N° 433
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2012-2013
Enregistré à la Présidence du Sénat le 20 mars 2013 |
RAPPORT
FAIT
au nom de la commission des affaires sociales (1) sur la proposition de loi de M. Jean-Jacques MIRASSOU et plusieurs de ses collègues relative à l' instauration du 27 mai comme journée nationale de la Résistance ,
Par M. Ronan KERDRAON,
Sénateur
(1) Cette commission est composée de : Mme Annie David , présidente ; M. Yves Daudigny , rapporteur général ; M. Jacky Le Menn, Mme Catherine Génisson, MM. Jean-Pierre Godefroy, Claude Jeannerot, Alain Milon, Mme Isabelle Debré, MM. Jean-Louis Lorrain, Jean-Marie Vanlerenberghe, Gilbert Barbier , vice-présidents ; Mmes Claire-Lise Campion, Aline Archimbaud, Catherine Deroche, M. Marc Laménie, Mme Chantal Jouanno , secrétaires ; Mme Jacqueline Alquier, M. Jean-Paul Amoudry, Mmes Natacha Bouchart, Marie-Thérèse Bruguière, M. Jean-Noël Cardoux, Mme Caroline Cayeux, M. Bernard Cazeau, Mmes Karine Claireaux, Laurence Cohen, Christiane Demontès, MM. Gérard Dériot, Jean Desessard, Mmes Muguette Dini, Anne Emery-Dumas, MM. Guy Fischer, Michel Fontaine, Mme Samia Ghali, M. Bruno Gilles, Mmes Colette Giudicelli, Christiane Hummel, M. Jean-François Husson, Mme Christiane Kammermann, MM. Ronan Kerdraon, Georges Labazée, Jean-Claude Leroy, Gérard Longuet, Hervé Marseille, Mmes Michelle Meunier, Isabelle Pasquet, MM. Louis Pinton, Hervé Poher, Mmes Gisèle Printz, Catherine Procaccia, MM. Henri de Raincourt, Gérard Roche, René-Paul Savary, Mme Patricia Schillinger, MM. René Teulade, François Vendasi, Michel Vergoz, Dominique Watrin . |
Voir le(s) numéro(s) :
Sénat : |
350 et 434 (2012-2013) |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La disparition récente de plusieurs des dernières grandes figures de la Résistance nous rappelle que les acteurs et témoins directs de cette période se font de plus en plus rares. Alors que seuls 23 des 1 038 compagnons de la Libération sont encore en vie, la question de la transmission des valeurs pour lesquelles tant de femmes et d'hommes se sont battus et de la mémoire des sacrifices qu'ils ont consentis ne peut être ignorée par le législateur.
Acte collectif de rejet de l'occupation et de la collaboration dont les répercussions sont encore perceptibles de nos jours dans le fonctionnement de nos institutions et dans les principes autour desquels la société française s'est reconstruite, la Résistance n'en a pas moins été, jusqu'à récemment, l'objet de nombreuses controverses. C'est dans un climat désormais plus apaisé que les travaux historiographiques, s'éloignant du parcours de ses principales figures, s'attachent à établir la réalité historique de ce phénomène, dans toute sa diversité.
Dès lors, à l'approche du soixante-dixième anniversaire de la fin de la Seconde Guerre mondiale, il est du devoir de l'Etat d'apporter une reconnaissance solennelle au rôle essentiel de la Résistance dans le redressement de la République et à la place qu'elle occupe dans son identité.
Le 27 mai 1943, Jean Moulin parvenait à unifier, derrière le général de Gaulle, les principaux mouvements de résistance ainsi que les grandes tendances politiques et syndicales françaises au sein du Conseil national de la Résistance (CNR). La légitimité du fondateur de la France libre, alors contestée par le gouvernement américain et fragilisée par la présence du général Giraud à Alger, fut grandement renforcée par le soutien que lui apporta, par ce biais, la résistance intérieure.
L'anniversaire de cet événement historique constitue la date la plus appropriée pour commémorer chaque année, dans le cadre d'une journée nationale, la Résistance. La création du CNR a marqué une étape essentielle dans l'organisation de celle-ci ; c'est à cette occasion que la France du vingt et unième siècle se doit d'honorer sa mémoire.
L'instauration de cette journée, ni fériée, ni chômée, doit également être une opportunité d'associer la jeunesse à cet hommage. Au-delà des cérémonies officielles qui seront organisées dans chaque département et de la participation des fondations de mémoire et des associations du monde combattant, c'est en direction de ceux qui ne connaissent la Résistance qu'à travers les manuels d'histoire ou les oeuvres de fiction qu'un travail particulier doit être entrepris.
C'est pourquoi, en complément des enseignements figurant déjà dans les programmes scolaires et des initiatives pédagogiques comme le concours national de la Résistance et de la Déportation (CNRD), la proposition de loi prévoit de faire participer l'éducation nationale à cette journée anniversaire. Ce sera l'opportunité, pour les établissements scolaires, d'organiser des actions éducatives autour des valeurs de la Résistance et de celles portées par le programme du CNR. Tel est l'objet d'un amendement proposé par votre rapporteur à l'article 3.
En effet, comme l'avait si justement ressenti René Char dans le fragment n° 168 de ses Feuillets d'Hypnos 1 ( * ) , « Résistance n'est qu'espérance ». Tel est bien le sens que doit avoir cette commémoration. Face à la résignation dont tant de Français firent preuve durant l'occupation, certains eurent le courage de se battre pour restaurer la République sur des bases nouvelles et imaginer son renouveau. Pour cette raison, nous avons une dette imprescriptible à leur égard. Pour y faire droit, votre commission vous demande donc d'adopter cette proposition de loi dans la rédaction issue de ses travaux.
I. AFFIRMER LA RECONNAISSANCE SOLENNELLE DE LA RÉPUBLIQUE ENVERS CELLES ET CEUX QUI ONT REFUSÉ L'OCCUPATION ET LA COLLABORATION
A. DONNER À LA RÉSISTANCE SA JUSTE PLACE DANS LE CALENDRIER COMMÉMORATIF NATIONAL
La mémoire collective nationale est entretenue, chaque année, par la commémoration de journées nationales prescrites par des textes législatifs ou réglementaires. Si bien d'autres cérémonies ponctuelles marquent l'anniversaire d'un événement historique significatif, ou correspondent à des célébrations locales ou, au contraire, internationales, ces dates constituent le coeur du calendrier commémoratif national.
Celui-ci compte aujourd'hui dix commémorations, dont six ajoutées depuis 2000. Au côté des deux jours fériés et chômés que sont le 8 mai et le 11 novembre, les autres journées donnent lieu à une cérémonie nationale ainsi qu'à la participation des autorités civiles et militaires aux cérémonies organisées dans les collectivités territoriales. A l'exception de la fête nationale de Jeanne d'Arc et du patriotisme, qui a lieu le deuxième dimanche de mai, chacune d'elles vise à préserver la mémoire des conflits du vingtième siècle.
Le législateur a récemment apporté deux modifications à ce calendrier. Il a d'abord, par la loi du 28 février 2012 2 ( * ) , fait du 11 novembre un jour d'hommage à tous les morts pour la France, sans que celui-ci ne se substitue aux autres journées de commémoration nationales. Il a ensuite institué 3 ( * ) le 19 mars, date anniversaire du cessez-le-feu de la guerre d'Algérie en 1962, comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
Le calendrier commémoratif n'est pas donc figé. Le législateur est pleinement compétent pour le compléter s'il identifie une lacune particulière en son sein, un oubli préjudiciable au devoir de reconnaissance de la Nation envers celles et ceux qui, à différents moments difficiles de son histoire récente, ont fait preuve de leur attachement indéfectible à sa survie. Il ne faut bien sûr pas multiplier à l'envi les commémorations, au risque de voir la signification spécifique de chacune se diluer et les Français refuser d'y adhérer. Néanmoins, l'Etat a bien un rôle à jouer pour assurer la vitalité de la mémoire des expériences fondatrices ou, dans le cas présent, refondatrices de la collectivité nationale.
- le 19 mars : journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc (loi du 6 décembre 2012) ; - le dernier dimanche d'avril : journée nationale du souvenir des victimes et des héros de la déportation (loi du 14 avril 1954) ; - le 8 mai : commémoration de la victoire de 1945 (loi du 2 octobre 1981) ; - le deuxième dimanche de mai : fête nationale de Jeanne d'Arc et du patriotisme (loi du 10 juillet 1920) ; - le 8 juin : journée nationale d'hommage aux « morts pour la France » en Indochine (décret du 26 mai 2005) ; - le 18 juin : journée nationale commémorative de l'appel historique du général de Gaulle à refuser la défaite et à poursuivre le combat contre l'ennemi (décret du 10 mars 2006) ; - le dimanche le plus proche du 16 juillet : journée nationale à la mémoire des victimes des crimes racistes et antisémites de l'Etat français et d'hommage aux « Justes » de France (loi du 10 juillet 2000) ; - le 25 septembre : journée nationale d'hommage aux Harkis et autres membres des formations supplétives (décret du 31 mars 2003) ; - le 11 novembre : commémoration de l'armistice de 1918 (loi du 24 octobre 1922) et de tous les morts pour la France (loi du 28 février 2012) ;
- le 5 décembre : journée nationale
d'hommage aux « morts pour la France » de la guerre
d'Algérie et des combats du Maroc et de la Tunisie (décret du 26
septembre 2003 et loi du 23 février 2005).
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Telle est bien la situation dans laquelle s'inscrit cette proposition de loi. L'instauration d'une journée nationale de la Résistance ne constitue en rien une redondance avec le calendrier mémoriel national sous sa forme actuelle. La Seconde Guerre mondiale y est abordée à quatre occasions :
- le dernier dimanche d'avril avec l'hommage aux victimes de la déportation ;
- le 8 mai, avec la commémoration de la capitulation nazie ;
- le 18 juin, en souvenir de l'appel de général de Gaulle à refuser l'armistice et à poursuivre la guerre ;
- le dimanche le plus proche du 16 juillet, en mémoire de la rafle du Vel d'Hiv et des victimes de la politique d'extermination des Juifs mise en oeuvre par les nazis et à laquelle l'Etat français a collaboré.
De nombreux résistants furent déportés : les déportations pour des motifs autres que raciaux concernèrent, durant la Seconde Guerre mondiale, 88 000 personnes 4 ( * ) , dont 35 000 moururent dans les camps. De même, l'appel du 18 juin marque véritablement la naissance du premier mouvement national organisé de refus de la défaite et la création de la France Libre.
En outre, chaque 17 juin se déroule au Panthéon une cérémonie d'hommage à Jean Moulin. Même si elle ne figure pas au calendrier commémoratif officiel, la présence des autorités de l'Etat lui donne un caractère national.
Il n'en reste pas moins que la résistance intérieure, celle des mouvements nés d'initiatives individuelles dans une France alors divisée en deux zones, l'une occupée par l'Allemagne et l'autre sous le contrôle du régime de Vichy, celle des maquis qui, ensuite, se sont formés pour participer à la libération du territoire, ne voit pas la spécificité de l'engagement de chacun de ses membres reconnue en tant que telle.
Pourtant, la politique mémorielle menée par la direction de la mémoire, du patrimoine et des archives (DMPA) du ministère de la défense et l'Office national des anciens combattants et victimes de guerre (Onac) repose notamment sur le développement des hauts lieux de la mémoire nationale. Trois d'entre eux rappellent les sacrifices des membres de la Résistance : le site du Mont Valérien, où plus de 1 000 résistants furent fusillés, le centre européen du résistant-déporté du Struthof ainsi que le mémorial de la prison de Montluc à Lyon.
Dans ce contexte, la journée nationale de la Résistance viendrait logiquement compléter l'effort accompli depuis plusieurs années en faveur de la valorisation de la mémoire de la résistance intérieure. Une seule date symbolise l'union de composantes provenant de toute la société française dans la lutte contre l'occupant : le 27 mai, jour anniversaire de la création par Jean Moulin, en 1943, du Conseil national de la Résistance (CNR).
* 1 Recueil de notes écrites entre 1943 et 1944 alors que René Char dirigeait un maquis dans le département actuel des Alpes-de-Haute-Provence.
* 2 Loi n° 2012-273 du 28 février 2012 fixant au 11 novembre la commémoration de tous les morts pour la France.
* 3 Loi n° 2012-1361 du 6 décembre 2012 relative à la reconnaissance du 19 mars comme journée nationale du souvenir et de recueillement à la mémoire des victimes civiles et militaires de la guerre d'Algérie et des combats en Tunisie et au Maroc.
* 4 Source : Olivier Wieviorka, Histoire de la Résistance, 1940-1945, Perrin, 2013, p. 455.