Représentants de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL)
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Nous accueillons l'APGL, association créée en 1986.
M. Dominique Boren, co-président de l'association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) . - L'APGL et ses adhérents vous remercient de votre invitation. Le 2 février 2013, jour de l'adoption du premier article du projet de loi par l'Assemblée nationale, l'égalité républicaine s'est remise en marche, pour donner des droits à des citoyens qui en étaient privés à raison de leur seule orientation sexuelle.
L'APGL est très reconnaissante à Mmes Bertinotti et Taubira et aux parlementaires d'avoir défendu cette première avancée. Nul ne doute que le Sénat votera à son tour cette loi.
Treize ans après l'adoption du Pacs, à laquelle M. le rapporteur Jean-Pierre Michel a tant oeuvré, la France est invitée à honorer son pacte républicain -l'égalité pour tous- et à répondre à l'impérieuse exigence de protéger toutes les familles, tous les enfants, sans distinction.
Pourquoi la France a-t-elle tardé ? Contrairement à ce que certains fantasment sur les bancs de l'opposition à l'Assemblée nationale, le projet de loi ne répond pas à « une revendication catégorielle portée par une minorité », organisée en je ne sais quel effroyable « lobby communautariste ». Nous demandons simplement les mêmes droits et les mêmes devoirs pour tous. Nous ne voulons pas d'un statut à part, d'un statut spécifique qui ferait des personnes LGBT une sous-catégorie de citoyens.
Ce projet de loi associe conjugalité et lien de filiation. La conjugalité homosexuée sera dorénavant au même niveau que la conjugalité hétérosexuée. La famille homoparentale obtient enfin une reconnaissance. Le mariage républicain, qui n'appartient à aucun parti, à aucune chapelle, qui est célébré dans la maison commune par un élu, remplira pleinement sa mission universaliste. En votant le texte, vous répondrez au besoin légitime de protection mutuelle et de solidarité de tous les couples.
L'ouverture sans restriction de l'adoption et l'adoption intrafamiliale marque une rupture bienvenue : ce sera reconnaître légalement la filiation homosexuée.
Les parents sociaux ont le droit d'exister, eux qui, au quotidien, sont déjà des parents à part entière -et perçus comme tels à la crèche, à l'école. Mais nos lois n'en font que des fantômes, sans statut, au risque de fragiliser les familles- parfois jusqu'à la rupture.
Je vous invite à voter cette loi, telle qu'elle sortira de l'Assemblée nationale. Vous écrirez un nouveau chapitre dans l'égalité de tous les citoyens de la République.
L'égalité réelle commande que le mariage ouvre les mêmes droits en termes de filiation, avec la substitution de la présomption de parentalité à la présomption de paternité. Elle commande aussi que la filiation homosexuée, hors mariage, puisse être établie par une reconnaissance de paternité en mairie, devant l'officier d'état-civil : mêmes droits que pour les autres. Dans le cadre de la co-parentalité, les enfants ont le droit d'avoir des parents qui jouissent tous des mêmes droits. Une piste serait d'ouvrir l'adoption simple à plus d'une ou deux personnes.
L'égalité commande que, dans les couples non mariés, le parent qui n'est pas le parent légal mais a désiré, entouré, élevé l'enfant puisse maintenir un lien avec lui en cas de séparation, et faire reconnaître par le juge ce lien de parenté.
L'égalité commande, enfin, que la PMA soit ouverte à toutes les femmes. Je vous engage à vous saisir de cette première loi et de préparer la prochaine. L'année 2013 doit être celle de l'égalité.
Mme Fathira Acherchour, porte parole de l'APGL . - Merci de votre invitation. L'ouverture du mariage aux couples de même sexe est une question d'égalité : elle facilitera la vie de nombreux adultes et enfants en reconnaissant les parents sociaux. Il faut toutefois élargir le débat. Avec le mariage proposé en l'état, ces personnes ne pourront pas faire famille dans les mêmes conditions de sécurité que les hétérosexuels. La seule possibilité actuelle, c'est la délégation-partage de l'autorité parentale. Elle n'assure pas l'égalité entre les deux parents. Pourquoi imposer au conjoint du parent de se soumettre à l'arbitraire d'un jugement d'adoption afin d'établir la filiation, là où d'autres n'ont qu'une simple déclaration à faire ? C'est tout le contraire de l'égalité et de la justice. En outre, la loi reconnaîtra le mariage pour tous, mais pour l'adoption, il n'en sera pas de même. Tous les enfants ne seront pas adoptables par le conjoint de leur parent, notamment en cas d'adoption simple ou s'il existe déjà deux filiations reconnues.
La loi doit prémunir, prévenir, anticiper. Des propositions existent. Pour tenir compte des histoires de vie, de famille, d'enfants et des réalités familiales, il faut élargir la présomption de paternité à une présomption de parenté. Cela implique d'écrire l'article 312 du code civil ainsi : « L'enfant né d'une personne mariée a pour parent le conjoint de celle-ci ». Cela évitera aux couples homosexuels de se soumettre à un jugement pour chaque enfant. Idem pour la PMA... J'espère qu'avant la fin de l'année nous aurons enfin une loi.
Le projet de loi doit aussi viser la filiation hors mariage : il faut pouvoir établir la filiation en prévoyant une simple déclaration d'engagement parental, en mairie, comme pour les personnes hétérosexuelles, à qui l'on ne pose aucune question ! La simple expression de la volonté de reconnaissance suffit.
La loi doit être protectrice. Pour certains parents, le mariage sera impossible comme voie d'établissement de la filiation, je pense aux couples séparés, ou à ceux dont l'un des conjoints est originaire d'un pays où l'homosexualité est réprimée...
L'APGL vous appelle à prendre vos responsabilités : le mariage doit ouvrir aux couples de même sexe tous les droits attachés au mariage, et ce au nom de l'égalité.
Mme Marie-Claude Picardat, co-présidente de l'Association des parents et futurs parents gays et lesbiens (APGL) . - La loi ne devra laisser aucune famille, aucun enfant sur le bord du chemin. Le nombre de Pacs approche celui des mariages. Les homosexuels seront-ils les seuls à être obligés de se marier pour établir une filiation ? Vous devez ouvrir des droits à ces parents sociaux sans statut. Nouvelle vie, nouvelles familles, nouvelle loi ! Il peut y avoir plus de deux parents à l'origine d'un projet familial. Il vous revient de penser la coparentalité, la pluri-parentalité, avec un statut pour tous les parents sociaux et les beaux-parents. Ces derniers se font le plus souvent débouter par les tribunaux quand, après une séparation, ils réclament un droit de visite auprès des enfants qu'ils ont élevés pendant des années.
Des propositions existent, sur le partage de l'autorité familiale, les aspects patrimoniaux, la filiation. Il y aura bientôt une loi sur la famille, nous dit-on. Mais, en l'état, faute d'être allé suffisamment loin, le texte va créer de nouvelles situations de non-droit que nous redoutons. Certains changements pourraient être intégrés dans ce texte afin de protéger les familles existantes qui n'entrent pas dans le cadre du mariage et de l'adoption. Les enfants sont là, ils ont grandi, les familles se sont parfois défaites, voire déchirées. La France a signé en 1990 la convention internationale des droits de l'enfant, qui prescrit le maintien des liens entre l'enfant et tous les adultes qui l'ont élevé. La loi de 2002 en prend acte, mais du bout des lèvres. L'amendement n° 5255 du rapporteur Erwann Binet pour l'Assemblée nationale va également dans ce sens, mais il faut aller plus loin et créer un véritable statut de beau-parent et de parent social, dans l'intérêt de l'enfant. A vous, sénateurs, de vous en charger - en incluant le partage de l'autorité parentale avec le parent social, même si le parent légal n'y est pas favorable.
Pensons aux fratries qui sont éclatées - il faut les protéger. La possession d'état doit pouvoir être utilisée par les familles homoparentales et pluri-parentales. Le juge devra avoir les moyens de vérifier qu'il n'y a pas de conflit entre le parent social, souvent à l'origine de la naissance de l'enfant, et le nouveau conjoint marié de l'autre parent, doté de nouveaux droits...
Réformons dès maintenant l'adoption simple... Celle-ci autorise déjà plus de deux filiations, jusqu'à quatre parents, deux de naissance, deux adoptifs. La limite, c'est que les parents adoptifs ont seuls l'autorité parentale - même si celle-ci peut être déléguée. En outre, l'adoption simple n'est possible que par une seule entité, couple marié ou personne seule. L'adoption par deux personnes n'est possible que si elles sont mariées - cela n'a aucun sens pour des familles recomposées, par exemple, quand l'enfant a déjà, en quelque sorte, quatre parents.
Les députés socialistes ont voté le Pacs en pleine épidémie du sida, malgré les manifestations et les déferlements de haine. Il est aujourd'hui plébiscité. Merci à Jean-Pierre Michel et Patrick Bloche, qui en étaient les initiateurs ! Ils ont tenu bon pour que les dispositions soient inscrites, au sein du code civil, au chapitre « droit des personnes » et non au chapitre « droit des contrats ». Avec le vote de l'article premier du projet de loi, la France rejoint le groupe de tête des pays qui font avancer les droits de l'homme. Il faut continuer, protéger le peuple et ses composantes les plus vulnérables - les personnes homosexuelles mais plus encore leurs enfants, aujourd'hui privés de filiation, bâtards de la République.
Mmes et MM. les Sénateurs, votez le mariage, votez l'adoption ; mais modifiez ce texte en pensant aux enfants, et en dessinant un droit de la famille... qui ressemble aux familles. C'est une bataille parlementaire historique et j'espère qu'à son issue, aucun enfant, aucune famille ne restera au bord du chemin.
Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - La marche vers l'égalité est, effectivement, un long chemin. Vous nous invitez à dépasser le cadre fixé au présent projet de loi. Pour ma part, je pense qu'il faut attendre le futur projet de loi sur la famille pour revisiter les liens familiaux, la PMA, le statut du beau-parent.
Mme Corinne Bouchoux . - Une question concrète : pouvez-vous illustrer les stigmates dont sont victimes ces familles au quotidien, dans les relations avec l'école ou avec le monde médical ? Pouvez-vous citer des préjudices - de chances et de droits - dont pâtissent ces enfants ?
M. Henri Tandonnet . - Ces interventions étaient très intéressantes. Une réforme de la filiation s'impose. Je crains cependant qu'en n'abordant pas le sujet dans sa globalité, mariage, parentalité et filiation, nous nous trouvions en porte-à-faux lors de la deuxième loi. Ne serons-nous pas, alors, contraints par le premier volet ? Car il y a un changement de la nature du mariage. Il faut en tenir compte.
Mme Marie-Claude Picardat . - Nous demandons une régularisation des situations existantes.
Paradoxalement, au quotidien, les familles homoparentales sont très bien acceptées : il y a un décalage entre le politique et le social. Les administrations, santé, école, tout comme les télécoms ou la SNCF, intègrent nos familles. Nos adhérents ne nous font pas remonter beaucoup de réactions homophobes au quotidien. Les enseignants ont vu les familles changer et ils accompagnent tranquillement l'évolution sociale.
En revanche, des décisions peuvent être soumises à l'arbitraire. Un exemple : une enfant souffrant d'asthme chronique. Un jour, c'est la maman non reconnue légalement qui l'accompagne aux urgences - les médecins ont beau connaître la famille, ils n'hospitalisent pas la fillette car la mère légale, en voyage à l'étranger, ne pourrait pas signer l'autorisation de sortie ! Dans des cas plus graves, la mission médicale prend le pas sur le reste mais, le plus souvent, la décision dépend du bon vouloir des uns et des autres. C'est particulièrement vrai chez les magistrats... Pour déléguer l'autorité parentale, à Toulouse, c'est très simple, il suffit au parent légal de remplir un papier ; à Paris, il y a enquête de police et les décisions rendues sont souvent contradictoires. L'enfant peut voir son parent social désavoué par un inconnu. Or, dire devant un enfant à son parent, pour motiver un refus : « Vous n'êtes rien pour lui », c'est placer les enfants dans des situations psychiquement très éprouvantes.
Le droit doit changer plus vite. Sans quoi, le parent social ne pourra pas faire reconnaître son lien avec l'enfant si le parent légalement reconnu se remarie. Il y a aussi dans notre association des gens séparés qui sont prêts à se marier pour pouvoir adopter l'enfant ! Imaginez la gymnastique !
Mme Esther Benbassa . - Cela vaut pour toutes les familles recomposées, y compris hétérosexuelles. Il faut revoir l'ensemble !
Mme Marie-Claude Picardat . - Absolument. Le droit de la famille ne peut plus reposer sur le mariage. Allons au bout de la logique. N'oublions pas que dans les familles recomposées hétérosexuelles, les liens de filiation, de fratrie, ne sont pas remis en cause. Dans les familles homoparentales, ils ne sont même pas établis.
M. Dominique Boren . - Le projet de loi ne donne pas des droits aux familles homosexuelles en en retirant aux familles hétérosexuelles : nous ne prenons rien à personne ! Nous ne voulons pas d'un statut spécifique pour les homosexuels. La deuxième loi devra donner des droits à tout le monde. Nous sommes des hommes et des femmes comme les autres, des citoyens à part entière : nous ne nous résumons pas à notre orientation sexuelle !
Mme Marie-Claude Picardat . - Le projet de loi ouvre certes le mariage, mais sans la filiation : ce n'est pas le même mariage pour tous, même si c'est un premier pas.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Le Gouvernement serait bien inspiré de saisir le Sénat en premier sur la loi famille !