B. UNE RÉPARTITION DES CONSEILLERS TERRITORIAUX CONTRAIRE AU PRINCIPE D'ÉGALITÉ DEVANT LE SUFFRAGE

En revanche, le Conseil constitutionnel a considéré que la répartition des conseillers territoriaux, telle qu'elle résultait du tableau annexé à la loi de réforme des collectivités, portait atteinte au principe d'égalité des électeurs devant le suffrage.

Le principe d'égalité des électeurs devant le suffrage dans la jurisprudence
du Conseil constitutionnel

Le contrôle du respect du principe d'égalité devant le suffrage par le Conseil constitutionnel, qui se fonde sur l'article 3 de la Constitution (aux termes duquel le suffrage est toujours « universel, égal et secret ») l'a poussé, dès 1985, à affirmer que toute élection devait être organisée « sur des bases essentiellement démographiques » (décision n° 85-196 DC du 8 août 1985, « Loi sur l'évolution de la Nouvelle-Calédonie ») ; des impératifs d'intérêt général permettent, toutefois, de déroger à l'application stricte de ce principe. Le Conseil a ainsi précisé que le principe d'égalité devant le suffrage n'implique pas que la représentation des électeurs « doive être nécessairement proportionnelle à la population de chaque région ni qu'il ne puisse être tenu compte d'autres impératifs d'intérêt général » ; toutefois, « ces considérations ne peuvent [...] intervenir que dans une mesure limitée » (considérant 16 de la décision précitée).

Cette jurisprudence, constamment appliquée depuis 1985, a récemment conduit le Conseil à censurer la règle d'un minimum de deux députés par département (décision n° 2008-573 DC du 8 janvier 2009, « Loi relative à la commission prévue à l'article 25 de la Constitution et à l'élection des députés ») : le juge constitutionnel avait ainsi considéré que le plafonnement du nombre de députés par l'article 25 de la Constitution et l'augmentation de la population française entre 1986, date de la dernière modification de la répartition des députés, et 2009, constituait une « importante modification des circonstances de droit et de fait » et que, en conséquence, « le maintien d'un minimum de deux députés pour chaque département n'[était] plus justifié par un impératif d'intérêt général susceptible d'atténuer la portée de la règle fondamentale selon laquelle l'Assemblée nationale doit être élue sur des bases essentiellement démographiques ».

Néanmoins, on soulignera que le Conseil n'exerce qu'un contrôle restreint sur la répartition des élus (il s'agit donc d'un contrôle de l'erreur manifeste d'appréciation) : malgré l'apparente rigueur de sa jurisprudence, il a ainsi considéré, dans sa décision sur le découpage des circonscriptions législatives, que « quel que puisse être le caractère discutable des motifs d'intérêt général invoqués pour justifier la délimitation de plusieurs circonscriptions, notamment dans les départements de Moselle et du Tarn, il n'apparaît pas compte tenu, d'une part, du progrès réalisé par la délimitation résultant de l'ordonnance du 29 juillet 2009 susvisée et, d'autre part, de la variété et de la complexité de situations locales pouvant donner lieu à des solutions différentes dans le respect de la même règle démographique, que cette délimitation méconnaisse manifestement le principe d'égalité devant le suffrage » : en d'autres termes, tout en affirmant sa perplexité sur la légitimité des motifs invoqués pour justifier la délimitation des circonscriptions législatives dans deux départements, le Conseil a considéré que, en l'absence d'erreur manifeste, il ne lui appartenait pas de faire obstacle aux choix du législateur.

On rappellera que le gouvernement avait initialement envisagé que la répartition des conseillers territoriaux soit fixée par le biais d'une ordonnance 1 ( * ) et que la délimitation des cantons soit effectuée sans consultation des conseils généraux, mais après avis public d'une commission constituée dans les mêmes conditions et selon les mêmes critères que celle qui est prévue par l'article 25 de la Constitution 2 ( * ) . Cependant, lors de l'examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales par l'Assemblée nationale en première lecture, un amendement du gouvernement a finalement été adopté afin que le législateur détermine directement la répartition des conseillers territoriaux.

La répartition prévue par le Parlement lors de l'examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales reposait sur plusieurs principes :

- un minimum de quinze conseillers territoriaux (correspondant au nombre de conseillers généraux dans le département dont le conseil général est le moins nombreux, à savoir celui du Territoire de Belfort) devait être attribué à chaque département ;

- le nombre de conseillers territoriaux dans chaque région ne devait pas dépasser le maximum de 310 : il s'agissait, ce faisant, d'éviter que les conseils régionaux ne deviennent des assemblées pléthoriques ;

- la représentation des départements au sein du conseil régional devait tenir compte de leur poids démographique relatif : ainsi, la proportion de conseillers territoriaux attribuée à chaque département dans le conseil régional devait s'inscrire, dans toute la mesure du possible et sous réserve du respect des autres principes retenus par le législateur, dans un « tunnel » de plus ou moins 20 % d'écart par rapport au quotient démographique du département en cause dans la région ;

- la mise en place, dans chaque département, d'un nombre impair de conseillers territoriaux : répondant à une demande ancienne et constante de l'Assemblée des départements de France, cette innovation a été soutenue par la Haute Assemblée tout au long de l'examen du texte ;

- enfin, la prise en compte de la carte cantonale actuelle : comme le soulignait votre rapporteur dans son rapport de deuxième lecture sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, le tableau de répartition des conseillers territoriaux adopté par le Parlement visait à éviter que le nombre d'élus dans un département « ne varie de plus de 25 % par rapport à la situation actuelle, notamment dans les départements ruraux ».

1. Des principes de répartition partiellement conformes à la Constitution

En premier lieu, le Conseil constitutionnel a confirmé que la volonté du législateur de doter chaque conseil général d'un effectif minimal de quinze conseillers territoriaux était conforme à la Constitution.

Bien que la mise en place de ce seuil puisse conduire à contrevenir au principe d'égalité devant le suffrage en provoquant la surreprésentation de certains départements par rapport à leur poids démographique réel au sein d'un conseil régional, le juge constitutionnel a en effet considéré que l'objectif poursuivi par le législateur par ce biais (à savoir « assurer le fonctionnement normal d'une assemblée délibérante locale ») était d'intérêt général puisqu'il « tend[ait] à assurer la mise en oeuvre du troisième alinéa de l'article 72 de la Constitution ». Parallèlement, il a jugé que la fixation de ce seuil n'était « pas entachée d'une erreur manifeste d'appréciation ».

Ces deux éléments l'ont conduit à reconnaître la conformité à la Constitution du « plancher » de quinze conseillers généraux.

En cohérence avec ce raisonnement, le Conseil constitutionnel a adopté une méthode particulière pour calculer les écarts du quotient électoral à la moyenne régionale dans les régions où l'un des départements avait été doté de quinze conseillers territoriaux par application de ce plancher : dans les trois régions concernées, il a ainsi apprécié la moyenne régionale en excluant le quotient du département en cause.


* 1 Article 14 du projet de loi n° 61 (2009-2010) relatif à l'élection des conseillers territoriaux et au renforcement de la démocratie locale, toujours pendant devant le Sénat. Comme le soulignait votre rapporteur lors de l'examen du projet de loi de réforme des collectivités territoriales en deuxième lecture, « les critères encadrant cette habilitation étaient relativement flous » si bien que celle-ci n'aurait vraisemblablement pas pu être adoptée en l'état par le Sénat.

* 2 II de l'article 3 du même texte.

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