Représentants du Conseil national des barreaux

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M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous poursuivons notre série d'auditions : après les notaires, les avocats. Le conseil national du barreau, auquel nous avons fait appel, réunit l'ensemble des avocats de France, même s'il existe des associations particulières, pour les bâtonniers, par exemple. Me Paule Aboudaram nous prie d'excuser son absence.

Mme Carine Denoit-Benteux, avocate, membre du conseil de l'ordre de Paris . - Ce texte touche à des problématiques essentielles, à analyser avec la plus grande prudence. Les auditions auxquelles j'ai assisté m'ont fait comprendre que vos préoccupations allaient moins au mariage qu'à l'adoption dont les dispositions devront être totalement refondues. La ministre de la famille n'a pas donné de calendrier précis pour la réforme qui est le point le plus important pour nous, praticiens du droit.

Quelles que soient les prises de position individuelles, tous les juristes, lors des auditions auxquelles j'ai assisté, ont insisté sur la nécessité d'une vision d'ensemble et d'une refonte du droit de la filiation. Il y va du statut de l'enfant et de sa place dans la société civile.

L'enfant ne choisit ni sa famille, ni la séparation de ses parents. Dans le divorce, le juge statue sur des éléments matériels. L'absence de lien juridique avec le second parent, dans les couples homosexuels, pose, pour nous, problème : toute mesure visant à garantir ce lien sera bienvenue. Reste qu'il faut songer à toutes les conséquences. C'est l'occasion de s'interroger sur ce que l'on attend de la famille, demain. Le droit de la filiation ne correspond plus aux réalités, on s'en rend compte dans nos cabinets ; mais la réflexion doit être plus vaste et concerner non seulement l'adoption, mais aussi la PMA, la GPA, l'accès aux origines, voire la présomption de paternité.

L'adoption n'est aujourd'hui ouverte qu'aux couples mariés depuis deux ans ou aux célibataires de plus de 28 ans. Maintenir cette restriction a-t-il un sens ? Les homosexuels seront-ils les seuls à devoir se marier pour faire reconnaître le statut de parent adoptif ?

Il convient aussi de s'interroger sur les conditions dans lesquelles se déroule l'adoption. Les auditions des associations de familles adoptives ont montré qu'il n'y a pas de politique commune : chaque conseil général définit ses orientations ; à demi-mots, certaines associations parlent de forum shopping de l'adoption. Comment, dès lors, s'assurer qu'aucune discrimination n'existera à l'encontre des couples homosexuels ? On peut s'interroger sur la création d'un droit qui n'entraîne pas d'effets juridiques uniformes sur l'ensemble du territoire national.

Parlons maintenant des circonstances de la naissance de l'enfant dont on permet l'adoption par le conjoint.

Première hypothèse : il peut s'agir d'un enfant élevé au sein d'un couple homosexuel mais né d'une précédente union hétérosexuelle. Cette situation est tout à fait résiduelle.

Deuxième hypothèse : il s'agit d'un enfant né du rapprochement d'un couple d'hommes et d'un couple de femmes : quatre parents, quatre modes d'éducation, huit grands parents susceptibles d'agir pour obtenir un droit de visite...et un contentieux catastrophique en cas de séparation avec un enfant qui perdra des repères très difficilement construits. Dans cette hypothèse, indiscutablement, permettre l'adoption au sein de couples de même sexe simplifie considérablement les choses.

Troisième hypothèse, très courante: l'enfant né d'une PMA ou d'une GPA. Ces deux points ne sont pas abordés par le projet de loi ; il me paraît difficile de conférer le droit d'adopter l'enfant du conjoint dans un couple de même sexe sans se positionner sur les circonstances de sa naissance. Un sénateur a demandé à la garde des sceaux si autoriser l'adoption n'entraînait pas de facto l'ouverture très rapide à la PMA et à la GPA. Mme Taubira a rappelé que le Gouvernement n'envisageait pas de rendre possible la GPA : c'est en effet difficile, face aux risques d'exploitation et de marchandisation du corps de la gestatrice. Toutefois, en France, de nombreux enfants sont issus de la GPA : la circulaire du 25 janvier donne à ces enfants la possibilité de voir reconnaître leur nationalité française ; c'est une avancée notable.

Actuellement, la PMA est ouverte à tout couple, marié ou non. Ne nous mentons pas : un grand nombre d'adoptions portera sur des enfants issus de la PMA. Ne pas permettre aux femmes de concevoir dans un cadre légal reviendrait à encourager le contournement de la loi française.

Il faut garder à l'esprit que l'adoption, en tant que filiation choisie, est un acte fort : dès lors, maintenir la révocabilité de l'adoption simple fait-il encore sens aujourd'hui ?

J'en termine par la question du droit d'accès aux origines. Différentes conventions précisent que l'enfant a, dans la mesure du possible, le droit de connaître ses parents. Ce droit disparaît dans certains cas, comme l'accouchement sous X. Le droit est attaché à la vérité biologique, même si quelques évolutions sont perceptibles, comme avec les aménagements apportées à l'accouchement sous le secret ou la création du Conseil national pour l'accès aux origines personnelles (CNAOP). Mais quid de la revendication des enfants nés dans une famille homoparentale, issus d'une PMA ou d'une GPA, quid de l'anonymat du don des gamètes, quid de la conciliation de cette recherche avec l'adoption ?

Enfin, l'action en recherche de paternité a-t-elle encore sa place dans un monde qui fait primer la filiation affective sur la filiation biologique ? Lors d'une précédente audition, Mme Tasca s'est interrogée sur la recherche de paternité et le droit des femmes. C'est une question très intéressante ; à mon sens, le lien biologique relève davantage du droit des hommes, pas de celui des femmes, car ce sont souvent les hommes qui refusent d'être de simples géniteurs et revendiquent leur autorité parentale. Mais comment engager une recherche en paternité quand l'homme n'a eu aucun rapport de quelque nature que ce soit avec la mère de l'enfant ? Aujourd'hui, le droit des femmes réside plus dans la possibilité de choisir d'être mère.

En conclusion, la plus grande prudence s'impose. Nous ne ferons pas l'économie d'une réforme totale du droit de la filiation à très court terme.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Merci de votre contribution. Si nous nous interrogeons peu sur l'ouverture du mariage, c'est qu'il ne pose pas problème : nous le voterons. Nous proposerons, en revanche, des amendements sur la question du nom, comme sur celle de la filiation. Le Gouvernement renvoie nombre de problèmes à une future loi sur la famille. Pour moi, il faut un texte sur l'adoption sans tarder. Pour le reste, le Gouvernement envisage de modifier l'accès à la PMA, mais se refuse à envisager la GPA.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis . - Vous avez rappelé l'ensemble des problématiques, en présentant des incohérences auxquelles il nous faudra répondre.

Un mot sur la recherche en paternité : aujourd'hui, 8 % des naissances se font sans père déclaré. Chacun, hommes et femmes, doit être responsable ; se pose aussi la question de la prévention, qui relève des politiques publiques.

M. Charles Revet . - La question de l'adoption doit être examinée dans sa globalité. Elle est complexe, comme le sont celles de la PMA et de la GPA.

Nous voterons le mariage, a dit le rapporteur. Pas tous les membres de la commission...

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Je parlais en tant que rapporteur.

M. Charles Revet . - Notre précédente audition a souligné la nécessité de mesurer les conséquences liées à la modification du droit du mariage. Il faudrait pouvoir analyser toutes les conséquences de notre vote.

Comme avocate, vous être amenée à plaider pour des divorces ou des ruptures de Pacs. Avez-vous identifié des aspects mal pris en compte dans les Pacs ? J'ai reçu des homosexuels, qui vivent ensemble, avec des enfants, et qui se plaignent d'être traités différemment alors qu'ils mènent une vie normale. Le législateur doit traiter ces situations, en mesurant toutes les conséquences de ses choix.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - M. Revet aura entendu la dernière remarque de maître Combret, qui a souligné que la création d'une union civile compliquerait encore la situation...

Mme Virginie Klès . - Vous avez dit que ne pas légaliser certaines pratiques de PMA reviendrait à encourager le détournement de la loi. Il faut retrouver un équilibre entre les droits : celui des femmes, mais aussi celui des hommes. Il est des hommes qui font des dons de sperme pour aider un couple stérile à avoir des enfants, pas pour permettre des PMA de convenance. La moindre des choses serait d'informer le donneur, car ce sont des dons très particuliers, qui exigent la plus grande transparence.

A l'inverse, des pères ont été spoliés de leur paternité : on a vu des reportages à la télévision récemment sur des femmes allant accoucher seule à la maternité. Le droit des enfants à connaître leurs origines est, en ce sens, important.

En tout cas, dire qu'il y a une nécessité à légaliser la PMA me choque un peu.

Mme Hélène Poivey-Leclercq . - Nous ne devrions pas avoir à légiférer sur la PMA : elle devrait être d'emblée ouverte à tous les couples mariés ; si elle est réservée aux couples hétérosexuels, la CEDH considérera qu'il y a discrimination. Voyez l'arrêt Gas et Dubois du 15 mars 2012. Ouvrir la PMA est une conséquence nécessaire du mariage pour tous, pour prévenir toute discrimination.

Si la PMA ne s'accompagne pas d'une loi sur la GPA, on va assister, comme au Canada, à une féminisation de la filiation, puisqu'aucune filiation ne sera permise aux hommes qui vivent ensemble.

N'oublions pas, surtout, l'intérêt de l'enfant, objet de toutes les convoitises, de tous les désirs, mais dont on se préoccupe peu. La stérilité n'est plus admise, c'est une forme de cécité reproductive. On fait souvent de l'intérêt supérieur de l'enfant un fourre-tout en oubliant sa spécificité. N'oublions pas que le père est père quand la mère le décide : la contraception est, par nature, occulte ; pour l'avortement, nul besoin du père. L'enfant naît du désir unilatéral d'une femme. En recherche de paternité, je me bats depuis trente ans pour la reconnaissance d'un principe de responsabilité quasi délictuelle : depuis longtemps, on ne peut tomber enceinte ni le demeurer malgré soi. Au nom de l'intérêt supérieur de l'enfant, je suis régulièrement déboutée de mes demandes de dommages et intérêts, parce qu'on me dit que l'enfant a besoin d'avoir un père, une filiation.

Comment soutenir en droit à la fois, d'une main, la recherche de paternité, de l'autre, l'adoption plénière, mensonge juridique, déni de la filiation biologique et éradication légale de tout accès aux origines ? Maintenant, il va y avoir des mariages homosexuels, avec forcément un mensonge, ou un silence ; dans trente ans, qui peut connaître le trouble de ceux qui seront nés dans ces conditions ? N'allons pas construire un monstre juridique. Nous vivons dans une société de transparence qui ne permet plus le mensonge grâce aux tests génétiques ; dès lors, il faut bouleverser la filiation et faire coexister pacifiquement une filiation biologique, avec ou sans conséquence selon le voeu du géniteur, et une filiation élective, celle de l'adoption simple. J'espère la disparition de l'adoption plénière : dans ma clientèle - je suis avocat depuis 32 ans après avoir été 8 ans clerc de notaire -, j'ai vu des adultes en désespérance faute d'avoir accès à leurs origines. Comme avocat, je ne peux même pas obtenir la copie intégrale de l'acte de naissance d'un enfant adopté, parce qu'il porte leur véritable histoire. Ce mensonge juridique n'est plus possible en 2013. Il faut enfin prendre en considération les besoins des enfants et repenser la filiation.

Je reviens sur le mariage. Je vois, dans ma clientèle, des concubins de vingt ans qui ne comprennent pas, au moment de la séparation, ce qui leur arrive : ils ne s'étaient pas avisés qu'ils n'avaient aucun droit. Mêmes ignorances sur les conséquences du Pacs : ils choisissent ce mode de conjugalité parce qu'il est facile d'en sortir, mais quand il faut supporter les conséquences de la rupture, tout le monde regrette la protection du mariage... En fait, on veut les droits, mais sans obligation. Puisqu'on veut ouvrir le mariage à tous, ouvrons aussi l'information à tous ! Et l'information passe par l'éducation : on ne prépare pas les gens au mariage en leur lisant les articles 212 et 215 du code civil le jour de la célébration ! Les homosexuels doivent mesurer les conséquences du mariage. Un de mes jeunes clients voulait se marier en Espagne avec son compagnon. Lorsque je lui ai expliqué qu'en cas de séparation, il devrait peut-être payer une pension alimentaire, il a pris son chapeau et la fuite.

Mme Virginie Klès . - La loi devra définir très précisément le droit aux origines. Un spermatozoïde ou un ovocyte, ce n'est pas l'histoire d'un enfant ; un revanche, qu'il soit né par PMA, c'est son histoire. Un spermatozoïde ou un ovocyte, ce n'est qu'un bout de matériel génétique. Mais toute personne doit avoir accès aux caractéristiques de ses deux parents, des deux côtés de sa filiation : c'est un droit inaliénable. En tant que scientifique, je veux dénoncer les manipulations de gamètes, en amont de la fécondation in-vitro, qui sont extrêmement dangereuses.

Mme Hélène Poivey-Leclercq . - Le spermatozoïde n'est pas un simple matériel génétique. Si tel était le cas, on ne verrait pas des êtres souffrir autant d'ignorer qui est le donneur du spermatozoïde qui les a engendrés.

Mme Virginie Klès . - Les psychanalystes soulignent que ces demandes, quand elles deviennent pathologiques, sont plus souvent liées à des souffrances présentes.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Quel que soit le mode d'engendrement d'un enfant, cet enfant doit pouvoir connaître son histoire.

M. Charles Revet . - Tout à fait.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Nous avons entendu des professeurs de droit. Le témoignage du professeur Hauser m'a impressionné : le législateur doit avoir le courage de reconnaître les deux lignes de filiation, une filiation biologique et une filiation volontaire ou sociale,...

Mme Hélène Poivey-Leclercq . -  ...élective !

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Cela implique des conséquences en chaîne, dont il faudra tenir compte.

Mme Carine Denoit-Benteux . - Nous sommes tous très demandeurs d'une réforme de la filiation. En particulier, la révocabilité de l'adoption simple n'a plus de sens.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - L'adoption plénière était faite pour les orphelins d'après-guerre. Il faut y revenir aussi. Un enfant qui vient du Vietnam, du Mali ou du Brésil, sait bien qu'il est différent de ses parents adoptifs. Je ne crois pas, comme l'a dit un psychanalyste que nous avons entendu, que l'adoption plénière soit une nouvelle naissance pour l'enfant.

Merci pour vos témoignages concrets.

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