EXAMEN DES ARTICLES
CHAPITRE IER Mesures visant à instaurer plus de concurrence sectorielle au service des consommateurs dans divers secteurs de la consommation courante
Article 1er (Articles L. 340-1 à L. 340-7 [nouveaux] du code de commerce) Dispositions relatives aux réseaux de distribution
Commentaire : cet article crée un nouveau type de contrat pour formaliser les relations d'affiliation existant entre un commerçant indépendant et un réseau de distribution.
I. Le droit existant
Les notions de « relation d'affiliation », de « contrat d'affiliation » ou de « convention d'affiliation », telles qu'elles sont utilisées dans cet article, n'existent pas dans le droit en vigueur . Il s'agit d'une innovation juridique dont les origines sont à rechercher dans la décision de saisine d'office pour avis du 25 février 2010 de l'Autorité de la concurrence 16 ( * ) .
Cherchant à appréhender les barrières au changement d'enseigne qui existent dans le secteur de la grande distribution, l'Autorité a en effet décidé d'enquêter sur « les contrats d'affiliation de magasins indépendants » en donnant à cette expression une portée générique qui englobe l'ensemble des clauses contractuelles liant les distributeurs membres d'un réseau de franchise ou d'un groupement à leur « tête de réseau ». Comme l'indique le texte de la saisine, sont concernés les différents contrats en vigueur, notamment les contrats de franchise ou d'adhésion à une coopérative de commerçants indépendants, ainsi que les autres contrats liant un commerçant à une personne juridique représentant le réseau (contrat d'approvisionnement, de location-gérance, de bail, pacte d'associés, etc.).
Le regroupement dans un concept générique « d'affiliation » de contrats par ailleurs extrêmement différents par leurs objectifs et leurs clauses se fonde sur l'intuition (confirmée ensuite par l'enquête de l'Autorité) que l'analyse « séparée » des différents contrats ne permet pas d'appréhender la nature et l'ampleur réelles des barrières au changement d'enseigne qui existent actuellement dans le secteur de la grande distribution alimentaire.
En effet, les effets restrictifs de concurrence n'y sont pas le produit des clauses contenues dans un seul contrat d'affiliation, mais naissent de l'entrecroisement des clauses contenues dans la pluralité de contrats par lesquels une tête de réseau se lie à des commerçants indépendants. Aussi longtemps que le droit se contente de considérer séparément ces différents contrats, il se prive donc des moyens de caractériser la réalité des pratiques anticoncurrentielles et de lutter contre elles. C'est pour dépasser cette limite et élaborer un instrument efficace de lutte contre les pratiques anticoncurrentielles que l'article 1 er du texte cherche à donner un contenu juridique précis à la notion d'affiliation .
Parmi les freins au changement d'enseigne, l'Autorité de la concurrence relève, dans son avis du 7 décembre 2010 :
- des durées de contrats trop longues et leur reconduction tacite : les groupements coopératifs sont caractérisés par les durées les plus longues, pouvant aller jusqu'à 30 ans 17 ( * ) ; celle des contrats de franchise est quant à elle généralement comprise entre 3 et 9 ans, le plus souvent tacitement renouvelable pour une durée équivalente à la durée initiale ; pour s'assurer du respect de la durée des contrats, les enseignes utilisent généralement des clauses pénales d'indemnisation en cas de rupture anticipée du contrat ;
- une certaine opacité due à l'existence d'une pluralité de contrats dont les termes ne coïncident pas ;
- des clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles : certaines de ces clauses ne s'appliquent qu'en cas de rupture anticipée du contrat, pendant une durée allant d'un à deux ans à compter de la résiliation du contrat ; d'autres s'appliquent, que le contrat soit arrivé à échéance ou qu'il ait été résilié avant son terme ; l'étendue géographique de ces clauses varie selon les enseignes : il peut s'agir du territoire concédé, d'un rayon de 30 km (en zone rurale), 20 km, 15 km, 10 km (en zone urbaine) ou 5 km autour du magasin ; certaines clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles ne sont pas limitées géographiquement ;
- la présence, dans la plupart des contrats, de droits de priorité valables pendant toute la durée du contrat et plusieurs années après l'arrivée à échéance de ce dernier, clauses qui limitent les possibilités de cessions des entreprises 18 ( * ) ;
- des pratiques capitalistiques , dans les groupes de distribution dits intégrés, qui permettent à la tête de réseau, à travers une prise de participation minoritaire dans le capital de l'affilié, de bloquer tout projet de changement d'enseigne qu'elle estime nuisible.
L'Autorité de la concurrence conclut son avis en indiquant que les contrats d'affiliation existants entraînent des effets restrictifs de concurrence qui pourraient justifier une procédure contentieuse. Considérant qu'une réforme législative est plus efficace et moins coûteuse pour faire évoluer les pratiques, l'Autorité préfère formuler plusieurs propositions fortes qui sont résumées dans le tableau suivant.
Source : Autorité de la concurrence
II. Le texte initial
L'article 1 er , dans sa rédaction initiale, quoiqu'en retrait par rapport aux recommandations de l'Autorité de la concurrence, en reprend cependant plusieurs points importants. Il crée dans le livre III du code de commerce un titre IV intitulé : « Des réseaux de distribution », qui comprend sept articles numérotés L. 340-1 à L. 340-7.
L'article L. 340-1 définit la convention d'affiliation .
Son paragraphe I indique quelles sont les parties à la convention. Il s'agit :
- d'un côté, d'un commerçant indépendant ;
- de l'autre, soit d'une personne physique , soit d'une personne morale de droit privé regroupant des commerçants 19 ( * ) , soit d'une personne mettant en oeuvre une clause d'exclusivité telle que définie à l'article L. 330-3 du code de commerce, c'est-à-dire une personne qui met à la disposition d'une autre un nom commercial, une marque ou une enseigne, en exigeant d'elle un engagement d'exclusivité ou de quasi-exclusivité pour l'exercice de son activité. Ces formules permettent de couvrir tous les cas de figure susceptibles de se rencontrer dans le secteur de la grande distribution : les sociétés coopératives de commerçants détaillants , du type Leclerc, ITM Entreprises et Système U et les magasins indépendants franchisés à un groupe de distribution que l'Autorité de la concurrence qualifie d'intégrés, du type Auchan, Casino ou Carrefour.
GROUPEMENTS COOPÉRATIFS ET GROUPES INTÉGRÉS Il existe de grandes différences d'organisation entre les réseaux de distribution alimentaire généralistes. On trouve d'un côté des groupements de type coopératif (E. Leclerc, ITM Entreprises et Système U), de l'autre des groupes dits intégrés (Casino, Carrefour, Auchan, Lidl et Aldi). Les groupements coopératifs ou, plus précisément, les groupements de commerçants associés, sont des associations d'entrepreneurs juridiquement et financièrement indépendants les uns des autres, disposant d'un statut juridique spécifique (en général, une société anonyme coopérative de commerçants à capital variable - articles L. 124-1 et suivants du code de commerce). Un tel groupement est géré par les actionnaires adhérents de la coopérative, qui sont aussi propriétaires des points de vente, selon un système de gouvernance démocratique (« un associé, une voix ») et ce, dans des règles communes de fonctionnement, formalisées par des statuts et un règlement intérieur. Ces deux documents constituent le socle juridique de tout groupement coopératif. Dans certains groupements, ils peuvent être complétés par d'autres documents juridiques qui permettent de formaliser les droits et obligations de chacun (contrat d'enseigne ou contrat d'adhésion, par exemple). L'objet social du groupement est la mise en commun de moyens (centrale d'achat, enseignes et concept de vente, politiques commerciales, moyens financiers, etc.) pour le développement conjoint d'outils et d'actions destinés à assurer la compétitivité des points de vente. L'un des moyens développés en commun par les membres du groupement est la centrale d'achat ou de référencement. Celles-ci gèrent les achats de leurs affiliés en leur offrant les services suivants : étude des produits, recherche de fournisseurs, négociation des achats, et, dans certains cas, activités de répartition, d'organisation et de documentation. En vertu du principe « d'exclusivisme coopératif » prévu par la loi, ces services sont réservés à l'usage exclusif des adhérents à la centrale, à laquelle ils sont liés par un contrat. A la structure horizontale du groupement de distributeurs-détaillants peut donc s'ajouter une relation verticale liant les détaillants et leur centrale d'achat ou de référencement. D'autres contrats peuvent formaliser une relation verticale du même type, comme les contrats de panonceau, d'enseigne, d'affiliation ou de franchise. Au final, le magasin indépendant dispose donc d'une liberté de décision en matière de politique commerciale (prix, assortiment, opérations promotionnelles), mais dans les limites de la politique commerciale décidée par le groupement et précisée dans les statuts et les règles de fonctionnement. A l'inverse, dans un groupe de distribution intégré , le magasin est détenu et géré par le groupe de distribution qui décide seul de la politique commerciale du magasin et qui s'appuie sur un salarié pour la mettre en oeuvre. Pour certains formats, toutefois, il est apparu préférable de laisser une plus grande indépendance au gérant du magasin, à la fois pour accroître ses incitations à la performance et pour profiter de la meilleure information dont il dispose sur les conditions de marché locales. Le groupe de distribution intégré peut alors franchiser des magasins, qui lui auront été apportés par des entrepreneurs ou qu'il aura lui-même contribué à implanter. Dans certains cas, le groupe de distribution est propriétaire des murs ou du foncier sur lequel est implanté le magasin. Il peut aussi être associé à la société d'exploitation gérant le magasin franchisé. |
Le I précise ensuite que l'objet de cette convention est de fixer celles des obligations auxquelles s'engagent les parties susceptibles de limiter la liberté d'exercice par l'exploitant de son activité de commerçant.
Le II prévoit que la convention d'affiliation est un document unique, ce qui correspond à la préconisation de l'Autorité de mettre un terme à la dispersion des clauses contractuelles dans une pluralité de contrats, source d'opacité pour les relations d'affiliation. Le II apporte aussi une précision sur le lien qui existe entre la convention d'affiliation et les autres contrats liant l'affilié et son réseau : la convention d'affiliation doit en effet être formalisée préalablement à la signature de tout contrat entre les parties . C'est cohérent avec l'idée de faire de la convention d'affiliation un document cadre fixant les limites que doivent respecter les parties dans leurs relations contractuelles.
Le III indique que la convention d'affiliation « récapitule » les stipulations applicables du fait de l'affiliation en les regroupant selon des rubriques définies par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence. Elle fixe en particulier :
1° Les conditions de l'affiliation et de la participation au groupement ;
2° Les conditions d'utilisation des services commerciaux apportés à l'exploitant, en particulier d'approvisionnement et d'usage des marques et enseignes ;
3° Le fonctionnement du réseau ;
4° Les conditions de renouvellement, cession et réalisation des contrats régissant les relations commerciales découlant de l'affiliation ;
5° La nature des contraintes applicables après rupture des relations d'affiliation.
Enfin, en réponse aux préconisations de l'Autorité de la concurrence, qui avait noté dans son avis qu'il régnait une opacité liée à la durée des engagements découlant des contrats entre les parties, le III précise que la durée de chacun de ces engagements doit être précisée dans la convention d'affiliation. Le terme final de la convention d'affiliation doit par ailleurs être expressément précisé.
L'article L. 340-2 rend obligatoire les conventions d'affiliation pour les commerces en libre service dont le tiers du chiffre d'affaires provient de la vente de produits alimentaires . Cet article précise cependant qu'il peut être dérogé à cette règle dans des conditions précisées par un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence.
L'article L. 340-3 fixe les règles applicables aux conventions d'affiliation obligatoires :
- le document unique doit être remis à l'exploitant dans un délai préalable à la signature de la convention fixé par décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence ;
- il n'est possible d'y déroger par voie contractuelle que par modification de la convention d'affiliation ;
- elles ne peuvent être résiliées avant leur échéance que dans un délai pris après avis de l'Autorité de la concurrence, en fonction de leur durée ;
- elles ne peuvent être renouvelées par tacite reconduction.
L'article L. 340-4 renvoie à un décret pris après avis de l'Autorité de la concurrence le soin de fixer la durée maximale des conventions d'affiliation obligatoires en vertu de l'article L. 340-2 - tout en précisant que cette durée ne peut dépasser dix ans. Il prévoit également qu'à l'exception du contrat de bail commercial, aucun contrat conclu dans le cadre de la convention d'affiliation ne peut produire d'effets au-delà du terme final de la convention d'affiliation.
L'article L. 340-5 interdit les droits d'entrée à paiement différé payables en totalité au moment de la sortie du réseau . Ces droits d'entrée sont possibles mais doivent être réglés soit en totalité au moment de la signature du contrat, soit en plusieurs versements, les versements dus au titre de la dernière année ne pouvant excéder 20 % du total.
L'article L. 340-6 vise les clauses de non-réaffiliation et de non-concurrence post-contractuelles souvent contenues dans les contrats d'affiliation, les statuts des sociétés communes ou les pactes d'associés , clauses post-contractuelles qui restreignent très fortement la liberté pour un commerçant de changer de réseau. L'article prévoit trois mesures :
- il rend sans effet toute clause post-contractuelle limitant la liberté du commerçant si cette clause n'est pas énoncée dans la convention d'affiliation ;
- il limite la durée d'effet de ces clauses à un an après le terme de la convention d'affiliation ;
- il circonscrit précisément les points sur lesquelles de telles clauses peuvent porter : elles s'appliquent uniquement aux biens et services objets de la convention d'affiliation, ainsi qu'aux terrains et locaux à partir desquels a opéré celui qui a souscrit la convention unique d'affiliation.
Enfin, l'article L. 340-7 fixe les conditions d'entrée en vigueur des règles fixées par les articles précédents et précise le régime transitoire applicable aux situations relevant d'une convention d'affiliation obligatoire en vertu de l'article L. 340-2 . Les dispositions relatives aux conventions d'affiliation sont ainsi applicables à partir du 1 er juillet 2012. Les contrats, accords ou autres clauses déjà existant à cette date, qui établissent une relation d'affiliation, doivent être remplacés par une convention d'affiliation avant le 1 er janvier 2014. Si ce délai n'est pas respecté, chaque partie peut mettre fin aux relations contractuelles, clauses ou accords établissant de fait une relation d'affiliation, sans que les obligations qui y sont contenues puissent lui être opposées.
III. Les modifications apportées par l'Assemblée nationale
Les députés ont profondément réécrit l'article 1 er en commission, en s'éloignant sensiblement du texte du Gouvernement et de l'avis de l'Autorité de la concurrence .
Ils ont tout d'abord, à l'initiative de Mme Catherine Vautrin, précisé l'intitulé du nouveau titre IV en ajoutant « alimentaire » après « réseaux de distribution »
Ils ont ensuite adopté un amendement de M. Daniel Fasquelle, rapporteur de la commission, réécrivant l'article L. 340-1 :
- alors que la convention était, dans le texte initial, le texte « fixant » celles des obligations auxquelles s'engagent les parties, susceptibles de limiter la liberté d'exercice de l'activité de commerçant, elle ne comporte plus, dans le texte transmis au Sénat, que les « informations relatives aux engagement des parties », étant précisé qu'elle est conclue « en sus de tout autre contrat pouvant exister par ailleurs entre les parties » ;
- au III, il est désormais prévu que le document unique « donne des informations », alors que le projet de loi prévoyait qu'il récapitulait les « stipulations applicables du fait de l'affiliation » sur les différentes obligations.
Les députés ont également adopté un amendement du rapporteur ajoutant un alinéa au I afin de préciser que la convention d'affiliation s'applique « sous réserve des règles statutaires et décisions collectives adoptées conformément aux lois sur les associations, les sociétés civiles, commerciales ou coopératives », à condition de ne pas faire obstacle aux dispositions du projet de loi relatives aux durées maximales, à l'étalement du paiement des droits d'entrée et aux clauses post-contractuelles (articles L. 340-4 à L. 340-6). Cet ajout vise à prendre en compte la spécificité des groupes coopératifs, tout en les soumettant aux mêmes obligations que les groupes intégrés.
Les députés ont, toujours à l'initiative du rapporteur, réécrit l'article L. 340-3 pour :
- préciser que le délai dans lequel le document unique doit être remis à l'exploitant est de deux mois au moins avant la signature de la convention ;
- autoriser des clauses de tacite reconduction , à la condition d'adresser à l'affilié, six mois au moins avant l'expiration du délai de dénonciation du non-renouvellement de la convention, une notification lui rappelant la date et les modalités selon lesquelles il peut exprimer sa décision de non-renouvellement (cette condition a été ajoutée en séance, par un amendement de M. Dionis du Séjour) ;
- prévoir qu'un décret précise le délai de préavis dans lequel les conventions tacitement reconduites peuvent être résiliées, selon qu'elles sont conclues à durée déterminée ou indéterminée.
A l'article L. 340-4 , les députés ont adopté des amendements identiques présentés par Mme Laure de la Raudière et M. Jean Dionis du Séjour, prévoyant que la durée maximale des conventions est de 5 ans pour les conventions comportant une obligation d'approvisionnement à la charge de l'affilié à concurrence de plus de 80 % de ses achats.
A l'alinéa 22, les députés ont adopté un amendement du rapporteur précisant que les statuts et décisions collectives peuvent produire des effets au-delà du terme de la convention.
A l'article L. 340-6 , l'Assemblée nationale a adopté, en séance, un amendement de MM. Dionis du Séjour, Fasquelle et Poignant soumettant l'existence de clauses post-contractuelles à quatre conditions cumulatives :
- concerner des biens et services en concurrence avec ceux objets de la convention d'affiliation ;
- être limitées aux terrains et locaux à partir desquels l'exploitant exerce son activité pendant la durée de la convention d'affiliation ;
- être indispensables à la protection du savoir-faire substantiel, spécifique et secret transmis dans le cadre de la convention d'affiliation ;
- ne pas excéder un an après l'échéance ou la résiliation de la convention d'affiliation.
Enfin, les députés ont adopté en commission, à l'initiative du rapporteur, un amendement prévoyant une entrée en vigueur de l'article 1 er sept ans après la promulgation de la loi.
IV. La position de votre commission
L'avis de l'Autorité de la concurrence sur les réseaux d'affiliation de décembre 2010 a permis de décrypter de manière très fine et convaincante la façon dont les enseignes de la grande distribution parviennent à créer localement des barrières à la concurrence grâce à des systèmes de contrats d'affiliation complexes, voire opaques, qui empêchent les commerces affiliés de changer d'enseigne .
Le secteur de la distribution alimentaire se caractérise, de fait, par une « concentration élevée, proche de celle de l'oligopole » : au premier semestre 2009, les six principaux groupes, tous d'origine française (Auchan, Carrefour, Casino, E. Leclerc, ITM Entreprises et Système U), détiennent près de 85 % de parts de marché .
Les conséquences de cette situation sont doubles. D'une part, elle pèse à la hauss e sur le prix des produits. D'autre part, la quasi impossibilité pour une enseigne de s'implanter sur une zone de chalandise en attirant des commerces affiliés à un réseau de distribution concurrente a pour conséquence que la concurrence commerciale passe avant tout par la création de surfaces de vente nouvelles , avec l'effet que l'on connaît sur l'urbanisme commercial.
C'est pourquoi l'article 1 er , qui vise à mettre de la clarté dans les contrats d'affiliation et de la concurrence entre les réseaux de distribution, va dans le bon sens. Votre rapporteur relève toutefois que le texte proposé par le Gouvernement a été affaibli à l'Assemblée nationale sur certains points, au nom de la prise en compte des spécificités des réseaux « coopératifs », que le texte initial aurait désavantagés au profit des groupes « intégrés ».
Votre rapporteur, très attentif à ce point, a étudié l'avis circonstancié de l'Autorité de la concurrence, examiné avec attention les travaux de l'Assemblée nationale et entendu l'ensemble des acteurs concernés. Il estime, en définitive, que le motif avancé pour transformer le texte du Gouvernement n'est pas justifié.
Les deux types de réseaux correspondent à des logiques économiques, voire à des valeurs entrepreneuriales très différentes. Or le projet de loi reconnaît ces différences, sans établir aucune préférence entre l'un ou l'autre des systèmes, notamment en faveur des groupes intégrés au détriment des groupements coopératifs. L'introduction dans le texte d'une référence aux statuts et règlements intérieurs montre d'ailleurs que la spécificité des groupements coopératifs est reconnue .
Le seul objet de l'article 1 er est de déterminer si les règles juridiques de l'affiliation, dans les groupes intégrés comme dans les groupements coopératifs, sont susceptibles de faire obstacle à la concurrence et donc de pénaliser le consommateur. L'Autorité de la concurrence a répondu par l'affirmative à cette question, en montrant que le taux de sortie des groupes intégrés est tout aussi faible que celui des réseaux coopératifs et s'explique, dans les deux cas, par les obstacles à la mobilité découlant des règles juridiques d'affiliation. Indépendamment de leurs fortes différences d'organisation et d'inspiration, les deux sortes de réseaux recourent en effet aux mêmes outils juridiques pour rendre leurs adhérents ou leurs affiliés captifs. Le problème se posant de la même manière pour les deux types de groupements et s'expliquant par les mêmes causes, il est logique que le texte apporte une réponse commune.
Votre rapporteur relève à cet égard que, tout en s'appuyant sur l'idée de tenir compte de la spécificité des réseaux coopératifs, les députés ont affaibli les dispositions pour tous les types de réseaux , y compris intégrés, s'agissant notamment de la nature de la convention d'affiliation, de sa durée minimale ou encore de l'entrée en vigueur de l'article.
C'est pourquoi il a proposé à la commission quatre amendements visant à réécrire l'article 1 er afin de se rapprocher le plus possible de l'avis émis par l'Autorité de la concurrence.
En premier lieu , la commission a adopté, à son initiative, un amendement réécrivant les alinéas 4 à 13 afin de :
- clarifier la nature de la convention d'affiliation : il s'agit d'un contrat cadre qui s'impose aux autres contrats, puisqu'aucun autre contrat ne peut faire obstacle à la mise en jeu de ses stipulations (I) ;
- mieux distinguer l'information précontractuelle (remise du document unique deux mois avant la signature de la convention) de la signature de la convention elle-même (II) ;
- maintenir la précision adoptée par les députés qui permet de préserver, sous réserve du respect des règles fixées par le présent article, la spécificité du fonctionnement des sociétés civiles, commerciales ou coopératives (III).
En deuxième lieu, la commission a modifié, par un amendement de votre rapporteur, les alinéas 16 à 22 afin, d'une part, de limiter la durée de toutes les conventions-cadre obligatoires (et non uniquement celles comportant une clause d'approvisionnement exclusif de plus de 80 %) à six ans et, d'autre part, de revenir au texte initial du Gouvernement qui interdisait la reconduction tacite .
Votre commission a ainsi suivi, sur ce point, la position de l'Autorité de la concurrence. Celle-ci démontre que la durée de 5 ans sans tacite reconduction apparaît raisonnable, au terme d'une démonstration longue et étayée. L'Autorité rappelle, à l'appui de celui-ci, les justifications apportées par les opérateurs aux durées d'engagement longues.
Il s'agit, tout d'abord, de l'incitation à l'investissement . Sur ce point, l'Autorité estime que la durée d'amortissement de l'investissement serait comprise entre deux et cinq années 20 ( * ) . Elle indique également : « les durées de contractualisation très différenciées (de 0 à 30 ans) observées dans le secteur tendent également à relativiser la portée des justifications fondées sur les incitations à l'investissement : en effet, à aucun moment les opérateurs présentant dans les contrats qu'ils souscrivent les durées les plus longues n'ont fait valoir que les investissements réalisés par leur groupe ou les magasins affiliés étaient plus élevés que ceux entrepris par les concurrents aux durées d'engagement plus courtes. En particulier, l'exemple du groupement coopératif n'exigeant aucune durée d'engagement est à cet égard particulièrement frappant ».
L'Autorité précise ensuite que les groupes de distribution avancent l'argument de la préservation de la stabilité du réseau . Les groupements coopératifs font notamment valoir qu'une durée moindre des contrats, risquant d'entraîner un nombre plus important de départs, conduirait les groupes intégrés à acquérir totalement leurs magasins indépendants. Dotés de moindres capacités financières, les groupements coopératifs ne pourraient répliquer efficacement à cette stratégie et, à terme, la réduction du parc de magasins indépendants conduirait à une déstabilisation des groupements coopératifs.
L'Autorité indique, à ce sujet : « l'examen des transferts de magasins montre que les groupements intégrés ne sont pas nécessairement les opérateurs vers lesquels se tournent les magasins souhaitant changer de réseau de distribution. En outre, de telles opérations de rachat, si elles portent sur des magasins suffisamment importants, devront être notifiées au titre du contrôle des concentrations à l'Autorité de la concurrence, qui en appréciera l'impact sur la concurrence. Enfin, force est de constater que tant les groupements coopératifs que les groupes de distribution intégrés s'appuient sur des dispositifs d'ordre capitalistique (participation au capital des sociétés d'exploitation) pour prévenir le départ de certains de leurs magasins vers des enseignes concurrentes ».
Enfin, s'agissant de la reconduction tacite, l'Autorité de la concurrence rappelle que le Conseil de la concurrence a jugé :
- que « l'insertion d'une clause de longue durée dans un contrat, éventuellement prolongée par une reconduction tacite, peut à elle seule avoir des effets restrictifs de concurrence si elle n'est pas justifiée par la nécessité d'amortir des investissements ou par une contrepartie accordée au cocontractant » 21 ( * ) : dans cette décision, il a estimé qu'une durée contractuelle initiale de quatre ans, doublée d'une clause de reconduction tacite d'une durée de quatre ans et de la limitation de la possibilité de résilier le contrat à sa date anniversaire avait des effets restrictifs de concurrence sur le marché de la location-entretien des machines d'affranchissement postal, dès lors qu'elle ne se justifiait pas par la nécessité d'amortir un investissement initial et que la structure du marché était telle que ces contrats de longue durée empêchaient toute entrée effective d'un opérateur concurrent ;
- que « le jeu cumulé des clauses susvisées proposées par la société J.C. Decaux, comportant tacite reconduction des contrats avec des conditions de dénonciation rendant difficile l'exercice de ce droit par les collectivités, signatures d'avenants d'une durée égale à la durée initiale en cas de remplacement des mobiliers en cours de contrat, parfois accompagnées de clauses de tacite reconduction, et clause de préférence aux conditions du contrat initial pour les sociétés du groupe Decaux en cas d'installation de mobilier dans de nouveaux emplacements, a pour effet de prolonger artificiellement la durée de la relation contractuelle entre Decaux et les collectivités et de permettre aux sociétés de ce groupe d'éviter pendant des durées très longues atteignant parfois plusieurs dizaines d'années, toute mise en concurrence » 22 ( * ) .
Pour justifier l'introduction du critère d'une obligation d'approvisionnement de plus de 80 % et la restauration de la possibilité des tacites reconductions, les députés ont invoqué la mise en compatibilité du droit français avec le droit européen . Mais rien n'interdit au législateur français, s'appuyant sur l'analyse de l'Autorité de la concurrence, d'aller plus loin que le droit européen en matière de concurrence. Votre rapporteur relève, de plus, qu'une traduction fidèle du règlement européen aurait nécessité d'inclure les obligations directes , mais aussi celles indirectes d'approvisionnement, qui peuvent résulter des conditions d'octroi des rabais, remises et ristournes, des obligations de respect de l'assortiment, d'approvisionnement prioritaire, d'approvisionnement exclusif portant sur les produits vendus sous marque de distributeur ou d'agrément par le groupe de tout fournisseur autre que sa centrale d'achat. Dans un tel schéma, plus conforme au droit européen, les opérateurs auraient pu éprouver des difficultés à connaître a priori de façon précise, avant la conclusion de la convention d'affiliation, leur taux effectif d'approvisionnement, ce qui aurait créé une situation d'insécurité juridique.
Enfin, s'agissant, toujours, de la tacite reconduction , il convient de noter que le droit européen tient compte, pour calculer la durée totale d'un engagement, de l'existence de clauses de reconduction tacite. Ainsi un contrat de cinq ans tacitement renouvelable pour la même durée sera considéré comme un contrat de dix ans.
Cet ensemble d'éléments a conduit l'Autorité à recommander au législateur de limiter à cinq ans la durée des contrats et de ne pas autoriser la reconduction tacite. Votre rapporteur a suivi ce raisonnement, et proposé :
- de limiter la durée maximale à six ans , afin de tenir compte du rythme de renouvellement des baux commerciaux, de trois ans en trois ans ;
- d'interdire le renouvellement tacite : sur ce point, il est donc revenu au texte initial du Gouvernement, en apportant toutefois une garantie supplémentaire pour les parties, par l'instauration d'un délai de prévenance que devront observer les parties si l'une d'entre elles ne souhaite pas renouveler le contrat ; votre rapporteur relève que cette interdiction n'empêche nullement, en tout état de cause, le renouvellement d'un contrat dans les mêmes termes si les parties le souhaitent expressément.
En troisième lieu , votre commission a adopté un amendement introduisant, conformément aux recommandations de l'Autorité de la concurrence, l'interdiction des droits de priorité dans les contrats.
Enfin, elle a modifié l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 1 er qui établit un délai :
- d'un an à compter de la promulgation de la loi pour l'entrée en vigueur des dispositions de l'article 1 er aux nouveaux contrats, afin de tenir compte de la nécessité de publier les décrets d'application ;
- de trois ans à compter de cette même date pour la mise en conformité des contrats existants avec les dispositions de l'article 1 er .
Votre commission a adopté cet article ainsi modifié. |
* 16 Autorité de la concurrence, Avis n° 10-A-26 du 7 décembre 2010 relatif aux contrats d'affiliation de magasins indépendants et les modalités d'acquisition de foncier commercial dans le secteur de la distribution alimentaire.
* 17 L'Autorité note cependant, p. 35, que l'un des grands groupements coopératifs français ne prévoit pas de durée minimale d'adhésion de ses membres, ceux-ci étant libres de se retirer du groupement à la fin de l'exercice social et moyennant le respect d'un préavis de six mois).
* 18 Généralement, deux types de droit de priorité sont employés par les têtes de réseau. Les droits de préférence donnent au réseau d'origine le privilège de la première offre d'achat. En cas de désaccord entre les parties sur les conditions de la vente, ces dernières sont fixées à dire d'expert. Les droits de préemption, quant à eux, permettent au réseau d'origine de s'aligner sur l'offre formulée par un groupe concurrent.
* 19 À l'exception des magasins collectifs définis à l'article L. 125-1 et suivants et des sociétés de secours mutuel définies à l'article L. 126-1.
* 20 Avis précité, p. 36.
* 21 Décision n° 05-D-49 du 28 juillet 2005.
* 22 Décision n° 98-D-52 du 7 juillet 1998.