B. LA CRISE ACCROÎT LES RISQUES DE RÉENDETTEMENT DES PAYS PAUVRES
Cette évolution globale est a priori satisfaisante mais sera sans doute difficilement soutenable en 2009 et 2010 , compte tenu de la crise économique, qui tend à réorienter les priorités budgétaires des Etats donateurs, et de la forte contraction des PIB nationaux. En outre, moins du quart de l'aide nette était destinée à l'Afrique en 2008.
Elle masque également la forte chute des flux nets de capitaux privés à destination des pays en développement et des pays émergents , qui tend donc à accroître les besoins en financements souverains. Selon le rapport « Global Development Finance » de la Banque mondiale, publié mi-juin 2009, ces flux sont passés de 1.200 milliards de dollars en 2007 (soit 8,8 % du PIB agrégé de ces pays) à 707 milliards de dollars en 2008 (4,4 % du PIB), et pourraient tomber à 363 milliards de dollars en 2009.
Cette inflexion brutale, jointe à l'arrivée à maturité des importants volumes de dette émis entre 2003 et 2007 et à une augmentation du coût moyen des emprunts, crée un « effet de ciseaux » qui pourrait être particulièrement préjudiciable aux pays encore très endettés et accroître leur vulnérabilité à des chocs extérieurs 52 ( * ) . Votre rapporteur spécial anticipe donc, lorsque l'essentiel de la crise économique et financière sera passé, la mise en place de nouveaux dispositifs d'allègement de la dette par le G7 et la communauté des bailleurs.
L'hypothèse d'un « découplage » de la crise, qui ne toucherait que les pays industrialisés, a été rapidement écartée 53 ( * ) et les pays à faible revenu subissent directement son impact avec une baisse des investissements directs étrangers, des cours des matières premières et des transferts des migrants. Outre sa vocation structurelle de soutien au développement, l'APD peut donc jouer conjoncturellement un rôle contracyclique , qui suppose au minimum de la maintenir au niveau actuel.
Les nouveaux instruments contracycliques mis en place par le FMI et certaines banques de développement, en particulier l'AFD, et les ressources additionnelles octroyées aux banques multilatérales et surtout au FMI 54 ( * ) , « heureuse surprise » du sommet du G20 de Londres, pourront efficacement contribuer à cet effort d'aide. Il en résultera cependant une poursuite de l'augmentation du canal multilatéral , au détriment de la visibilité des Etats.
C. LA MISE EN oeUVRE DE LA RÉVISION GÉNÉRALE DE LA POLITIQUE FRANÇAISE D'AIDE
1. L'inégal état d'avancement des mesures de la RGPP
La politique française d'APD en 2008 a été marquée par l' « examen par les pairs » mené sous l'égide du CAD de l'OCDE, et surtout par la mise en oeuvre des conclusions de la RGPP, exposées lors des Conseils de modernisation des politiques publiques des 4 avril et 11 juin 2008. Le Comité interministériel sur la coopération internationale et le développement ( CICID ), qui s'est réuni le 5 juin 2009, a largement complété et précisé ces orientations (cf. infra ).
Ainsi que l'illustre le tableau ci-après, certaines mesures ont d'ores et déjà été appliquées, tandis que la réflexion se poursuit sur d'autres, dont le rythme d'avancement est parfois inférieur à celui escompté. Votre rapporteur spécial craint plus particulièrement que la création des « Espaces France » s'enlise et ne reste que partielle, compte tenu notamment des résistances manifestées par certains postes.
Dans le cadre d'une seconde phase dédiée aux opérateurs de l'Etat, la démarche de RGPP se concentre à présent sur les missions, l'organisation, le plan d'affaires et l'équilibre financier à moyen et long termes (d'ici 2015) de l'AFD . Les projections financières en cours et l'examen du modèle économique de l'Agence doivent en particulier intégrer des éléments tels que l'augmentation des centres de coût qui ne sont pas spécifiquement rémunérés par l'Etat 55 ( * ) , l'extension des missions confiées à l'AFD 56 ( * ) , le déficit de l'activité de subventions-projets, la probable diminution du dividende versé à l'Etat dans les années à venir 57 ( * ) , et l'adéquation du niveau des fonds propres (qui pourraient devoir être renforcés) au ratio de grands risques 58 ( * ) et à la croissance du volume d'activité.
En outre, il est prévu d'ouvrir de nouvelles agences aux Philippines et en Asie centrale , conformément à la stratégie de positionnement dans les pays émergents dont votre rapporteur spécial a déjà contesté l'ampleur. En tout état de cause, une révision de la stratégie et des instruments de l'AFD ne pourra exercer ses effets que sur le long terme, l'AFD étant structurellement soumise à une certaine inertie compte tenu de l'importance de son portefeuille de concours en cours de décaissement.
Mesures déjà mises en oeuvre |
1. Transformation en direction « d'état-major » de la Direction générale de la coopération internationale et du développement (DGCID), qui a fusionné avec la direction des affaires économiques et financières pour devenir la Direction générale de la mondialisation, du développement et des partenariats (DGMDP). |
2. Mise en place du Centre opérationnel de réaction aux crises, à vocation interministérielle. |
3. Renforcement de la tutelle exercée par le MAEE sur l'AFD. |
4. Développement des financements innovants, de nature à mobiliser les capacités d'engagement d'acteurs diversifiés (secteur privé, épargne des migrants, fonds des diasporas, capitaux durablement expatriés). |
5. Réexamen détaillé des contributions internationales en fonction de l'objectif poursuivi. |
Mesures en cours d'application ou de réflexion |
1. Fusion des SCAC et des centres culturels dans des établissements, dénommés « Espaces France » et disposant de l'autonomie financière. |
2. Création d'un opérateur chargé de la mobilité internationale (promotion de l'expertise internationale, de l'assistance technique et du système d'enseignement supérieur français), par fusion de FCI, Egide et Campus France. |
3. Création d'un système de partenariats différenciés pour une meilleure hiérarchisation des priorités géographiques. Validation de quatre groupes de pays par le CICID du 5 juin 2009. |
4. Meilleure concentration sectorielle de l'aide par l'identification de 5 secteurs prioritaires. Validation par le CICID du 5 juin 2009. Mise en place d'un tableau de bord consolidé de l'ensemble des engagements et échéances de l'APD au niveau interministériel, soumis annuellement à l'examen du CICID et annexé aux documents budgétaires transmis au Parlement. Validation par le CICID du 5 juin 2009. |
5. Compléter l'indicateur de moyens de l'APD par des indicateurs de résultats. Validation par le CICID du 5 juin 2009 pour une application en 2010. |
6. Mise en place d'un contrat d'objectifs et de moyens avec chaque opérateur. Un contrat unique sera signé entre l'Etat et l'AFD d'ici la fin de 2009. |
7. Mise en place d'un fonds « post-crise » à décaissement rapide. |
8. Recentrage des contributions internationales sur les priorités françaises. Renforcement de l'évaluation des résultats des agences et organismes concernés, selon une logique de « conseil d'administration ». |
2. Les importantes conclusions du CICID du 5 juin 2009
Présidé par le Premier ministre, le CICID du 5 juin dernier a pris d'importantes décisions contribuant à la rénovation, à la concentration et à la clarification du dispositif d'aide, tant en termes de stratégie que d'instruments :
1) Dans le cadre de la recherche de modes de financement innovants, une partie des revenus issus des enchères sur les quotas de carbone sera affectée, après 2012, à des actions en faveur du climat dans les pays pauvres, et les transferts de fonds des migrants seront facilités.
2) Quatre groupes de pays appelant des modalités différenciées de coopération sont définis, impliquant de facto la fin de la Zone de solidarité prioritaire (ZSP) dont votre rapporteur spécial a critiqué à plusieurs reprises le périmètre trop étendu. Ces groupes sont : les pays pauvres prioritaires, essentiellement en Afrique subsaharienne, dans lesquels seront concentrés les instruments les plus concessionnels (dons-projets en particulier) ; les pays à revenu intermédiaire entretenant des relations privilégiées avec la France (par exemple le Maroc ou le Vietnam) ; les pays émergents qui ne bénéficieront que de prêts à des conditions peu ou pas concessionnelles ; et les pays en crise ou en sortie de crise. Il a également été décidé que la moitié des dons serait affectée au premier groupe et 60 % de l'effort budgétaire à l'Afrique subsaharienne (ce qui est cohérent avec le plan stratégique de l'AFD).
En outre, l'AFD est de nouveau autorisée, « en réponse à la crise financière », à étudier la possibilité d'intervenir dans une dizaine de pays d'Amérique latine et d'Asie , mais sans coût budgétaire pour l'Etat.
3) Cinq priorités sectorielles ont été arrêtées : la santé, l'éducation et la formation professionnelle, l'agriculture et la sécurité alimentaire, le développement durable et le climat, et le soutien à la croissance. Votre rapporteur spécial constate que l'eau/assainissement et les infrastructures ne s'y trouvent pas, bien qu'elles figurent parmi les atouts traditionnels de la coopération française, et que la priorité du « soutien à la croissance » est a priori aussi générique et indéterminée que le serait la « promotion du développement ». Aussi justifiées soient-elles, ces nouvelles priorités le conduisent également à s'interroger sur la pérennité des documents-cadre de partenariat mis en place en 2005, dont les évaluations à mi-parcours ne sont d'ailleurs pas toujours réalisées.
4) Le CICID a confirmé la répartition des rôles entre les services de l'Etat, chargés de la stratégie et du pilotage, et l'AFD, qui dispose de la plupart des moyens opérationnels. Un nouveau conseil d'orientation stratégique devrait assurer une meilleure articulation entre orientations politiques et déclinaison opérationnelle par l'Agence, et un contrat unique d'objectifs et de moyens - dont votre rapporteur spécial rappelle qu'il est en gestation depuis deux ans - sera signé entre l'Etat et l'AFD d'ici la fin 2009.
5) Afin d'assurer une meilleure coordination entre les canaux bilatéral, européen et multilatéral de l'aide, deux documents de stratégie sur les contributions de la France à la Banque mondiale et à la politique de développement de l'Union européenne seront élaborés et soumis à une consultation publique. Un document cadre de coopération , faisant l'objet d'un bilan annuel par le CICID et incluant des tableaux de suivi des moyens et résultats, sera également préparé pour 2010 et annexé au projet de loi de finances. Il est enfin prévu un plan de communication sur l'APD.
Votre rapporteur spécial espère que ces orientations contribueront ainsi à stabiliser les outils et documents de structuration de l'aide française , qui depuis une dizaine d'années sont soumis à un mouvement de « réforme permanente ». Cela est d'autant plus nécessaire que, selon l'appréciation de la Cour des comptes que partage votre rapporteur spécial, les mécanismes actuels de coordination ne permettent pas d'assurer un pilotage satisfaisant de la mission APD , dont chacun des trois programmes est négocié et géré distinctement, par chaque ministère.
* 52 La Banque mondiale estime ainsi les besoins de financement à 1.000 milliards de dollars en 2009, soit 600 milliards de dollars de plus qu'en 2003, alors que le coût moyen des emprunts est passé de 6,4 % à 11,7 % dans la même période.
* 53 Selon la Banque mondiale, la croissance globale des pays en développement serait encore positive en 2009, autour de 1,2 %, après 5,9 % en 2008, mais négative (- 1,6 %) si l'on retire la Chine et l'Inde du périmètre.
* 54 Les Etats du G20 se sont ainsi engagés à « tripler les ressources mises à la disposition du FMI à 750 milliards de dollars » et à « soutenir au moins 100 milliards de dollars de prêts additionnels par les banques de développements multilatérales ».
* 55 Tels que la formation, la recherche, ou l'éventuelle fonction de « conseiller en développement » auprès des ambassades.
* 56 Les subventions aux ONG, les transferts sectoriels du Fonds de solidarité prioritaire, ou prestations de services dans le cadre des projets de développement solidaire.
* 57 La croissance soutenue du résultat net de l'Agence entre 2005 et 2008 intégrait des éléments exceptionnels tels que la reprise de provisions liée au passage aux normes comptables IFRS ou des cessions d'actifs (en particulier des filiales bancaires outre-mer). En outre, le « recyclage » de l'intégralité du dividende dans des concours financiers à compter de 2006 a supprimé toute faculté de renforcement des fonds propres.
* 58 Les capacités d'action de l'AFD au Maghreb se trouvent ainsi actuellement limitées.