Mercredi 6 février 2013
Représentants de l'Interassociative inter-LGBT
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- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur. - Nous reprenons nos auditions publiques sur le mariage pour tous. Mme Michelle Meunier, qui a été désignée rapporteure pour avis par la commission des affaires sociales ce matin, participe à nos travaux.
M. Nicolas Gougain, porte-parole de l'inter-LGBT . - Merci de votre invitation. L'interassociative lesbienne, gaie, bi et trans fédère une soixantaine d'organisations militant contre les discriminations subies au quotidien par les homosexuels dans le monde du travail, à l'école, dans le sport, etc., mais aussi pour l'égalité des droits. Elle organise également la marche des fiertés, autrefois appelée la gay pride . La revendication politique d'égalité n'est pas nouvelle. Nous sommes très émus d'être entendus au Parlement, cela a été très rare par le passé. Enfin, on parle de la prise en compte des familles, quelle que soit leur orientation sexuelle. Cela nous fait beaucoup de bien, car nous attendions depuis longtemps ce projet de loi, ce moment historique.
M. Mathieu Nocent, co-secrétaire de la commission politique de l'inter-LGBT . - Je commencerai par une anecdote. En mai 2012, Barack Obama s'est déclaré en faveur du mariage aux couples de même sexe. Une petite fille, Sophia Bailey Klugh, 10 ans, lui a écrit : « Je suis tellement heureuse que vous soyez d'accord avec le fait que deux hommes puissent s'aimer, parce que j'ai deux papas et ils s'aiment, mais à l'école les enfants pensent que c'est dégoûtant et bizarre, et cela me blesse et me fait mal au coeur. Si vous étiez à ma place, que feriez-vous ? ». Le président des Etats-Unis lui a répondu deux jours plus tard pour la remercier de cette si belle lettre : « En la lisant, je me suis senti fier d'être votre président, et j'ai ressenti encore plus d'espoir dans l'avenir de notre pays. Aux Etats-Unis, il n'y a pas deux familles qui se ressemblent. Nous sommes fiers de cette diversité. Nos différences nous unissent. Nous sommes chanceux de vivre dans un pays où nous sommes tous nés égaux, et ceci quelle que soit notre apparence physique, l'endroit où nous sommes nés ou l'identité de nos parents. »
En France, des dizaines de milliers d'enfants vivent la situation de la petite Sophia : ils sont élevés par deux papas ou deux mamans, par un papa et deux mamans, une maman et deux papas, ou par deux mamans et deux papas. Depuis quelques semaines, ils entendent dire à l'Assemblée nationale que le mariage consacre l'union d'un homme et d'une femme, dans le but de procréer. C'est ignorer la révolution juridique que le mariage a connue depuis le code napoléonien de 1804.
Cette conception est dépassée. Depuis 1972, les droits et les devoirs des enfants et des parents sont identiques dans le mariage et hors mariage ; depuis 2005, il n'y a plus de distinction entre filiations légitime et naturelle. Plus d'un enfant sur deux naît hors mariage ; bien des couples se marient sans avoir l'intention de procréer. Le coeur du mariage n'est plus la présomption de paternité mais le couple. Comment justifier désormais que les couples de même sexe n'y aient pas accès ?
Ils entendent dire que les enfants doivent avoir un père et une mère pour s'épanouir. C'est méconnaître la diversité des familles et faire injure aux enfants de familles monoparentales et homoparentales. La famille « idéale » renvoie à un jugement de valeur. Faisons confiance aux enfants pour gérer le pluralisme du monde dans lequel, de toute façon, ils vont vivre.
Ces enfants entendent aussi dire que leurs parents leur mentiraient et que l'Etat appuierait ce mensonge en reconnaissant une double filiation monosexuée. Aucun couple homosexuel ne prétendra être les parents biologiques de l'enfant ! Comme le dit Irène Théry, « la filiation adoptive n'est pas un décalque de la procréation. Loin de chercher à se faire passer pour ses géniteurs, les parents adoptifs revendiquent l'adoption pour elle-même, comme une façon pleinement légitime de construire la filiation sur l'engagement ». Personne n'a l'intention de faire passer les enfants issus de la procréation médicalement assistée (PMA) comme nés de deux femmes : c'est un fantasme. S'il y a un mensonge, c'est celui du droit qui fait croire, pour les enfants nés de la PMA, que le mari stérile est le géniteur...
Ces enfants entendent encore dire que ce mariage va contre la nature. Une vision naturaliste pour le moins audacieuse...Les Lumières sont-elles si éloignées ? A-t-on oublié que l'on est passé de la nature à la culture, d'un ordre religieux à un ordre civil ? La nature n'a pas force de droit et ne saurait imposer en droit la reconnaissance d'une seule structure familiale.
On leur explique enfin que la différence des sexes serait un référentiel indispensable à la construction de l'enfant. Mais elle est omniprésente dans leur environnement, dans leur quotidien ! Ce texte met à bas les stéréotypes et rétablit une pleine égalité entre les couples et au sein des couples.
Le président Obama terminait ainsi sa lettre à la petite Sophia : « Une bonne règle est de traiter les autres comme tu aimerais qu'ils te traitent. Rappelle cette règle à tes camarades s'ils tiennent des propos qui te blessent ». Cependant, alors qu'hier la Chambre des communes du Royaume-Uni a voté, à 400 voix contre 175, l'ouverture du mariage à tous, le député Bénisti parlait, à l'Assemblée nationale, d'« enfant Playmobil » ; Mme Dalloz réclamait que le principe de précaution ne s'applique pas qu'aux animaux ; le député Duyck parlait d'une régression monstrueuse ; son collègue Poisson s'inquiétait que l'on finisse par créer artificiellement des enfants « disponibles à toute forme de volonté, de désir », et Mme Genevard s'inquiétait des cris de détresse des enfants élevés sans père ou sans mère. J'ose croire qu'un jour, les enfants qui souffrent de ces outrances et de cette stigmatisation pourront dire à leurs camarades : « oui, j'ai deux papas, et alors ? »
M. Nicolas Gougain . - Le projet de loi ne vise pas à remplacer un modèle par un autre, il est inclusif. Il ne s'agit pas d'imposer un modèle, mais d'en reconnaître un autre en ajoutant à la diversité. Vous n'enlèverez rien aux familles hétérosexuelles en donnant aux familles homosexuelles le droit de vivre leur histoire comme elles l'entendent - que ce soit par le Pacs ou le mariage. Le rôle du législateur est de sécuriser la situation de ces familles et de garantir l'égalité des droits. Ce projet de vivre-ensemble contribuera à la lutte contre les discriminations et les stéréotypes.
L'attente est extrêmement forte. Il y a deux ans, la date de la marche des fiertés avait coïncidé avec la reconnaissance par l'Etat de New York du mariage homosexuel. Cela avait soulevé un formidable espoir.
Nous regrettons que la France, encore une fois, ait été doublée par un autre pays dans la lutte contre les discriminations. Mais aujourd'hui, nous y sommes, la France marche vers l'égalité des droits.
Vous recevrez bientôt le texte de l'Assemblée nationale, j'espère que vous l'enrichirez.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je tiens à vous rassurer : il y aura des oppositions au Sénat, mais on n'y tiendra pas les mêmes propos qu'à l'Assemblée nationale. Quant à la PMA, Mme Héritier, après un passionnant exposé anthropologique, nous a expliqué hier que nous allions nous prononcer sur un détail, que la principale révolution était devant nous : la procréation hors utérus. Rassurez-vous donc, bonnes gens !
Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis de la commission des affaires sociales . - On entend beaucoup les opposants au projet de loi. J'aimerais savoir ce que disent les associations depuis le début de ce débat. Constatez-vous un élargissement de votre audience et quels sont les effets du texte sur ceux qui y sont favorables ?
Mme Virginie Klès . - Vous avez parlé de mensonge. Il faut bien un homme et une femme pour faire des enfants, même si les fonctions éducatives peuvent être confiées à d'autres. Il importe de le rappeler pour éviter des dérives sur ce projet de loi.
On parle beaucoup des enfants éduqués dans des couples homosexuels, peu des parents d'homosexuels. Ceux-là sont-ils heureux de voir le mariage ouvert à leurs enfants ou, au contraire, inquiets ? Leur avis est important. Pour ma part, en tant que maman, je préfèrerais que mon fils ou ma fille soit heureux.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous auditionnerons ensuite d'autres associations, avec lesquelles nous reviendrons également sur la question des enfants.
Mme Maryvonne Blondin . - Ce projet de loi facilitera la vie des personnes trans, qui peinent à modifier leur état civil et, donc, à se marier.
Vous évoquez un manque d'écoute de la part du Parlement. Le Sénat, depuis quelque temps, a commencé d'auditionner les associations. Mme Meunier et moi-même auditionnons sur cette thématique, vous le savez.
Mme Corinne Bouchoux . - Le débat a fait découvrir à certains enfants qu'ils n'étaient pas comme les autres. En a-t-on pris la mesure ? Le bas niveau de certains propos ne donnera pas une bonne image des politiques... Vous connaissez bien l'association « Contact ». Moi aussi, je voulais parler des parents d'homosexuels qui vivent avec difficulté les propos homophobes proférés en France. On parle des homosexuels comme on ne parlerait pas des coléoptères... Le débat a été plus posé au Royaume-Uni et en Espagne. Pourquoi à votre avis prend-il cette tournure en France ?
M. Mathieu Nocent . - Nous ne nions absolument pas qu'un enfant naisse d'un homme et d'une femme. En revanche, nous distinguons le géniteur du parent. On entend qu'il faut lier l'homoparentalité à la problématique de l'accès aux origines. Personnellement, je ne voix pas très bien comment lier les deux. Nous parlons ici de filiation sociale et non de filiation procréative ou biologique. Dire qu'aujourd'hui, la filiation est une filiation procréative est déjà inexacte en droit, puisque la filiation adoptive n'est pas procréative par essence. La présomption de paternité n'établit pas que le père est le géniteur. Nous militons pour la reconnaissance d'une filiation sociale, qui existe déjà, de fait, dans notre droit avec l'adoption.
M. Nicolas Gougain . - J'ai été reçu au Parlement avec les associations trans lors de l'examen du projet de loi sur le harcèlement sexuel. Je remercie le Sénat de son initiative. Des parlementaires s'engagent pour faciliter le changement d'état civil des trans. Je salue ces personnes qui travaillent à l'égalité des droits.
Les conséquences du débat parlementaire ? « SOS homophobie » a reçu trois fois plus d'appels en décembre 2012 qu'en décembre 2011, quatre fois plus en janvier 2013 qu'un an auparavant. C'est un indicateur. Le débat a libéré des propos homophobes, on l'a vu sur les réseaux sociaux ou dans les réactions d'internautes aux articles de presse. Je reste néanmoins très optimiste pour l'avenir tant la société française a évolué depuis une quinzaine d'années. Le Pacs, qui avait suscité une vive opposition à l'époque, y a contribué - au point que les opposants au projet proposent de le renforcer.
Concernant les parents d'homosexuels, nous avons mobilisé des centaines de milliers de personnes le 16 décembre et le 27 janvier dernier pour soutenir le texte. Défiler quand on est pour un projet, et que ce projet est appuyé par une majorité politique ne tombe pas sous le sens. Cela relève de l'exploit. Parmi les manifestants, se trouvaient de nombreux parents, dont les miens. D'après un sondage du Parisien , les deux tiers des parents déclarent qu'ils assisteraient au mariage de leur enfant homosexuel. Comme tous les sujets polémiques, tels que l'avortement, la contraception et même la peine de mort, le débat s'apaisera et la réforme deviendra consensuelle. Bien au-delà d'une minorité, le texte intéresse toute la société, ainsi des associations de parents d'élèves ou des associations familiales laïques s'y sont déclarées favorables. Il s'agit aussi de familles.
M. Mathieu Nocent . - L'homoparentalité, tout le monde l'a compris, interroge la conception de la famille. Nous sommes en contact avec les familles adoptives, qui se sentent très touchées par ce débat. Elles aussi sont choquées que l'on mette autant en cause la filiation sociale.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Fin février, une série d'auditions sera consacrée à l'adoption. Le 21 février, nous entendrons le témoignage de parents qui ont accepté l'homosexualité de leur enfant. Nous ne pouvons entendre tout le monde. Nous avons demandé aux autres d'envoyer des contributions par écrit.
Pour l'heure, le texte ne propose que l'adoption. D'où la question de l'accès aux origines dont la connaissance, pour moi, nous distingue de l'animal. Quelle est votre position sur ce sujet ?
M. Nicolas Gougain . - Certes, l'adoption plénière substitue la filiation adoptive à la filiation biologique, mais cela ne fait pas obstacle à la connaissance des origines. Au reste, les familles adoptives, parce qu'elles assument la filiation sociale, expliquent à leurs enfants quelle est leur origine. Il n'est donc pas besoin de restreindre le texte à l'adoption simple.
M. Jean-Pierre Michel , r apporteur. - Hier, nous avons auditionné deux pédopsychiatres qui tenaient, en s'appuyant sur des cas cliniques, des discours opposés. L'un soutenait qu'il fallait dire la vérité, l'autre que l'enfant devait faire corps avec ses parents adoptifs.
Mme Virginie Klès . - On a parlé des animaux, j'interviendrai en tant que vétérinaire. Chez les mammifères, la reconnaissance maternelle se fait dans les heures qui suivent la naissance par les phéromones, les gestes de léchage. Pour d'autres espèces, la reconnaissance n'est pas forcément le fait de la mère et passe par des stimuli visuels. L'adoption existe chez les animaux, les chevaux ou les chiens, mais, exceptionnelle, elle est liée à un comportement particulièrement maternant de certaines femelles. L'on n'en comprend pas bien les mécanismes.
Mme Esther Benbassa . - En cas de vote de la loi, qui traite de l'adoption plénière, comment l'adoption simple sera-t-elle gérée au sein des familles ?
M. Nicolas Gougain . - La question de l'adoption rejaillit dans le débat public. Celles de l'accès aux origines ou de l'insémination artificielle par donneur ne sont pas plus aiguës parce nous en ouvririons l'accès aux couples homosexuels. Nous espérons que le législateur se saisira de ces questions dans le futur. D'après les familles adoptives, l'adoption plénière est la formule la plus adaptée pour les adoptions internationales. Celles-ci sont en baisse partout, mais de manière encore plus prononcée en France. Peut-être faut-il mener une réflexion sur l'accompagnement de l'adoption par les consulats. En tout cas, les difficultés liées à l'adoption sont les mêmes pour tous. Il est malhonnête de mettre en concurrence familles homosexuelles et hétérosexuelles, repensons plutôt le dispositif d'adoption en tant que tel. A côté de la mesure d'égalité que nous attendons tous, engageons cette réflexion.
Je pense, enfin, que l'adoption par le conjoint est une attente très forte, car elle permettra de sécuriser la situation de l'enfant, suite à un accident de la vie par exemple.
Le partage de l'autorité parentale devra être traité au sein de la future loi sur la famille et l'ouverture de l'adoption au-delà des couples non mariés, de même que l'accès à la PMA pour les couples de femmes. Alors que beaucoup de couples se rendent en Espagne ou en Belgique pour se faire inséminer, il serait hypocrite de ne pas traiter ce sujet.
M. Mathieu Nocent . - J'ajoute le cas des couples séparés - car cela arrive également chez les personnes homosexuelles. Certains couples s'organisent pour maintenir le lien avec la mère sociale ; il faudrait encadrer juridiquement ces situations dans l'intérêt de l'enfant. On ne va tout de même pas demander à des femmes séparées de se marier et de divorcer pour créer un lien de filiation. Il faut penser ce lien de filiation, même hors mariage.
La création de la filiation hors adoption et hors mariage se posera également avec la PMA. La reconnaissance en mairie, la possession d'état sont ouvertes aux hétérosexuels : nous revendiquons la même chose pour les couples de même sexe. Prenons un couple de femmes qui fait une PMA à l'étranger : si la loi passe en l'état, la femme qui accouche sera la mère de l'enfant, la seconde mère devra entamer une procédure juridique pour adopter l'enfant, ce qui prend environ deux ans. Pendant ce temps-là, l'enfant ne sera pas protégé s'il arrive quelque chose à la première mère...
Obliger les homosexuels à se marier pour établir le lien de filiation serait discriminatoire par rapport aux couples hétérosexuels.
L'adoption simple est intéressante en ce qu'elle autorisera une tierce personne à adopter l'enfant, si les parents légaux sont d'accord : ce serait répondre à une vraie demande de certaines familles en co-parentalité, où le projet parental se construit à trois ou quatre personnes.
M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Merci. Nous aurons, je l'espère, l'occasion de vous entendre à nouveau lors d'un texte ultérieur sur la famille et sur la filiation.