B. PUBLICITÉ ET TÉLÉVISION PUBLIQUE : DES LIAISONS DANGEREUSES ?
Le débat sur la place de la publicité à la télévision publique - introduite sur les écrans il y a quarante ans - est depuis longtemps au coeur des réflexions sur le sens, la justification et l'avenir du service public . Cette question est sensible, notamment, depuis dix ans, dans un contexte de concurrence accrue avec le secteur privé.
1. L'introduction controversée des écrans publicitaires sur les chaînes publiques
La publicité commerciale apparaît à la télévision française - sur l'antenne de la première chaîne de l'ORTF - le 1 er octobre 1968 , au moment où la télévision fait irruption dans le quotidien des Français : en effet, alors que seuls 13 % des ménages possèdent un poste en 1960, ils sont 65,5 % à en posséder un en 1968 et 77 % en 1970.
• Jusqu'alors, des publicités sans marque ou
« propagande collective d'intérêt national »
permettaient aux pouvoirs publics, aux groupements de producteurs nationaux ou
coopératives de diffuser des messages de promotion, dans le cadre des
« publicités compensées » : quelques
slogans ont fait date, tels que
« changez de cravate, une cravate
vous changera »
«
bonne pomme, belles
dents
» ou
« on a toujours besoin d'un petit pois
chez soi »
... Seules quatre ou cinq minutes des programmes
quotidiens étaient alors dévolues à ces publicités
collectives, autorisées à la RTF par une loi de 1951. En 1966, la
publicité dite compensée représente 3,3 % du budget
de l'ORTF.
• Faut-il ou non introduire la
publicité sur les écrans télévisés ? Le
débat politique est déjà passionné
.
Le 23 avril 1968, les députés de l'opposition ont déposé une motion de censure « contre l'introduction de la publicité de marques à l'ORTF », annoncée par le Gouvernement de M. Georges Pompidou. Le projet suscite en effet des réticences car il est perçu comme une triple menace :
- livrer l'établissement public aux « puissances d'argent » en le plaçant, indirectement, sous contrôle financier privé ;
- bouleverser l'équilibre des finances de la presse, en entraînant une baisse des recettes publicitaires qu'elle concentrait jusqu'alors ;
- défavoriser les petites et moyennes entreprises et le commerce local, seules les très grandes firmes ayant les moyens d'assurer leur publicité.
Enfin, l'impact de la publicité sur la liberté d'expression et la qualité des programmes est également redouté : le député Louis Escande, l'un des auteurs de la motion de censure, note en effet que « dans les pays où règne la publicité de marques, celle-ci n'a guère contribué à l'amélioration des programmes. Même quand elle est limitée dans le temps, comme en Italie, son style, nécessairement commercial, change le visage de la télévision. »
Néanmoins, la position du Premier ministre reste ferme :
- au nom d'un principe de réalité tout d'abord : « la publicité à la télévision, qu'on l'apprécie ou non, qu'on la souhaite ou non, est inéluctable . (...) Elle est d'ailleurs déjà présente, soit clandestinement par le jeu des caméras qui s'attardent sur un dossard de skieur ou un panneau publicitaire, soit ouvertement par la publicité dite « compensée » dont on voit de plus en plus mal ce qui la distingue de la publicité de marques » 11 ( * ) ;
- par nécessité économique ensuite, parce que le développement de la publicité ne saurait passer à côté du « support le plus récent, le plus direct, le plus étendu » que constitue la télévision, mais aussi parce que « la publicité constitue un élément puissant de relance de la production » , en donnant aux entreprises la possibilité de développer leur marché intérieur ;
- enfin, en raison de leur dynamisme, les ressources publicitaires sont alors perçues comme nécessaires pour accompagner le développement de la télévision, dans l'intérêt des téléspectateurs (augmentation des heures d'émission, multiplication des chaînes, hausse du nombre d'exemptions à la redevance en faveur des personnes économiquement défavorisées...).
•
Finalement actée, l'introduction de
la publicité à la télévision est néanmoins
strictement encadrée
.
A cette fin, la Régie française de publicité (RFP) est créée par décret le 8 janvier 1969 : cette société anonyme dont l'État, par l'intermédiaire de l'ORTF, détient la majorité du capital, est chargée de la commercialisation des écrans publicitaires et du contrôle a priori des messages destinés à la télévision, dans le respect des intérêts fondamentaux de l'économie nationale.
La publicité fait par ailleurs une apparition progressive sur les écrans : limitée à 2 minutes par jour en 1968, elle passe à 6 minutes en 1969 et 10 minutes en 1970. Elle est autorisée en janvier 1971 sur la deuxième chaîne, puis en 1983 sur la troisième chaîne.
La loi du 3 juillet 1972 limite à 25 % des ressources de l'Office la part de recettes provenant de la publicité commerciale. Ce plafond est levé en 1982. En effet, il sera vite dépassé, face au recul des financements publics et à la stagnation du produit de la redevance.
* 11 Compte rendu des débats à l'Assemblée nationale, séance du 24 avril 1968.