EXAMEN DES ARTICLES
Article 1er - Définition de l'oeuvre orpheline
I - Le texte de la proposition de loi
Cet article insère un article L. 113-10 dans le code de la propriété intellectuelle, à la fin du chapitre III du titre I relatif aux titulaires du droit d'auteur, proposant la définition suivante de l'oeuvre orpheline : « une oeuvre dont le ou les titulaires des droits ne peuvent pas être déterminés, localisés ou joints, en dépit de recherches appropriées ».
II - La position de votre commission
Trois éléments clés caractérisent cette définition :
- l'existence d'un ou de plusieurs titulaires de droits . Cette précision est importante car une oeuvre peut être collective ou composite. Dans ce cas, il peut être possible de ne localiser qu'une partie des auteurs, ce qui rend l'oeuvre partiellement orpheline. Il serait alors plus correct d'évoquer des « droits orphelins », c'est-à-dire des droits dont les titulaires n'ont pu être identifiés ou retrouvés. Le mécanisme d'autorisation spécifique aux oeuvres orphelines ne devrait donc s'appliquer qu'à ces droits, sans affecter le statut des autres droits qui relèvent actuellement du code de la propriété intellectuelle. C'est cette conception qui doit prévaloir même si, par commodité de langage, l'expression d'« oeuvre orpheline » est utilisée. Cette dénomination, qui se rapproche de l'acception anglo-saxonne « orphan works », est rendue possible par la précision de l'existence d'un ou de plusieurs titulaires de droits ;
- l'impossibilité de déterminer, localiser ou joindre ces titulaires ;
- la preuve que des recherches diligentes ont été effectuées pour retrouver ces titulaires. Or l'adjectif « appropriées » paraît insuffisant pour caractériser les recherches car trop flou. Votre commission estime que ce terme manque de précision et ne favorise pas la sécurité juridique qu'il convient de garantir au regard du caractère dérogatoire de toute exploitation d'une oeuvre orpheline. La définition doit permettre d'offrir toutes les garanties que l'oeuvre considérée est bien orpheline, afin que son exploitation ne se fasse pas au détriment d'un auteur qu'il aurait été possible de retrouver. Aussi convient-il d'apporter la preuve que des recherches avérées, c'est-à-dire effectives et sérieuses ont été menées. L'expression « avérées et sérieuses », recommandée par le CSPLA, apparaît d'ailleurs dans l'exposé des motifs de la proposition de loi.
La solution proposée est insuffisante pour deux motifs :
Tout d'abord, l'objectif d'une disposition relative aux oeuvres orphelines est de créer le cadre juridique permettant d'appliquer, dans la mesure du possible (compte tenu de la dérogation que constitue l'absence de consentement expresse de l'auteur), les règles prévalant en matière de propriété littéraire et artistique pour garantir le même niveau de protection. La notion d'oeuvre protégée et divulguée doit ici apparaître car il ne s'agirait pas de favoriser implicitement une présomption de protection et donc d'originalité pour les seules oeuvres orphelines. Sinon, un système de protection à deux vitesses pourrait voir le jour. Compte tenu des remarques précédentes, il semble opportun de reprendre la définition donnée par le CSPLA : « l'oeuvre orpheline est une oeuvre protégée et divulguée, dont les titulaires de droits ne peuvent être identifiés ou retrouvés, malgré des recherches avérées et sérieuses ».
Ensuite, compte tenu de l'importance de la diligence et de la diversité des situations pouvant se présenter, il paraît délicat de ne donner qu'une simple définition de l'oeuvre orpheline. Selon les secteurs ou les cas, des critères différents peuvent s'imposer pour évaluer si une oeuvre est effectivement orpheline au sens de la définition ainsi donnée. Le texte de la proposition de loi ne traitant pas ce sujet, ce serait aux sociétés de gestion collective d'apprécier la façon dont la définition doit être interprétée, ce qui ne manquerait pas de créer une insécurité juridique (les interprétations variant en fonction des SPRD 12 ( * ) ). Aussi, en complément de la définition, votre commission estime souhaitable de prévoir une instance paritaire représentative des auteurs et des utilisateurs, qui serait chargée de définir les critères permettant de déterminer si une oeuvre est orpheline au sens de l'article L. 113-10 (nouveau) du code de la propriété intellectuelle.
Votre commission vous soumettra donc un amendement visant à réécrire l'article L. 113-10 (nouveau) et à créer une instance paritaire chargée de définir les critères qui permettront d'interpréter la définition de l'oeuvre orpheline.
Votre commission vous proposera d'adopter cet amendement et cet article ainsi modifié. |
Article 2 - Exploitation des droits attachés à une oeuvre visuelle et manifestation de l'auteur ou des ayants droit
I - Le texte de la proposition de loi
Le présent article insère une division après le titre 1 er du livre III du code de la propriété intellectuelle, intitulée « Titre 1 er bis » et comportant deux chapitres. Le premier est relatif à l'exploitation des droits attachés à une oeuvre visuelle 13 ( * ) orpheline et le second relatif à la manifestation de l'auteur ou des ayants droit de l'oeuvre visuelle réputée orpheline.
Les alinéas 6 et 7 du présent article 2 insèrent un nouvel article L. 311-9 qui :
• précise le champ des oeuvres visuelles concernées. Il s'agit des oeuvres visées aux dispositions 7° à 12° de l'article L. 112-2 du code de la propriété intellectuelle, c'est-à-dire :
- les oeuvres de dessin, de peinture, d'architecture, de sculpture, de gravure, de lithographie ;
- les oeuvres graphiques et typographiques ;
- les oeuvres photographiques et celles réalisées à l'aide de techniques analogues à la photographie ;
- les oeuvres des arts appliqués ;
- les illustrations, les cartes géographiques ;
- les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à la géographie, à la topographie, à l'architecture et aux sciences.
• dispose que la gestion des droits attachés à une oeuvre réputée orpheline est confiée à une SPRD telle que définie au titre II du livre III. Cette société de gestion collective peut ester en justice pour exercer les intérêts statutaires dont elle a la charge ;
• précise que toute exploitation des droits d'une oeuvre visuelle orpheline est soumise à la conclusion d'un contrat entre une SPRD et la personne souhaitant obtenir l'autorisation d'exploitation, après que cette dernière ait apporté la preuve des recherches effectuées pour retrouver le ou les ayants droit.
L'alinéa 8 insère un article L. 311-10 (nouveau) qui prévoit que la « cession d'exploitation » ne peut être accordée à titre exclusif.
L'alinéa 9 insère un nouvel article L. 311-11 qui prévoit que les ayants droit perçoivent la rémunération versée au titre de l'exploitation de leurs oeuvres.
Les alinéas 10 à 12 insèrent un nouvel article L. 311-12 qui détermine les modalités de fixation du barème et de versement de la rémunération due au titre de l'exploitation des oeuvres orphelines. Ces derniers sont déterminés par accords spécifiques entre les SPRD et les « organisations représentatives des usagers des oeuvres orphelines », valables pour cinq ans. A défaut d'accord dans les six mois après l'entrée en vigueur de la loi, ils sont fixés par une commission présidée par un magistrat et composée d'un membre du Conseil d'État, d'une personnalité qualifiée et de membres désignés par les SPRD choisies pour gérer les droits attachés aux oeuvres orphelines.
L'alinéa 13 prévoit, dans un nouvel article L. 311-13 qu'à l'issue d'un délai de dix ans (prévu à l'article L. 321-1), et si les ayants droit ne se sont pas manifestés, les sommes ainsi perçues sont utilisées à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes ainsi que le prévoit l'article L. 321-9 du code de la propriété intellectuelle.
L'alinéa 14 insère un article L. 311-14 qui prévoit la publicité de la société de gestion qui assure l'exploitation des droits d'une oeuvre lorsqu'elle est représentée ou reproduite.
Enfin le chapitre II crée un article L. 311-15 qui prévoit que l'oeuvre perd son statut d'oeuvre orpheline dès lors que les ayants droit se manifestent auprès de la SPRD. Cette dernière notifie le changement intervenu. Cette situation « rend caduque l'autorisation d'exploitation de l'oeuvre ».
II - La position de votre commission
Votre commission estime que cette rédaction de l'article 2 soulève plusieurs difficultés.
Tout d'abord le champ d'application ne concerne pas seulement les photographies comme pourrait le laisser entendre l'exposé des motifs, mais un ensemble d'oeuvres protégées au titre de l'article L. 122-2 du code de la propriété intellectuelle. Deux remarques peuvent être formulées :
• outre le fait que la proposition de loi aurait pu mentionner la notion d'image fixe déjà utilisée, par exemple à l'article L. 132-41, l'étendue du champ paraît large au regard du caractère dérogatoire du dispositif proposé. En outre, il n'a pas été constaté de phénomène d'orphelinat pour des oeuvres relevant du secteur de l'architecture ou de la peinture. L'extension du mécanisme d'exploitation des oeuvres orphelines à de telles oeuvres semble ne pas avoir été envisagée avec les acteurs concernés comme l'ADAGP (société des auteurs dans les arts graphiques et plastiques) qui font montre d'une grande prudence sur le sujet. Des questions telles que le reversement de droits en cascade qui pourraient s'avérer nécessaires (par exemple dans le cas de photographies d'oeuvres d'art) n'ont pas été tranchées ;
• pour toutes les raisons développées dans l'exposé général du présent rapport, votre commission estime qu'il serait prudent d'appréhender toutes les questions relatives aux oeuvres orphelines pour les secteurs de l'écrit et de l'image fixe. Mais il serait évidemment prématuré de vouloir étendre dès à présent le champ au secteur de l'écrit.
Le fonctionnement des SPRD apparaît confus, voire dangereux, au regard des enjeux posés par le traitement des oeuvres orphelines :
• elles seraient à la fois juge et partie puisque le texte prévoit qu'elles apprécient le caractère orphelin des oeuvres dont l'exploitation est demandée et qu'elles gèrent les droits afférents. L'amendement adopté à l'article 1 er par votre commission règle partiellement cette question ;
• rien ne précise les conditions dans lesquelles sont délivrées les autorisations d'exploitation : s'agit-il d'une autorisation préalable, ce qui serait incompatible avec les contraintes de délais qui s'imposent aux éditeurs de presse ? Au contraire existe-t-il seulement un contrôle a postériori ? Le passage du statut d'oeuvre réputée orpheline à celui d'oeuvre orpheline mérite des précisions au niveau législatif.
L'alinéa 8 mentionne la « cession d'exploitation ». Or le terme de cession semble inadapté car il implique un transfert de propriété ce qui ne paraît pas acceptable en l'absence de consentement de l'auteur. L'objectif de la loi doit être de ne pas geler la diffusion des oeuvres orphelines pour en favoriser la diffusion et la connaissance, en aucun de se substituer aux ayants droit pour céder leurs droits. Le terme de mandat paraîtrait plus approprié, ou simplement celui d'autorisation.
La fixation des barèmes et modalités de versement de la rémunération ne fait pas mention des autres barèmes appliqués par ailleurs qui pourrait avoir un impact, comme par exemple ceux actuellement négociés en application de l'article 20 de la loi du 12 juin 2009 14 ( * ) dite « Hadopi ». Le terme d'« usagers » paraît en outre inadapté. Enfin le délai de six mois semble extrêmement court, voire irréaliste, compte tenu des enjeux pour les différentes parties prenantes. Il serait souhaitable de l'allonger dans la mesure où un accord entre les acteurs du secteur constitue une solution préférable 15 ( * ) à l'établissement de règles par une commission.
Le reversement des rémunérations devrait se faire, en premier lieu, au profit de l'amélioration et de l'accessibilité des outils de recherches, car l'exhaustivité et la performance des logiciels et bases de données des oeuvres seront la clé pour garantir la qualité des recherches et diminuer le nombre des oeuvres orphelines, au profit d'une meilleure défense des droits d'auteurs.
La caducité des autorisations en cas de manifestation des ayants droit n'est pas acceptable. Cette instabilité juridique serait facilement contournée par l'instauration de délais pendant lesquelles l'autorisation serait garantie. Mais une telle solution pose la question de la durée des autorisations : la loi devrait-elle fixer une durée limitée ? Devrait-elle envisager des durées d'exploitation adaptées aux secteurs ou aux utilisations faites des oeuvres orphelines ? Comment de tels délais seraient-ils fixés ? Il est prématuré de répondre à ces questions.
Compte tenu de toutes ces difficultés juridiques et du caractère prématuré de certains débats, votre commission estime préférable de ne pas trancher toutes ces questions dès cette première lecture et donc de ne pas adopter le présent article.
Votre commission n'a pas adopté cet article |
Article 3 - Coordination au sein du code de la propriété intellectuelle
Cet article procède à une coordination, au sein du code de la propriété intellectuelle, afin de permettre de verser aux actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à la formation des artistes, les sommes perçues au titre de la rémunération de l'exploitation des oeuvres orphelines.
I - Le texte de la proposition de loi
L'article L. 321-9 fait partie des dispositions générales relatives au fonctionnement des SPRD (titre II du livre III). Il dispose que ces sociétés de gestion « utilisent à des actions d'aide à la création, à la diffusion du spectacle vivant et à des actions de formation des artistes » une partie des sommes provenant de la rémunération pour copie privée ainsi que la totalité des sommes perçues par les SPRD au titre du droit de reproduction par reprographie (article L. 122-10), du droit de retransmission par câble d'une oeuvre télédiffusée (article L. 132-20-1) ou d'une prestation artistique (L. 217-2), et des droits relatifs à l'utilisation de phonogrammes (L. 214-1).
La proposition de loi prévoit d'insérer, au deuxième alinéa précisant ces différentes sources, la référence au nouvel article L. 311-11 mentionné précédemment, qui dispose que « les titulaires des droits d'une oeuvre visuelle orpheline perçoivent une rémunération au titre de l'exploitation de leurs oeuvres ».
II - La position de votre commission
Compte tenu de la position de votre commission relative à l'article précédent, le présent article ne peut être adopté. Tout d'abord formellement, puisque l'article 2 créant l'article L. 311-11 du code de la propriété intellectuelle n'a pas été adopté. Ensuite sur le fond, votre commission pense que les sommes collectées au titre de l'exploitation des oeuvres orphelines devraient, à tout le moins, être consacrées à l'amélioration des outils de recherche des ayants droit.
Votre commission n'a pas adopté cet article |
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Votre commission n'a pas élaboré de texte. Elle vous soumettra un amendement à la proposition de loi. |
* 12 Sociétés de perception et de répartition des droits.
* 13 L'adjectif « virtuelle » figurant dans le texte de la proposition de loi ne devant pas être pris en compte.
* 14 Loi n° 2009-669 du 12 juin 2009 favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet. Cette loi soumet la dévolution ab initio à l'éditeur des droits d'auteur des photojournalistes à l'existence d'un barème de piges.
* 15 Certaines personnes auditionnées ont toutefois fait part de leurs réserves quant à la fixation des barèmes par accord dans la mesure où cela différencie les SPRD d'oeuvres orphelines des autres cas de gestion collective obligatoire.