement provisoire : il se fera sentir jusqu'en 2040 environ. L'espérance de vie, c'est-à-dire la durée de service de la pension, ne progresse pas tant qu'on pourrait le croire. Je ne sais jusqu'à quel âge vivront les personnes qui entrent aujourd'hui dans le système. Reste que l'espérance de vie en bonne santé a reculé depuis un an, avec la crise, et qu'on ne saurait mesurer l'espérance de vie de salariés qui auront passé quatre ou cinq ans de plus au travail que les générations qui ont travaillé 37,5 années, voire ont bénéficié de pré-retraites... Bref, je ne suis pas sûr que l'espérance de vie augmente tant que cela.
M. Pierre Mayeur. - L'effet majeur, c'est le papy-boom ; l'effet mineur, c'est l'allongement de l'espérance de vie. En termes financiers, on est passé brutalement de 450 000 liquidations de retraite par an au début des années 2000 à près de 800 000. Cette évolution structurelle va détériorer le ratio démographique entre cotisants et retraités, malgré la progression de la population cotisante due à notre taux de fécondité élevé : plus de personnes arrivent à l'âge de la retraite qu'il n'en rentre sur le marché du travail.
Mme Françoise Boog . - Vous avez évoqué la mise en commun des moyens des caisses de retraite. Selon quelle méthodologie ?
M. Pierre Mayeur. - Nous avons une expérience sur un segment limité avec la mise en place du GIP Info-retraite depuis 2003-2004. Nous envoyons chaque année des millions de documents : à partir de trente-cinq ans, les assurés reçoivent un courrier tous les cinq ans, les relevés individuels de situation sont accessibles sur Internet, et à cinquante-cinq ans, une estimation globale de la pension est réalisée par les régimes. Avec l'Union des institutions et services de retraite, nous passons d'une structure de dix personnes à la mise en commun de techniciens des différents régimes pour fournir aux assurés un service unifié et amélioré. L'entretien info-retraite était déjà l'occasion de faire un bilan de la situation globale de l'assuré. Il faudra des règles de gouvernance : avec trente-cinq régimes de retraite, dont vingt et un régimes de base, on ne peut donner les mêmes prérogatives à tous. Si l'on veut être efficace et efficient, l'on devra donner aux grands régimes de retraite les moyens de se coordonner entre eux. Cela fait quatre ans que la Cnav travaille étroitement avec l'Agirc-Arrco, avec la demande de retraite coordonnée.
Mme Annie David , présidente . - Ce savoir-faire sera utile.
M. Hervé Poher . - Le temps passé au travail joue sans doute sur l'espérance de vie sans être un facteur majeur : si celle-ci augmente, c'est grâce aux progrès de l'hygiène, de l'alimentation, de la médecine. D'ailleurs, l'espérance de vie des femmes stagne, car elles sont moins raisonnables que leurs mamans ; celle des hommes progresse, car ils sont plus raisonnables que leurs papas. Le delta de progression va forcément diminuer : on ne peut être plus fort que la nature.
M. Jean-Marie Vanlerenberghe . - On arrive à l'asymptote.
M. Hervé Poher . - Je ne pense pas que le facteur travail soit déterminant, même si la pénibilité joue sur l'espérance de vie.
Mme Annie David , présidente . - L'impact des conditions de travail se voit pourtant clairement dans l'écart entre l'espérance de vie à soixante ans d'un ouvrier et celle d'un cadre. On ne peut le nier, même si d'autres facteurs entrent bien sûr en jeu.
M. Claude Jeannerot . - On sait la relation entre pauvreté et accès à la médecine.
M. Hervé Poher . - A conditions de travail inchangées, l'espérance de vie s'est accrue de quinze ans en un siècle.
M. Gérard Rivière. - Plus encore que l'activité professionnelle, c'est l'origine sociale qui détermine, encore aujourd'hui, le parcours éducatif, professionnel et même l'espérance de vie. Celle-ci n'est pas la même dans les quartiers huppés et dans les quartiers déshérités ; celle d'un ouvrier est inférieure de sept ans à celle d'un cadre supérieur ou d'un enseignant du supérieur. Le recul de l'âge de départ à la retraite réduira l'espérance de vie des ouvriers par rapport à celle des cadres supérieurs - qui pèsent bien moins lourd dans les comptes de la Cnav. L'espérance de vie continuera-t-elle de progresser ? Le débat est ouvert.
Quant au PLFSS pour 2014, il ne traite pas le déficit du Fonds de solidarité vieillesse (FSV). La dégradation de l'emploi plombe les comptes du FSV : ses dépenses augmentent, alors que ses recettes baissent. Son déficit s'établit autour de 3 milliards d'euros, soit autant que celui de la Cnav, à comparer à ses 20 milliards de prestations (110 milliards pour la Cnav). Le FSV n'a pas été conçu pour générer du déficit. Nous avons formulé des propositions pour en améliorer le financement, notamment sur la prise en charge des périodes relevant de la solidarité nationale : chômage, mais surtout maladie et maternité. La cotisation est à la hauteur des besoins : c'est l'expression de la solidarité nationale, due à la crise, qui plombe les comptes du FSV. Ce déficit doit être traité dans les meilleurs délais. Je regrette que nos propositions n'aient pas été entendues, qu'il s'agisse de financement ou de simplification et de réduction des coûts de gestion. Au contraire, plusieurs mesures sont venues complexifier les choses, à commencer par le report des cotisations d'une année sur l'autre et le plafonnement pour les salariés ayant une activité sur une période réduite de l'année. Difficile, dans ces conditions, d'éviter les effets d'aubaine...
Mme Annie David , présidente . - Je vous remercie.