EXAMEN DES ARTICLES

Article unique (art. 223-14-1, 226-14-2 et 223-15 nouveaux du code pénal) - Incrimination de la provocation à la recherche d'une maigreur excessive

Objet : Cet article vise à réprimer l'incitation à l'anorexie, sur le modèle des dispositions actuelles du code pénal relatives au délit de provocation au suicide.

I - Le dispositif proposé

La proposition de loi comporte un article unique divisé en trois parties qui visent à modifier le code pénal.

Portant sur la question de la protection de valeurs essentielles comme la vie humaine et l'intégrité physique, le texte propose d'insérer son dispositif dans le chapitre relatif à la mise en danger de la personne, au côté de la provocation au suicide.

- Le paragraphe I , modifie l'intitulé de la section six, du chapitre III « De la mise en danger de la personne » du titre II « Des atteintes à la personne humaine » du livre II « Des crimes et délits contre les personnes » de ce code. Actuellement formulé « De la provocation au suicide », celui-ci deviendrait « De la provocation au suicide et à la maigreur excessive ».

- Le paragraphe II crée deux nouvelles incriminations relatives à la provocation à la maigreur excessive et à la publicité en faveur des moyens d'y parvenir. La provocation simple et la propagande ou publicité seraient punies de deux ans d'emprisonnement et 30 000 euros d'amende. La mort étant considérée comme une circonstance aggravante de la provocation, la sanction applicable serait alors portée à trois ans d'emprisonnement et 45 000 euros d'amende.

La création des deux délits doit être simultanée si l'on souhaite pénaliser tant le lien direct et personnel (par provocation) que le lien indirect et impersonnel (par publicité) entre le message et la recherche de la maigreur excessive. Elle est justifiée par le fait qu'il n'existe pas actuellement d'incrimination spécifique d'incitation à l'anorexie car les autres dispositions du code pénal ne sont pas applicables :

- il ne peut, par exemple, s'agir de complicité car celle-ci suppose une infraction principale punissable ; or, la recherche de la maigreur excessive n'est pas condamnable. Les dispositions de l'article 121-7 du code pénal ne sont donc pas applicables. Pour la même raison, on ne peut considérer qu'il s'agit d'une provocation à une infraction au sens de l'article 23 de la loi de 1881 sur la liberté de la presse ;

- le délit de mise en danger de la vie d'autrui prévu à l'article 223-1 du même code n'est pas non plus applicable puisqu'il suppose le non-respect d'une obligation particulière de sécurité ;

- l'homicide ou l'atteinte physique par imprudence, article 221-6, n'est pas applicable car la provocation et la publicité sont des actes commis avec une intention coupable ;

- la privation d'aliments à enfants se limite au cas spécifique où il est commis par un ascendant (article 227-15) ;

- enfin, la qualification de non-assistance à personne en péril (article 223-6) n'est pas adaptée puisqu'il y a en l'occurrence un acte positif de provocation ou de publicité.

Par ailleurs, on ne peut considérer, à moins d'une interprétation très extensive, que la recherche d'une maigreur excessive soit une tentative de suicide dont la provocation est réprimée par l'article 223-13.

La rédaction ici proposée renvoie à des notions connues et précises du droit pénal tant pour l'incrimination que pour la sanction. Le texte s'inspire des dispositions prévues pour la répression de la provocation au suicide, pour la provocation elle-même et la circonstance aggravante d'avoir entraîné la mort. Il en est de même pour le choix de la formule « propagande ou publicité ». La référence au fait de « compromettre la santé » est elle aussi usuelle et renvoie donc à des notions connues des magistrats, ce qui facilitera leur application.

Les sanctions envisagées sont inspirées de celles de la provocation au suicide (sauf peines complémentaires et aggravation pour minorité de la victime). Les amendes et peines d'emprisonnement prévues se situent par leur importance entre celles prévues pour la répression du délit d'homicide volontaire ou de provocation au suicide et celles prévues pour le délit de mise en danger de la vie d'autrui.

L'article 223-14-1 nouveau vise à créer un délit de provocation à la maigreur modelé sur celui de la provocation au suicide. Toutefois, contrairement à ce dernier délit, critiqué pour l'imprécision de sa définition, une triple précision est proposée pour l'élément d'incrimination matérielle : d'abord, quant au but de la provocation qui serait, dans le texte issu de l'Assemblée nationale, le fait de « rechercher une maigreur excessive » et non « extrême » ou « à l'anorexie » comme l'envisageait le texte initial ; ensuite, quant au moyen mis en oeuvre, en citant précisément l'encouragement à des restrictions alimentaires prolongées ; enfin, quant à l'effet de tels comportements, c'est-à-dire le danger de mort ou la compromission de la santé. En outre, l'élément d'incrimination morale reposerait sur des infractions intentionnelles et non d'imprudence.

Le choix d'une définition légale aussi détaillée se justifie par l'objectif de bien cerner l'objet du texte, et donc d'en exclure les jeûnes rituels, les régimes, les traitements et les grèves de la faim.

L'article 223-14-2 nouveau propose de réprimer la provocation générale et indéterminée, c'est-à-dire la propagande ou la publicité. Ce dispositif, comme c'est le cas en matière de suicide (article 223-14), est celui qui présente le plus d'intérêt pratique tant pour poursuivre que pour dissuader. La publicité n'est incriminée qu'en fonction de son but (la maigreur excessive) et de son effet (la compromission de la santé) et non de ses modalités (par exemple un nombre de kilos à perdre). Il semble donc que la publicité pour les moyens permettant de perdre du poids, mais dont seul un usage anormal conduirait à une maigreur excessive, ne tomberait pas sous le coup de l'incrimination délictuelle.

- Le paragraphe III complète l'article 223-15 du code pénal par la référence au nouvel article 223-14-1, relatif à la provocation à la maigreur excessive, afin que la détermination des personnes responsables de ce délit, s'il est commis par la voie de la presse écrite ou audiovisuelle, obéisse aux mêmes règles que celles actuellement applicables en matière de provocation au suicide.

II - Les propositions de votre commission

Malgré le caractère juridiquement cohérent et la volonté d'équilibre de ce texte, il ne paraît pas indispensable à votre commission. En effet, comme le souligne le professeur Prothais : « ce n'est pas le droit qui crée le contentieux pénal, c'est le fait répréhensible. S'il y a un réel problème de fait, il s'efforcera nécessairement d'aboutir juridiquement, d'une manière ou d'une autre, même très détournée ou critiquable par la voie judiciaire. 23 ( * ) » S'il n'y a pas de réel besoin pratique, le texte tombera en désuétude. Une vision optimiste du droit pénal postule que la disposition en cause conservera néanmoins d'une part, une fonction déclarative en affirmant, au travers de leur protection, les valeurs de santé et de vie, d'autre part, une portée dissuasive par rapport aux comportements pouvant inciter à la maigreur. Or, votre commission craint qu'il n'y ait effectivement pas de réel besoin pratique et qu'une disposition inutile s'ajoutant au code pénal dans un titre aussi symboliquement sensible que celui relatif aux atteintes à la personne humaine ne soit détourné de son objet initial et ne provoque des contentieux aussi inutiles que destructeurs.

Néanmoins, elle considère que la répression de la publicité pour les moyens tendant à la recherche de la maigreur excessive constitue une restriction à la liberté d'expression justifiée au regard de l'objectif à atteindre . En effet, celle-ci s'inscrit dans la continuité de nombreuses mesures tendant à protéger la santé des plus faibles contre les atteintes des tiers à leur santé, voire à leur vie. Ainsi, l'article L. 3421-4 du code de la santé publique relatif à la provocation au délit d'usage de stupéfiants ou l'ancien article L. 2221-1 (abrogé par la loi n° 2001-588 du 4 juillet 2001, article 13-II) relatif à la provocation à l'interruption de grossesse procèdent déjà de la même manière. Surtout, elle se modèle sur les articles L. 223-13 et suivants du code pénal, introduits par la loi tendant à réprimer l'incitation et l'aide au suicide (n° 87-1133 du 31 décembre 1987) issue d'une proposition de loi sénatoriale de 1983.

Dans la même inspiration, le texte apporte une restriction proportionnée et constitutionnelle à la liberté d'expression. Contrôlant la conformité à la Constitution de la loi sur le tabagisme 24 ( * ) , le Conseil constitutionnel a en effet affirmé que le droit de propriété pouvait connaître des restrictions conformes à l'objectif constitutionnel de protection de la santé publique, à condition que celles-ci soient proportionnées à l'objectif à atteindre. On peut penser qu'il en est de même pour la liberté d'expression.

Le rapprochement de ces observations conduit votre commission à plaider d'une part, en faveur de la suppression du délit, qu'elle juge inutile, de provocation à la maigreur excessive, d'autre part en faveur de l'interdiction de la propagande et la publicité en faveur de la maigreur excessive, sans pour autant les assortir de sanctions pénales. Elle souhaite en outre l'extension de cette interdiction à l'ensemble des incitations à des comportements susceptibles de porter atteinte à la santé des personnes.

Cette nouvelle rédaction aura le triple intérêt :

- d'éviter le déséquilibre qui serait créé si l'intitulé de la section du code pénal relative à la provocation au suicide devenait « provocation au suicide et à la recherche d'une maigreur excessive », les deux attitudes n'ayant pas les même conséquences ;

- de ne pas insérer dans le code pénal des dispositions inopportunes qu'il aurait été plus judicieux d'insérer dans le code de la santé publique, lequel contient déjà quelques dispositifs de sanctions pénales et dont la nature correspond bien aux actes susceptibles de mettre en jeu la vie humaine et l'intégrité physique ;

- de remédier au caractère encore trop imprécis des motifs d'incrimination en matière de provocation. Celui-ci imposerait aux procureurs et aux magistrats du siège d'estimer si les faits qui leurs sont présentés doivent être incriminés ou non, latitude qui peut être souhaitable dans l'application de la loi pénale mais qui ne doit pas se fonder sur des notions trop indéterminées qui ouvriraient la voie à l'arbitraire judiciaire. Le législateur manquerait alors à ses devoirs.

Un problème analogue se poserait d'ailleurs en matière de répression de la propagande et la publicité puisqu'il n'est pas garanti que des produits d'amincissants d'usage courant ne tomberaient pas sous le coup de loi.

La nouvelle rédaction que votre commission propose consiste à interdire, plus largement, l'apologie, faite par tout moyen auprès du public, de comportements alimentaires ou d'automutilation susceptibles de porter directement et gravement atteinte à la santé des personnes.

Elle vous demande d'adopter cet article ainsi rédigé.

Article additionnel après l'article unique - Extension du dispositif à l'outre-mer

Objet : Cet article additionnel tend à rendre le dispositif proposé applicable outre-mer.

L'article tend à préciser que les dispositions de la présente loi sont applicables dans les îles Wallis et Futuna, en Polynésie française et en Nouvelle Calédonie.

Votre commission vous demande de l'adopter dans la rédaction qu'elle vous soumet.

Intitulé de la proposition de loi

Votre commission observe que l'intitulé du texte « visant à lutter contre les incitations à la recherche d'une maigreur extrême ou à l'anorexie » a conservé l'intention initiale de la proposition de loi qui concernait la lutte contre l'incitation à l'anorexie. Or, ce terme ayant disparu du corps du dispositif, puisque l'Assemblée nationale lui a substitué la notion de « maigreur excessive », conserver l'intitulé initial serait source de confusions. Même s'il est dénué de toute force légale et sert essentiellement à permettre au législateur de faire connaître son intention au grand public, une telle inadéquation entre le titre et le contenu de la proposition de loi n'est pas satisfaisante.

Elle vous propose donc de modifier l'intitulé pour qu'il traduise mieux le dispositif dont elle souhaite l'adoption.

*

Elle vous demande d'adopter cette proposition de loi ainsi modifiée.

* 23 Contribution écrite remise à votre rapporteure. Voir aussi son intervention lors de la table ronde du 3 juin 2008, p. 43.

* 24 Décision n° 90-283 DC du 8 janvier 1991, loi relative à la lutte contre le tabagisme et l'alcoolisme, considérant 8.

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