2. Permettre la restitution par la France des têtes maories : une démarche éthique, fondée sur le principe de dignité de l'homme et le respect des cultures et croyances d'un peuple vivant
En visant à autoriser la restitution par la France de l'ensemble des têtes maories conservées dans les collections des musées, la proposition de loi tend à permettre à notre pays de répondre favorablement, à son tour, à la demande de retour de ces restes humains formulée par les autorités néozélandaises, en levant les obstacles juridiques à cette restitution.
La plupart des personnalités entendues par votre rapporteur en vue de l'examen de ce texte lui ont confirmé le bien-fondé de cette démarche ou n'ont pas avancé, pour le moins, d'argument valable justifiant de s'y opposer. Cela traduit une certaine évolution des mentalités des conservateurs de musées et de la communauté scientifique à l'égard de ces problématiques depuis « l'affaire » de la Vénus Hottentote en 2002.
• La décision de restitution s'inscrit d'abord
dans
une démarche éthique
. C'est d'ailleurs le
sens que la ville de Rouen a donné à l'acte, qualifié de
symbolique, de remise à la Nouvelle-Zélande de la tête
tatouée conservée dans les réserves de son Muséum.
Cette démarche éthique est fondée, tout à la fois, sur le respect dû aux croyances d'un peuple à la culture et aux traditions encore bien vivantes , et sur un principe de dignité de l'homme , au regard de l'histoire sordide dont certaines de ces têtes tatouées sont le témoignage.
Pour les Maoris, l'ensemble des parties du corps présentent un caractère sacré car elles portent en elles « l'essence » de la personne. La tête est considérée comme la partie la plus sacrée du corps . Les Maoris d'élite avaient la tête totalement tatouée, en gage d'honneur ; à leur mort, leurs familles conservaient ces têtes desséchées en témoignage de respect.
Le programme néozélandais de rapatriement des dépouilles maories traduit, comme on l'a vu, l'importance que revêt, pour ce peuple, le retour de ses ancêtres sur leur terre d'origine, afin qu'ils puissent y recevoir une sépulture conforme aux rites ancestraux .
En outre, comme le rappelle l'exposé des motifs de la proposition de loi, ces têtes maories « ont une histoire qui rappelle les pires heures du colonialisme. En effet, lors de la colonisation de la Nouvelle-Zélande, les Européens se passionnent pour ces têtes humaines tatouées, tradition du peuple maori, qu'ils considèrent comme des objets de curiosité et de collection. Les collectionneurs privés se lancent dans de véritables « chasses aux têtes », à la recherche des plus beaux spécimens, qui font l'objet d'un commerce barbare. En vue de satisfaire la demande européenne, les tatouages de tête, initialement réservés aux chefs guerriers, concernent également les esclaves qui sont ensuite décapités pour faire l'objet d'échanges. »
Le commerce des têtes tatouées, dont les premières traces remontent au premier voyage en Nouvelle-Zélande du Capitaine Cook vers 1770, a été interdit en 1831 par un acte du Parlement britannique en Australie, qui était alors la plaque tournante de ce trafic.
Les Maoris
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• En outre, comme tel était déjà
le cas s'agissant de la « Vénus Hottentote », un
grand nombre des personnalités entendues par votre rapporteur ont
soutenu que
ces têtes momifiées et tatouées ne
présentent aucun intérêt scientifique
avéré
.
Elles ont été conservées par les Occidentaux, à l'origine, non pas dans une finalité scientifique, mais comme des objets exotiques de curiosité , ou dans une démarche d'anthropologie alors fondée sur des concepts raciaux.
D'après les informations transmises à votre rapporteur par M. Michel Van Praët, conservateur général du patrimoine, elles n'ont jamais fait l'objet en France, jusqu'à présent, d'analyses scientifiques . En outre, tout laisse à penser qu'elles n'ont pas vocation à devenir indispensables à la recherche dans les années à venir. Ainsi, pour M. Pascal Picq, paléoanthropologue et maître de conférences au Collège de France, rien ne justifie la conservation de ces têtes au regard des méthodes d'anthropologie actuelles.
Néanmoins, et comme l'a souligné M. Maurice Godelier, ethno-anthropologue spécialiste de l'Océanie, la restitution ne doit pas aboutir à des « trous » dans la connaissance scientifique de l'Humanité dont les musées sont aussi les garants. Pour M. Stéphane Martin, président de l'établissement public du Musée du Quai Branly, il ne faudrait pas, en outre, que leur restitution conduise à faire disparaître et à effacer de nos mémoires un pan de l'Histoire dont elles sont un témoignage. Désormais, des techniques comme la numérisation permettent de répondre à ces exigences, en reconstituant notamment l'image virtuelle de ces têtes.
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Compte tenu des observations formulées plus haut, votre commission a partagé la finalité de la proposition de loi , et approuvé la décision de sortir les têtes maories des collections des musées de France pour les rendre à la Nouvelle-Zélande , selon des modalités qui seront déterminées dans le cadre d'une coopération et d'un dialogue entre les institutions concernées.
Cependant, au-delà de cet aspect ponctuel, ce texte soulève des questions importantes par leur portée culturelle, éthique et morale.
C'est pourquoi votre commission a jugé utile de le compléter par des dispositions de nature à éviter d'avoir de nouveau recours à la loi pour régler un problème de ce type.