B. DES RESTRICTIONS À LA PERTINENCE DISCUTÉE
1. Des restrictions légales
Si les rapports précités ou de nombreuses associations de défense des étrangers sont extrêmement critiques vis-à-vis de ces conditions assimilées à des discriminations, il convient néanmoins de rappeler que l'article 3 de la directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000 relative à la mise en oeuvre du principe de l'égalité de traitement entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique dispose que ce texte ne vise pas les différences de traitement fondées sur la nationalité et s'entend sans préjudice des dispositions et conditions relatives à l'admission et au séjour des ressortissants de pays tiers. L'article 3 de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000 portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail comporte une précision identique.
La condition de nationalité n'est donc pas considérée comme une discrimination par les textes européens.
2. Des restrictions souvent historiquement datées
La liste des professions concernées constitue un ensemble hétéroclite parmi lequel les motifs de certaines restrictions d'accès n'apparaissent pas clairement.
La condition de diplôme est la plus aisée à expliquer, en particulier pour les professions libérales organisées sous forme ordinale. Elle garantit une qualité et une égalité de services sur l'ensemble du territoire. L'importance de ces professions pour la vie économique et sociale le justifie.
Cela ne doit pas interdire une réflexion sur les systèmes d'équivalence entre les pays et sur le développement des procédures de validation des acquis.
Les justifications de la condition de nationalité apparaissent en revanche plus inégales.
S'agissant des officiers publics ou ministériels, ces professions sont l'expression de l'exercice de missions de souveraineté ou de prérogatives de puissance publique. La condition de nationalité, restreinte aux seuls ressortissants français, est justifiée.
S'agissant des professions libérales, les raisons sont moins évidentes au plan des principes.
En réalité, l'histoire de l'instauration des conditions de nationalité montre qu'elles sont apparues pour l'essentiel à partir de la fin du XIXème siècle et particulièrement au cours de l'entre-deux-guerres dans un contexte de crise économique et de tensions internationales.
Maintenues après la Libération, la plupart de ces conditions de nationalité demeurent très connotées historiquement.
3. Des règles contournées
De nombreuses situations de fait viennent contredire ou contourner les textes législatifs ou réglementaires réservant certains emplois aux Français et aux ressortissants communautaires.
Ainsi, des étrangers non communautaires exercent également au sein des fonctions publiques. Sans être fonctionnaire, ils assurent des tâches identiques. Ils sont recrutés en tant que contractuels ou auxiliaires, c'est-à-dire dans le cadre d'emplois plus précaires et moins bien rémunérés. L'éducation nationale recourt notamment à cette solution, y compris pour des postes d'enseignant.
Une autre stratégie consiste pour l'Etat ou les collectivités territoriales à recourir à des entreprises de sous-traitance lesquelles peuvent employer des personnes de nationalité étrangère.
S'agissant des professions libérales, leurs statuts contiennent le plus souvent des procédures permettant au cas par cas d'admettre des étrangers non communautaires au sein de l'Ordre.
4. Des progrès très sensibles pour les ressortissants communautaires
Obligation communautaire, la libre circulation des travailleurs a conduit la fonction publique française à réduire la portée de la condition de nationalité prévue à l'article 5 de la loi du 13 juillet 1983.
Afin de se mettre en conformité avec la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes et avec les orientations de la Commission européenne, le législateur français a assoupli les statuts de la fonction publique pour les ressortissants communautaires. La loi du 26 juillet 1991 a ainsi ouvert aux ressortissants communautaires la possibilité d'accéder aux « corps, cadres et emplois dont les attributions sont soit séparables de l'exercice de la souveraineté, soit ne comportent aucune participation directe ou indirecte à des prérogatives de puissance publique ».
Toutefois, en vertu de la loi du 26 juillet 1991, les statuts particuliers de chaque corps, cadre d'emplois et emploi devaient encore être modifiés pour désigner ceux d'entre eux susceptibles d'être ouverts aux ressortissants communautaires. Il en a résulté que de nombreux emplois restaient encore inaccessibles pour les ressortissants communautaires et que le risque contentieux croissait.
En conséquence, la loi n° 2005-843 du 26 juillet 2005 portant diverses mesures de transposition du droit communautaire à la fonction publique a renversé le principe, en disposant que désormais tous les corps et cadres d'emplois de fonctionnaires sont accessibles aux ressortissants des autres Etats membres, sans que les statuts particuliers n'aient à le préciser. Seule est maintenue l'exception selon laquelle sont réservés aux nationaux les emplois dont les attributions ne sont pas séparables de l'exercice de la souveraineté ou comportent une participation directe ou indirecte à l'exercice de prérogatives de puissance publique de l'Etat ou des autres collectivités publiques 3 ( * ) .
Ce mouvement d'ouverture aux ressortissants communautaires a également été accompli pour la plupart des professions réglementées.
Dès la fin des années quatre-vingt, la directive 89/48/CEE du Conseil du 21 décembre 1988 relative à un système général de reconnaissance des diplômes d'enseignement supérieur qui sanctionnent des formations professionnelles d'une durée minimale de trois ans avait défini les « professions réglementées » comme celles dont « l'accès ou l'exercice, ou une des modalités d'exercice dans un État membre est subordonné, directement ou indirectement par des dispositions législatives, réglementaires ou administratives, à la possession d'un diplôme ».
La directive 2005/36/CE du 7 septembre 2005 relative à la reconnaissance des qualifications professionnelles a ainsi achevé l'ouverture des professions libérales organisées sous forme ordinale aux ressortissants communautaires. Elle facilite également considérablement la libre prestation de services.
Enfin, certaines professions comportant l'exercice de prérogatives de puissance publique ne sont plus réservées à des ressortissants français.
Ainsi, la jurisprudence de la Cour de justice des communautés européennes a imposé l'ouverture aux ressortissants communautaires de la profession de capitaine de navires français 4 ( * ) .
Des recours sont aussi pendants devant la CJCE pour ouvrir la profession de notaire.
5. L'influence du droit communautaire s'étend aux ressortissants extracommunautaires
L'ouverture de la quasi-totalité des professions aux ressortissants communautaires tend à affaiblir les raisons justifiant le maintien d'une condition de nationalité pour les autres étrangers.
Parallèlement, plusieurs directives tendent à ouvrir des brèches juridiques et pourraient favoriser la reconnaissance d'un droit d'accès de certains ressortissants extracommunautaires aux professions réglementées.
Ainsi, l'article 23 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l'Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres dispose que les membres de la famille du citoyen de l'Union, quelle que soit leur nationalité, qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent dans un Etat membre, ont le droit d'y entamer une activité lucrative à titre de travailleur salarié ou de non salarié.
De manière plus générale, l'article 24 du même texte pose le principe de l'égalité de traitement : « sous réserve des dispositions spécifiques expressément prévues par le traité et le droit dérivé, tout citoyen de l'Union qui séjourne sur le territoire de l'Etat membre d'accueil en vertu de la présente directive bénéficie de l'égalité de traitement avec les ressortissants de cet Etat membre dans le domaine d'application du présent traité. Le bénéfice de ce droit s'étend aux membres de la famille, qui n'ont pas la nationalité d'un Etat membre et qui bénéficient du droit de séjour ou du droit de séjour permanent ».
Toutefois, comme le relève la Commission européenne dans son rapport sur l'application de la directive 2004/38/CE 5 ( * ) , « globalement, la transposition laisse plutôt à désirer. Aucun Etat membre ne l'a transposée effectivement et correctement dans son intégralité. Aucun article de la directive n'a été transposé effectivement et correctement par l'ensemble des Etats membres ». Le rapport ne comporte pas de développements particuliers sur la mise en oeuvre des articles 23 et 24.
En outre, la directive 2003/109/CE du 25 novembre 2003 relative au statut des ressortissants de pays tiers résidents de longue durée prévoit une égalité de traitement avec les nationaux en ce qui concerne la reconnaissance des qualifications. Cette disposition plaide en faveur d'une application du régime européen de reconnaissance des qualifications aux ressortissants d'Etats tiers, en particulier s'ils sont titulaires d'un diplôme délivré dans un Etat membre.
* 3 Voir le rapport n° 251 (2004-2005) de notre collègue Mme Jacqueline Gourault au nom de la commission des lois - http://www.senat.fr/rap/l04-251/l04-251.html
* 4 Dans deux arrêts Colegio de Oficiales de la Marina Mercante Espanola (C-405/01) et Anker e.a. (C-47/02), la CJCE a jugé que les traités n'autorisaient un Etat membre à réserver à ses ressortissants les fonctions de capitaine ou son suppléant qu'à condition que les prérogatives de puissance publique soient effectivement exercées de manière habituelle et ne représentent pas une part très réduite de leurs activités.
* 5 COM (2008) 840 final.