ANNEXE - UN ÉTAT DES LIEUX DU SECTEUR DES JEUX
INTRODUCTION - UN ÉTAT DES LIEUX INDISPENSABLE AVANT UNE RÉFORME DE LA RÉGULATION
Le projet de loi du Gouvernement veut marquer une ouverture du marché aux jeux en ligne. Ce texte, qui prévoit une libéralisation réclamée par beaucoup et crainte par les autres, est il destiné à rester longtemps inchangé ? Première étape ou simple et bref palier de cette libéralisation ?
De toutes les manières, il semble essentiel d'établir un état des lieux du marché des jeux d'argent et de hasard en France avant que cette nouvelle régulation ne le modifie.
A deux reprises, en 2002 et 2006, la commission des finances du Sénat a effectuée une analyse assez complète de cet important secteur économique, décrivant minutieusement l'organisation des opérateurs français, leurs méthodes et leurs résultats.
Ces deux rapports d'information ont également décrit, et souvent critiqué, le mode de régulation de ce domaine, adopté par l'Etat depuis fort longtemps, fait d'une législation ultra simplifiée et d'une réglementation ultra sophistiquée et pourtant en grande partie obsolète.
L'Etat, sous tous les régimes et durant toutes les alternances politiques, a, en tout premier lieu, cherché à assurer l'ordre public mais, comme on le verra plus loin, le souci qu'il a de la santé publique est beaucoup plus récent et encore très insuffisant .
Au prix d'une surveillance policière draconienne de certains opérateurs, d'un déploiement de forces complexe, coûteux mais efficace, l'Etat a bien atteint son objectif d'ordre public et, courant 2006, conscient du devoir accompli, il semblait pouvoir légitimement « dormir sur ses deux oreilles ».
Les jeux français étaient réputés honnêtes et sécurisés, les fraudes et délits rarissimes ; le monde des casinos était de mieux en mieux organisé, professionnalisé, en partie grâce à la constitution de groupes puissants.
Les courses hippiques ne connaissaient que quelques rares cas de dopage de chevaux rapidement détectés ; les loteries, les grattages et les tirages (les « deux mamelles » de la Française des jeux) ne provoquaient aucun soupçon, à part quelques procédures émanant de personnes qui contestent certains processus de fabrication de jeux.
Dans le domaine des jeux illégaux, des machines à sous clandestines, des tripots, les forces publiques appliquaient une répression difficile mais efficace et le reste de ce monde, fait de lotos plus ou moins caritatifs, associatifs ou paroissiaux, respectait une réglementation aussi rigoureuse pour eux qu'elle l'était pour les puissances du jeu.
Tout allait bien, et l'Etat, qui dépensait beaucoup pour remplir ses fonctions régaliennes, ne se privait pas de prélever sur le jeu cet « impôt volontaire » consenti par les joueurs et qui représentait des sommes très importantes : près de 5,6 milliards d'euros en 2008 (en incluant les prélèvements au profit du sport amateur et de la filière hippique).
Soucieux de garder la main et une emprise totale sur le secteur des jeux d'argent, l'Etat se gardait bien d'informer, de consulter le Parlement ou de l'associer à ses décisions quelles qu'elles soient.
D'où le titre du premier rapport d'information que votre rapporteur a réalisé pour la commission des finances du Sénat en 2002 : « L'Etat croupier, le Parlement croupion ? » et, de ce point de vue, les choses n'ont nullement changé de 2002 à 2009.
Si la consommation de jeux progresse assez régulièrement en France, celle-ci reste assez modérée , bien loin des records regrettables de certains pays européens (Finlande) ou plus lointains (Australie, Québec).
Prenant le jeu pour un loisir comme un autre, la plupart de nos compatriotes conservent à son égard une attitude raisonnable, mais ce n'est pas le cas de tous et nombre de joueurs perdent le contrôle de leur budget et de leur jeu , et s'enfoncent, dans des situations dramatiques avec les pertes continuelles, l'endettement, la perte de l'emploi, l'implosion de leur famille, les délits, voire les crimes.
Le nombre, en France, de ces cas d'addiction au jeu reste totalement inconnu faute d'études spécialisées (à la suite de l'enquête collective de l'INSERM de 2008, celles-ci sont en cours) et ne peut être, pour l'instant, évalué qu'au regard des statistiques anglo-saxonnes, qui, elles, existent bien et depuis longtemps.
L'Etat est très en retard dans l'appréciation de ces phénomènes et dans la prise en compte de ces « malades » : une politique de santé publique digne de ce nom manque totalement.
Ceci choque particulièrement, quand on note, dans le même temps, les efforts tout à fait louables qui sont entrepris pour lutter contre l'alcool, les drogues et le tabac : pourquoi faut-il autant insister pour que l'addiction au jeu prenne sa place dans le répertoire des addictions majeures ?
Pourquoi tant de retard ?
Un tel état des lieux , avant réforme, permettra au Parlement, enfin informé et consulté, de fixer les points forts de la politique française actuelle qui sont dignes d'être conservés, et les points qui, au contraire, posent problème entre l'Etat, les opérateurs anciens ou nouveaux et une Commission européenne plus pressée d'exiger, manu militari , de très difficiles déréglementations, que d'aider les Etats membres qu'elle « persécute » à les mettre en oeuvre dans un contexte européen totalement anarchique dans ce domaine.
Un tel bilan préalable est indispensable car la situation financière des opérateurs français est très contrastée .
Elle s'est récemment et rapidement dégradée pour les casinos ; celle de la Française des jeux (FDJ) a fléchi ; seule la santé du PMU reste florissante au vu de ses résultats en 2008. L'ensemble des opérateurs français traditionnels sera confronté à de nouveaux risques lorsque la nouvelle concurrence s'établira, si le projet de loi est adopté.
Or, au fil du temps, chacun des opérateurs ou groupes d'opérateurs a plus ou moins lié son sort et consacré une part non négligeable de ses résultats à soutenir un secteur économique bien particulier .
Le sport amateur est subventionné par la FDJ, la filière équine par le PMU, les budgets communaux par les casinos.
Il est donc logique d'examiner en même temps les situations personnelles des opérateurs, la nature de liens qui les unissent à leurs « clients » et les masses financières intéressées.
Cela sera le cas dans chacun des chapitres qui suivront.
Une appréciation précise des situations des opérateurs à l'approche de la réforme, véritable « scanner économique, administratif et social », permettra de remplir quatre objectifs :
1) Recenser tout ce qu'il faut réformer dans le système actuel d'administration du jeu en France . Il serait regrettable que l'examen de cette loi d'ouverture se limite à la simple mise en place d'un secteur nouveau sans qu'elle ne tente, comme le réclamait le second rapport d'information de la commission des finances du Sénat en 2006, de « mettre de l'ordre dans la maison jeu de France ».
2) Ajuster au mieux , dans les dispositions du projet de loi, celles qui ont une incidence, un effet direct, sur la situation économique et financière des opérateurs légaux actuels afin qu'ils aient la possibilité d'adapter leurs stratégies et leurs gestions aux nouvelles situations créées.
3) Sécuriser certains financements essentiels aux équilibres économiques et sociaux français comme ceux qui concernent le sport amateur, la très importante filière hippique et les budgets des communes qui accueillent des casinos.
4) Fixer les bases à partir desquelles il sera possible, plus tard, d'apprécier l'amélioration ou la détérioration de la situation , les effets positifs ou négatifs de l'ouverture du marché. L'évaluation précise dans un ou deux ans des conséquences de l'ouverture du marché facilitera le calcul des éventuelles suites à donner.
Faisant suite aux deux rapports d'information de 2002 et 2006, cet état des lieux établi par la commission des finances du Sénat a pour ambition d'éclairer au mieux une situation, délicate à bien des égards, avant que le législateur n'intervienne pour en changer les données.
Pour cette loi importante, comme il le fait toujours, le Sénat entend « ne pas se payer de mots ».
I. LA SITUATION DE LA FRANÇAISE DES JEUX ET DU SPORT AMATEUR AIDÉ
Le présent état des lieux examinera conjointement la situation de la Française des jeux (FDJ) et celle du principal bénéficiaire de son aide financière, hors l'Etat.
Dans la mesure où la Française des jeux consacre des sommes importantes à aider le sport amateur, il ne faut pas dissocier dans l'analyse le sponsor et le bénéficiaire - le Centre national pour le développement du sport (CNDS). Toutefois, la FDJ, soutient d'autres causes et on le dira.
Ce principe d'examen conjoint de la situation du « patricien et du plébéien », s'appliquera plus loin au PMU et à la filière équine, aux casinos et à leurs communes d'accueil.
A. UN STATUT DE SOCIÉTÉ ANONYME PUBLIQUE
La FDJ fut créée en 1978 pour prendre le relais des émetteurs autorisés depuis 1933 à commercialiser la loterie nationale. En 1979, l'Etat en prit le contrôle avec société anonyme (SA) publique, sorte de société d'économie mixte qui ne prendra le nom de Française des Jeux qu'en 1990.
Le capital social est réparti ainsi : l'Etat 72 %, les émetteurs historiques 20 %, le fond commun de placement (FCP) des salariés 5 %, la Soficoma des courtiers mandataires 3 %.
La convention , signée le 29 décembre 1978 entre l'Etat et la Société nationale de la loterie nationale et du loto national, est entrée en application le 1 er janvier 1979. Prévue pour trente ans, elle arrive à échéance début 2010 .
Elle prévoit, dans son dernier paragraphe, que « s'il n'existe pas de passif net à l'expiration, [...] le capital sera remboursé aux actionnaires, les réserves seront distribuées au même titre que les résultats de l'exercice en cours, les autres éléments de l'actif et du passif seront transférés à l'Etat ».
Le sort des parts des émetteurs, leur reprise ou non par l'Etat ou leur cession, ou non, à d'éventuels partenaires extérieurs, dépendent du statut légal de la SA FDJ.
En tant que société anonyme, la Française des jeux est soumise aux dispositions du code de commerce. Elle est également soumise à d'autres règles du fait de la détention publique de la majorité de son capital. Si demain l'Etat voulait ouvrir le capital de la FDJ tout en en conservant la majorité, elle resterait une société anonyme et il ne serait pas nécessaire de modifier la forme sociale. Il en serait de même si l'Etat voulait privatiser la FDJ, c'est-à-dire faire descendre sa participation sous le seuil de la majorité.
En revanche, toute privatisation de la FDJ devrait faire l'objet d'une loi , conformément à l'article 34 de la Constitution qui dispose que « la loi fixe les règles concernant [...] les nationalisations d'entreprises et les transferts de propriété d'entreprises du secteur public au secteur privé ».
Le Président de l'Union des blessés de la face et de la tête (plus communément appelée « Les gueules cassées »), la plus importante des associations des anciens émetteurs, enregistre sans plaisir la fin du versement de la redevance de 0,4 % dès septembre 2008, mais tient bien à rappeler qu'il entend conserver la propriété de sa part du capital.
On comprend parfaitement que la situation actuelle et les incertitudes liées à l'ouverture du marché, n'incitent pas le ministère des finances à précipiter les choses.
Les missions de la FDJ sont :
- assurer l'intégrité, la sécurité et la fiabilité des opérations de jeu ;
- canaliser la demande de jeux dans un circuit contrôlé par l'autorité publique ;
- prévenir les fraudes et le blanchiment d'argent ;
- encadrer la consommation de jeu afin de prévenir le développement des phénomènes de dépendance.