jeudi 21 février 2013
Représentants du Conseil supérieur du notariat

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- Présidence M. Jean-Pierre Sueur , président -

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Notre matinée sera longue mais passionnante. Nous avons déjà procédé à une quarantaine d'heures d'auditions, je l'ai dit hier en conférence des Présidents, et toujours en prenant le temps, de manière à ce qu'elles fussent instructives et se déroulassent, ce qui est précieux, dans un climat serein.

Nous recevons M. Jean Tarrade, président du Conseil supérieur du notariat, M. Jacques Combret, président de la section famille de l'Institut d'études juridiques, et Mme Christine Mandelli, administrateur, chargée des relations avec les institutions.

M. Jean Tarrade, président du conseil supérieur du notariat . - Merci de votre accueil. Les notaires, étant au service de leurs clients, établissent déjà un certain nombre d'actes pour les couples homosexuels dans le cadre des Pacs ou bien encore d'un mariage contracté dans un pays étranger qui l'autorise.

Cependant, les notaires sont quotidiennement confrontés à des situations que la loi ne règle pas.

L'ouverture du mariage aux personnes de même sexe ne se résume pas à la cérémonie ou au vocabulaire : elle affecte le droit de la filiation et de la famille en général. Il importe d'aborder ces débats sans précipitation et en privilégiant la concertation. La loi sur le Pacs de 1999 avait conservé les stigmates des vifs clivages qui avaient marqué les débats : il a fallu la reprendre en 2006 pour le mettre en cohérence.

Le mariage homosexuel représente 1,9 % des unions au Pays-Bas et 5,1 % en Belgique. La France a dénombré 251 654 mariages et 205 558 Pacs, dont 9 143 conclus par des couples homosexuels, soit 2 % des unions au total. Il convient de prendre en compte ces statistiques, car les modifications que va introduire la loi, concerneront tous les citoyens.

M. Jacques Combret, président de la section famille de l'Institut d'études juridiques . - Le nombre de mariages civils diminue et ceux qui le choisissent ignorent les règles, confondent effets et causes, droits et devoirs. Pourquoi ceux qui ont le droit de se marier sont-ils si peu nombreux à le faire ? Il convient peut-être de mener une réflexion sur la revalorisation du mariage civil.

Quelle différence y a-t-il aujourd'hui entre des couples mariés, pacsés ou des concubins dans la vie courante ? A table, on ne la voit pas. Pour parler de la mère de sa copine, mon fils utilise le terme de belle-mère. Nos concitoyens, qui ne sont pas des juristes avertis, découvrent les effets de ces différentes formes de vie en couple en cas de catastrophe. Ainsi, le partenaire d'un Pacs ne peut bénéficier de droits de succession ou d'une pension de reversion.

En votant le mariage entre personnes de même sexe, il faut anticiper certaines situations. Imaginons le cas d'un homme ayant eu trois enfants avec une femme à laquelle il a été marié quinze ans ; le mariage qu'il contracte ensuite avec un homme dure quinze ans. A qui reviendra la pension de réversion ? Le conjoint qui aura élevé trois enfants aura la même qu'un autre conjoint qui n'en aura pas élevé. Ce texte nous invite donc à une réflexion d'ensemble sur la conjugalité.

M. Jean Tarrade . - Passons à la terminologie.

M. Jacques Combret . - Le texte a beaucoup évolué à cet égard durant son passage à l'Assemblée nationale, et dans le bon sens. La profession notariale est favorable à ce qu'on ne perturbe pas trop l'architecture classique et qu'on conserve les termes de père et mère. Nous aurons 98 % de couples hétérosexuels. En gardant l'architecture actuelle, on concilie la majorité des situations tout en tenant compte des couples homosexuels. Nous avons bien travaillé pour cela avec la commission des lois de l'Assemblée nationale.

L'exclusion du champ d'application de l'article 6-1 des dispositions du titre VII relatives à la filiation nous convient. Toutefois, l'on peut se demander s'il ne vaudrait pas mieux insérer cet article à la fin des articles préliminaires, entre les articles 7 et 15, ou après l'article 15, car son positionnement actuel, après l'article 6 sur l'ordre public et avant l'article 7 sur l'exercice des droits civils est délicat.

L'article 4 bis fait mention de « l'ensemble des dispositions législatives en vigueur » s'appliquant aux conjoints de même sexe. Même si on comprend bien l'exposé des motifs de l'amendement, on pourrait gagner en lisibilité : exclure explicitement la procréation médicalement assistée (PMA) éviterait d'avoir à raisonner a contrario .

M. Jean Tarrade . - Les conséquences sur le droit de l'adoption sont plus importantes.

M. Jacques Combret . - Jusqu'à présent, l'adoption plénière était rendue invisible, cela ne pourra plus être le cas - c'est un constat. Ensuite, appelons un chat un chat : une homosexuelle pourra recourir à la PMA à l'étranger et faire adopter l'enfant par sa conjointe. Nous l'avons bien compris, la réflexion se poursuivra à l'occasion d'un autre texte, mais, qu'on le veuille ou non, nous validerons indirectement une pratique interdite en France.

Il faut absolument réfléchir à une réforme complète de l'adoption. Notre système est incohérent : pourquoi un couple homosexuel pourrait-il adopter mais non recourir à la PMA, laquelle est ouverte à un couple pacsé, privé d'adoption ? L'architecture est complètement déséquilibrée. Nous rappelons en outre des incohérences s'agissant de la fiscalité applicable entre adoptés et adoptants. Par souci d'égalité, il faudra accepter de traiter tout le monde de la même manière et mettre fin aux discriminations fiscales qui existent entre adoption simple et plénière.

Revenir sur l'article 346 du code civil pourrait poser le problème d'adoptions en chaîne. Mme Ducroire adopte plénièrement la petite Maude, puis elle se marie avec M. Léon, lequel adopte simplement Maude. M. Léon et Mme Ducroire, qui exerçaient conjointement l'autorité parentale, divorcent. Maude a 8 ans, l'adoption simple n'est pas révoquée et M. Léon continue à exercer l'autorité parentale. Puis M. Léon se remarie avec Mme Leroux. Avec l'article 360, alinéa 3, modifié, sous réserve du consentement de Mme Ducroire et de M. Léon, Mme Leroux peut à son tour adopter simplement l'enfant. Il faut réfléchir aux conséquences sur le nom, sur l'autorité parentale, sur l'obligation alimentaire, sur les droits successoraux en cas de décès de l'enfant ou de décès des adoptants de l'enfant. Il faut donc s'attacher de près à la coordination entre les alinéas 2 et 3 de cet article.

M. Jean Tarrade . - Venons-en aux conséquences sur le droit au nom.

M. Jacques Combret . - De nouveau, l'on constate que l'on touche à la totalité de la législation sur le nom. Avec l'article 311-21 et le nouvel article 363, alinéa 3, en cas de désaccord, on retiendra les deux noms des parents dans l'ordre alphabétique. Est-ce à dire que dans la majorité des cas, l'enfant portera le nom des deux parents ? Actuellement, depuis 2002, les Français en restent classiquement au nom unique. Cette règle de l'ordre alphabétique, qui figurait dans les travaux préparatoires de la réforme de 2002 et avait été abandonnée, s'appliquera à tout le monde. Est-ce nécessaire ?

M. Jean Tarrade . - L'obligation alimentaire, maintenant.

M. Jacques Combret . - Les dispositions sur l'obligation alimentaire prévues aux articles 204, 205 et 206 sont obsolètes, nous avons déjà eu l'occasion de le dire. Je pense notamment au cas des beaux-parents et des gendres ou belles-filles. N'oublions pas que cette obligation est réciproque. Avec la multiplication des liens, nous pourrions assister à une multiplication des obligations ; il faudra y prendre garde dans une réflexion d'ensemble. Le dossier que nous avons présenté donne des exemples. La situation est parfois compliquée pour les familles, d'autant que sur le terrain, les demandes d'aliments de la part des enfants, vis-à-vis des parents ou grands-parents, sont de plus en plus fréquentes.

M. Jean Tarrade . - Enfin, nous souhaiterions attirer l'attention du Sénat sur les conséquences en droit international privé.

M. Jacques Combret . - Le nouvel article 202-1 serait mieux rédigé si l'on remplaçait « loi personnelle » par « loi nationale ». De plus, le critère du domicile n'emporte aucune condition de durée ou d'habitation effective; l'instruction générale sur l'état civil invite l'officier d'état-civil à adopter une attitude libérale : une résidence secondaire suffira pour la célébration valable du mariage, y compris lorsque la loi du pays d'un des conjoints prohibe une telle union. Si deux Suisses de même sexe se marient en France parce qu'ils y possèdent une résidence secondaire, ils auront deux statuts juridiques : mariés en France, ils verront leur mariage requalifié en partenariat en Suisse. Mieux vaudrait retenir deux critères alternatifs, la nationalité et la « résidence habituelle », notion bien connue dans notre droit (article 311-15 du code civil) et que le règlement européen du 4 juillet 2012 sur les successions définit comme « le lien étroit et stable avec l'Etat concerné ». Au demeurant, en Belgique, un rattachement territorial par la résidence habituelle justifie l'éviction d'une loi personnelle prohibitive au titre de l'ordre public.

Ensuite, le nouvel article 167 écarte l'application d'une éventuelle convention consulaire ou de la loi nationale, ce qui peut être source de danger pour les intéressés. Prenons le cas de la Russie qui réprime l'union homosexuelle. Si celle-ci est enregistrée en France, qu'adviendra-t-il au couple lorsqu'il reviendra en Russie ? Cette disposition s'abstrait du principe de coordination des systèmes juridiques. Peut-être faudra-t-il y revenir pour mieux protéger les couples, de la même manière que l'article 16 bis du projet de loi dispose qu'un salarié peut refuser sa mutation dans un pays qui incrimine l'homosexualité.

M. Jean-Pierre Sueur , président . - Je vous remercie de cet exposé très rigoureux qui pointe très précisément de nombreuses interrogations laissées sans réponse -un éclairage précieux pour les législateurs que nous sommes.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . -  Effectivement, votre éclairage nous avait déjà été précieux durant les débats sur le PACS. L'atmosphère était alors survoltée, car c'était la première fois que le Parlement établissait une union en dehors du mariage. S'y ajoutait une petite difficulté sur le contrat.

Je suis satisfait que les notaires soulignent que son ouverture aux personnes du même sexe revalorise le mariage à un moment où il en a bien besoin. Grâce aux homosexuels, le mariage civile sera revalorisé, c'est excellent, n'est-ce pas, monsieur Revet ?

Oui, nous ferons attention à interdire explicitement la PMA. Quand nous avons reçu les ministres, nous leur avons dit qu'il fallait totalement réformer l'adoption - il aurait été encore mieux de le faire avant l'ouverture du mariage. Cette réforme est en cours, et je rencontrerai Mme Bertinotti très rapidement. L'adoption plénière n'est plus la même ; l'idée, qui est encore dans la tête de certains psychanalystes, qu'il faut faire disparaître totalement l'histoire antérieure, n'est plus de mise. Cela sera l'objet d'un autre texte. En revanche, nous avons préparé un amendement restreignant le nombre des filiations adoptives possibles.

La question du nom est bien compliquée. Si j'avais le temps, je me transporterais dans quelques maternités. D'après ce qu'on me dit, les parents se disputent sur le prénom jusqu'au dernier moment. Dans l'euphorie de la naissance, ils en donnent un à l'infirmière. Puis la maternité se charge des démarches, si bien que la question du nom est laissée à l'officier d'état civil : l'on bricole. Si cela est vrai, c'est inadmissible. Il faudrait distribuer dans toutes les maternités un imprimé pour le prénom et un pour le nom, et informer les gens sur leurs droits. Je sais que mon homologue de l'Assemblée nationale est très attaché à sa solution.

Enfin, si les documents et informations nous y poussent, nous toucherons avec des pincettes aux articles touchant au droit international privé. La consultation que nous avons demandée à des professeurs de droit n'est pas encore arrivée ; la chancellerie m'assure que la question a été longuement étudiée. Je n'en dis pas plus.

Mme Michelle Meunier , rapporteure pour avis pour la commission des Affaires sociales . - Vous avez une pratique, avez-vous dit. Quelles sont les raisons pour lesquelles les couples homosexuels vous consultent le plus souvent ? Comment les choses se règlent-elles pour les enfants ?

- Présidence de M. Jean-Pierre Michel, vice-président -

M. Charles Revet . - Merci de cette présentation. A chaque fois, vous avez attiré notre attention sur les conséquences pratiques de l'application de la loi. Cela s'applique d'abord au législateur, qui doit voter en conscience. Or je n'apprécie pas tous les effets du projet : un tableau comparatif nous éclairerait.

Quand François Hollande a lancé cette promesse de campagne, je ne suis pas sûr qu'il en ait mesuré tous les effets. D'après vos chiffres, le nombre de Pacs serait équivalent à celui de mariages civils. Pourquoi les gens préfèrent-ils le Pacs ? Un jour, une administrée m'a répondu : « Je suis pacsée, cela n'a rien à voir avec le mariage. Le mariage engage, le Pacs est un formulaire administratif. ». L'on dissocie du mariage tout ce qui pose problème, j'ai même compris que le rapporteur trouve préférable de légiférer d'abord sur l'adoption...

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Il aurait été préférable...

M. Charles Revet . - Peut-être en tirerez-vous les conclusions. Pour répondre vraiment aux attentes légitimes des couples homosexuels, ne faut-il pas renforcer le Pacs ? Qu'en pensez-vous en tant que notaires ?

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - Monsieur Revet, vous trouverez des éléments de comparaison dans le rapport.

M. Charles Revet . - Merci.

Mme Catherine Tasca . - Votre exposé était très objectif, nous ferons le meilleur usage de vos suggestions. Ce texte, vous l'avez bien montré, affectera l'ensemble des couples alors qu'il a été pensé pour réparer une injustice et répondre aux demandes légitimes d'une minorité. On ne peut pas toucher au mariage sans conséquences sur l'ensemble de l'édifice. Il faudra en tenir compte dans nos débats.

Une question sur les pacsés : combien viennent dans vos études notariales pour établir un acte ?

M. Thani Mohamed Soilihi . - Cette réforme intervient dans une période de désaffection pour le mariage civil. M. Jean-Pierre Michel en conclut, à juste titre, qu'elle revalorisera cette institution. Avez-vous des pistes de réflexion pour aller en ce sens ?

M. Jean Tarrade . - Madame Meunier, pour les actes concernant des couples de même sexe mariés à l'étranger, nous ne rencontrons pas spécialement de problèmes pratiques : nous appliquons le statut personnel. Le droit international privé reconnaissant les situations acquises à l'étranger, nous traitons les couples homosexuels mariés comme les autres en matière de partage des biens et de droits successoraux.

Je ne peux pas promettre que nous avons mesuré toutes les conséquences, c'est bien pourquoi nous souhaitons qu'on prenne tout le temps de la réflexion. Oui, monsieur Revet, nous touchons à un pilier du code civil : le mariage. «  Si vous devez en faire une, faites-nous une belle loi », ai-je dit à Mme Taubira. Peut-être nous manque-t-il encore un Portalis. A vos plumes !

Beaucoup de couples ne sont pas suffisamment informés de la loi. C'est ainsi que la loi « Famille » devra traiter du statut du beau-parent dans la famille recomposée, car de plus en plus de personnes vivent avec des personnes qui ne sont pas leurs parents.

M. Jacques Combret . - Le rapporteur l'a rappelé, la rédaction du Pacs par les notaires avait posé problème, non dans la loi, mais dans les textes d'application. Bien que je n'aie pas les statistiques, je constate une montée en puissance. Un Pacs est gratuit si on va au greffe, le notaire demande 190 euros d'honoraires mais, curieusement, perçoit pour l'Etat un droit d'enregistrement, qui majore le coût de plus de 150 euros. Dans beaucoup de greffes, il y a un délai d'attente : ce n'est pas le cas chez nous et nous effectuons les formalités. En outre, nous offrons des conseils. Enfin, le contenu des conventions que l'on peut mettre dans le Pacs est important, et le notaire, quand l'acte est passé chez lui, en assure la garde et peut remettre des copies authentiques.

Les associations familiales ont demandé pourquoi on n'avait pas choisi un partenariat enregistré pour les couples homosexuels. Mais l'on ne pouvait guère revenir en arrière pour établir un Pacs à géométrie variable selon l'orientation sexuelle des contractants ; si le Pacs reçoit les mêmes avantages que le mariage, à quoi bon conserver deux institutions ? Aujourd'hui, un certain nombre de Pacs se convertissent en mariages. C'est l'évolution naturelle. Enfin, il serait compliqué de juxtaposer mariage entre personnes de sexe opposé, contrat pour les personnes de même sexe, Pacs et concubinage.

C'est vous, élus de la Nation, qui avez la responsabilité de la loi : nous exécuterons. En revanche, merci d'avoir compris notre message sur le mariage. En 1999, je m'étonnais devant Mme Guigou qu'il soit plus facile de se marier que d'obtenir le permis de chasse ou le permis de conduire ! Nos concitoyens sont mal informés. A l'époque, nous avions proposé, c'était un peu iconoclaste, de réorienter ou d'élargir la journée qu'on a substitué au service militaire (appelée aujourd'hui « journée de défense et de citoyenneté »). Il serait intéressant que toutes les classes d'âge puissent bénéficier d'une journée d'information sur les conséquences juridiques des modes de conjugalité. Il y a là un effort à fournir tous ensemble pour la revalorisation du mariage.

M. Jean-Pierre Michel , rapporteur . - ll me reste à vous remercier de votre objectivité et de vos éclairages, qui, sans nous comparer à Portalis, nous aideront à écrire un texte répondant à l'exigence constitutionnelle de lisibilité. J'espère que, grâce à vous, M. Revet sera au moins partiellement satisfait...

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