C. LA MIGRATION PROFESSIONNELLE
1. L'accès au marché du travail
La migration professionnelle est organisée sur la base de l'ouverture aux ressortissants du pays signataire d'une liste de métiers allant au-delà des 30 professions ouvertes aux pays tiers et de facilités consenties par la partie française en matière d'octroi des cartes de séjour professionnelles prévues par la loi du 24 juillet 2006.
Elle prévoit la délivrance, pour les métiers visés par l'accord, sur l'ensemble du territoire français, de la carte de séjour temporaire « salarié » d'une durée de douze mois renouvelable ou de la carte « travailleur temporaire », sans que soit prise en compte la situation de l'emploi.
L'accord avec le Sénégal constitue un véritable accord de main d'oeuvre avec l'ouverture de 108 métiers.
L'immigration professionnelle sénégalaise est pour le moment très limitée : 26 travailleurs dont 8 sportifs ont été recrutés en 2006, 16 en 2007 dont 9 sportifs. Les 81 visas de long séjour délivrés pour motifs professionnels sur les 11 premiers mois de 2008 se répartissent comme suit : 57 pour l'exercice d'une activité salariée, 9 pour une activité scientifique, 2 pour une activité artistique ou culturelle, 1 pour l'exercice d'une profession libérale ou indépendante, 11 pour un stage professionnel et 1 au titre de la délivrance d'une « carte compétences et talents ».
De janvier à octobre 2008, 4 Sénégalais se sont vu délivrer une carte de saisonnier. Par ailleurs, dans le cadre de l'accord d'échange de jeunes professionnels, sur 9 dossiers traités de janvier à octobre 2008, 3 ont abouti, 3 sont en attente de réponse et 3 ont été écartés (pour un contingent annuel de 100).
Ces chiffres, infimes si l'on songe au volume des classes d'âge concernées, sont à rapporter aux 122 personnes admises en France au titre du regroupement familial, aux 930 personnes admises comme conjoints de Français et aux 1331 étudiants.
L'immigration professionnelle en provenance du Bénin ne comporte aucun travailleur saisonnier: elle se répartit entre travailleurs permanents (95 en 2007, 123 entre janvier et octobre 2008), et travailleurs temporaires (25 en 2007, 21 sur les dix premiers mois de 2008). L'immigration professionnelle congolaise est, quant à elle, totalement anecdotique.
Bien que plus importante et en progression, l'immigration professionnelle en provenance de Tunisie reste des plus limitées.
Les chiffres sont les suivants pour l'exercice d'une profession :
- artistique : 1 en 2008
- commerçante/artisanale/industrielle : 1 en 2007 et 4 en 2008
- salariée (cadre général) : 926 en 2007 et 1319 pour 2008
- scientifique : 21 en 2007 et 54 en 2008
- libérale ou indépendante : 2 en 2007 et 2 en 2008
- saisonnière : 657 en 2007 et 727 en 2008
Le plafond de l'accord « jeunes professionnels » pour ce dernier pays est loin d'être atteint : 100 dossiers traités en 2007, dont 92 candidats acheminés en 2007 et 8 en 2008.
A l'égard de la migration professionnelle, les accords témoignent de ce que la perception des autorités des pays signataires est ambivalente : d'un côté, la pression migratoire liée à une situation économique dégradée et à la faiblesse des salaires est réelle et correspond à une demande politique adressée aux autorités, de l'autre, le risque de pertes des « forces vives » et des compétences est tout aussi réel et suscite des réticences. La connaissance, et partant l'organisation, du marché du travail est défaillante et les outils pour la gestion de la migration de travail ne sont pas non plus disponibles.
Il en résulte des listes comportant à la fois des métiers qualifiés, susceptibles de favoriser une certaine « fuite des cerveaux » et des métiers non qualifiés.
Pour la France, si le concept d'« immigration choisie » avait pu apparaître dans un premier temps comme synonyme d'immigration qualifiée, il semble que la volonté de favoriser également une immigration de travail non qualifiée soit désormais également présente, évolution qui semble plus conforme aux réalités du continent africain.
Les secteurs professionnels ouverts aux Sénégalais, au-delà des trente métiers ouverts aux ressortissants non européens, sont détaillés par l'accord dans la limite d'un plafond annuel d'un millier d'emplois. Pour le Bénin, la liste comporte 16 métiers ; elle en comporte 15 pour le Congo et 78 pour la Tunisie.
2. Les Accords « jeunes professionnels »
Les Accords de gestion concertée des flux migratoires font référence aux accords d'échange de jeunes professionnels. Des accords de ce type ont été conclus avec une douzaine de pays, parmi lesquels les Etats-Unis et le Canada, le Maroc, le Sénégal et la Tunisie.
Ils concernent des personnes âgées de 18 à 35 ans, justifiant d'un diplôme ou d'une expérience professionnelle, ayant une bonne maîtrise de la langue du pays d'accueil et exerçant un emploi en relation avec leur qualification pour une durée de 3 à 12 mois, pouvant être prolongée jusqu'à 18 mois.
Les jeunes professionnels sont autorisés à occuper un emploi sans que soit prise en considération la situation de l'emploi.
Leur mise en oeuvre pour les pays concernés par les accords de gestion concertée des flux migratoires est pour le moment très limitée . Dans le cadre de l'accord « jeunes professionnels » du 20 juin 2001 avec le Sénégal, 31 jeunes professionnels ont été recrutés en 2007. Pour ce qui concerne la Tunisie, 62 jeunes Tunisiens ont été accueillis en France en 2007 et 13 Français en Tunisie. Pour 2008, seuls 8 Tunisiens ont été concernés par l'Accord. Le plafond actuel de 100 jeunes professionnels, porté par l'Accord à 1 500, n'est par conséquent pas atteint.
L'Accord avec le Sénégal, tout comme celui avec la Tunisie, prévoit des actions de communication en direction des entreprises pour tenter de développer ce mode de migration professionnelle.
L'accord avec la Tunisie sur les échanges de jeunes professionnels offre un cadre juridique aux volontaires internationaux en entreprises, dans la limite de 100 par an.
Pour ce qui concerne le Bénin et le Congo, en l'absence d'accord d'échanges de jeunes professionnels existant, les échanges de jeunes professionnels sont prévus par l'accord de gestion concertée des flux migratoires.
Les conditions d'âge et de durée de séjour des « jeunes professionnels » varient selon les Accords. Un plafond annuel de 100 personnes est fixé pour le Sénégal et le Congo ; il est de 200 pour le Bénin et de 1 500 pour la Tunisie.
3. La carte « compétences et talents »
Créée par la loi du 24 juillet 2006, la carte de séjour portant la mention « compétences et talents », prévue par l'article L. 315-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers, « peut être accordée à l'étranger susceptible de participer, du fait de ses compétences et de ses talents, de façon significative et durable au développement économique, au développement de l'aménagement du territoire ou au rayonnement, notamment intellectuel, scientifique, culturel, humanitaire ou sportif de la France et, directement ou indirectement, du pays dont il a la nationalité. »
Elle est délivrée, selon les cas, par les préfectures ou les consulats.
Pour 2008, M. Brice Hortefeux, ministre de l'immigration, de l'intégration, de l'identité nationale et du développement solidaire, avait fixé un objectif de délivrance de 2 000 cartes, dont 1 000 par le biais des préfectures et 1 000 par le biais des ambassades. Cet objectif a été décliné à l'échelon régional et entre les différents postes à l'étranger.
Au 30 septembre 2008, seules 326 cartes avaient été délivrées par les préfectures ou les consulats , dont une seule concerne un ressortissant sénégalais, trois devraient être prochainement délivrées à des Béninois, tandis qu'aucun Congolais n'est bénéficiaire de ce dispositif. Avec 36 cartes délivrées, le dispositif semble à peine plus avancé en Tunisie.
Un rapport établi pour le compte de la commission des finances du Sénat analyse comme suit les raisons de ce nombre limité 2 ( * ) :
« un certain retard dans la mise en oeuvre de la carte, et une promotion insuffisante, voire quasi-nulle à l'exception de certains consulats, réalisée par les postes à l'étranger. (...)
« la grande richesse des cartes existantes, et à la création concurrente, selon les préfectures, de cartes à destination des étudiants et des scientifiques.(...)
« le caractère restrictif des critères d'attribution de la carte actuelle. Pas moins de 13 cas de figures précis sont prévus .».
Notant le caractère plus restrictif du dispositif pour les ressortissants de pays membres de la zone de solidarité prioritaire, M. André Ferrand préconisait un assouplissement des critères d'attribution et un « toilettage » des règles applicables aux ressortissants de pays de la ZSP.
Votre rapporteur regrette également l'empilement de dispositifs hésitant entre attractivité, développement et contrôle des flux. La carte « compétences et talents » était censée ouvrir un espace à des personnes présentant un profil particulier susceptible d'enrichir notre pays mais sa mise en oeuvre se révèle singulièrement longue et complexe.
Votre rapporteur note par ailleurs que la disparition de la Zone de solidarité prioritaire au profit de zones d'intervention différenciées devrait conduire à réviser les règles s'appliquant aux ressortissants des pays qui en sont membres.
Un plafond de 150 cartes est fixé pour le Congo et le Bénin. Il est de 1 500 pour la Tunisie. Dans l'immédiat, compte tenu du relatif insuccès du dispositif, ces chiffres apparaissent moins comme un plafond limitatif que comme un objectif vers lequel il convient de tendre .
*
2
Rapport d'information de M. André FERRAND, fait au nom de la
commission des finances
n° 414 (2007-2008) - 25 juin
2008