II. UNE AIDE INTERNATIONALE MASSIVE POUR COUVRIR DES BESOINS IMMENSES
A. LES BESOINS COLOSSAUX D'UN PAYS EXSANGUE ACCABLÉ DE FLÉAUX
Malgré des progrès indéniables, notamment en matière d'infrastructures et de développement économique, l'insécurité entretenue par la rébellion demeure le premier obstacle à la reconstruction durable du pays. Le gouvernement peine à asseoir son autorité sur l'ensemble du territoire en raison de la faiblesse tant de la gouvernance et des structures administratives que celle des forces nationales de sécurité.
Les besoins sont immenses pour un pays encore accablé de fléaux.
1. La construction chaotique des institutions
a) La tentation permanente du coup d'état rampant
La commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a dressé, dans son rapport d'information 6 ( * ) de 2009 « Afghanistan, quelle stratégie pour réussir ? », un constat sans complaisance et sans appel sur les déficits en matière de gouvernance et d'État de droit, qui conserve, hélas, toute leur pertinence aujourd'hui.
L'accord inter-afghan de Bonn-Petersberg du 5 décembre 2001 a mis en place une administration intérimaire présidée par un proche de l'ancien roi Zaher Chah, M. Hamid Karzaï, en prévoyant un calendrier pour une transition politique avec des élections libres et démocratiques.
Réunie à Kaboul en juin 2002, une Loya Jirga (assemblée traditionnelle) a reconduit Hamid Karzaï à la Présidence de l'Etat transitoire islamique d'Afghanistan. Une seconde Loya Jirga , dite constitutionnelle, a conclu ses travaux le 4 janvier 2004 par l'adoption d'une nouvelle constitution. Celle-ci confirme que l'Afghanistan est une République islamique et garantit le respect des droits de l'Homme, notamment le principe d'égalité des hommes et des femmes. Le régime est de nature présidentielle, mais avec un contrôle parlementaire renforcé. L'ancien roi, Zaher Chah, revenu à Kaboul en avril 2002, s'est vu reconnaître le titre honorifique de « Père de la Nation » et a continué à exercer une influence politique jusqu'à son décès le 23 juillet 2007.
Hamid Karzaï a remporté l'élection présidentielle du 9 octobre 2004 en obtenant, dès le premier tour, 55,4 % des voix, face à 17 autres candidats. Le Parlement a été inauguré le 17 décembre 2005 à l'issue des élections législatives du 18 septembre 2005. Il est composé de deux chambres, la Mechrano Jirga (Sénat), composée de 102 membres élus par les collectivités locales ou nommés par le Président, et la Wolesi Jirga , chambre basse comprenant 249 députés élus pour 5 ans, comme le Président. Un peu plus du quart des sièges de députés et de sénateurs est occupé par des femmes, en raison de l'existence de quotas.
La composition politique du Parlement afghan reste très fragmentée. Il existe quelques groupes de taille réduite et sans profil politique évident. De nombreux parlementaires se déclarent indépendants. Lorsqu'ils appartiennent à un groupe, ils n'observent pas de discipline particulière.
Le président Karzaï n'a pas souhaité être associé à un parti ou une coalition. C'est un de ses principaux opposants, Younous Qanouni, qui a été Président de la Wolesi Jirga de 2005 à 2010. Il a été remplacé après les dernières élections par Abdul Rauf Ibrahimi, un proche du général Dostom. L'ancien président (en 1992) Sebghatollah Modjadeddi, a été élu à la tête de la Mechrano Jirga.
Selon les termes de la constitution du 4 janvier 2004, la Wolesi Jirga ne peut être dissoute. Une procédure de destitution du président par cette chambre existe, mais avec des conditions très difficiles à remplir. La chambre basse a surtout le pouvoir de mettre en jeu la responsabilité des ministres, sur une base individuelle. Le chef de l'Etat est en même temps le chef du gouvernement.
Au terme d'un scrutin très controversé , marqué par de nombreuses fraudes et des incidents sécuritaires, le président Karzaï a été réélu le 2 novembre 2009 pour un second et dernier mandat de cinq ans, au terme d'une élection présidentielle contestable puisqu'elle n'a pas connu de second tour alors que le président Karzaï était en ballotage. Les élections législatives ont été entachées par des fraudes et de très nombreuses contestations. Son adversaire, Abdoullah Abdoullah, a refusé de participer au second tour au motif que les conditions d'un scrutin équitable n'étaient pas réunies. Le président Karzaï a, dans son discours d'investiture du 19 novembre, pris des engagements fermes en matière de gouvernance et de lutte contre la corruption.
Processus entièrement mené par les autorités afghanes, les élections législatives du 18 septembre 2010 ont été marquées par de nombreux recours.
La commission des plaintes électorales, dont il faut souligner la fermeté, a ainsi invalidé 10 % des élus dont des proches du président. Ce dernier a institué un tribunal spécial, composé de cinq juges, chargé d'enquêter sur les conclusions de la commission électorale indépendante et de la commission des plaintes. De même, le procureur général, proche du président, a diligenté des enquêtes pour fraude et abus de pouvoir contre les membres de ces deux commissions. Le président Karzaï a longtemps refusé de venir inaugurer la nouvelle assemblée législative, ce qui fut finalement fait en janvier 2011. Cette assemblée, la Wolesi Jirga , a connu une modification importante de sa représentation ethnique, avec une baisse très significative du nombre des parlementaires d'origine pachtoune du fait des invalidations et du faible taux de participation en raison des conditions de sécurité dans le Sud pachtoun. Ceci est naturellement à l'origine des fortes tensions entre le président et l'assemblée.
La réforme, envisagée, du système électoral est impérative pour établir un véritable pluralisme politique en Afghanistan et permettre l'organisation de la vie politique à travers des partis structurés.
b) La difficile réconciliation afghane
La transition ne peut connaître le succès si, en parallèle, une réconciliation entre les Afghans n'intervient pas. Il n'y aura pas de victoire militaire sans solution politique, comme il n'y aura pas de réintégration réussie sans réconciliation véritable.
Le processus de réconciliation doit être conduit par les Afghans eux-mêmes. L'enjeu de ce processus est d'inclure l'ensemble des composantes de la société afghane , de convaincre l'opposition armée à renoncer à la violence, d'éliminer définitivement Al Qaïda et de garantir le respect de la constitution que l'Afghanistan s'est donnée. L'Afghanistan ne doit plus jamais être un sanctuaire du terrorisme international.
Comme annoncé à la Conférence de Londres du 28 janvier 2010, le président Karzaï s'est engagé dans la recherche d'une solution politique à la crise afghane. Une Jirga de paix s'est tenue à Kaboul en juin 2010 pour valider un cadre de négociation avec l'opposition armée. Un nouveau programme national pour la paix et la réintégration ( Afghan Peace and Reintegration Program - APRP) a été inauguré à l'été 2010 puis, en octobre de la même année, un Haut Conseil pour la Paix a été institué, avec à sa tête l'ancien président afghan Burhanuddin Rabbani, dans le but de faciliter les contacts avec la rébellion. Ce processus doit respecter les lignes rouges établies par les autorités afghanes elles-mêmes : respect de la Constitution de 2004 et des droits de l'Homme, en particulier des droits de la femme, renoncement à la violence et absence de liens avec le terrorisme international. L'assassinat du président Rabbani, le 20 septembre 2011, a constitué un coup d'arrêt aux efforts menés pour enclencher un processus de réconciliation. Le président Karzaï a convoqué en novembre 2011 une Loya Jirga , assemblée traditionnelle du peuple afghan, qui s'est prononcée en faveur de la poursuite des tentatives de discussion avec la rébellion. Cette réunion a par ailleurs approuvé le principe d'un partenariat stratégique avec les Etats-Unis tout en posant des conditions (par exemple, l'absence de détention d'Afghans par les Américains). Des pourparlers de paix n'ont pas encore pris forme. Après avoir annoncé en janvier 2012 leur accord pour l'ouverture d'un bureau de représentation au Qatar, les talibans ont annoncé, le 15 mars dernier, la suspension de leurs contacts avec les États-Unis.
2. Une société en souffrance, une croissance menacée
a) Un accès précaire à l'éducation
En matière d'éducation , les besoins sont immenses et les récents progrès sont fragiles et menacés. Certes, le discours officiel laisse entendre que, depuis 10 ans, partout des écoles auraient été construites, et que les inscriptions auraient été multipliées par 6 ; 7 millions d'enfants seraient ainsi scolarisés, dont près de 3 millions de filles, chiffres inédits dans l'histoire afghane.
Cet affichage ne donne toutefois pas une image totalement fidèle de la situation.
En effet, si l'État n'assure pas la formation des professeurs en nombre suffisant, ni la fourniture de matériel scolaire, le nombre de classes n'a aucune signification, car la majorité d'entre elles sont des coquilles vides. Certains experts affirment qu'en moyenne un enfant afghan n'a que 2 heures de présence à l'école par jour, c'est-à-dire un seuil qui ne permet pas l'apprentissage des connaissances de base.
La situation est parfois plus inquiétante : certaines ONG ont sonné l'alarme concernant l'hiver précoce sévissant dans plusieurs régions montagneuses du centre et du nord conduisant à la fermeture des écoles jusqu'au printemps.
A cela s'ajoutent les effets des attaques talibanes contre les écoles , qui les conduisent souvent à fermer. Plusieurs centaines d'écoles ont été attaquées ces dernières années (dont une école de filles au gaz, en avril 2010). Mais, selon des médias locaux, un autre phénomène, pire dans ses conséquences, se mettrait désormais en place : dans les provinces où les talibans sont bien implantés, ils exerceraient un véritable droit de regard sur les programmes, sur la séparation absolue des locaux pour garçons et pour filles et sur l'insertion renforcée d'un enseignement religieux lui-même révisé par les rebelles.
Enfin, les disparités régionales existent. Une enquête de 2009 indique qu'au nord, deux tiers des garçons et presque la moitié des filles sauraient lire et écrire, tandis que 40 % des adolescents des deux sexes compteraient au moins 9 années d'école. Au contraire, dans plusieurs provinces de l'est et du sud, le taux d'alphabétisation des adolescents descendrait à 29 % et celui des adolescentes à moins de 5 %, et à 0 % dans de nombreux districts, où 100 % des filles auraient moins de six ans de scolarité.
b) Des conditions sanitaires dramatiques
L'accès aux soins de la population, en progrès très relatif, reste dramatiquement insuffisant.
Les discours officiels en matière de santé soulignent notamment la multiplication des centres de soins, avec réduction de la distance entre les habitations et le premier lieu où un contact médical est possible. De sorte que 85 % de la population, selon le ministère de la Santé, aurait désormais accès à un centre en moins d'une demi-journée (!) de marche. Sur le terrain, les acteurs constatent que ledit contact médical est souvent dérisoire, avec un personnel réduit et peu formé, souvent autour d'un unique médecin qui lutte pour trouver les médicaments ou le matériel médical nécessaire.
Ce réseau a toutefois permis le succès de plusieurs campagnes de vaccination , financées par la communauté internationale, et qui ont atteint 2/3 de la population.
Mais cela n'empêche pas qu'en matière de santé mère-enfant, et d'espérance de vie, la situation reste catastrophique, voire se dégrade encore.
De moins en moins de personnel médical - notamment féminin, seul à pouvoir approcher les patientes - part en milieu rural, du fait de l'insécurité.
Certes, les chiffres affichés reflètent des progrès substantiels par rapport aux années 90 et à celles de la guerre civile où tout réseau de santé avait disparu en Afghanistan. En outre, dans quelques villes, notamment à Kaboul, des hôpitaux de bonne tenue ont été établis. Mais les rapports croisés des institutions spécialisées de l'ONU montrent surtout qu'après cette remontée initiale à partir de zéro, les indices ont stagné à un niveau très bas, voire, depuis 2006, ont eu tendance à repartir à la baisse.
Selon les chiffres de l'UNICEF, on compterait en Afghanistan 1.400 décès de mères pour 100.000 naissances (contre 12 aux Etats-Unis et 1.000 dans la moyenne des pays les moins avancés...) et de 134 décès de nouveau-nés pour 10.000 naissances (163 en 2001, mais 129 en 2006 ; le chiffre est de 7 aux Etats-Unis, de 92 dans la moyenne des pays les moins avancés). Un enfant sur 5 mourrait avant 5 ans (1 sur 333 en Suède ; seule la Somalie a des chiffres aussi bas).
Le fonds des Nations unies pour la population (FNUAP) cite les causes de mortalité comme étant « les maladies contagieuses, très répandues, la malnutrition, la mauvaise éducation hygiénique, l'accès réduit à l'eau potable ». Ce n'est donc pas seulement parce que 86 % des femmes accouchent sans assistance médicale qualifiée que la mortalité est si élevée, mais aussi à cause de l'environnement « ordinaire » et des conditions de vie des mères. Ainsi, conclut l'organisation, « même au regard de la situation des 49 pays les plus pauvres de la planète, celle de l'Afghanistan est l'une des plus alarmantes ».
Au-delà des données chiffrées, des témoignages de terrain des agences onusiennes ou des ONG laissent sans voix . Ainsi le PNUD mentionne le record mondial atteint par un district afghan, qui connaît 65 décès pour 1.000 naissances ; près d'une femme sur 4 y meurt en couches. Ailleurs, un chercheur de l'OMS indique qu'on ne sait pas comment évaluer la part, qui serait significative, des fillettes dont le décès à la naissance n'est pas recensé (toutefois il est précisé que l'infanticide ne paraît pas pratiqué : c'est seulement qu'on ne compte pas les décès de filles). Ailleurs encore, un enquêteur note que là où il opère, nombre de décès en couches surviennent dans les champs ou encore au bord des routes, parce que des femmes se vident de leur sang en allant chercher du secours.
c) Des droits des femmes bafoués
Les atroces images de l'exécution sommaire, filmée par téléphone portable, et postée sur Internet, d'une femme soupçonnée d'adultère, dans un village à une centaine de kilomètres de Kaboul, le 8 juillet dernier, n'ont fait que remettre l'accent sur les insuffisantes avancées de la condition des femmes en Afghanistan. Selon l'ONG Oxfam, 87 % des Afghanes affirment avoir subi des violences physiques, sexuelles ou psychologiques ou un mariage forcé .
Si, sous l'influence de la coalition internationale présente depuis 2001, des progrès ont été observés dans les grandes villes, ils restent toutefois très limités, à tel point que certaines ONG accusent le gouvernement de ne défendre la cause des femmes qu'en façade, pour continuer à percevoir l'aide internationale.
Qu'adviendra-t-il des droits des femmes afghanes en cas d'éventuel retour au pouvoir des talibans ?
Le statut des femmes en Afghanistan est traditionnellement beaucoup moins favorable que celui des hommes, la société afghane, conservatrice et majoritairement rurale, obéissant aux règles patriarcales des clans familiaux.
Pour autant, il y a 40 ans, la Constitution afghane reconnaissait aux femmes le droit d'accès à toutes les formes d'éducation et le droit de participer aux élections à la fois comme électrices et comme candidates. Malgré la pauvreté, les femmes touchaient un salaire comparable à celui des hommes. Elles constituaient alors la majorité du personnel enseignant et de santé. Toutefois, les inégalités se sont à cette époque creusées entre femmes vivant en milieu urbain et celles résidant à la campagne.
A partir des années 1970, la situation des femmes en Afghanistan n'a cessé de se détériorer, celles-ci étant durement touchées par les années de guerre. Les libertés fondamentales des femmes ont été le plus gravement atteintes sous le régime taliban, lorsque les femmes n'ont plus eu le droit de fréquenter l'école et l'université, de travailler à l'extérieur de chez elles et de quitter leur domicile sans être accompagnées d'un homme de leur famille proche et sans porter la burqa. Toute infraction à ces décrets était sévèrement punie.
La chute du régime taliban en 2001 a suscité un vent d'espoir pour toutes les femmes afghanes. Des progrès incontestables ont été accomplis en matière de promotion des droits des femmes depuis la chute des talibans :
- interdiction posée par l'article 22 de la constitution, adoptée en janvier 2004, des discriminations entre citoyens afghans, hommes et femmes, qui sont également dotés des mêmes droits et devoirs devant la loi ;
- création du ministère de la Condition féminine ;
- adoption du plan national d'action en faveur des femmes (NAPWA, 2008-2018) ;
- promulgation de la loi pour l'élimination des violences contre les femmes (EVAW law, 2009) ;
- augmentation de l'accès à l'éducation : 20 % de filles seraient scolarisées en primaire, 5 % dans le secondaire, environ 2,5 millions de filles seraient scolarisées au total ;
- la part des centres de soins primaires dotés d'au moins une femme médecin, infirmière ou sage-femme est passée de 26 % en 2004 à 81 % en 2007 ;
- meilleure représentation des femmes au Parlement (27,3 %) ;
- création (en 2010) d'une unité de lutte contre les violences faites aux femmes au sein du Bureau du procureur général.
Malgré ces indicateurs « optiquement » favorables, les droits et l'accès des femmes afghanes aux besoins primaires sont loin d'être assurés en pratique.
Les conditions de santé pour les femmes afghanes sont parmi les pires au monde. Leur accès aux soins demeure extrêmement limité à l'heure actuelle, en grande partie du fait de manque de personnel féminin de santé. 90 % des femmes en zone rurale accouchent à la maison sans assistance médicale, ce qui explique le fort taux de mortalité maternelle à la naissance (25 000 morts par an). L'espérance de vie des Afghanes est de 44 ans, soit près de 20 ans de moins que la moyenne mondiale.
Les femmes et les fillettes afghanes continuent d'être soumises à une discrimination généralisée dans tous les secteurs de la société, à la violence domestique, aux enlèvements et aux viols imputables à des hommes armés, à la traite, aux mariages forcés et aux échanges (« baad ») permettant de régler des litiges et des dettes. Prêtes à tout pour échapper à ces situations de violence, 165 femmes se sont suicidées en s'immolant par le feu en 2007.
La signature par le président Karzaï, en mars 2009, de la loi sur le statut personnel chiite, aux dispositions gravement attentatoires aux droits des femmes (le texte a été quelque peu amendé sous la pression de la Communauté internationale), souligne que les autorités afghanes sont prêtes à accepter des compromissions dans ce domaine à des fins politiques.
L'insécurité croissante dans le pays aggrave directement la situation des femmes. Les cas signalés de violence domestique contre ces dernières se multiplient. Se rendre à l'école représente un danger quotidien pour de nombreuses fillettes. La terreur engendrée par les attaques des talibans contre les écoles met en péril le droit à l'éducation de dizaines de milliers d'enfants, et tout particulièrement des filles. Plusieurs cas d'attaques au gaz toxique contre des écoles de filles ont été rapportés en 2009 et 2010.
Les femmes sont régulièrement victimes des attaques menées par des groupes armés contre des civils en général ou menées sans discrimination par toutes les parties au conflit. Les talibans et autres groupes rebelles prennent aussi plus spécifiquement pour cible les femmes membres d'organisations humanitaires, les personnels de santé, les candidates aux élections et les élues, qui sont toutes accusées de collaborer avec les ennemis de l'islam. Plusieurs en sont mortes, et aucun de leur meurtrier n'a été jusqu'à présent traduit en justice.
d) Des fondamentaux économiques altérés
L'Afghanistan est classé 172 e pays sur 179 en termes d'indice de développement humain calculé par le PNUD. C'est l'indice le plus bas du continent asiatique.
Malgré des taux de croissance élevés ces dernières années, de nombreux pans de l'économie afghane sont encore à reconstruire.
Après dix ans de présence occidentale, le bilan de la reconstruction économique parait décevant. Toute analyse « objective » est compliquée par l'absence de fiabilité des statistiques, qui ont en outre parfois été manipulées.
L'agriculture , qui occupe 70 % de la population, a été sinistrée par 30 ans de guerre (champs minés, diminution de la qualité des semences et du cheptel, systèmes d'irrigation endommagés).
Un acquis des plus de 10 ans de présence occidentale aura été le retour à la croissance dans l'agriculture , qui avait considérablement souffert des destructions de la guerre soviétique et du départ conséquent d'une large portion des populations rurales vers le Pakistan et l'Iran. Dans certains secteurs comme les céréales, les progrès ont été rapides et le gouvernement a revendiqué comme un succès majeur l'accession, proclamée en 2009, à l'autosuffisance alimentaire. La suite a montré que c'était une déclaration prématurée, car l'année était exceptionnelle, et les importations alimentaires devraient se poursuivre, en raison d'abord de la concurrence du pavot (qui rapporte deux fois plus que les activités légales) ; mais aussi de l'insuffisance des moyens de collecte et de stockage. Ceci explique qu'une grande partie des produits sont expédiés « en brut » de l'autre côté de la frontière pakistanaise, pour en revenir conditionnés et plus chers. Les taux de malnutrition sont, d'après l'OMS, très élevés, touchant près de 40 % des enfants afghans.
L'industrie (agro-alimentaire, textile, énergie) entame à peine son redressement. L'artisanat (13 % du PIB en 1981) a quasiment disparu. Le secteur du bâtiment est en revanche en expansion.
Le secteur minier , considéré comme prometteur, entame un lent redémarrage. Les réserves du sous-sol afghan ont pu être estimées jusqu'à 1.000 milliards d'USD, selon une étude publiée en 2010 par le United States Geological Survey . Même s'il faut relativiser certaines annonces très (trop ?) optimistes sur le potentiel minier afghan, ces ressources minérales constituent un vrai potentiel. Et l'irritant excès de la ''réclame'' qui en a été faite ne doit pas faire oublier qu'un travail effectif a été conduit par le ministère des mines et les experts internationaux pour définir une politique cohérente dans ce secteur et dans ceux qui, embryonnaires, conditionnent son avenir : énergie, et rail connecté aux réseaux ferrés régionaux. Il s'agit d'une entreprise au long cours. Il n'en reste pas moins que le chantier est amorcé avec les 2 grandes mines de cuivre ( Aynak ) et de fer ( Hajigak ) en cours d'ouverture . La Chine a signé en mai 2008 un contrat record de 3,5 milliards d'USD pour l'exploitation du gisement d'Aynak , à 30 km au Sud de Kaboul.
Les transports et la téléphonie mobile tirent la croissance du secteur des services. Les réseaux de téléphone mobile se sont rapidement développés et compteraient 15 millions d'abonnés. La compagnie privée de téléphonie mobile Roshan (3,5 millions d'abonnés) serait le premier investisseur du pays (430 millions de dollars à ce jour) et l'un des premiers contribuables et employeurs privés d'Afghanistan (1.100 employés). La reprise du tourisme, un secteur clé de l'économie afghane d'avant-guerre, dépendra d'un retour à la stabilité et de la mise en place d'infrastructures, en premier lieu hôtelières, dignes de ce nom.
Quelques chantiers importants ont été menés à bien, dont le plus emblématique est sans doute la ligne à haute tension amenée d'Ouzbékistan sur 1.400 pylônes posés par l'Inde. Elle permet depuis 2009 une électrification satisfaisante de la capitale en dépit de l'accroissement continu de celle-ci (conquête des hauteurs rocheuses par les habitations notamment établies par les réfugiés de retour). En province aussi l'électrification a fait des progrès sensibles. D'autres progrès sont constatés dans le tissu urbain, en voie de modernisation : éclairage, circulation, constructions en dur et télécommunications grand public. Ce développement paraît assez chaotique, notamment dans la capitale, où par exemple des rues (relativement) propres - même quand, et c'est très souvent le cas, elles ne sont pas asphaltées - coexistent avec des canalisations d'une saleté repoussante. En province, dans les villes du nord et de l'est, mais aussi à Djalalabad par exemple, les services publics et la voierie sont mieux ordonnés.
Malgré de nombreuses difficultés, le commerce connaît une reprise depuis la chute des talibans, grâce surtout à la réfection de nombreuses routes. Les principaux partenaires commerciaux de l'Afghanistan sont l'Inde, le Pakistan et l'Iran. La construction d'un gazoduc qui permettrait l'exportation du gaz turkmène vers le Pakistan et l'Inde en passant par l'Ouest afghan est à l'ordre du jour (projet TAPI). Les conférences sur la coopération économique régionale pour l'Afghanistan (« RECCA ») permettent aux États de la région d'examiner les questions d'intérêt commun (gestion des frontières, transports, énergie).
Dans le cadre de sa présidence du G8 en 2011, la France a conduit l'Initiative pour la Prospérité des Régions frontalières (IPRF) afin de contribuer à la dynamique actuelle en matière de coopération économique régionale. Des réunions et séminaires ont ainsi été organisés dans des secteurs-clés pour le désenclavement de l'Afghanistan et son développement : rail, ressources humaines (principalement sous l'angle de la santé), eau et énergie.
Le changement de monnaie nationale, fin 2002, a été l'une des grandes réussites économiques de la dernière décennie. L'afghani est relativement stable face au dollar américain et à l'euro. La monnaie métallique a été réintroduite en avril 2005, avec l'aide de la France, après trente ans d'absence.
La crise de la Kabul Bank a porté un coup sévère au secteur bancaire naissant. L'institution financière privée la plus importante du pays, qui gère les salaires de 220 000 fonctionnaires, un tiers des dépôts et 57 % des emprunts, a subi en septembre 2010 une fuite de ses liquidités à la suite de révélations sur sa gestion frauduleuse (pertes estimées à environ 900 millions d'USD).
Ce scandale a conduit le FMI à geler sa décision pour un nouveau financement de 125 millions d'USD sur trois ans via la « facilité élargie de crédit » qui avait été examinée par le Conseil d'administration du Fonds. L'absence de programme du FMI a conduit plusieurs bailleurs à suspendre temporairement leurs versements au fonds dédié à la reconstruction de l'Afghanistan (ARTF). Un accord entre le FMI et le gouvernement a finalement été trouvé fin 2011.
e) Une croissance fragilisée par le retrait de la coalition
Malgré les difficultés actuelles et l'ampleur des chantiers restant à mener, l'effort combiné des autorités afghanes et de leurs partenaires étrangers commence à porter des fruits. L'Afghanistan enregistre, depuis 2006, des progrès significatifs en matière de reconstruction (infrastructures routières, écoles, hôpitaux) et de développement économique (agriculture, bâtiment, artisanat, services).
Après plus de dix ans de présence occidentale, le bilan de la reconstruction économique paraît à la fois significatif et décevant. L'analyse est singulièrement compliquée par l'absence de fiabilité des statistiques qui sont parfois manipulées.
La croissance du PIB a été supérieure, ces cinq dernières années, à 10 %. Un certain redémarrage économique a commencé à partir de 2005, autour de Kaboul.
Pour autant, on peut s'interroger sur la signification de ces taux de croissance, dans la mesure où il a suffi d'une excellente récolte, en 2009, pour obtenir un taux de croissance de 20 %... Pour sortir de la très grande pauvreté, il faudrait à l'Afghanistan une croissance soutenue pendant au moins une génération.
Le réseau routier a été amélioré par l'aide internationale avec la construction de la « grande rocade » (ring road) qui relie entre elles les quatre grandes villes du pays. Un réseau d'électricité permet désormais d'alimenter Kaboul en énergie à partir de l'Ouzbékistan.
Si la construction routière a été considérable, avec un chiffre-phare de 13.000 kms asphaltés , ou réhabilités - car la grande route circulaire reliant les principales villes a été établie du temps des Russes -, certains Afghans y voient surtout la concrétisation de visées purement militaires : au bout de chacune de ces routes, il y a une base. Ils contestent qu'elles aient, du moins directement, bénéficié à la population : entre les villages et les " highways'' , les communications seraient toujours aussi mauvaises.
Dans le moyen terme, ce réseau routier est un incontestable atout, même s'il faudra assumer le coût de son entretien après le départ des occidentaux.
Il faut rappeler les ordres de grandeur pour pouvoir mesurer le « choc » que va représenter la transition sur l'économie afghane : les dépenses annuelles des forces alliées en Afghanistan (qui ne sont pas toutes réalisées au profit de l'économie afghane) représentent environ sept fois le PNB du pays, tandis que l'aide accordée est équivalente à son PNB 7 ( * ) .
C'est donc essentiellement l'aide internationale qui tire l'activité. Certaines études estiment que 90 % à 100 % du PIB afghan légal serait généré par la présence internationale.
A l'occasion de la récente Conférence de Tokyo, la Banque mondiale a présenté un rapport (« Aghanistan in transition : looking beyond 2014 » dans lequel elle estime que le principal relai de croissance après l'infléchissement de l'aide internationale sera le secteur minier. Le modèle de développement serait celui d'une exploitation des ressources minières permettant de développer l'activité, d'apporter des recettes à l'Etat, et d'entraîner le reste de l'économie grâce aux investissements générés (routes, voies ferrées...) et au capital humain (formation, amélioration des conditions de vie...). Dans la vision de la Banque mondiale, le secteur des mines exercerait un effet de levier sur plusieurs autres pans de l'économie afghane, via ce qu'elle appelle des « corridors de croissance ».
Cette vision optimiste du développement du secteur minier (ce secteur exige de très forts investissements capitalistiques) ne doit pas faire oublier la nécessité de susciter des relais de croissance dans les autres domaines, notamment agricole. La moitié de la population afghane a moins de 18 ans : la création d'emplois est une nécessité vitale.
Dans le rapport de la banque mondiale, les besoins de l'Afghanistan sont évalués à 40 % du PIB en 2014 et 2015, pour se réduire progressivement à 25 % du PIB en 2021, sous l'effet du développement du secteur minier.
3. Drogue et corruption, deux profonds fléaux
a) Le trafic de drogue entrave l'émergence d'activités licites
Problème majeur, la drogue entrave le développement de l'économie afghane, mine les efforts de reconstruction du pays, gangrène l'État et nourrit le terrorisme, avec une imbrication croissante entre la rébellion et les réseaux de trafiquants.
L'opium afghan représente 90 % de la production mondiale totale (production évaluée à 6.900 tonnes en 2009). L'économie de l'opium serait la première activité productrice du pays. L'économie de l'opium représenterait (estimation non officielle) près de 7 milliards de dollars, loin devant le premier revenu d'exportation, qui est celui des tapis, pour 187 millions de dollars.
Selon l'ONUDC, pour le seul opium, 123 000 hectares étaient consacrés en 2010 à la culture et 248 000 familles étaient employées à cette activité, la valeur de la production d'opium pour les producteurs s'élevant selon l'ONUDC à 605 millions de dollars (sa valeur à l'exportation étant naturellement bien supérieure). En outre, le poids économique de l'héroïne en Afghanistan a très considérablement augmenté au cours de la période récente du fait de l'installation sur le territoire afghan de laboratoires de transformation de l'opium (jusqu'ici situés dans les pays voisins).
Votre commission juge qu'il y a quelque chose de très paradoxal à ce que cette situation coexiste avec une présence internationale massive en Afghanistan - mieux, à ce qu'elle se soit développée en parallèle de cette présence et malgré elle !
Les causes du développement de la culture de stupéfiants sont multiples : pauvreté, insécurité, corruption des autorités notamment, et surtout forte rentabilité de cette activité.
Alors que dans un premier temps les talibans avaient interdit la culture du pavot, ils en ont ensuite encouragé le développement, afin d'accroître leurs ressources financières. L'état d'anarchie du pays et le rôle croissant des seigneurs de la guerre contrôlant des zones entières ont favorisé le développement de tous les trafics.
D'après les Nations unies, la culture du pavot est surtout pratiquée dans les provinces du sud et du sud-ouest, et en particulier dans le Helmand, bastion pachtoune de l'insurrection. Certaines estimations chiffrent à 10 % la part de la population qui vivrait de la culture du pavot. Certains agriculteurs, soumis à des pressions locales, n'ont sans doute guère le choix.
L'expansion de la culture du pavot ne trouve pas de frein, vu l'absence de contrôle du territoire par les autorités, les défaillances de l'appareil judiciaire, douanier et policier ainsi que la corruption endémique. La culture du pavot apporte aux exploitants un revenu sans commune mesure avec celui de toute autre culture licite, comme les fruits ou le safran, par exemple.
L'opium est de plus en plus transformé en morphine et en héroïne sur le territoire afghan, ce qui a conduit la France à proposer une résolution au Conseil de sécurité des Nations Unies, adoptée le 11 juin 2008, et destinée à lutter contre le trafic international de précurseurs chimiques. Le Pacte de Paris, dont la France est à l'origine et l'un des principaux bailleurs, constitue le principal cadre de réflexion, de dialogue et de coordination des projets relatifs à la lutte contre le trafic d'héroïne en provenance d'Afghanistan. Une réunion ministérielle du Pacte de Paris s'est tenue à Vienne le 16 février 2012.
La culture du cannabis serait également en fort développement, dans le nord du pays, à tel point que l'Afghanistan serait aussi devenu le premier producteur mondial.
Il existe naturellement un lien entre narco-trafic et terrorisme. On ne peut qu'être frappé par le fait que la carte de la culture du pavot recouvre assez largement celle de l'insurrection. La saison des combats (« fighting season ») est d'ailleurs calée sur les impératifs de la culture et des récoltes, notamment du pavot. Le trafic nourrit la corruption et les réseaux maffieux. Les profits tirés de cette activité ont un effet d'éviction sur le développement des activités licites.
b) La corruption est profondément enracinée
La corruption est un mal endémique quasiment inscrit dans l'histoire et dans les moeurs afghans. Quand on sait que la montée en puissance du réseau Haqqani et des talibans s'est faite en partie en exploitant le ressentiment de la population face à une attitude du précédent gouvernement central considérée à juste titre comme prédatrice, on comprend l'importance de la lutte contre la corruption.
Selon certaines estimations 8 ( * ) , près de 2,5 milliards de dollars de pots-de-vin seraient versés en Afghanistan sur une période d'un an, ce qui représente environ un quart du PIB du pays . La corruption est un phénomène généralisé qui touche toutes les couches de la société, jusqu'au plus haut niveau.
L'ONG Transparency International classait en 2010 l'Afghanistan comme le deuxième pays le plus corrompu du monde , à égalité avec la Birmanie. Des proches du Président Karzaï ont été impliqués dans le scandale de la Kabul Bank , et deux ans après, aucun actionnaire n'a réellement été inquiété. La récente attribution d'un contrat d'extraction du pétrole, d'un montant de 3 milliards de dollars, à deux cousins du Président, qui avaient été condamnés pour trafic de drogue aux Etats-Unis et emprisonnés dans les années 1990 fait peser un doute sur la volonté des plus hautes autorités d'éradiquer le fléau de la corruption.
La corruption profite aux insurgés qui peuvent à juste titre souligner la perte de légitimité d'une administration et d'un gouvernement prédateur pour son propre peuple. Elle favorise le développement des réseaux maffieux.
Comme l'indiquait un rapport de l'assemblée parlementaire de l'OTAN : « Bien qu'il ne soit pas réaliste d'espérer une totale éradication de la corruption dans ce pays, la vraie réussite serait de la ramener à un niveau où elle ne permettrait plus de financer l'insurrection ».
* 6 MM. Josselin de ROHAN, Didier BOULAUD et Jean-Pierre CHEVÈNEMENT, rapporteurs
* 7 D'après le rapport de l'assemblée parlementaire de l'OTAN : « Afghanistan 2014 et au-delà », avril 2012
* 8 Cf. notamment les rapports de l'assemblée parlementaire de l'OTAN