jeudi 7 février 2013
représentants
de l'union nationale des associations familiales (UNAF)
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous poursuivons nos auditions avec les représentants des associations familiales. L'UNAF, parce qu'elle fédère une multitude d'associations, est l'interlocuteur privilégié des pouvoirs publics. Comme lors des débats sur le Pacs, elle est divisée sur ces questions. Nous entendrons d'abord la position majoritaire de l'UNAF par la voix de son président, M. François Fondard, puis d'autres associations minoritaires, laïques et catholiques.
M. François Fondard, président de l'union nationale des associations familiales . - Merci de votre invitation. Nous souhaitons que la navette parlementaire permette au Sénat de jouer pleinement son rôle. La présentation précipitée de ce texte n'a pas permis de procéder aux consultations nécessaires ; ainsi, le Conseil national de l'adoption n'a pas eu le temps de rendre un avis sur le fond. Nous souhaitons que tous les points de vue des experts soient rendus publics. Par exemple, l'audition du Défenseur des droits à l'Assemblée nationale n'a pas été retransmise, alors qu'il soulignait des manques s'agissant des droits des enfants...
L'UNAF regroupe 700 000 adhérents autour de 22 unions régionales et 99 unions départementales. La loi lui confie la charge de représenter les 17 millions de familles françaises ; c'est à ce titre qu'elle est consultée sur ce projet de loi qui, contrairement à ce que laisse penser son intitulé, va bien plus loin que l'ouverture du mariage aux couples de même sexe.
Le mariage comporte des conséquences sur l'adoption et la filiation. Le Défenseur des droits l'a bien noté : « Contrairement à la question de l'ouverture du mariage aux personnes de même sexe, qui relève de la seule responsabilité du Gouvernement et du Parlement, la question des enfants, de l'adoption et de la filiation, doit s'inscrire dans le cadre des obligations internationales souscrites par la France. La procédure suivie pour l'élaboration du projet de loi qui vous est soumis présente à cet égard une évidente lacune. En effet, l'étude d'impact qui accompagne le projet ignore totalement la convention internationale des droits de l'enfant. Pas une page, pas une ligne ne lui est consacrée. »
Il est impossible de dissocier le mariage de la filiation.
Ce projet de loi touche toutes les familles parce qu'il se trouve à la croisée de plusieurs droits : droits des adultes, droits des femmes, droits des enfants, droit des pères, droits des mères...Tous ces droits pris séparément ont leur légitimité, mais quand ils viennent en concurrence, il faut choisir.
La majorité de l'UNAF est favorable à l'ouverture de nouveaux droits aux couples de même sexe, mais la majorité de son conseil d'administration considère qu'elle doit prendre une autre forme que le mariage ; à une très forte majorité, elle est opposée au recours à l'aide médicale à la procréation (AMP) pour les personnes de même sexe et, a fortiori , à la légalisation de la gestation pour autrui (GPA).
Comment ouvrir de nouveaux droits aux personnes homosexuelles ? Choisir le mariage, c'est choisir la filiation, car le mariage est un tout. Pour nous, la réponse n'est ni dans le mariage ni dans le Pacs. Elle réside dans l'union civile, qui permet l'ouverture de droits sociaux et patrimoniaux et l'officialisation de l'union en mairie. Celle-ci, à notre grand regret, a été évacuée en quelques lignes dans l'étude d'impact, qui indique même que les associations familiales se sont montrées « résolument opposées » à ce dispositif. Nous avions dit le contraire ! Pourtant, c'est la solution appliquée en Allemagne où a été créé un « partenariat de vie » qui confère des droits sans assimilation au mariage ; seule l'adoption de l'enfant biologique du partenaire est possible, permettant aux deux membres du couple d'exercer conjointement l'autorité parentale sur l'enfant. L'UNAF s'est d'ailleurs prononcée majoritairement pour l'adoption simple de l'enfant du conjoint dans le cadre d'une union civile. Une adoption plénière, nous l'avons dit dès les premières consultations ministérielles, remettrait en question la filiation adoptive pour tous les couples et l'unicité d'un lien maternel et d'un lien paternel pour l'enfant.
Ce projet de loi ouvre à la parenté : dès lors se pose la question de l'ouverture à l'AMP et à la GPA. Le Président de la République nous a indiqué il y a quinze jours qu'un projet de loi sur la famille serait présenté et qu'il saisirait le comité consultatif national d'éthique. Pour l'UNAF, si les accidents de la vie peuvent priver un enfant d'un de ses parents, la loi ne doit pas priver volontairement dès sa conception un enfant de père ou de mère : l'AMP revient à confectionner des enfants sans père, la GPA revient à priver les enfants de leur mère. L'UNAF souhaite donc limiter strictement l'accès à l'AMP et maintenir l'interdiction de la GPA. Ces questions doivent faire préalablement faire l'objet d'Etats généraux organisés par le comité consultatif national d'éthique.
L'AMP pour les couples homosexuels serait contraire à l'article 311-20 du code civil qui prévoit une double filiation : une mère et un père ; elle serait contraire au principe d'ordre public qui interdit l'établissement d'un double lien de filiation maternelle. Quant à la GPA, elle correspond à une marchandisation du corps humain contre laquelle il faut toujours lutter.
La réforme du mariage est, en fait, la porte d'entrée d'une réforme qui ne dit pas son nom : celle de la parenté, comme le reconnaît d'ailleurs l'exposé des motifs. Avec les amendements balais, les termes de « père » et « mère » ont été maintenus à l'Assemblée nationale. Selon le Président de la République, l'UNAF aurait convaincu sur ce point. Il faudra toutefois les interpréter par le mot de « parents » pour les couples homosexuels. On peut s'interroger sur la conformité aux objectifs constitutionnels de clarté, d'accessibilité et d'intelligibilité de la loi ...
Quel rapport entre la norme juridique avec le réel quand « père et mère » peuvent désigner indifféremment un homme et une femme, deux femmes ou deux hommes ? L'article 4 du projet de loi exclut le titre VII du livre I er relatif à la filiation du champ de la réforme ; ce titre comprend notamment la présomption de paternité, pour laquelle les termes de « père » et « mère » seront d'interprétation stricte. Quelle cohérence à désigner par des termes identiques deux réalités dans le même code ?
Dans le titre VII, l'article 310 consacre le principe fondamental de l'égalité entre tous les enfants, naturels ou légitimes. Cette égalité vaut également entre enfants issus d'une filiation adoptive ou biologique. Or, le projet de loi se limiterait aux seuls enfants issus de couples hétérosexuels ...
La question de l'état civil n'est toujours pas résolue. Le nouveau texte ne modifie pas l'article 34 du code civil, la garde des Sceaux ayant précisé que ce point serait traité par décret. Pour l'heure, donc, pas de désexualisation explicite de l'état civil. En apparence seulement, car malgré nos demandes répétées, nous n'avons pas obtenu d'éclaircissements. A partir du moment où la réforme avalise l'existence de couples parentaux formés de deux mères ou de deux pères, cela aura des conséquences. Pour légiférer en connaissance de cause, le Parlement doit avoir communication des décrets d'application ; les parents de même sexe auront-ils un livret de famille spécifique ?
Quant une femme accouche, sauf sous X, elle est désignée comme mère ; si sa compagne adopte son enfant, celle-ci sera-t-elle désignée comme parent ou comme seconde mère ? La mère restera-t-elle mère ou deviendra-t-elle parent ?
Ce projet de loi remet également en cause les droits de la mère : il aménage la majoration de la durée d'assurance accordée au titre de l'incidence sur la vie professionnelle de la naissance, de l'éducation ou de l'adoption ; pour les couples de même sexe, il y a un partage égal pour les trimestres non liés à l'accouchement ; pour les couples de personnes de sexe différent, l'attribution de la totalité de trimestres à la mère. Il n'y a donc plus égalité de traitement entre les mères biologiques selon qu'elles vivent avec un homme ou une femme. La question se pose également pour l'assurance maternité.
Enfin, le projet de loi modifie pour tous les règles de dévolution du nom de famille. Jusqu'à présent, l'enfant prend par défaut le nom de son père. Le projet de loi prévoyait que les enfants adoptés prendraient les noms de leurs deux parents, dans l'ordre alphabétique ; afin d'éviter une rupture entre filiation biologique et filiation adoptive, l'Assemblée nationale vient d'étendre ce changement à toutes les familles. Cette transformation majeure n'a fait l'objet d'aucune étude préalable et n'a pas sa place dans ce texte ; nous demandons au Sénat de revenir sur ce point.
Cette réforme soulève donc de nombreuses interrogations non résolues ; nous vous remerciant pour votre écoute.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Merci pour votre intervention fouillée. Nous entendrons le Conseil supérieur de l'adoption, une fédération d'associations consacrées à l'adoption ainsi que le Défenseur des droits, qui s'est substitué au Défenseur des enfants.
Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales. - L'UNAF est représentative du mouvement familial ; comment analysez-vous les évolutions de la famille ? Votre mouvement rassemble des représentants de familles monoparentales, recomposées ou encore en co-parenté : la famille se décline au pluriel dorénavant. Comment accueillez-vous les familles homoparentales ? Quelles seraient les conséquences de ce texte pour les familles hétérosexuelles ? Pour ma part, je n'en vois pas : elles concernent surtout les personnes de même sexe qui attendent de se marier.
M. François Fondard. - L'UNAF est ouverte à toutes les familles et prend en compte toutes les situations familiales. Sur 15 millions d'enfants mineurs, 76 % vivent avec leurs deux parents, selon l'INSEE. La famille n'est donc pas si éclatée qu'on veut le dire !
Sur ces 15 millions d'enfants mineurs, 16 % vivent dans des familles monoparentales, mais cette situation est le plus souvent transitoire. Les familles recomposées représentent 6 % du total. Les 2 % restant, soit 300 000 enfants, sont des mineurs placés en famille d'accueil ou en établissement. L'accueil des familles homoparentales ? Quelques associations de familles homosexuelles ont fait des demandes d'adhésion ; pour l'heure, aucune n'a été agréée car leurs statuts n'étaient pas conformes au code de l'action sociale et des familles. L'ADFH avait ainsi demandé à adhérer à l'UNAF de Paris, mais n'a pas été agréée car elle n'a pas fourni la liste de ses adhérents -ce qu'exige le code de l'action sociale et des familles. Si elle le fait, nous n'aurons aucune raison de ne pas donner suite à sa demande.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - L'APGL a-t-elle présenté une demande ?
M. François Fondard . - Cette association avait présenté une demande en 2000-2001. Mon prédécesseur, Hubert Brun, avait eu alors des échanges avec la ministre de la famille de l'époque, Mme Ségolène Royal. Là encore, ses statuts n'étaient pas conformes au code de l'action sociale et des familles.
M. François Edouard, vice-président, président du département « Droit de la Famille et Protection de l'enfance » de l'UNAF . - Oui, le texte aura bien des conséquences pour toutes les familles, notamment sur le livret de famille.
Des arrangements entre adultes ne doivent pas se faire au détriment des enfants !
Un statut de beau-parent ? Nous sommes très vigilants sur ce point : ce beau-père aura-t-il plus d'importance que le père ? La loi de 2002, qui autorise une délégation de l'autorité parentale, constitue déjà une solution. Les adultes doivent s'entendre pour le bien-être de l'enfant.
Dernier exemple, le nom de famille : l'Assemblée nationale a prévu d'accoler systématiquement les deux noms pour tous les enfants adoptés.
M. Jean-Jacques Hyest . - Les débats à l'Assemblée nationale me lassent un peu, je ne les suis pas de très près... Très peu de couples hétérosexuels demandent à ce que l'enfant porte le nom des deux parents ! Ce serait extraordinaire d'imposer une telle règle à tous.
L'UNAF a accompli un beau travail juridique. Reste un problème : la France ne connaît pas de contrôle de conventionnalité a priori . Or le texte, tel qu'il va sortir de l'Assemblée nationale, n'est pas, à mon sens, conforme à nos engagements internationaux, notamment à la convention de New York sur les droits des enfants et, même, à la convention européenne des droits de l'homme.
Mme Guillemette Leneveu, directrice générale de l'UNAF . - En l'état actuel du texte, les deux noms des parents seraient donnés par défaut à tous les enfants. Auparavant, l'enfant héritait par défaut du nom du père.
Mme Catherine Tasca . - Le psychanalyste Serge Tisseron suggère de distinguer le document qui établit le mariage de celui qui établit la filiation. Qu'en pensez-vous ?
Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - Les enfants placés en famille d'accueil tissent souvent des liens très forts avec celle-ci et sont parfois adoptés par elles. Qu'est-ce qui fait famille pour l'UNAF ?
En ce qui concerne le nom, 99 % des femmes mariées prennent le nom de leur époux, même si ce n'est pas mon cas personnel !
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . -- Ce n'est qu'un usage bourgeois hérité du XIX e siècle. En droit, les femmes conservent leur nom.
M. François Fondard . - Qu'est-ce qui fait famille ? Cela renvoie aux problématiques des 2 % d'enfants qui font l'objet de mesures de placement et de délégation de l'autorité parentale. Nous en reparlerons lors du projet de loi sur la famille. L'autorité parentale, renforcée dans la loi de 2002, est un élément fondamental. Elle ne doit pas être remise en cause par la création d'un statut de beau-parent.
Mme Guillemette Leneveu . - L'article de Serge Tisseron confirme notre analyse : cette réforme va bien au-delà du mariage ; c'est pour cela que l'UNAF préconise l'union civile, qui évite des modifications trop importantes.
M. François Edouard . - Qu'est-ce qui fait famille ? A l'évidence, l'arrivée de l'enfant dans le couple. Cette famille va évoluer ; généralement, les géniteurs élèvent l'enfant, mais les aléas de la vie font que ce n'est pas toujours le cas. Ceux qui les élèvent peuvent leur donner tout leur amour : les enfants sont néanmoins toujours curieux de leurs origines, ils en ont besoin pour se construire. Raison pour laquelle l'UNAF préfère l'adoption simple pour ne pas gommer les origines de l'enfant.
Le psychiatre M. Lévy-Soussan le dit bien, un enfant ne peut pas avoir deux mères ; il a une mère et la compagne de sa mère. Au reste, il a demandé à une femme élevée par deux femmes chez qui elle était allée habiter après la séparation du couple ; elle a répondu spontanément : « Chez maman » ! C'est pour cela qu'il n'est pas anodin de supprimer les mentions de père et de mère dans l'état civil.