ARTICLE 12 (Art. 13 du code général des impôts) : Modification des modalités d'imposition à l'impôt sur le revenu et aux prélèvements sociaux de la cession à titre onéreux d'usufruit temporaire
Commentaire : le présent article propose d'assujettir le produit de la cession onéreuse d'usufruit non plus aux règles d'imposition des plus-values, mais à celles applicables à l'impôt sur le revenu dans les catégories de revenus auxquelles se rattachent les revenus procurés par le bien cédé.
I. LE DROIT EXISTANT
A. LE RÉGIME D'IMPOSITION DE LA CESSION À TITRE ONÉREUX D'USUFRUIT TEMPORAIRE
Une cession onéreuse d'usufruit temporaire est une opération qui consiste, pour le cédant ou « nu-propriétaire », à céder, pour une durée déterminée, un bien (le plus souvent un immeuble) ou des droits (un portefeuille d'actions ou d'obligations) à un tiers, dit l'acquéreur ou l'usufruitier, en contrepartie de la perception, en une seule fois (le produit de la cession), de plusieurs années de revenus correspondant au bien ou aux droits sur lesquels le cédant conserve un droit de propriété 113 ( * ) . Le produit de la cession perçu par le cédant est imposé à l'impôt sur le revenu, selon le régime des plus-values défini aux articles 150-0 A et 150 U du code général des impôts, et soumis aux prélèvements sociaux. La cession à titre onéreux d'usufruit temporaire ne fait donc pas l'objet de dispositions spécifiques d'imposition. Elle est taxée selon les régimes des plus-values mobilières, immobilières ou professionnelles selon la nature du bien cédé en usufruit.
Aussi, en l'état actuel de la discussion du projet de loi de finances pour 2013, les plus-values en résultant font l'objet d'une réforme, en matière immobilière et mobilière, tendant à l'imposition, au barème de l'impôt sur le revenu, selon des modalités diverses.
Le schéma ci-dessous illustre, d'une part, la relation contractuelle qui unit le cédant et l'acquéreur autour de la cession onéreuse et, d'autre part, les principes d'imposition des revenus revenant à chacune des parties.
Principes d'imposition des cessions à titre onéreux d'usufruit temporaire
Source : commission des finances
L'intérêt de l'opération pour le nu-propriétaire, qu'il s'agisse d'un immeuble produisant des loyers ou un portefeuille de valeurs mobilières produisant des dividendes ou des intérêts, réside dans le fait qu'il est plus avantageux d'être imposé en une seule fois sur la plus-value de cession de l'usufruit que tous les ans sur les revenus engendrés par le bien sur la même période. En effet, la valeur de l'usufruit cédé est inférieure à celle du bien en pleine propriété 114 ( * ) . Il en résulte, d'une part, que la plus-value imposable est très inférieure à celle qui aurait résulté de la vente du bien en pleine propriété et, d'autre part, par le jeu des abattements pour durée de détention, voire d'exonération totale de plus-value immobilière après 30 ans de détention, que le nu-propriétaire qui aura, au terme de cette période, récupéré la pleine propriété du bien, pourra en disposer dans des conditions fiscales avantageuses tout en ayant entre temps perçu des plus-values.
Ce montage d'optimisation fiscale, qui constitue un cas classique de cession onéreuse d'usufruit temporaire, permet de minimiser l'impôt sans l'annuler complètement. Il implique cependant la perte de jouissance de l' usus et du fructus pour le cédant.
B. DES MONTAGES VISANT À ÉLUDER L'IMPOSITION DES PLUS-VALUES
Certains montages conduisent purement et simplement à éluder toute imposition sur les plus-values tout en permettant au cédant de continuer, de fait, de jouir du bien cédé en usufruit.
Ainsi, le cas présenté par l'administration fiscale à l'appui de la réforme proposée par le présent article met en présence un nu-propriétaire cédant l'usufruit d'un bien (immeuble ou valeurs mobilières) à une société dont il a le contrôle. En fixant un prix de cession inférieur à la valeur de l'usufruit pour une durée déterminée, le cédant ne réalise pas de plus-value et n'est donc pas imposable. Pour sa part, la société, qui a eu recours à l'emprunt pour s'acquitter du prix de la cession, devient détentrice des droits de jouissance et des revenus procurés par le bien tout en annulant, au regard de l'impôt sur les sociétés, le bénéfice réalisé en y imputant les charges liées aux intérêts d'emprunt auxquelles s'ajoute l'amortissement de l'actif.
Le schéma présenté ci-dessous met en évidence les circuits utilisés par le cédant pour annuler son impôt tout en se donnant la possibilité de jouir, par exemple, du bien immobilier qu'il est censé avoir cédé, puisque la société détentrice de l'usufruit relève de son contrôle.
Schéma d'optimisation fiscale conduisant
à éluder
l'imposition des cessions à titre
onéreux d'usufruit temporaire
Source : commission des finances
C. DES SITUATIONS QUI ÉCHAPPENT À LA PROCÉDURE D'ABUS DE DROIT
L'article L. 64 du livre des procédures fiscales définit l'abus de droit comme suit : « afin d'en restituer le véritable caractère, l'administration est en droit d'écarter, comme ne lui étant pas opposables, les actes constitutifs d'un abus de droit, soit que ces actes ont un caractère fictif, soit que, recherchant le bénéfice d'une application littérale des textes ou de décisions à l'encontre des objectifs poursuivis par leurs auteurs, ils n'ont pu être inspirés par aucun autre motif que celui d'éluder ou d'atténuer les charges fiscales que l'intéressé, si ces actes n'avaient pas été passés ou réalisés, aurait normalement supportées, eu égard à sa situation ou à ses activités réelles ».
Comme le précise le bulletin officiel des finances publiques, la procédure de l'abus de droit fiscal concerne tous les impôts et peut être mise en oeuvre indifféremment lorsque la situation constitutive de l'abus porte sur l'assiette, la liquidation de l'impôt ou son paiement.
Toutefois, cette définition couvre des situations de « fictivité » juridique et de fraude à la loi qui doivent être démontrées selon une procédure exceptionnelle. Elle est en pratique peu utilisée par l'administration, qui doit apporter la preuve de l'abus de droit. En pratique, la fictivité juridique est constituée par la différence objective existant entre l'apparence juridique créée par l'acte en cause et la réalité, en particulier économique, sous-jacente à cet acte. En d'autres termes, elle permet à l'administration de sanctionner les « manoeuvres » de certains contribuables dont la seule motivation est de diminuer ou annuler l'impôt.
Deux cas peuvent justifier un redressement au titre de l'abus de droit :
- lorsque le contrat, la convention ou la structure mise en oeuvre sont en fait fictifs (une donation déguisée en vente, une sous-location ou une cession fictive, un achat qui n'a pas été financé par l'acquéreur, une société qui n'a pas d'existence réelle, une opération de prête-nom, etc.) ;
- lorsque le contrat élaboré ou la structure mise en place ont pour objectif unique et exclusif la réduction du montant de l'impôt (impôt sur le revenu, sur les bénéfices, TVA, droits d'enregistrement, ISF).
En revanche, il n'y a pas abus de droit si, au-delà de l'aspect fiscal, le contribuable met en avant des motifs économiques, patrimoniaux ou familiaux.
Aussi, pour que l'abus de droit puisse s'appliquer au schéma d'optimisation fiscale présenté ci-dessus, il faudrait que l'administration démontre le caractère fictif de l'opération ou son objectif purement fiscal.
II. LE DISPOSITIF PROPOSÉ
A. LE PRINCIPE D'IMPOSITION : LE PRODUIT DES CESSIONS À TITRE ONÉREUX D'USUFRUIT TEMPORAIRE RELÈVE DU RÉGIME D'IMPOSITION DES REVENUS ET NON PLUS DE CELUI DES PLUS-VALUES
Pour mettre fin aux montages financiers conduisant à annuler toute imposition, sans pouvoir être remis en cause par la procédure de l'abus de droit, le présent article propose d'assujettir le produit de la cession onéreuse d'usufruit non plus aux règles d'imposition des plus-values, mais à celles applicables à l'impôt sur le revenu dans les catégories de revenus auxquelles se rattachent les revenus procurés par le bien cédé ; qu'il s'agisse de revenus fonciers, de revenus de capitaux mobiliers ou de bénéfices non commerciaux.
Aussi, le 1° du I du présent article insère à l'article 13 du code général des impôts, qui fixe les catégories de revenus soumis à l'impôt sur le revenu, une nouvelle assiette d'imposition prenant pour référence le produit (le prix) résultant de la cession à titre onéreux d'un usufruit. Si ce prix est inférieur à la valeur vénale de l'usufruit, c'est cette dernière qui est retenue. Le cédant est imposé dans la catégorie de revenu à laquelle se rattache, au jour de la cession, le revenu procuré. Si ce revenu relève de différentes catégories, chacune d'entre elles est imposable au prorata de la valeur qu'elle représente par rapport à la valeur totale du bien ou des droits cédés.
Le dispositif proposé a pour objet de supprimer toute situation d'annulation de la plus-value de cession pour le cédant.
Dans la mesure où seuls sont visés les usufruitiers temporaires, c'est-à-dire qui comportent un terme fixe, sont exclus les viagers dont l'extinction a pour cause le décès de l'usufruitier.
B. LES MODALITÉS D'IMPOSITION : UN RATTACHEMENT À LA DÉFINITION DU REVENU GLOBAL ET AUX DIFFÉRENTES CATÉGORIES D'IMPOSITION AFFÉRENTES
Si la répartition entre les différentes catégories du revenu global ne peut être déterminée au jour de la cession, le 2° du I du présent article instaure par défaut un rattachement aux règles d'imposition de l'une des trois catégories suivantes :
- la catégorie des revenus fonciers lorsque l'usufruit cédé a trait à un bien immobilier ou à des parts de sociétés non soumises à l'IS et à prépondérance immobilière ;
- la catégorie des revenus de capitaux mobiliers pour ce qui concerne la cession d'usufruit de valeurs mobilières, de droits sociaux et de titres ;
- la catégorie des bénéfices non commerciaux dans tous les autres cas.
Ces modalités d'imposition ont pour objet de requalifier en revenu le produit des cessions onéreuses d'usufruit temporaire par parallélisme avec le fait qu'il s'agit de percevoir en une seule fois les revenus qui auraient été perçus en plusieurs années et imposés comme tels chaque année.
C. UNE MESURE APPLICABLE À COMPTER DU 14 NOVEMBRE 2012
Afin de mettre fin aux opérations abusives qui n'ont d'autre but que l'annulation de l'impôt et d'éviter tout effet d'aubaine, le II du présent article prévoit une application rétroactive du dispositif au 14 novembre 2012, date de présentation du présent projet de loi de finances rectificatives en Conseil des ministres.
III. LES MODIFICATIONS APPORTÉES PAR L'ASSEMBLÉE NATIONALE
A l'initiative de notre collègue Christian Eckert, rapporteur général, l'Assemblée nationale a adopté, avec l'avis favorable du Gouvernement, un amendement tendant à limiter la taxation au titre de l'impôt sur le revenu à la seule première cession d'usufruit temporaire, à l'exclusion des cessions ultérieures du même usufruit temporaire. Cette mesure correctrice a pour objet d'éviter une double imposition sur le revenu en cas de cessions successives.
IV. LA POSITION DE VOTRE COMMISSION DES FINANCES
La modification des modalités d'imposition des cessions d'usufruit temporaires, en substituant au régime de taxation des plus-values celui de l'imposition propre à chaque catégorie de revenus, poursuit un double objectif : celui de la lutte contre la fraude fiscale et l'abus de droit qui constitue une des priorités du Gouvernement en matière fiscale et celui du renforcement de la progressivité de l'impôt par l'intégration, dans l'assiette de l'imposition des revenus, du produit des plus-values.
En ce sens, le présent article s'inscrit dans la réforme de l'impôt sur le revenu engagée par le Gouvernement en limitant l'intérêt fiscal à recourir à ce type de cession. Même en l'absence de fraude ou d'abus de droit, le régime actuel d'imposition au titre des plus-values constitue d'ores et déjà une forme admise d'optimisation fiscale puisqu'elle permet non seulement de réduire la cotisation d'impôt due mais aussi de minimiser l'assiette d'imposition de l'impôt de solidarité sur la fortune.
Décision de la commission : votre commission vous propose d'adopter cet article sans modification.
* 113 L'article 578 du code civil définit l'usufruit comme « le droit de jouir des choses dont un autre a la propriété, comme le propriétaire lui-même, mais à la charge d'en conserver la substance ». L'usufruitier dispose d'un droit d'usage du bien (l'« usus ») et perçoit les bénéfices produits par le bien (le « fructus »).
* 114 L'article 669 du code général des impôts prévoit que « l'usufruit constitué pour une durée fixe est estimé à 23 % de la valeur de la propriété entière pour chaque période de dix ans de la durée de l'usufruit, sans fraction et sans égard à l'âge de l'usufruitier ».